Growing strong ♦ Aiden

Growing strong

"With freedom, books, flowers and the moon, who could not be happy ?" ~ Oscar Wilde

Nature. Tout ce qui l’entourait rapportait à ce mot, à ce monde protégé, loin de la violence humaine qui avait envahie tout… ou presque. Elle marchait lentement entre les allées, ses doigts caressant doucement les tables et étagères où reposaient milles pots, où se cultivaient milles plantes. Elle passait sous les arcs-en-ciel floraux, appréciant les senteurs qui embaumaient les serres immenses. Ses yeux s’illuminaient devant ces prodiges naturels, à l’opposé des machines artificielles qu’elle affectionnait pourtant.

Oui, même elle avait besoin de s’oxygéner. Elle passait ainsi plusieurs heures par semaine au milieu des végétaux et quand ce n’était pas au jardin, c’était aux grandes serres de Prismver. Elle y allait souvent alors que l’après-midi allait s’achever, appréciant les rayons plus rares à travers les feuillages, donnant au lieu une atmosphère mystique étonnante. Mais la venue de l’été donnait une ambiance plus rayonnante et chaude, même quand approchait les dix-neuf heures…  Elle s’arrêtait de temps à autres, pour humer telle plante, apprécier le toucher de telle autre, ou bien pour reculer et observer, fascinée, une des plantes carnivores gober un moustique téméraire.

Finalement, elle trouva le lieu qu’elle cherchait et s’arrêta plus longuement. Elle tira un escabeau de sous une table et s’en servit comme d’une chaise, se plaçant près d’une fleur qui l’étonnait, trônant seule au milieu de pétales pâles et feuilles racornies. Comment celle-ci faisait-elle pour ne pas faner ? Elle l’observait depuis quelques semaines déjà et elle n’aurait jamais penser qu’elle survivrait autant. Il est fou comme les actions des hommes laissaient parfois indifférente la blonde mais la survie d’une plante l’animait pleinement. Alexis sortit de son sac sa tablette et chercha son dossier de croquis : elle souhaitait ajouter une nouvelle création florale et voulait faire cela bien.

Elle brancha ses écouteurs et lança sa playlist de musiques au violon. En effet, elle n’écrivait et ne dessinait jamais dans le silence. Puis… elle ferma les yeux et inspira l’air lourd et sucré des fleurs alentours. Enfin, elle attrapa son stylet et observa la fleur survivante qui lui faisait face. Suivant les coups d’archet, sans vraiment s’en rendre compte, les traits fins faisaient apparaître ce qu’elle voyait et du bout des doigts, elle donna de la contenance aux croquis par les couleurs. Elle en fit un, puis deux, puis arrêta de compter, développant à partir de sa mémoire, toute l’éclosion de la fleur miraculeuse, jaune comme un soleil, brillant de vie. Elle était plongée dans les croquis et les mélodies, dans les fleurs et les senteurs… Elle ne remarqua même pas qu’elle n’était plus seule.

Growing strong

"Hope is being able to see that there is light despite all of the darkness." ~ Desmond Tutu

Eclosion. Ouverture au monde, à sa beauté mais aussi à ses dangers. Pourquoi les fleurs se dévoilaient ainsi au lieu de rester protégées en elles-mêmes ? Les poètes diront que c’est l’espoir de voir le soleil au risque de devoir supporter la pluie… Mais les plantes sont comme les hommes : ils n’ont pas le choix. Ils naissent sans rien demander ; ils tentent de survivre en suivant les autres ; ils meurent sans en savoir davantage. Pourtant, face à cette fleur qui résistait au temps et à la chaleur, Alexis avait envie de croire les poètes et que l’espoir pouvait rendre fort. Elle riait et pleurait intérieurement mais ne cessait jamais de dessiner, d’écrire, de créer. De dévoiler la magie dans la beauté, créant des ancres pour la maintenir dans la réalité.

Et cette fleur, aussi fragile que forte, était son ancre du moment… Mais il était loin d’être sûr qu’elle résisterait au cataclysme de pensées qui habitait celle qui la dessinait. A cet orage d’angoisses qui affrontait cette tornade de promesses futiles. Ses croquis se multipliaient car elle ne les trouvait pas tous bons, au contraire. Malgré la musique qui était censée la calmer, elle finissait toujours par sentir l’agitation dans ses membres. Le stylet ou mêmes ses mains ainsi traversés par la peine et la rage ne pouvaient plus tracer des traits aussi nets qu’elle le souhaitait. Mais elle continuait. Ainsi régnait l’épicentre de sa tornade intérieure : « n’abandonne jamais ».

