( julian ) // filled with rage

Le poing frappait la surface avec vigueur. La sueur, omniprésente durant l’effort, nappait l’épiderme métissé. Le palpitant s’enfiévra, pulsant frénétiquement, agressant la cage thoracique à chaque choc, à chaque giclée d’adrénaline. Les opalescences manifestaient une agitation semblable à la rage : ferveur féroce ondulant au creux de son regard zélé.

L’intensité des coups s’amplifiait au fil des secondes, spectacle qui aurait du se révéler macabre ; pourtant, lorsque Jezabel martelait le punching ball de la sorte, alliant mouvements fluides et véhémence prononcée, cet amalgame de geste s’apparentait d’avantage à une danse endiablé. Cela était paradoxale, de comparer un sport brutal et virulent à la délicatesse d’une danse. Pourtant, le rapprochement fut loin d’être sot ; il y avait quelque chose dans la façon méticuleuse dont son corps se meut, dont son poing se heurte, dont son souffle se racle à la surface de sa gorge, quelque chose qui rappelait la cadence maitrisé d’un ballet. Peut être était-ce la vitalité gorgeant ses coups, ou l’exaltation masquant son regard ; là où la plupart des boxeurs puisaient dans leur haine, Jezabel puisait dans sa fureur de vivre. D’exister. Cette passion et cette impétuosité implacable qui permettait au mécanisme de s’enclencher chaque matin.

Le poing frappa une ultime fois.

Inspiration bruyante. Ses bras s’affaissèrent brusquement le long de son corps, éreintés par l’effort, tandis que sa température corporelle chuta d’un cran. Ses doigts longilignes agrippèrent une serviette non loin, l’essuyant sur le faciès cramoisi par l’intensité du sport. S’immobilisant quelques instants, elle tacha de contenir sa respiration accablante, et tempérer le brasier ancré entre ses côtes. Mais rien n’y faisait. Elle bouillonnait. Jezabel sentait la chaleur fleurir sous sa peau, arpentant ses veines, incendiant ses tripes. Vociférant un juron, ses jambes la menèrent aux douches des vestiaires en enjambées précipitées, tandis que ses vêtements imbibés de sueur quittèrent sa chair l’un après l’autre. Ses mains s’affairèrent à actionner la douche, et ce fut avec un soupir de contentement que le jet glacé frappa sa peau. L’eau fraiche caressa chaque parcelle de son être, traçant ses courbes d’un touché agréablement gelé, dessinant le contour de sa silhouette.

Les minutes défilèrent sans que son cerveau ne parvienne à enregistrer quoi que ce soit.

Finalement, le tintement sporadique des gouttes s’écrasant au sol s’arrêta. Débardeur blanc, short en jean, varsity jacket bordeaux et une pair de basket ; étonnamment, sa tenue du jour n’avait rien d’extravagant. Jezabel aspirait à un certain confort que ses accoutrements habituels ne pouvaient lui octroyer.

L’heure suivante fut passée à errer sans but précis, orbes céruléennes observant simplement le paysage l’entourant. Sa promenade s’acheva seulement lorsque son fessier clama un banc, situé dans les jardins ; paisibles horizons se profilant sous ses prunelles attentives, perspectives chimériques semblables aux esquisses de Monet. Sa main s’empressa de fouiller au creux de sa poche, agrippant un zippo et son paquet de clope. Bout de cancer maintenant agrafé aux lippes, Jezabel s’accorda quelques minutes de relaxation.

Mais il y avait une erreur dans ce beau tableau. Quelque chose qui ne collait pas. Un amas de fiel, un pan d’animosité orbitant autour du verger.

Ses sourcils se froncèrent perceptiblement. Le faciès lui inspirait quelque chose, mais le prénom échappait aux toiles de sa cervelle, se dissimulant dans les cavités de sa mémoire. Pense, pense, pense. Ah.

Un sourire insolent courba ses lèvres. Julian.

Jezabel ne le connaissait que de nom. On lisait sur les lèvres de camarades apeurés qu’il ne fallait pas l’approcher. Mais Dieu savait que Jezabel n’était pas du genre à suivre les conseils bienveillants. Elle l’observa intensément avant de passer à l’oeuvre, tel un prédateur considérant sa proie ; ironique comparaison en vue du spécimen épié, élève dangereux revêtant sa haine tel une arme. Ça lui seyait si bien après tout, cette malveillance enserrant son être telle une seconde chair, cette violence suintant des pores en vagues frénétiques ; complimentant l’ébène de sa crinière, exacerbant la noirceur de son regard. Sa clope vint s’écraser contre le banc.

Son corps bougea de lui même ; lentement, soigneusement, comme pour annoncer sa venue.

T’as l’air d’avoir de la haine à revendre. Ça te dit de rejoindre le club de boxe ?

Perdu dans les images que lui envoient les plantes tendres, il se penche et caresse du bout des doigts une feuille, retire avec lenteur la coccinelle qui chatouille la feuille avant de la poser sur l'arbre à côté, comme si tout était normal, comme si chaque image avec son sens défini, et c'est le cas, totalement le cas même. Concentré sur ces images, sur ces sensations qui traversent ton corps, Julian écoute ces êtres que peu d'autres écoutent, que peu semblent seulement connaître leur existence.

