nothing is wrong / pv Pytha

. . .

Je ne m’y attendais pas. Mais alors vraiment pas.
Il était à nouveau apparu devant moi, un soir, lorsque je sortais de la petite boutique où je bossais au black depuis quelques semaines. Depuis, il m’invitait dès que possible à boire un verre, un café, à marcher. Juste pour discuter. Et à chaque fois, il s’excusait encore platement. Pour la gifle. Celle qui m’avait marqué la joue pendant 2-3 jours à l’apparition des premiers rayons du soleil de printemps. Cette fois-là, je l’avais peut-être bien cherchée. Il m’avait payé des verres presque toute une soirée et repartais bredouille pour cause de fatigue. La mienne. C’était vrai, mais c’était pas seulement à cause de ça. Disons que l’alcool le rendait beaucoup moins séduisant. C’était parti tout seul et ça s’était arrêté là. Il avait semblé aussi surpris de me gifler que moi d’en recevoir une. Et déjà à ce moment-là, il implora pardon des milliers de fois et j’acceptais docilement ses excuses. Après tout, ce n’était pas vraiment grand chose.

Mais avec ce soir, je devrais peut-être reconsidérer mon instinct.
Il m’a invité. Et j’ai dit oui. Parce qu’il m’occupe, me distrait. De ce qui m’entoure et que j’ignore « trop » facilement. De ce qui se terre en moi et qui me bouffe à petit feu. Bref.
Et je n’en reviens toujours pas. J’arriverais presque à me demander si je ne rêve pas. Seulement…

Je me redresse. Ça tire dans le dos. Je soulève la manche de ma veste… Les traces de ses mains se dessinent sur mon avant-bras. Ça fait mal. Ça brûle. Et je contiens tant bien que mal un tremblement. Je souffle. Keep control.

Réminiscences.
La ruelle derrière le bar. Chemin plus court me raccompagner, c’était ça je crois ? Je marche trop vite apparemment. Il croit que je le fuis. M’attrape le bras à deux mains. Tire. Plus fort que ce à quoi je m’attendais en sentant son emprise. Je tique. Tente de me dégager en blaguant, mais ce fut un énorme fail. –Je vais aussi devoir reconsidérer mon plan B qu’était une carrière de onewomanshow.-
Le mur qui s’écrase dans mon dos. Ou l’inverse. Et évidemment, il devait il y avoir un truc en surface. Ça m’a fait l’effet d’un coup de poignard dont je ne pouvais m’échapper puisqu’il enserrait déjà mon cou.
Ma main s’y dirige. Effleure le picotement. L’air passe difficilement. Mais c’est psychologique, n’est-ce pas ? Puisque là maintenant, il n’est plus là. Je me retourne, inquiète. Non c’est bon. Je respire douloureusement. Mais n’oublies pas, Charlie. Tu as eu un super réflexe de survie en t’assurant qu’il perde un peu de sa virilité. Un bon coup dans les cojones. Si seulement, je ne m’étais pas ramassée par terre comme une merde en m’emmêlant les jambes cotonneuses. Et merci ma cheville qui m’a lâché une nouvelle fois. Toujours aussi sensible depuis les cours de danse. Et c’est qu’en plus, je suis tombée sur ma hanche et que j’ai dû ramper pour me dégager de lui qui se pliait de douleur sur moi. Oh. Réalise. Et j’ai aussi salopé tout le côté droit des fringues. C’est le pompon. Vraiment, la grande classe.
Rire nerveux. Rire pathétique. Je peux même pas être fière de ma prouesse…

Et maintenant, je fais quoi ? Je divague dans la rue. Hésitant à rentrer.
C’est quoi déjà le rayon d’action du pouvoir de Sarah ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais demandé. On en n’a jamais parlé. Pourquoi je ne pose jamais des questions utiles au lieu de mes conneries habituelles ? En même temps, j’en ai marre de tourner péniblement en rond et de feindre la présence d’une frontière invisible. Je chancelle.
Fatigue. Je m’assois par terre, un peu plus loin de ce réverbère qui m’agresse les rétines. Pas d’humeur pour de la lumière aveuglante. Pensée pour Ash, Jo et le président. Je déglutis, me sentant bien incapable de faire face à qui que ce soit. Puis Morgan et Jim me viennent en tête. Merde. Ils sont certainement dans la cabane. Coup d’œil à mes fringues. Je tire ma petite veste en croyant que ça va cacher les saletés sur le pull trop fin et la jupe. Et ne parlons pas du collant totalement foutu. Soupire. Je me recroqueville.

