Eau + Sable + "E" = FATALITY. [Heather]

Il faisait chaud. Il faisait beau. La sueur dégoulinait, les élèves rampaient, les cheveux se plaquaient sur les nuques et les vêtements sur les corps, les boules de glace fondaient et tombaient sur le sol avant d’être mangées, les sandales brûlaient les doigts de pieds... Bref on était en Été, et Prismver, en cette belle journée ensoleillée, se bouffait une putain de canicule. Raison de l’hécatombe générale qui avait frappé l’île. Des touristes vissés à leurs boissons et aux climatiseurs, à l’intérieur des cafés. Pas un chat dans les rues, ou bien à l’ombre. Et des points d’eau surpeuplés. Les Piscines de l’établissement étaient bondées. La plage, moins. Sûrement à cause de la fraîcheur de l’eau, qui, même si appréciable, provoquait limite un choc thermique, là. Puis ne parlons pas des grains de sables, qui à certains endroits, se transformaient en charbons ardents. Pourtant, il y avait quand même du monde. Dont des E. En une proportion même assez importante pour inquiéter n’importe qui. Surtout quand on voyait qu’ils s’étaient lancés dans une espèce de tournoi intense de beach-volley. Enfin, qui devait l’être au début.

Mais entre les déclenchements de dons, idées « merveilleuses » de certains, et l’enthousiasme des autres, ça c’était transformé en un remixe de balle au prisonnier version barbare et boulet de canon. Difficile de croire que c’était une simple balle, quand on se prenait le dit projectile en plein bidon. Quelques-uns ne s’en étaient pas relevé. Et ce, sous le regard blasé ou moqueur de leurs camarades. Ou, pour ceux qui étaient restés à l’écart, à faire bronzette sur leurs serviettes, impitoyablement neutre.

Bref, la plage du pensionnat se mangeait un gentil cataclysme, et les dits fautifs n’en avaient rien à faire, tandis que le reste partait, ou tentait d’éviter les retombées. Mais, et Warren, dans tout ça ? Ramassait-il les cadavres ? Avait-il fui pour pleurnicher derrière un buisson ? Avait-il tenté d’arrêter le schmilblick ou surveillait-il anxieusement la chose dans un coin ? Non. Il participait. Oui, oui, « participait ». Tout à fait. Et il tenait même encore sur ses jambes. Certes, il fuyait plus la balle qu’autre chose, mais, c’était une question de survie. Pis, il courrait vite. Question d’habitude. Et on l’avait gentiment invité à participer. Il pouvait pas se défiler. Bon, en fait, il n’avait pas trop eu le choix, mais on ne refusait pas quelque chose à un groupe de gens avec des regards fixés très très intensément sur votre personne. Ce n’était pas poli. Et potentiellement dangereux.

Quoi qu’il en soit, notre délégué était maintenant en sueur, et essoufflé. Mais pas à cause de la chaleur, juste de la partie. Il avait vécu en Australie, et s’il était du genre frileux en temps normal (la Manche, ça caillait grave par rapport au pays des Kangourous), il vivait très bien cette journée. Frais comme une fleur, sourire aux lèvres, short, tongs, et... Sweat, à l’appui. Oui. Un Sweat. C’était peut-être ça, the raison, mais, bien sûr, Warren ne pigeait pas du tout. Et se contentait de jouer. Heu. De survivre.

Jusqu’à que la balle quitte le terrain et ne se dirige droit vers une demoiselle rousse. Et ne la rate que d’un cheveu, pour ensuite s’écraser tel un obus dans le sol, et projeter par la même occasion, une vague de sable sur la dite rousse. Warren pâlit quand il reconnut son visage. Heather. C’était Heather, qui était limite ensevelie sous les milliers de grains. Heather et ses affaires. Heather et sa console.
...
Warren cacha son visage entre ses doigts. Une faible plainte filtra d’entre ses lèvres.

Ça allait être un massacre.