Plongée dans ses pensées, rythmées par la tristesse des cordes, qu’elle souhaitait pourtant écartées en venant aux serres, elle se releva subitement en voyant un livre tomber sur ses genoux. Elle le stabilisa alors qu'il glissait vers le sol et releva les yeux vers le propriétaire de l’ouvrage. C'était un jeune homme grand et brun, maigre dans son blouson d’aviateur. Elle fixa naturellement ses yeux noirs profonds… noirs comme la majorité de ses habits, aussi noirs que sa peau était blanche. Il y avait tant de tristesse dans ses yeux, que les yeux gris de l'américaine délaissèrent la surprise première pour une interrogation plus profonde. Elle rangea son stylet dans sa tablette et tira sur ses écouteurs pour les enlever de ses oreilles, ayant un instant de vertige en percevant le silence pesant des serres. Elle avala sa salive avant de lui tendre le livre : « Hum… Tiens. » Elle regarda des deux côtés de l’allée, sachant pertinemment qu’elle ne verrait rien d’autres que des plantes. « Désolée, si je t’ai dérangée… Je pensais être seule… »

Bon, cela allait vite devenir gênant. Il fallait qu’elle se bouge ou qu’elle dise un truc un peu plus constructif. Pourtant, elle restait bêtement sur son escabeau, l’inconnu se dressant de toute sa hauteur devant elle. Sa culpabilité lui glissa de filer avant de dire une connerie ; sa colère lui indiqua une cible sur qui se défouler ; sa tristesse lui murmura de ne rien faire car tout cela ne servait à rien… Et sa joie de vivre quasi-disparue lui conseilla de sourire et d’essayer de comprendre pourquoi le jeune brun avait l’air si mal en point… tant physiquement que psychologiquement. Elle se mordit la lèvre et tenta donc, d’un ton neutre, sans s’empêcher pour autant de jouer avec les écouteurs qui diffusaient encore doucement la mélodie au violon : « Je ne t’ai jamais vu… Mais tu viens souvent aux serres ? Que je… *ne-pas-dire-de-connerie* Que je ne te surprenne pas de nouveau… ». Elle glissa prudemment ses yeux vers ceux de l’inconnu et leva doucement sa main droite pour mimer un salut, à cinq pour cent maximum, la main à moitié fermée et vite retombée à cause de la gêne.

Dans sa tête, elle s’insulta de nouveau d’idiote et du fait qu’elle devait vraiment partir : cela ne servait à rien de discuter avec des gens soit qu’elle gênait soit qu’elle énervait… si ce n’est les deux. Elle se leva donc subitement, faisant glisser sa tablette de ses genoux. Cette dernière tomba avec un son peu rassurant mais non du côté de l’écran. Elle redescendit précipitamment au sol, grimaçant en serrant les dents, comme ressentant la douleur de l’appareil, avant de ranger ce dernier dans son sac. Elle se releva, son sac adossé à l’épaule, et regarda un peu près partout sauf les yeux noirs… Comment pouvait-elle être aussi gênée sans aucune raison en cet instant… mais déclamer avec aisance des sarcasmes aux A voire même aux profs avec la plus grande effronterie ? Son esprit n’avait vraiment aucun sens !

Ses poings se serraient devant sa propre réaction et elle finit par dire : « Désolée... Mieux vaut que je parte… Je ne suis pas de bonne compagnie… » Son regard glissa et se posa sur la "survivante". Malgré elle, elle se retourna vers le pot de la fleur jaune et, de ses doigts fins, chassa les restes des consœurs florales parties trop vite. Son regard gris se fit de nouveau humide mais ses lèvres semblèrent dessiner un sourire, comme réussissant à capter l’énergie vitale de la dernière fleur. Elle reprit conscience du jeune homme et son regard alla vers lui. Elle ressentait toujours sa gêne dans ses membres crispés. Mais en réalité… Elle s’en fichait de ce qu'on pensait d'elle. La gêne était due au fait d’être près d’un tiers, non de prendre soin d’une ridicule fleur comme si c’était un trésor.  « J’espère qu’elle sera là quand je reviendrai… » murmura-t-elle, plus pour elle-même. Car la fleur disparaissant avec ses comparses, c'était plus que la fin de croquis. Mais la fin métaphorique de toute espérance.