Un coude se cale ma cuisse repliée près de ma poitrine. Et ma main vient bâillonner ma bouche. Ça va passer. Ça va passer. Ça fait pas si mal que ça. Alors pourquoi ce sont les seuls mots qui tournent en boucle comme un discours tyrannique. J’essaye de me persuader que tout va bien. Et le pire, j’en ai conscience.

__ Haha…

Mon rire s’éteint tout seul, en même temps que ma tête s’affaisse et vrille vers mon avant-bras blessé. Je ne m’aperçois même pas que la lumière du réverbère vacille à mon image.. Aussi incertain que la lumière d’une bougie.
Et bêtement, je remue le bras manche relevée, comme pour confirmer que ce n’est pas cassé. Mais je stoppe bien vite en ayant l’impression que si il n’était pas brisé jusque-là, il pourrait le devenir si je continuais. Mal. Je me crispe, ma respiration se coupe. Diagnostic confirmé. Mais je ne me suis jamais sentie aussi fragile de toute ma vie... Mon esprit fait la connexion avec Heath et Cale. Je suis faible face à eux. Mes propres pensées me reviennent en pleine face. Les larmes montent et s’apprêtent à dévorer mes joues. Mais non. Je refuse. Je secoue la tête. Mon front s’échoue dans le creux de ma paume. Fatigue.

Je me sens toute petite. Honteuse. Et je ne veux pas qu’ils sachent. Aucun d’eux ne doit savoir.

Ce jour-là, Pytha avait décidé de sortir. Seul.
Afin de prendre un peu l'air, se changer les idées. En ce moment, sa vie tournait autour d'Entropy et tout ce qui allait avec. C'était fatiguant à la longue. Mais, au lieu de laisser tomber, il préférait s'accorder une petite pause. Parce que oui, il croyait vraiment en cette cause. Une cause qu'il s'était promis d'oublier l'espace d'une journée. Alors il n'a rien trouvé de mieux à faire que de traîner en ville durant des heures et des heures. Il aurait pu trouver mieux à faire, une partie de basket avec Skygge, Lysander ou Heath. Malheureusement, ces trois-là n'étaient pas disponible. Oui, eux au moins savaient comment combler leur temps libre. Il se sentait un peu con sur ce coup-là.

Sur son chemin, il a croisé quelques connaissances. Des gars avec qui il ne parlait que très rarement, si ce n'est que de simples "salut" et d'autres personnes avec qui il s'était sans doute pris la tête. Il ne s'en souvient plus trop bien. Il y beaucoup d'individus qui se sont battus avec lui. Puis en général, Matthy ne retenait ni leurs têtes ni leurs prénoms. En y repensant, c'était assez pathétique. De se battre ainsi. On le lui répétait souvent d'ailleurs. Parfois il se calmait, d'autres fois il faisait la sourde oreille. Mais peu importe. Le E progressait, les mains dans les poches, se disant qu'il serait peut-être temps de regagner le pensionnat. Puis il la voit elle. Assise sur le sol.

« Charlie? »

Quelques pas hésitants en sa direction. Il n'était pas sûr. Mais presque. Alors il s'en approche pour en avoir le cœur net. Charlie. C'était bien elle. Celle-ci étant la manager du club de sport, Pytha ne pouvait que la connaître. Parce qu’apparemment Selphie ne suffisait plus, il lui fallait désormais deux grandes sœurs pour lui apprendre que la violence, c'est mal. On va dire que Selphie c'était le gentil flic alors que Charlie tenait le rôle du méchant flic. Elle qui n'hésitait pas à lui donner un coup pour lui apprendre. Jamais il n'aurait cru la croiser. Jamais il n'aurait pensé pouvoir la trouver dans cet état. Un sale état. Il prend une grosse bouffée d'air, puis s'agenouille en face d'elle.

« Qu'est-ce qu'il t'es arrivé? Tu t'es battue ou quoi? »

En y réfléchissant bien, ce n'était pas impossible. D'après ce qu'il savait d'elle, Charlie était une fille qui n'avait pas peur du danger. Peu de personne aurait le courage de s'interposer lorsque Pytha est prêt à cogner un abruti. Il avait une tonne de questions à lui poser. Déjà, que s'était-il passé, puis que faisait-elle ici, toute seule dans un état aussi pitoyable? Mais, plus important encore pour lui : qui était à l'origine de tout ça? Qu'il puisse éventuellement s'occuper de son cas.

