- Welcome to the Hell. -

pearl & nemesis

Dès le départ, tu savais que c’était une mauvaise journée. Dès le départ, tu savais que t’allais passer une journée éprouvante. Tu t’es réveillé en sursaut à cause de ton réveil que tu as balancé contre le mur, par vengeance. De mauvaise humeur. Non, d’humeur massacrante. C’était l’idée lorsque tu as quitté ta chambre, te grattant l’arrière du crâne. Personne à l’horizon. Ton collègue enseignant était déjà parti. Et toi, en bon feignant, tu avais décidé de pas pointer le bout de ton nez avant 9h. Et y avait plus de café. Pourquoi y avait plus de café ? Et pourquoi y avait plus de pain ? Et pourquoi y avait plus de confiture de mangue ? T’as râlé et engueulé le monde entier, l’accusant de tout ça. Alors qu’en réalité, c’est juste toi qui a oublié d’aller faire les courses la veille. Espèce de loque.

T’as été te doucher et tu t’es cogné. Puis t’as mis du savon dans tes yeux. Ensuite tu t’es coupé en attrapant ton rasoir. Et tu t’es ramassé par terre après avoir glissé. Journée de merde. Lorsque tu sors du studio, tu t’étonnes de pas t’être encore tué. Tu râles et réajustes le col de ton long manteau noir, le froid te mordant les joues. Et pourquoi il fait aussi froid dans ce pays de merde ? Climat tempéré mon œil, ouais. Tu soupires et reprends ton calme rapidement. Ce n’est qu’une simple mauvaise journée. Demain ça ira mieux. Ou même dans le courant de la matinée.

J’arrive dans les couloirs après avoir tiré de larges portes de verre. La température est clairement plus agréable ici que dehors. Je regarde autour de moi, main dans une poche de mon manteau, l’autre tenant un livre. Je jette un coup d’œil à ma montre. Heure de cours, personne dans les couloirs. Braves gamins. Ils savent ce qu’ils risquent s’ils me croisent. Je décide donc d’errer quelques minutes à travers les couloirs afin de m’assurer que tout va bien. Ce serait vraiment trop beau que personne essaie de resquiller.

D’un pas calme, j’avance instinctivement. C’est comme une ombre qui suivrait son propriétaire. Sauf que je n’ai pas vraiment de propriétaire. Je me suis approprié chaque infime parcelle de ces lieux depuis longtemps. Je connais chaque coin et recoin de ce bâtiment. Personne ne peut se cacher à la même place indéfiniment. Je suis un chasseur. Un chasseur de petits merdeux incapables de poser leur cul sur une chaise et d’écouter un prof faire son monologue. Ennuyant, certes, mais nécessaire. Je finis alors par repérer deux élèves. Mains dans les poches, l’air décontracté. Je les laisse m’approcher et me rentrer dedans. Ils commencent à râler mais se calment en me reconnaissant.

▬ Je peux savoir ce que vous foutez dans les couloirs à cette heure-ci, tous les deux ?

Ils déguerpissent si rapidement que je suis forcé de presser le pas pour les rattraper. Me voilà en train de courser des resquilleurs. C’est franchement une sale journée. Je les rattrape facilement cependant, les empoignant par le col de leur uniforme pour les stopper.

▬ Vous comptez aller où comme ça ?
▬ Ne nous faites pas de mal pitié !
▬ …c’est malheureusement très tentant.
▬ On sera sages à l’avenir, promis !
▬ …hmpf. Je les relâche et commence à partir. Va pour cette fois, mais je ne manquerais pas d’ajouter un retard à vos têtes.

Je pars alors, les laissant derrière moi sans me soucier du reste. Journée de merde, voilà que je deviens gentil. Quelle plaie. Je rejoins la salle des professeurs, encore quelque peu essoufflé par ma petite course. Courir dès le réveil, ça m’épuise moi. Je m’affale sur le canapé après avoir salué mes collègues d’un geste de la main. Ma tête bascule en arrière et je pousse un soupir d’ennui et de lassitude. Toutes les journées commencent un peu à se ressembler. Mis à part toute la merde vécue depuis mon réveil.

