[Terminé] Je peux tout expliquer !

Cassie crut un instant que ce fut la stupidité de la question qui jeta un blanc. Mais elle se rendit bien vite compte qu'il s'agissait plutôt du côté complètement indiscret de cette dernière. Qu'était-ce que l'amour ? Elle l'ignorait comme une enfant. On lui avait dit que cela pouvait être douloureux. Ses parents le lui avait prouvé. Mais le sentir ? Comment pouvait-on savoir lorsque Cupidon nous touchait de ses flèches ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Cependant, il sembla qu'elle fut la seule ignorante dans la pièce.

La réponse de Shun fut courte et concise. Malgré tout, il lui sembla qu'elle voulait tout et rien dire à la fois. Cela lui parut être un bon résumé au final, alors elle décida de s'en contenter. Ses pensées étaient encore brumeuses sur le sujet. Ses yeux noisette parcoururent la pièce en quête d'un objet auquel se rattacher pour éviter d'avoir à regarder son colocataire. Mais à la place, il se posa sur Aaron, qui semblait étrangement avoir également son mot à dire sur le sujet. Et une question ébranla la jeune femme.

Pouvait-il ressentir de l'amour ? Cela lui parut possible. Après tout, il pouvait ressentir de l'ennui, de la colère et de la jalousie, pas vrai ? Et même de la joie et de l'envie. Alors, l'imaginer dénué d'amour semblait stupide. Mais était-il déjà tombé amoureux ? Une idée de réponse lui parvint rapidement, la faisant frissonner de culpabilité. Et si… ? Cela expliquerait beaucoup de choses. Elle songea un instant à la possibilité d'une telle relation, et secoua la tête. Elle imaginait mal se marier ou avoir des enfants avec son ami imaginaire, mais rien que des sentiments purs et dénués de matérialisme ? Elle ne savait pas.

Cassidy était silencieuse depuis un petit moment déjà. Pendant son petit moment de réflexion qu'un animé aurait probablement représenté par sa vue en fond noir, avec juste un projecteur de lumière blanche au-dessus d'elle, son interlocuteur avait continué à s'étaler sur le sujet. Effectivement, il ne pouvait pas savoir dans ce cas là. Cela ne fit que pousser la jeune demoiselle à se questionner d'avantage. Peut-être qu'elle était lesbienne ? Avec le temps qu'elle avait passé à côtoyer des filles…

À la dernière phrase de Shun, elle vit le visage d'Aaron changer de couleur. Il pâlit doucement et s'approcha du chinois avec les poings serrés. Le visage de la petite brune se referma, et froidement, elle articula avec un soupire.

« - Oui. Parfois, j'aimerais qu'il disparaisse. Qu'il s'en aille et qu'il me fiche la paix. » murmura-t-elle, d'un ton dénué d'émotions.

Alors, son ami imaginaire se figea et se retourna vers elle. Il s'approcha et fit quelque chose qui surpris Cassie au plus au point. Dans un geste, il gifla la jeune femme qui posa sa main sur sa joue. Gonflant les joues, elle se détourna de sa vue pour s'approcher du chinois.

« - Tu vois ? » murmura-t-elle en désignant sa joue rougie « - C'est ce qui arrive quand je m'intéresse à quelqu'un. C'est pour ça que… je le déteste. »

La jeune fille sentit alors une aura bizarre dans son dos, là où se trouvait Aaron. Elle se retourna, et constata avec horreur qu'il avait disparu.

Un profond sentiment de malaise s'infiltra tel un venin dans les veines et le cerveau de Cassidy. Il était vrai que, le soir, Aaron disparaissait et revenait au petit matin. Il lui avait une fois expliqué qu'elle l'invoquait de façon inconsciente et ne maîtrisait pas encore cet aspect de son pouvoir, ce contrôle composé de plusieurs couches, ou plutôt phases. Il y avait notamment le fait qu'il ait une apparence physique fixe et stable, et aussi la phase pendant laquelle la jeune demoiselle du apprendre à comprendre et apprivoiser le caractère de son cher ami imaginaire. Et même si elle conquit rapidement ces deux étapes, la fréquence des apparitions d'Aaron restait inéluctablement imperméable à toute tentative de contrôle. En théorie, il était donc libre d'aller et venir selon sa propre volonté. Toute fois, il ne la quittait presque jamais. Du moins, en généralement. Du moins, jusqu'à ce jour-là.