« Putain Charlie, t'es vraiment dans un sale état. »

. . .

__ Charlie ?
Sursaut. Je lève la tête, me redresse brusquement.
__ Matt…
Je souffle. Malgré son imposante carrure, je ne l'ai pas vu arriver. Merde. Il m'a fait peur. Chose qui n'était jamais arrivée jusqu'à présent. Mouvement de recul lorsqu'il s'agenouille face à moi. Merde. J'ai pas pu m'en empêcher. Matt a toujours eu une forte présence. Je n'en ai jamais été effrayée. Mais là, j'y suis particulièrement sensible. Putain. Et je ne sais pas quoi faire de mon bras que j'ai du mal à toucher moi-même. J'ai certainement l'air d'une gourde devant celui que je tente souvent de "remettre dans le droit chemin". Je perds en crédibilité, c'est sûr. La honte me mord les joues.
Le destin prend un malin plaisir à s'acharner sur moi on dirait. Je ne voulais pas qu'on me voit, surtout pas quelqu'un de proche.

__ Qu'est-ce qu'il t'es arrivé ? Tu t'es battue ou un quoi ?
__ Je ne m'appelle pas Pythagore Matthijs Hemelrijk. Et les filles ça ne se bat pas. C'est l'inverse...

Puérile. La volonté est là, mais l'énergie dans la voix s'absente. Désir d'agir comme d'habitude. Voeu que ça passe inaperçu. Mais faut pas rêver. Pas quand son regard rougeoyant me scrute autant. Je n'arrive même pas à faire face à celui que je sermonne la plupart du temps sur ces excès de violence qui le mette en danger. Gêne. Je me recule encore -de quelques centimètres, tourne le visage, fuit. Ne me regarde pas.

__ Putain Charlie, t'es vraiment dans un sale état.
__ Merci.

Je tire machinalement sur ma jupe, fais mine de la dépoussiérer. Ma gorge s'enflamme après avoir autant parlé. Je grimace légèrement, tousse brusquement. I choke. Réflexe. Je porte mes mains, une à ma bouche, l'autre à mon cou. Merde, merde, merde ! Ne me regarde pas. Va-t-en s'il-te-plaît. Supplication ultime en mon for intérieur, ma fierté est déjà bien assez en miette.

__ Ça va. C'est pas grand chose. Même si je ne me sens plus vraiment capable de me lever, tenir sur mes jambes, faire un pas, avancer... Que le sombre naufrage débute. Mais qu'est-ce que tu fais dehors à cette heure-ci ? Il n'y a pas une soirée avec la bande ? Tu devrais y être. Ou rentrer.

Oui c'est ça. Détourne l'attention. Persuade-toi que ça fonctionne et prend-le pour un con aussi. Sourire fermé, regard du coin de l'oeil. Tout ce que je ne suis pas.

Lui il rentre et moi je reste encore un peu. Je suis bien là par terre. J'ai la meilleure place. L'autre type serait d'accord puisque c'est là qu'il voulait m'entrainer. Plus bas que terre.

I stumble. Though I try to hide it it's clear. My world crumbles. Oh no, it's me.

Il est vrai que la baston, c'est pas vraiment un truc de fille. Mais, rien n'est impossible. Une fille qui utilise ses poings, pourquoi pas? Mais, peu importe. Charlie ne s'était apparemment pas battue. Alors il s'attendait à l'excuse de la mauvaise chute. Mais au lieu de ça, Charlie lui dit que tout allait bien. Que ce n'était pas grand chose. Pytha peut être un peu stupide parfois, vraiment. Mais il ne fallait pas le prendre pour un gros con non plus. Puis la jeune fille tente de changer de sujet.

« Non non, Charlie. TOI, qu'est-ce que tu fous ici à cette heure et en plus dans un état pareil? »

On s'en fout de ce que lui faisait là. Puis heureusement qu'il passait par-là. Sinon, Dieu sait ce qui aurait bien pu lui arriver, qui aurait bien pu la trouver. Bon, Pytha n'ira pas jusqu'à dire qu'elle a eu une chance de malade d'être tombée sur lui. Mais, disons que c'était mieux que rien. Le E réduit la distance qui les sépare, l'air sérieux.