Soudain, une odeur vient me chatouiller les narines. Du thé ? La majorité des enseignants carbure à la caféine ici. Qui peut bien boire du thé ? Je me redresse et aperçois alors une jeune femme attablée, ses yeux fixés sur moi. J’arque un sourcil, surpris que son regard soit posé sur moi. Sa longue chevelure de blé contrasté sans mal avec ses iris d’un vert pétillant. Je soutiens son regard tandis que j’essaie de faire le point sur son identité. Il y avait d’autres adultes ici il y a quelques instants. Donc si c’était une élève, elle aurait été virée de cette pièce à coups de pied au cul. Une nouvelle collègue ? J’étais pas au courant. Je quitte le canapé et m’approche d’elle.

▬ Nous n’avons pas été présenté je crois. Je lui tends ma main, machinalement, professionnellement. Nemesis O’Connor, surveillant. Et vous ?

Elle semble avoir le même âge que moi. A peu près. Je la détaille mentalement et rapidement. Elle est plutôt jolie, je peux pas le nier. Encore une prof -si c’en est une- qui va exciter les gamins. Ça risque d’être assez amusant à voir.

▬ Vous êtes arrivée quand exactement ? Parce que j’ai pas vraiment le souvenir d’avoir été prévenu d’une quelconque nouvelle tête au sein du corps enseignant. Je marque une pause et me masse la nuque à l’aide de la paume de ma main. Enfin… c’est pas un reproche hein. Ça me surprend un peu. J’suis toujours au courant en général.

Un collègue entre alors et nous aperçoit. Il récupère des feuilles et commence déjà à repartir. En ajoutant un commentaire.

▬ Déjà en train de draguer la nouvelle, Nemesis ? Tu perds pas de temps !
▬ …mon coup de poing dans ta tronche va te draguer aussi si tu continues à raconter des conneries.

Il rit et nous salue. Je grommelle et regarde de nouveau ma vis-à-vis.

▬ Faites pas attention. On aime bien s’envoyer des vannes entre nous. Y a une assez bonne ambiance, vous devriez vite vous intégrer. Je regarde devant moi, pensif, puis la fixe de nouveau. Sinon, besoin de rien ? La danseuse vous a fait visiter les lieux ?

La danseuse plus connue sous le nom de Ruthel. Ouais. Le dirlo est une danseuse pour moi. Z’avez vu son corps tout fin là ? On dirait un spaghetti. C’est effarant.

Finalement, ta journée sera peut-être pas aussi merdique que tu le pensais.

pearl & nemesis

Pearl Oliver. Elle se présente comme étant la nouvelle prof de musique. Haussant les sourcils, tu ne caches pas ta surprise. Tu ne te rappelles même plus de la tête de l’ancien professeur. Tu détournes la tête à un moment donné, histoire de pas la fixer trop longtemps. Histoire de ne pas te perdre dans ses yeux. Parce que oui, elle a des yeux qui ne te laissent pas indifférent. C’est très certainement la première femme que tu rencontres avec des yeux aussi beaux. Raison pour laquelle tu préfères ne pas t’attarder éternellement là-dessus. Il s’agirait pas qu’elle croit votre collègue qui t’a accusé de la draguer. Oh, pas vraiment que ça te dérangerait. Pearl est tout à fait ton genre. Mais t’es pas du genre à sauter sur toutes les femmes que tu rencontres ou croises. T’es pas entièrement con non plus.

Pearl t’avoue qu’elle est arrivée depuis peu. Ce matin donc. Elle ajoute également que tu devais être occupé ce matin pour ne pas avoir été mis au courant. Une mono syllabe s’échappe d’entre tes lèvres, perplexe. Ce genre de nouvelles ne s’apprend pas le jour même. Donc autant dire que la danseuse en a parlé lorsque t’étais pas en salle des professeurs. Au demeurant, ça te concerne pas entièrement non plus. Tu n’es que surveillant après tout. Tu ne vas, d’un certain point de vue, pas travailler avec elle. Toi t’es la baby-sitter des morveux. Elle c’est la maîtresse. Pearl, c’est l’enseignement, et toi la garderie. Voilà l’idée.