Ce matin, son horoscope ne lui avait pas prédit un bon karma. Et l’avait informé que suite à l’alignement de Mars et Venus, il risquait d’y avoir une chute de force cosmique sur l’incarnation physique de son moi spirituel. Sur le coup, il n’avait pas trop compris. Maintenant... Heh bien, disons qu’il en avait compris les grandes lignes et surtout, implications. Échoué dans le sable comme un cachalot en perdition, les doigts enfoncés dans les grains, la tête en arrière et une grimace crispée sur le visage, il ne se sentait que très vaguement conscient. Et son estomac lui faisait un mal de chien. Autour de lui, il sentait que plusieurs de ses camarades piétinaient, l’air de se demander si ce truc sur le sol était encore vivant ou non.
Faiblement, il leva sa main droite et l’agita nonchalamment, genre « Je viens de me prendre un obus dans le ventre et de m’écraser comme une bouse avec violence un mètre ou deux plus loin, mais je vais bien. Je vous assure. ». Visiblement, ce geste rassura (hahah) les autres E qui s’éloignèrent, certains partant à la recherche du ballon, d’autres remettant le filet en place et écrasant les petites dunes, ou remplissant les cratères de sable qui s’étaient formés tout au long de la partie.

Et pendant que Warren se remettait, un type aux allures de surfeur californien s’approcha d’Heather pour lui demander si elle voulait les rejoindre. Avec un sourire Colgate et air bovin à l’appui. Ses collègues l’observèrent, dubitatifs sur l’état de sa santé mentale, presque inquiets pour quelques-uns, mais voulant surtout ne pas rater une miette du spectacle. Quant à notre délégué, il revenait doucement du pays des songes, parce que oui, tout résistant qu’il était (à force de se recevoir diverses choses un peu partout et tous les jours), le choc avait été un peu rude. Et son cerveau avait eu besoin d’une pause. Pause qu’il avait trouvée dans un rêve plutôt étrange, où Liam et Alister se disputaient le droit de porter un tutu rose. Ce qui expliquait pourquoi le dormeur n’y était pas resté longtemps : c’était bien trop effrayant pour être la réalité. Et même si ça l’était, il voulait fuir. Vite.

Bref, l’adolescent aux cheveux bleus était réveillé, désormais. Se redressant lentement, il bascula en position assise, et massa avec un faible grognement la partie meurtrie de son estomac. Comme il se cachait les yeux, il n’avait pas pu voir le projectile, et bien sûr, encore moins l’éviter. Il avait essayé, pourtant. Dans les dernières secondes, bravement, il avait voulu bondir hors de sa trajectoire. Et s’était emmêlé avec ses propres pieds, qui, traîtres, étaient partis dans deux directions différentes, le faisant chuter en arrière. Son ventre s’occupant de son côté de stopper l’attaquant.

Urgh. Warren se figea soudainement. Il ne se sentait pas vraiment bien, en fait. Et une insistante envie de vomir lui tordait l’estomac. Un peu vert, il plaqua l’une de ses mains sur le bas de son visage, et se plia en deux. Ouais, c’était définitif, en réalité, il n’allait vraiment pas bien. Et pis, le sol tanguait décidément trop. Ça ne l’aidait pas beaucoup. Ses jambes non plus, puisque qu’elles se déplièrent lentement mais sûrement, jusqu’à faire couler tout son corps sur le sol en mode limace pas fraîche. Le nez dans le sable, il demanda au monde s’il pouvait essayer d’osciller un peu moins. Et toujours à haute voix, rajouta que ce serait vraiment très gentil de sa part.

Il faisait sombre. Il faisait froid. Et un grain de sable –plusieurs, en fait– lui étaient rentrés dans le nez. Wait. Il y avait du sable en Enfer ? Bizarre. Il aurait plus pensé à de la cendre, ou heu, une roche volcanique, de la lave, tout ça. Warren se dandina sur place, pas très à l’aise. En fait, il était presque certain qu’un diablotin piétinait sa colonne vertébrale. Et c’était un peu désagréable. Son corps fut soudainement secoué d’un spasme, et il toussa, expulsant ce qu’il avait avalé durant son piétinement, et le ramenant par la même occasion dans le monde des vivants. Le délégué frissonna quand ses neurones se reconnectèrent. L’espace d’un instant, tout à l’heure, il avait vu sa vie défiler. Pour la douzième fois de la semaine. Mais s’entrapercevoir en Enfers, ça, c’était la première fois du mois. Il tourna la tête, dégageant son oreille droite du sable, et par la même occasion son ouïe. Une voix lui parlait. Et lui demandait s’il était vivant.

▬ Maintenant, oui, presque, coassa-t-il, avant d’ajouter : Merci de vous inquiéter. C’est très aimable.