« Et non, ça va pas. Ça va pas du tout. »

Pensait-elle vraiment qu'il était capable de l'abandonner ici et rentrer au pensionnat? Impossible. Maintenant qu'il l'avait vu ainsi, il n'allait pas la lâcher avant de s'être assuré que tout allait vraiment bien. Puis s'il devait retourner à Prismver, Pytha l'emmènera avec lui. Point. Charlie pouvait protester autant de fois qu'elle le souhaitait, il ne changera pas d'avis. Pourtant, si la jeune fille y tenait, elle pouvait rester ici. Et il lui tiendra compagnie. Elle avait le choix. Tout sauf lui demander de l'abandonner à son propre sort. Il pose une main sur son épaule, la regarde avec intensité.

« J'vais t'emmener à l'infirmerie. Faut bien qu'on fasse quelque chose pour tes blessures. »

Et qu'elle puisse se changer par la même occasion. Elle n'apprécierait sans doute pas trop que tous le monde puisse la voir ainsi. Que tous le monde s'inquiète pour elle. Matthy pouvait parfaitement comprendre. Il détestait ça, lui aussi. Qu'on le regarde uniquement parce qu'il était dans un état pitoyable. C'était frustrant, parfois même blessant. Le jeune homme avait horreur de la pitié. Et justement, il n'avait aucune pitié à l'égard de Charlie. Il désirait juste lui venir en aide. Parce que c'était une amie. Et elle alors? De quelle manière le voyait-elle? Un basketteur un peu gamin qui fait que de tabasser des gens à longueur de journée? Remarque, ce n'était pas tout à fait faux. Il laisse sa main glisser le long du bras de la jeune fille avant de l'abaisser et soupirer.

« Tu peux marcher? »

. . .

Absence. La voix du connard qui répand ses insultes dans le creux de mes oreilles refait surface et plombe mon esprit de balles assassines. Je tressaille. Du moins jusqu'à ce que la voix de Matt ne l'étouffe soudainement. Je sursaute.
__ Non non, Charlie. TOI, qu'est-ce que tu fous ici à cette heure et en plus dans un état pareil ?
J'ai l'impression de me faire engueuler. Je bredouille rapidement quelques mots qui n'ont pas de sens, alors qu'il se rapproche, s'impose, m'oblige à lui faire face.
__ Et non, ça va pas. Ça va pas du tout.
Je déglutis. Je ne pensais pas le voir un jour si... Sérieux ? Happé par son regard, il me faut quelques secondes avant d'obéir, répondre. Timidement docile.
__ C'est juste que... Je. Il... La voix tremblante et hésitante, je m'affaisse, baisse la tête alors que les images d'il y a une petite heure m'assaillent. Je ferme les yeux. Et elles défilent encore et encore. J'inspire. Et une main s'échoue sur la joue qu'il avait giflé la première fois. Il disait que je l’intéressais... Qu'il voulait me connaître... Qu'il me voulait. Alors depuis quelques semaines, je le laissais faire, je... le laissais m'approcher. Il, il venait même à la friperie pour discuter ou me raccompagner. Alors quand il m'a invité à sortir... Je, je sais pas...

Je hausse les épaules, sourire fermé plaqué au visage. Ma voix se brise, ma bouche se ferme et je me terre dans le silence. Mon "état" parle de lui-même.
Sa main sur mon épaule me surprend à nouveau.

__ Désolée...

Désolée d'être tombée si bas. Désolée d'être si faible. Désolée que tu m'aies trouvé et que tu te sentes obligée de t'occuper de moi. Et désolée d'avoir peur. Est-ce que je vais avoir peur des hommes maintenant ? J'ai du mal à respirer. Ça serait bien ma veine. Non, non. Il faut juste que je m'habitue. Que je m'habitue à avoir conscience de leur puissance... Et à ma faiblesse.

Mes mots à Lysander semblent bien ridicules maintenant. 2 contre 1, je perds, mais en one-on-one, je m'en sors like a princess ? Mon oeil. Foutaise même ! Ça serait presque drôle. Rire jaune.

