Suppression du PERSONNAGE Drew Bolton

La main sur le volant. Le regard perdu au loin. Les immenses étendues d’herbe. Terres d’Ecosse. Mon regard observe, détaille, admire. Sensibilité. La beauté de ce lieu m’émeut. Et pourtant, je le connais. Je connais ces plaines par coeur. Cette route, cette brume, cette étendue d’eau. Un lieu magique. Un lieu hors du temps. Je suis chez moi.

La pluie, fine, retentit sur le pare-brise. Je rentre mon bras, ferme la fenêtre, glisse ma cigarette entre mes lèvres. Je monte le son de la musique. La playlist de Sarah. C’est notre CD. Il n’a jamais quitté cette vieille voiture. Cette vieille voiture où on a fait l’amour, une fois, alors qu’elle venait visiter mon pays. Je ferme les yeux un instant, profitant de cette ligne droite, cette route que je connais trop bien. J’avale le plus de fumée possible. Et je revois Sarah, nue, sur la banquette arrière, ondulant sur moi. Mon coeur se serre. Je me reconcentre sur la route.

Mon regard est finalement attiré par le collier qui orne mon rétroviseur. Une ficelle noire, vieillie. Au bout, une plaque. Et des symboles. « Illusion », en vieux Népalais. Je reporte mon regard sur la route.

Il fait froid. Je ne porte qu’un tee-shirt. Ce tee-shirt que j’ai prêté à Selphie, à la plage. Ce tee-shirt qui me lie à elle depuis. Je l’ai finalement récupéré. Me le rendre signifiait pour nous ne plus nous revoir. Mais je ne suis pas superstitieux, alors je l’ai récupéré. J’ai l’impression de sentir son odeur dessus. Un parfum doux, rassurant. L’odeur du bonheur.

Je suis brutalement sorti de mes pensées. La route glisse, je manoeuvre dans un aquaplanning. Mon coeur s’est violemment serré, j’ai cessé de respirer. La peur m’envahi, alors que je me concentre pour exécuter les bons gestes. Je rattrape, je rééquilibre. J’ai fais un tonneau, mon coeur bat désormais à cent à l’heure. Je suis seul, arrêté, au milieu de cette route immense, disparaissant de part et d’autre dans la brume. Je repositionne mon véhicule, sur le bord de la route, m’arrête, et sort.

Bouffée d’air. Mes jambes tremblent. Je me penche à travers ma fenêtre pour attraper mon paquet de tabac, et me roule une nouvelle cigarette, mes doigts tremblants légèrement eux aussi. Si il y avait eu quelqu’un d’autre sur cette route, les dégats auraient été considérables. Mais heureusement, cette route était peu empruntée. Je nourris de nouveaux mes poumons de cette fumée âcre. Je souffle. Je me détend. Et puis, je repars. Quelques virages entre les collines. Ma route. Chez moi. La musique. La fumée. Le bonheur.

Et puis, ce poid-lourd, qui sort de nulle part. Au détour d’un virage, arrive face à moi. Il va vite. Trop vite. Aquaplanning. Je le vois qui dérape complètement, sa cargaison se casse la gueule. Le tout déboule droit sur moi, à la fois vite, et à la fois assez lentement pour que je détaille tout.

Je vais me prendre ce tas de ferraille énorme. La ceinture ne me sauvera pas. Je roule vite, lui aussi. Je vais m’écraser contre l’Airbag, trop vieille caisse, une sécurité  obsolète. Ca va faire mal, très mal.

Je ferme les yeux. Selphie. Son sourire. Sa douceur. Une oeuvre d’art. Une oeuvre qu’aucune beauté ne pourra jamais égaler. La plage. Le salon de thé. La cafétaria. Mon cabanon. Ce fauteuil. Ce sourire.

Selwyn. Des gamins qui jouent. Un collier. Un baiser. Des cris. Des pleurs. De la violence. Intense. Beautée détruite par la noirceur de mon âme.

Sarah. Nue, banquette arrière. Rires. Bières. Cafés. Film. Sex. Musique. Larmes. Souffrance. Déception. Amour éteint.

Frein.

Je sens mon corps décoller, lentement. Je n’entend plus la musique. Mes yeux sont clos. Je me sens basculer en avant. C’est long, tellement long. Je tend le bras à côté de moi. Je saisi l’objet sur le fauteuil passager. Pourquoi ? Je sais pourquoi. Je sais exactement ce que je fais, et pourquoi je le fais. Je ramène l’objet à un endroit très précis. Au niveau de ma poitrine, côté gauche. Cet objet, cassé, frôle ma poitrine alors que j’ai la sensation de voler, à peine retenu par ma ceinture.

Et puis, le choc. Je souris, yeux clos. Le cristal Rouge de la baguette brisée d’Anshu s’enfonce à travers ma peau, perforant chaque muscle, chaque veine, chaque parcelle de moi, pour pénétrer au plus profond, et se planter à travers mon coeur.

Mon corps se brise.




Les journaux. Accident de voiture en Ecosse. Les deux chauffeurs morts. La famille Bolton est en deuil. Les parents  organisent les funérailles. Ils rendent visite à Sarah Edwige Blackmore, dans son cabanon. Un carton, plein de vinyles de Drew. Toute sa collection. Ils lui paient le billet d’avion pour les funérailles.
Prismver sonne la minute de silence. Une journée sans cours est accordée. Une journée où le Vert des C domine l’internat. Des fleurs, devant son cabanon.
Et puis, les jours passent. Et la vie reprend son cours. Peut-être difficilement pour certains.



Et puis, un jour, un petit lézard apparaît devant Anshu, dans son lit. Dans sa gueule, une page de journal. L’accident de Drew, une baguette plantée dans le coeur qui fait débat : serait-il mort sans elle ? Etait-ce un geste volontaire ?
Alors, le petit lézard dépose autre chose sur le torse nu d’Anshu Agni Kyo. Sa baguette, brisée. Sur le cristal Rouge perle encore Son sang. Cette baguette a pénétré Son coeur.

Et Son coeur lui appartient, depuis longtemps.