Une voix l'interpelle, le sort de ses rêveries, de ces discussions si calmes et la boule d'énergie lui fait froncer les sourcils. Il détaille la jeune fille devant lui, ses cheveux blancs, son point blanc au milieu de son front, qui ressort tellement sur sa peau mâte. Sa phrase résonne encore dans son esprit : T’as l’air d’avoir de la haine à revendre. Ça te dit de rejoindre le club de boxe ?, le fait sourire, de ce sourire trop hautain, de ce sourire bien trop supérieur.

— Non.

Une simple petite syllabe et ses doigts viennent se glisser dans les poches de sa veste, ses épaules s'abaissant légèrement, comme s'il se foutait un peu de ce qui se passait devant lui : et c'est le cas. La présence de la jeune fille lui semble connue, même s'il ne l'a jamais véritablement vu, peut-être l'a-t-il seulement croisé dans les couloirs ? Il l'a forcément déjà vu, oui.

— Au revoir.

Il reste poli, plus pour les apparences que pour autres choses, elle était plutôt mignonne, après tout.

Non. Au revoir.

Mélopée serpentine déliant sa langue avec aisance. L’arrogance laçaient ses propos, orgueil venimeux ciselant un rictus sur son faciès ; les mots se firent courts mais tranchants. Cette brutalité aurait certainement froncé les sourcils d’autrui, mais Jezabel le toisa franchement, pas un spasme bondissant sous son épiderme mordoré ; saphir dardant l’onyx, intensité palpable animant leur regard. Finalement, Jezabel le gratifia d’une risette à son tour, suintante d’une chaleur dont l’homme à la tignasse corbeaux semblait dépouillé. L’antillaise préférait amplement les individus qui délivrait leurs pensées sans poésie fleurie, elle même coupable d’une cruelle honnêteté. Cela économisait du temps, et témoignait quelque part d’une certaine bravoure. Cependant, elle ne put s’empêcher de constater l’étincelle galvanisant le jais de ses pupilles face à la verdure ; Jezabel se sentait presque intruse, importunant un moment de quiétude entre le garçon et la végétation, mais la curiosité semblait corroder ses bonnes manières.

Tu es direct dis donc. Mais ça ne me dérange pas.

Clin d’oeil ponctuant ses paroles. Ses pupilles détaillèrent la courbe de son visage un instant de plus, l’enfonçant dans un mutisme momentané. Une étrange impression se glissa au creux de ses pensées : un déjà-vu illogique, des réminiscences n’ayant pas lieu d’être. Ils ne s’étaient jamais adressé la parole auparavant, et tout semblait les opposer : de son teint blafard à son épiderme basané, de sa chevelure opaque à sa crinière chatoyante, de la froideur adhérant à sa chair à la chaleur exhalant de la sienne. Jezabel la solaire et Julian le lunaire, collision invraisemblable, éléments contraires et parfaitement incompatibles. Pourtant, le souvenir du timbre de sa voix palpant ses tympans dominait son esprit, avivant l’hémoglobine au creux de ses veines. Perplexe, Jezabel détourna le regard.

Aspirant à freiner ces réflexions dérangeantes, Jezabel s’accroupit près d’une fleur. Délicatement, son doigt vint flatter le pétale ; mouvement d’une lenteur délibérée. Puis, brusquement cette fois ci, sa main encercla la tige.

Si je venais à la cueillir, est ce qu’elle crierait de douleur ?

Ses prunelles criblèrent les siennes, rutilante d’une émotion indescriptible. Jezabel ne savait pas ce qu’elle cherchait à obtenir en le soumettant à une telle question, guidée par l’impulsion de son instinct. Allait-il s’énerver ? À dire vrai, l’antillaise s’en fichait.
Après tout, le feu et la glace n’ont jamais été conçu pour s’entrechoquer.

Un soupir s'échappe des lèvres bien trop souvent closes alors que le regard se pose dans celui de la jeune fille en face de lui. Elle l'énerve, le fatigue déjà alors qu'elle vient d'arriver et il tente de garder son calme, de ne pas l'envoyer péter, de ne pas lui dire d'aller voir ailleurs s'il y est.  Il a refusé la demande, qu'elle s'en aille. Pourtant, elle reste là, s'installe devant une fleur qu'elle touche du bout des doigts, qu'elle saisit vivement ensuite et dans sa tête, tout brûle soudain, il fronce les sourcils, les poings, soudain violemment menaçant quand elle prend la parole. Et il lui répond avec froideur, avec cynisme :

— Autant que toi si on te coupait une jambe, tu veux qu'on essaie ? De te couper une jambe, je parle.

Sait-on jamais s'il n'était pas assez clair. Sa main trop pâle, si pâle qu'on le croirait malade, vient attraper le poignet après s'être abaissé, les doigts encerclent le poignet, le serrent fort pour faire lâcher la prise de l'autre et, une fois fait, il la lâche brutalement.

— Le club de boxe ne m'intéresse pas.

Et elle non plus. Rien ne l'intéresse pour le moment, actuellement en ce moment même, à part sa tranquillité. Et même s'il a la désagréable impression de la connaître, il n'empêche qu'il veut pas qu'elle s'approche trop de lui, soudain mal à l'aise de savoir qu'elle sait qu'il suffit d'arracher une fleur, pour lui faire avoir la migraine.