__ J'vais t'emmener à l'infirmerie. Faut bien qu'on fasse quelque chose pour tes blessures.
__ Non ! Mon cœur loupe un coche. Tout, mais pas ça.
__ Tu peux marcher ?
__ Quoi ? Euh, oui. Je crois que je peux. Mais il n'est pas question que j'aille à l'infirmerie.

Signalement, rapport à la direction, puis à la famille. Il manquerait plus que ma mère soit mise au courant et s'inquiète.

__ Les... La trousse de secours de la cabane suffit. C'est... Ce ne sont que des bleus...

Et là, une petite bestiole lézardesque s'incruste entre deux balbutiements.
Harry, le LMS de Sarah, arrive avec un paquet de sparadraps dans la bouche, puis délivre son message : La prochaine fois qu'un type vient t'embêter dans la rue, je viens l'émasculer avec un couteau. Voilà le prix pour être aussi bonne ma Charlie, fais attention à l'avenir. ♥

Un faible sourire se dessine sur mes lèvres. On est si près du pensionnat que ça ? Elle sait déjà...

__ Et voilà même des pansements supplémentaires...

D'une main, je farfouille dans mon sac pour dénicher stylo et bout de papier. Je lui dois bien une réponse à elle qui vieille de loin... Même si je galère pour écrire. Je confie mon message au lézard qui repart illico. Ça ne sert donc plus vraiment à grand chose que j'évite le pensionnat. Mais où aller ? Il est tard, mais ils sont encore tous réveillés. Je ne me vois pas me pointer à la cabane et interrompre Mo' & Jim en amoureux... Et vu que je ne sais pas où je veux aller, j'entreprends de me lever.
Présomptueuse, l'air décidé mais bien instable, à bout.

Douleur dans la cheville qui flanche. Coup de poignard dans la hanche. Je me fige, coupe ma respiration, serre les dents, chancelle à nouveau. Je me sens comme une de ces quilles au bowling qui ne demande qu'à tomber sous le coup d'un strike sournois. Et j'hésite à faire un pas par peur de perdre l'équilibre. Sueur froide. J'en ai marre. Je soupire, me frotte les yeux comme pour m'aider à faire reculer les larmes pernicieuses. Je ne veux pas pleurer. Pas pour ça.

__ D'accord... Ramène-moi.

J'ai l'impression de faire un caprice, alors que mes yeux se plantent enfin dans les siens. Pour une poignée de secondes avant de se détourner.

__ Et tu pourras me prêter un sweat ou un t-shirt ?

Faible demande. Je baisse déjà la tête sous la pression, sous la honte, alors que mes doigts agrippent son haut. Béquille.

Alors il l'écoute attentivement. Apprend que c'est un gars qui est à l'origine de tout cela. Et ça l'énerve. Vraiment. Alors Pytha serre les dents, sans prendre en compte les excuses de la jeune fille. Elles qui n'avaient rien à faire là. De quoi s'excusait-elle de toute manière? D'avoir laissé une chance à un gars qui lui faisait du rentre-dedans? La générosité, ce n'est pas une mauvaise chose. Le jeune homme ne disait rien pour le moment, mais il comptait bien s'occuper de cet enfoiré. Plus tard. Parce qu'il devait trouver quoi faire avec Charlie, elle qui refusait de se rendre à l'infirmerie. Elle ne voulait pas que cela s'ébruite, c'est ça? Il n'arrivera probablement pas à lui faire changer d'avis. Il ne dit rien, se contente de la fixer. Jusqu'à ce qu'un lézard ne fasse son apparition. Attendez... Quoi? Quelqu'un était déjà au courant? Cette personne a même envoyé des pansements...

Elle essaye de se lever, avec peine. Matthy s'en serait douté. Les filles détestent montrer leurs faiblesses, alors jamais Charlie n'aurait avoué ne pas pouvoir marcher. C'était tellement évident. D'accord... Ramène-moi. C'est bien ce qu'il avait l'intention de faire depuis le début. Bien qu'il ait plutôt prévu de la déposer à l'infirmerie, mais peu importe. Sa cabane fera aussi l'affaire. Pytha se redresse, s'approche et passe le bras de la jeune fille autour de son épaule. Histoire de la soutenir. Parce qu'elle ne pourra clairement pas marcher seule jusqu'au pensionnat et qu'elle n'acceptera jamais de monter sur son dos ou un autre truc dans le genre.