Retour aux bonnes manières, moralité, il était en bonne voie de récupération de ses facultés mentales. Et pour continuer à être poli, Warren roula sur lui-même, pour pouvoir fixer son interlocutrice dans les yeux. Ses paupières papillonnèrent, un peu éblouies par le retour soudain du soleil, avant que ses yeux ne reconnaissent la personne en face de lui. Heather. Aussitôt, l’effroi glaça tout entier son corps d'adolescent, et il entreprit de se relever au plus vite. Ce qui donna une espèce de ballet frénétique dans le sable, façon ver qui voudrait faire de la danse classique. Confus. Bizarre. Impressionnant. Mais surtout un peu pathétique. Style souris qui fait du sur place à deux millimètres de la patte du chat. Finalement, au milieu du chaos, émergèrent deux bras qui agrippèrent la jambe d’Heather pour relever le reste du corps. Puis qui lâchèrent aussitôt, dès que leur possesseur se rendit compte de ce qu’il était réellement en train de faire.

▬ Désolé. Je. Je peux ramper, affirma-t-il, décidé, les yeux fixés sur son objectif.

C’est-à-dire le coin serviette de plage, en bordure de la dite plage. Et Warren rampa. Avec la lenteur d’une tortue anémique au début, puis, avec la vitesse d’un guépard véloce, quand il vit avec horreur un crabe darder une pince dans sa direction. Mais comme le guépard, il ne tint pas longtemps, et s’écroula, haletant, complètement échevelé sur sa serviette Stitch. Qui était bleu, comme ses cheveux, et dont on ne voyait même pas le personnage, d’ailleurs. Il lui faisait trop peur, alors il avait retourné le tissu. Mais, en même temps, ce n’était pas très gentil de faire ça. En somme, Warren était plongé dans un dilemme permanent à cause de cet accessoire de plage, et ses camarades en étaient ravis (parce que c’était un cadeau de leur part, évidemment). But, là, tout de suite, il était trop fatigué pour y penser, et s’échoua juste dessus pour reprendre son souffle.

Quelques minutes plus tard, il respirait de nouveau normalement et allait un peu mieux. Il n’était plus couché mais assis, et contemplait le petit cratère, ainsi que son gros tas de sable, qui se trouvaient juste à côté. En dessous devait probablement se trouver la serviette d’Heather. Il posa ses yeux sur une percée dans le tas de sable en question, et le cadavre de console qui se trouvait à côté.

▬ Désolé, murmura-t-il quand la rousse arriva à sa hauteur.

Il fixa la console quelques secondes.

▬ On peut la réparer ?

Son ton était inquiet, mais respectueux, et ses yeux promettaient qu’il était prêt à mener lui-même l’oraison funèbre cas échéant.

▬ Heu. Ça te dit un château de sable ?

Il mordit sa lèvre inférieure. Non, bien sûr que non, ça ne lui disait pas. Stupide Warren. Méchant Warren. Il baissa les yeux et contempla le sable en tremblant un peu.

▬ Tu peux me frapper, si tu veux, conclut-il, sans relever la tête.

Il était prêt à prendre l’entière responsabilité de cet accident. Et s'il le fallait, il se réincarnerait en punching-ball pour que Joséphine repose en paix.

Parce que les consoles étaient toutes des filles, non ?
Le nom était classé féminin, après tout.

Mode poisson rouge activé. On ouvre la bouche, on ferme la bouche, on ouvre la bouche, on ferme la bouche... Pas un son qui sort, des yeux écarquillés et un air intelligent plaqué sur le visage, on fixe son interlocuteur sans bouger. Encore. Et encore. Sans oublier un seul instant le mouvement d’ouverture et de fermeture de sa bouche, naturellement. Puis on continue, encore, et encore, et... Bon. Stop. Neurones appellent Warren, neurones appellent Warren, vous recevez-nous ? Notre appel vous atteint-il ? Hum. Visiblement non. Analysons un peu la situation, voulez-vous ? Une plage, du sable, une canicule, des E qui ont repris leur intense match, une rousse, une chose bleue, et une situation épineuse et tragique impliquant la mort de Joséphine, fidèle et vaillante console de jeu.

Il y a quelques instants, la dite rousse semblait prête à gober la chose bleue tout crue, et d’ailleurs, elle avait déjà commencé le travail en brandissant son poing, prête à frapper la viande pour la rendre plus tendre. Sa cible avait alors pris peur, et s’était recroquevillée, puis avait réalisé qu’en fait, elle le méritait. Tout en ayant toujours aussi peur pourtant et en adoptant alors une étrange position : le croisement d’un escargot planqué dans la coquille, et d’un autre qui voudrait en sortir, une jambe qui part en couille sur la droite, la deuxième repliée, et des bras formant un angle bizarre.