Restée tétanisée sur place, Cassie expérimentait bien contre son gré une version bien plus rude de ses effets secondaires habituels, une version hardcore comme on dit. Bien sûr, elle était fort peu habituée à les subir de cette façon, alors cela fut particulièrement horrible. Elle avait l'impression dérangeante d'être observée. Son cerveau lui faisait percevoir, imaginer des centaines de voix : Des menaces, des grognements rauques et des cris d'horreur se massant sous son crâne, produisant un insupportable écho contre ses tympans. Et pourtant elle resta immobile.

Tétanisée, oui, pétrifiée par ces illusions, ses hallucinations auditives devenant bientôt également visuelles puis sensorielles. Ses yeux braqués dans le vide notèrent le scintillement d'une lame acérée lui entaillant vivement la cheville. Une intense douleur lui vrilla tout le corps. L'espace d'un instant, elle crut qu'on venait de déchirer ses tendons et qu'elle allait s'effondrer sur place. Mais elle sentit rapidement un sang étrangement glacé suinter de la plaie. Sans qu'elle ne puisse se l'expliquer, liquide épais coula et commença à geler le sol, ses pieds, et bientôt ses deux jambes furent prises dans la glace jusqu'aux mollets. Le froid engourdit à la fois les mouvements ainsi que la douleur. La glace avait déjà investit son corps de l'intérieur. Elle voulu crier, mais les mots et la salive se cristallisèrent dans sa gorge. Elle voulu pleurer, mais ses canaux lacrymaux se remplirent de glace.

Cassidy laissa ses globes oculaires rouler vers sa main droite et observa ses doigts. La glace avait continué de grimper à une vitesse record, et désormais elle emprisonnait entièrement sa poitrine. Elle pouvait sentir sa cage thoracique aussi friable que du verre, la glace l'engourdissant de façon oppressante. Elle tenta alors tant bien que mal de focaliser à nouveau son attention sur ses doigts. Ils étaient froids, immobiles, blancs et brillants. Si froids... Et si brillants... Une ombre passa sur sa main, extirpant du gel un ruban noir que la demoiselle utilisait afin de nouer ses cheveux lorsqu'ils bloquaient trop sa vue. L'étau glacé grimpa impitoyablement sur sa gorge et encercla son visage. Avant de retrouver ses oreilles prisonnières elle crut entendre une phrase plus forte que les fantômes dans sa tête. La voix semblait plus nette, plus claire, plus douce et moins hostile. Tant et si bien qu'elle parvint même à croire au seul mot qu'elle perçut. "Aider."

Sous ses paupières se recouvrant de gel, Cassidy perçut une vive lueur. Elle tenta alors à nouveau de parler, mais sa bouche était toute pâteuse, ses dents de verre et ses cordes vocales au bord de la rupture. Dans sa tête, elle supplia Aaron de revenir. Elle sentit sa présence soudainement. Il tenta d'arracher la glace, mais en vain. Cependant, l'instant d'après, on lui restitua son ruban. Il en émanait une chaleur forte, intense, mais infiniment réconfortante. En une seconde, toute la glace devint une large flaque d'eau qui s'évapora presque instantanément, et le grand brun dans sa tête disparut à nouveau.

La jeune femme laissa échapper un cri et tomba à genoux, comme fauchée, telle une vulgaire poupée de chiffon. Elle reprit son souffle, la gorge en feu, et son cœur libéréééé... Délivréééé... De la glace imaginaire se remit à battre à tout rompre. Ses tympans vibrèrent violemment de la voix de cette ombre, celle qui l'avait aidée. Shun. Elle comprit immédiatement qu'il avait fait ce qui était en son pouvoir - littéralement - mais également que ce ne pourrait jamais être une solution. Juste du paracétamol en attendant qu'elle parvienne à maîtriser son pouvoir suffisamment afin de contrôler les apparitions d'Aaron sans pour autant se transformer en statue givrée à chacuns de ses départs. Mais c'était déjà quelque chose et lorsqu'elle fondit en larmes, ses sanglots s'entremêlerent de paroles frénétiques. Elle lui devrait des explications. Elle avait une dette envers lui. Mais elle parvint juste à articuler un petit

‹‹ - Merci Shun... ››