« Ce porc de Skygge doit être entrain de dormir. »

Cette histoire ne le regardait pas de toute manière, il n'avait pas l'intention de le prévenir. Il n'avait pas besoin d'aider pour panser quelques blessures et offrir son aide à une amie. Est-ce si étonnant que cela de voir Pytha la grosse brute prendre soin de quelqu'un? Enfin... Essayer. Pour le moment, il n'avait pas encore fait grand chose.

« Bleu, blanc, orange, jaune, rouge? Ou sinon je peux te prêter mon maillot si tu veux. Avoue que t'as toujours voulu en porter un. »

Ouais, mais peut-être pas le tien. Il avait beau être l'un des meilleurs joueurs de l'équipe, le E n'était de loin pas le plus populaire. Même Skygge avait plus de succès. Et il sourit en y pensant. Un sourire qui disparaît peu après, alors qu'il fixe droit devant, sourcils légèrement froncés.

« Et il ressemble à quoi, ce mec...? C'est quoi son nom? »

. . .

Contact. Matt prend toujours les choses à bras le corps, sans hésiter. J’ai juste tellement peur de me briser, que je m’accroche plus que de raison. Sauf que, même en talons, je suis loin d’être aussi grande que lui. Position inconfortable.

__ Attends… Je me dégage et me recule à nouveau. Tu vas te péter le dos.

Et pourquoi tu ne dis pas que ça TE nique le dos ? Que TU as mal ? Bah parce que je ne veux pas avoir l’air plus pitoyable que je ne le suis déjà.

__ Ce porc de Skygge doit être en train de dormir.

Retour à la réalité. J’écarquille les yeux. Est-ce vraiment une bonne idée de pénétrer l’antre des bêtes ? Prise de tête. Parce qu’ils fréquentent la même bande. Qu’il n’est pas tout seul dans sa cabane. Parce que ça va finir par se savoir. Une main sur les yeux qui dérive jusqu’au front, puis dans les cheveux. Fatigue, lassitude. Je ne sais pas. Je ne sais pas quoi faire.Je ne sais plus.

__ ...
__ Bleu, blanc, orange, jaune, rouge? Ou sinon je peux te prêter mon maillot si tu veux. Avoue que t'as toujours voulu en porter un.
Rire faible.
__ Démasquée. … Mais là, peu importe. Tant que ça me couvre un peu plus.

Tant que ça me cache.

__ Ça te dérange pas de me porter sur ton dos ? Ça sera… plus simple.

Moins douloureux. Et au moins, il ne pourra pas me voir.
Pytha s’abaisse presque immédiatement. C’est bien la première fois que je le vois si… Obéissant. C’en est presque troublant. Je m’appuie sur son épaule d’une main pour faire le tour. Je me baisse péniblement après avoir calé mon sac sur mon épaule. Nouveau contact. Et je me crispe. Parce qu’il faut que j’habitue mon corps à ce changement de position. Putain. En fait, j’ai mal partout. Je n’arrive pas à contrôler la tremblote qui s’empare de moi. Mon cœur tambourine dans ma poitrine collée à son dos. Apnée. Pitié, pitié, pitié. Ne te relève pas trop vite, ne te relève pas trop vite. Je me cramponne ; il se saisit de mes cuisses fermement. Ça me calme. Et nous voilà partis.

Soupire.

__ Et il ressemble à quoi, ce mec... ? C'est quoi son nom ?
__ Tho… Et merde. Pourquoi tu veux savoir ça ? Ça ne t’avancera à rien.

Surtout si c’est pour qu’il ait une nouvelle excuse pour se battre. Ça me ferait mal.
Son visage. Sa poigne. Haut le cœur. Je me muselle les lèvres et pose mon menton sur la clavicule de mon porteur. Et dire que Thomas était mon type de mec.

__ Tu sais… J’ai eu un super réflexe. Je lui ai planté mon genou là où il faut. Sinon il… Je…

Je laisse mourir ma phrase après ce murmure à son oreille. Sinon quoi ? Qu’est-ce qui me serait arrivée ? Blackout. Je ne sais pas. Mais ça aurait été bien pire. Je n’ose imaginer faire subir ça à ma mère. Donc oui. Là, tout ça. Ce n’est pas bien grave. Monologue intérieur. Auto-persuasion.