▬ Je n'ai pas eu de visite, mais si vous me le proposez, je veux bien !

Pas le temps de répondre. Se rapprochant de moi, elle semble me suivre, ses talons frappant le sol d’un bruit régulier. Je me redresse et me dirige donc vers la porte. De toute évidence, je dois faire ma ronde dans les couloirs. Comme si j’étais un flic dans un musée. Enfin bref. J’endosse donc sans problème le nouveau rôle de guide que Pearl me donne. Rejoignant le couloir, nous avançons à la même allure au fur et à mesure de notre marche. Elle semble ralentir le pas. Peut-être pour me laisser guider plus facilement. À moins qu’elle ne s’attarde dans ses observations, qu’en sais-je. Toujours est-il que je sens son regard posé sur moi. Comment je le sais, je ne pourrais pas le dire. C’est peut-être une simple impression.

▬ Vous travaillez ici depuis longtemps ? Cette école est-elle sympathique ou c'est l'enfer, par ici ?
▬ Hm. Je suis ici depuis mes 18 ans. Et j’ai fini par m’attacher à cet endroit, donc je suis devenu surveillant à mes 20 ans. Ça fait donc 8 ans. Je marque une pause pour dévisager des élèves errants dans les couloirs puis reprends. C’est une école particulière disons. Y a des hauts et des bas, comme partout. Ça ne devient chiant que lorsque les élèves commencent à user de leurs dons pour provoquer des bagarres entre eux.
▬ Et dites, est-ce…

Je commence déjà à tourner la tête vers elle, prêt à lui demander de poursuivre. J’entraperçois des élèves courir. Et tout se passe tellement vite que je sais pas comment, mais je reçois un truc à la tronche. Immobile, les morceaux retombent au sol. Les gamins s’excusent tandis que, d’un regard furieux, je m’apprête à leur faire regretter leur imprudence. Mais des doigts s’emparent de ma mâchoire et mon regard se plante bien vite dans les deux verts de ma nouvelle collègue. Surpris, je cligne des yeux avant qu’elle ne me fourre sa manche sur la figure pour m’essuyer. Elle arrête pour me montrer ses doigts.

▬ Est-ce que ça va ? Combien voyez-vous de doigts ? Vous avez eu un sacré coup sur la tête !
▬ …si je dis un autre chiffre que trois, j’aurais droit à quel genre de soins de votre part ?

J’esquisse un sourire avant de me frotter la joue, sentant une légère coupure. Je regarde autour de nous et ne vois qu’une élève en train de ramasser les débris de l’objet ayant percuté ma tête. Je soupire, pestant contre les deux fuyards. Je m’accroupis et l’aides à ramasser les morceaux du pot cassé.

▬ Désolé pour ça. Retourne en cours, je m’occupe du reste.

La gamine hoche la tête et s’en va avec son pot en morceaux. Je soupire et me concentre sur Pearl.

▬ Vous avez rien eu, vous ? Ce serait con de vous blesser dès votre premier jour, pas vrai ?

Elle avance d’un pas et… tombe ? Je tends machinalement les bras et la réceptionne. Son front heurte mon torse sans trop de violence.

▬ Maladroite mademoiselle Oliver ? Pas de mal ?

Tu souris, amusé, et tu relâches ses bras avant de reculer d’un pas. Tu te rends compte que la situation est quand même assez cocasse. Toi qui fais une fixation sur ses yeux, elle qui s’inquiète pour toi au point de prendre soin de tes petites blessures, toi qui lui souris, elle qui te tombe dans les bras. Tu reconnais que ça fait beaucoup en si peu de temps. Tu te masses la nuque et tournes les talons, prêt à reprendre la visite. Ça faisait un moment que t’avais pas vécu une pareille… gêne. Pas au point de vouloir te planquer dans un trou de souris non plus, mais voilà. Qui sait…

▬ Et sinon… qu’est-ce que vous pouvez me raconter sur vous ?