Growing strong

" L'essentiel de la vie sont les êtres que l'on rencontre sur son chemin." ~ Anonyme

Gêne. Pourquoi cette gêne ? Pourquoi ne pas accepter naturellement la présence de l’autre, ressentir un élan et une curiosité qui fait grandir les sourires et non froncer les sourcils ? Alexis n’en a pas la moindre idée, ou plutôt ne veut pas savoir… mais une nouvelle fois, elle se pose trop de questions pour sa propre santé. Si sa version plus jeune apparaissait, elle lui donnerait de violents coups dans les côtes, la disputant d’être aussi nulle à ne pas réagir, bloquée dans ses backets. Elle la comparait à un personnage d’un vieux film français un peu trop psychologique pour être vrai. Et elle aurait sûrement raison. Car Alexis Willow Lewis, à l’origine, c’était ça : un élan vers l’autre sans aucune pensée parasite, juste une explosion d’émotions sans aucun contrôle, car la vérité est trop pleine pour être maîtrisée.

Mais l’Alexis actuelle étais depuis trop longtemps pétrie dans les larmes et les réflexions pour réagir avec un sourire et un regard brillant. Et même si elle laissait parfois gambader sa véritable âme, agissant comme une enfant trop joyeuse pour un monde trop sombre, le masque de la défiance et de la crainte revenait bien vite à sa place, comme une barrière entre son cœur et le monde. Ainsi, elle fut étonnée de sentir le masque trembler quand le jeune homme lui souffla qu’elle n’était pas une gêne. Cela aurait pu être une phrase rhétorique, comme celle que les gens lancent entre un « comment va ? » et « quoi de neuf ? », sans vraiment attendre une réponse. Mais elle avait senti que ce n’était pas le cas, qu’il avait fait comme… un effort de lui préciser cela.

Même si elle se détourna pour se focaliser sur la fleur, revenait sans cesse, comme la marée, la pensée du jeune homme qui venait de s’asseoir sur le sol. *Pourquoi est-ce qu’il s’installe ainsi ? Pourquoi il ne part pas ? Il aurait pu sans qu’on lui en tienne rigueur… Pourquoi…* Oh mais Al ! Vraiment ! Cesse tous ces « pourquoi » ! Cesse de réfléchir et permet toi de fléchir pour une fois ! Tu ne risques pas tant que ça : Prismver est censée être une île paisible, pas un repère de psychopathes ou de cannibales ! Laisse toi approcher… et regarde, il se présente même à toi : il doit pas être un mauvais bougre… Et tu pourrais aussi apparaître comme quelqu’un de naturellement constitué et de sympathique. Car oui, tu corresponds à cette description.

Elle traçait des traits dans le terreau meuble, sentant la matière s’accrocher et salir ses doigts, mais ces gestes semblaient la détendre. Elle se mordit la lèvre intérieure, inspira, se dit qu’après tout, elle n’avait pas grand-chose à perdre à se présenter et demanda à son corps de se retourner vers le dénommé Aiden. Il ne semblait vraiment pas être une personne mauvaise… et puis, même ce type de personnes, la blonde n’en avait pas peur. Ce qu’elle craignait par-dessus tout était de créer des relations pour les détruire un matin, en ouvrant la bouche une fois de trop. Mais si elle continuait de fuir les gens, elle finirait par se fuir totalement elle-même. Elle répondit donc, se rasseyant sur l’escabeau : « Bonsoir Aiden. Moi c’est Alexis. » Elle refit son salut peu assuré mais il était à cinquante-huit pour cent à présent.

« Je ne suis jamais venu à l’aube ici… Elle sourit en levant son regard sur les nombreuses plantes autour d'eux qui grimpaient vers les vitres où passait la lumière. Mais j’imagine que l’ambiance doit être vraiment particulière… seul au milieu de ces espèces rares… dans la demi-pénombre… J’avoue venir plus souvent le soir que le matin : on a dû se rater de quelques heures à chaque fois. Comme quoi, les rencontres tiennent à peu ! » Quelle audace Alexis ! Elle arrivait presque à avoir une conversation normale. « Mais… tu es venue plus tôt… ou plus tard, je ne sais plus trop finalement… Tu avais aussi besoin de t’oxygéner ? Littéralement. Pas trop d’audace peut-être. Elle va finir par l’effrayer avec son semblant d’humour... Elle se mordit la lèvre en regardant le sol, où s’éparpillaient les feuilles mortes. *Laisse le parler… Il va sûrement dire un truc un peu plus intelligent que toi…*