Un petit bout de chemin se passe dans le silence. Je commençais à me détendre. Mais à l’apparition des cabanes dans mon champ de vision, la tension réapparaît. Mon regard vrille sur le profil de Matt que je devine légèrement de ma position. Soupire.

__ Je… Je ne peux pas te demander de mentir, puisque ce sont aussi tes amis. Mais c’est vrai que je préférerais que personne ne sache à quel point je…

Les mots restent planqués au fond de ma gorge. Boule névrotique. Mon front se cale contre le haut de son dos, à la naissance de sa nuque. Frustration. Gêne. Je l’implique dans mon bordel, le met dans une situation indélicate vis-à-vis de tout le monde et ça m’emmerde.

__ Pardon… Vraiment, je suis désolée.

I’m a mess.

__ Je partirais avant que Skygge ne se réveille.

Si ça ne tenait qu’à moi, je me serais bien terrée dans un coin le temps que la douleur passe. Puis à coup de fond de teint et de vêtements un peu plus longs, ça ne serait pas remarqué. Ni vu ni connu. Mais il y a Sarah. Je ne pense pas avoir à lui demander de ne rien dire. J’ai confiance. Puis, il y a Jim dans la cabane. Hésitation. Si je me débrouille bien et vu qu’il est tellement occupé, il ne verra certainement rien.
Bon, mais pour les gens du club de sports… C’est la grande inconnue. Les mecs, ça ne parle pas entre eux, pas vrai ? Et puis avec deux sauvages comme Pytha et Skygge, ça peut peut-être passer comme une lettre à la poste. Minimise. Faut juste pas se faire griller par l’ours.

Les plans s’échafaudent silencieusement dans mon esprit et je ne remarque même pas que nous sommes arrivés, du moins jusqu’à ce qu’on passe devant les noms accrochés à la cabane.

Faut surtout pas que je me laisse submerger par mes émotions, par ma peur. Surtout pas.

Il ne pensait pas qu'elle lui demanderait elle-même de lui prêter son dos. Mais, ça ne le dérangeait pas. C'était sûrement mieux ainsi. Pas la peine de lui dissimuler son mal-être, Pytha n'était pas aveugle. Mais, il ne dit rien. Parce que c'est doute ce qu'elle désire. Qu'il se taise. Il lui demande pourtant l'identité de son agresseur. Et elle s’interrompt et le questionne à son tour.

« Bah à ton avis? Il faut bien que je sache qui sait, pas que je tabasse le mauvais gars. »

Logique, non? Pour la jeune fille, peut-être pas, mais pour Matthy, si. Toujours à vouloir régler ses problèmes avec les poings. Il n'était pas bon orateur, avait de la peine à trouver des compromis ou se maîtriser pour ne pas mettre son poing dans la face de tous les gars gênants. Le jeune homme frissonne légèrement en sentant le menton contre sa clavicule. Tu sais… J’ai eu un super réflexe. Je lui ai planté mon genou là où il faut. Sinon il… Je… Pas de suite. Pourtant, il attend un instant, puis sourit. « T'as bien fait, Charlie. Il t'emmerdera plus. » Car il fera en sorte que cela n'arrive plus. Pytha comptait bien faire comprendre à cet abruti qu'il a fait une grave erreur. Un silence a persisté durant le trajet. Le E tient fermement la blessée et progresse, à son rythme. En direction de sa cabane.

Je… Je ne peux pas te demander de mentir, puisque ce sont aussi tes amis. Mais c’est vrai que je préférerais que personne ne sache à quel point je… Il semble pensif un instant, finit par s'arrêter. Pytha la sent gigoter légèrement et arque les sourcils. Puis il hausse légèrement ses épaules, soupirant brièvement. « Je ne vais pas mentir. Juste que je n'en parlerai pas si personne ne me le demande. » Ah quoi bon? De toute manière, il tenait à s'occuper personnellement de cet homme qui a osé lever la main sur la manager. Et s'il en parlait à Skygge, ce dernier allait sans doute s'en mêler. Ce que le E cherchait à éviter. Il n'avait pas besoin du danois pour remettre un abruti à sa place. Charlie s'excuse. À nouveau.

« C'est pas ta faute, Charlie. »

Clairement pas. Elle n'a jamais voulu finir de cette façon. Elle n'était pas responsable. Pytha ne la prenait pas pour un poids. Il voulait juste lui venir en aide. Alors il la dépose sur son lit.

« J'vais chercher la trousse de secours. »