Sauf qu’assaut frontal et brutal, il n’y eut point. Enfin si, mais minime, et si rapide que cela en fut choquant. Une bête pichenette sur le nez. Ce qui n’empêcha pas Warren de laisser échapper un petit couinement de douleur, certes, mais aussi de surprise. Il ne s’y attendait pas. Vraiment pas. Normalement, il aurait dû se faire tabasser. C’était sa faute après tout. Quoi qu’elle en dise, s’il avait pu arrêter ses camarades, sa console irait encore bien et gambaderait joyeusement parmi les fleufleurs et les petits oiseaux. Et il voulut lui dire, mais n’en eut pas le temps. Voilà qu’elle lui demandait le responsable, ou du moins, l’élève qui avait envoyé le projectile jusqu’à elle. Et qu’elle menaçait s’il ne connaissait pas son identité de le faire mourir dans, il en était certain, d’atroces souffrances. Il était là, le problème. Warren savait. Et Heather savait probablement qu’il savait. Mais il ne pouvait pas le dire. Non. Il ne pouvait pas.

Hélas, l’être humain est contradictoire, et le jeune délégué n’avait pas non plus envie de trépasser dans d’horribles souffrances. Déchiré par un dilemme impossible, il ne savait que faire, et avait envoyé ses neurones au loin, restant planté là comme un piquet particulièrement endormi du bulbe. Jusqu’à que l’illumination se fasse, et qu’il ne prononce ces mots fatidiques :

▬ Désolé, je ne peux pas te le dire.

Il joignit ses mains, implorant on ne sait quelle divinité d’avoir pitié de sa misérable vie, ou demandant à une obscure présence de graver une épitaphe pas trop méchante sur sa très future tombe. Il était pétrifié. Mais il ne pouvait pas le dénoncer, cela ne ferait qu’envenimer les relations des élèves de sa classe, déjà pas très reluisantes. Un manquement impardonnable à son rôle de délégué et surtout une trahison impossible pour son mantra de tous les jours qui concernait : 1) la survie en milieu hostile, 2) la sauvegarde de contacts humains et sociaux et l’éloignement de la solitude, 3) passer le moins de temps possible dans le bureau de mademoiselle Shneider (pas « se rendre le moins de fois possibles dans son bureau », sa naïveté avait quand même des limites). Ainsi que plein d’autres points qui ne seront pas évoqués. Quoi qu’il en soit, dénoncer cette personne serait une très, très, mauvaise chose. Pour tout le monde. Hélas, sa survie immédiate semblait très très en dépendre, justement. Il ferma les yeux. Et, sans prévenir, une ampoule s’alluma dans son esprit. Warren rouvrit grand ses mirettes vertes et les ancra dans les yeux aux reflets rouges d'Heather.

▬ Mais je peux faire une exception ! déclara-t-il soudainement en hochant la tête avec conviction. Si... Si tu me bats à...

Mince. Trouver une idée. Vite. Oh. Deuxième ampoule qui s’allume.

▬ Si tu me bats à la course !

Il se leva d’un bond énergique. Presque comme excité. Non, excité tout court. Il était content. Oh oui, il était content, et fier. Fier d’avoir trouvé un moyen d’éviter un massacre ainsi que sa fin prochaine et douloureuse. Il battit des bras, continuant sur sa lancée.

▬ Une course tout autour de ce bout de plage. On part de ce coquillage en forme de cornet de glace, et le premier arrivé au niveau de ce rocher là-bas, gagne.

Warren pivota vers sa camarade.

▬ Si tu gagnes, j’avouerai tout. Et si je gagne... Je te rembourse ta console.

Oui, il ne parlerait pas, mais rembourserait tout, et il n'y aurait donc pas de décapitation, et tout le monde serait heureux et vivant. La solution idéale. Tellement idéale, qu’il flottait presque sur un petit nuage jusqu’au moment où il atteignit « la ligne de départ ». Tac. Ses neurones venaient de reprendre du service. Il pâlit. Oh mon dieu, et s’il perdait ? S’il perdait, ce serait la fin. Parce qu’il ne tiendrait pas sa promesse. Parce qu’il ne pouvait pas la tenir, et vendre son camarade. Non. Ce n’était pas possible.

▬ Oh Bouddha, murmura-t-il d’une voix audible seulement pour lui-même, blanc comme un linge, en se mettant en place. Faites que je ne trébuche pas bêtement sur un coquillage.

Car chaque seconde compterait, et il allait falloir courir vite. Très, vite.