SERIOUS BUSINESS

Gautier a toujours été une personne spéciale pour Jim. Quatre ans de moins que lui, Jim l’a toujours considéré comme son petit frère, avec tout ce que cela implique: fun, protection, apprentissage, soutien scolaire. Enfin, ça reste Jim. Il lui a apprit à tenir l’alcool. Il lui a apprit à vomir pour mieux repartir. Il lui a enseigné des pas de danses, mais aussi des connaissances sur les drogues douces qui tournent dans ses soirées: comment les prendre, leurs effets. Il lui a apprit à gérer un lendemain de cuite, une gueule de bois. Il a essayé de lui apprendre à séduire, et il faut croire qu’il a réussi, même si Jim doute fortement qu’il ait utilisé autre chose que son humour et son charme naturel pour séduire sa jolie copine.

Gautier, c’est le petit frère qu’il aurait aimé avoir, doublé d’un ami en or. Il est probablement la seule personne, avec Morgan, pour qui Jim pourrait sortir de ses gonds, frapper. Il s’efforce pour lui d’être un modèle, de briller. Et quand il se sent sombrer, il lui suffit de revoir le regard qu’à Gautier pour lui, et il retrouve la force d’être ce mec bien, ce soleil ambulant.

Gautier, c’était son devoir. Sa responsabilité. Sa force, aussi étonnant que cela puisse paraître.

Et puis, ça a merdé. Le soir à la plage, Jim qui frappe Cale. Gautier qui flanche, s’écroule, dit à Jim qu’il l’a déçu.

Est-ce que c’est ça, qui t’a fais perdre pied, Gautier ? Tout le bordel qui a suivi, est-ce que c’est parce-que ton modèle s’est écroulé ? Que tu t’es senti abandonné, et paumé ? Sans avoir de réponse à ses questions, Jim s’est accusé, peut-être à tord, de la dérive de Gautier. Le garçon s’est montré violent, attaquant Prudence, puis Anshu - rien que ça. Il l’a vu s’assombrir, Gautier. Il l’a vu perdre son sourire, sa folie. Même si, comme lui-même, le garçon s’efforçait de briller pour les autres. Parce-que c’est ce que l’on attend d’eux. Jim, Gautier, même combat: ils amusent, ils rendent heureux - ils n’ont pas le droit de faillir à cette mission.

Les jours ont passé, et Jim n’a pas osé retourner près du garçon. Depuis la plage, il s’en est éloigné, ayant ses propres soucis à régler, et ayant honte d’avoir déçu son frère. Il n’a néanmoins pas cessé de l’observer et de se soucier de lui. Et puis, Gautier a rebondit. Grand garçon, il l’a vu retrouver le sourire, petit à petit. Tout comme Jim lui-même. Anshu et Drew séparés, le blond s’est détendu, décidant de sortir Drew de sa vie. Décidant de se reprendre en main. Faire remonter ses notes. Vivre plus heureux que jamais. Du jour au lendemain, il a même décidé de changer de look, afin de marquer ce petit virage dans sa vie. Et, profitant de ce tournant, il voulait retrouver Gautier. Parce-que le géant, finalement, a toujours eu besoin du minuscule boute-en-train.

Il entra dans le restaurant. C’était LE restaurant gastronomique de la ville. Il avait bien évidemment réservé, et prit place à la petite table isolée. L’endroit était ultra chic, et lui-même portait un costard-cravate tiré à quatre épingles. Sur la table, roses, pétales et chandelles: il avait demandé au serveur le service total romantique, prétextant fêter ses deux ans de couple avec sa moitié.

Il n’avait pas prévenu que sa moitié serait un mec de dix-sept ans, probablement mal fringué, maladroit, et aussi bien élevé qu’un troupeau de buffles dans le Titanic.

Et le garçon en question fit son entrée dans le restaurant. Tout les regards se posèrent sur lui, et trois musiciens se mirent à jouer guitares et trompette. Et tandis que Gautier s’approchait, Jim saisi la rose qui traînait sur la table et la glissa entre ses dents, le regard charmeur, totalement détendu sur sa chaise. De son autre main, il sortit de la poche de son costume ce qui semblait être des mèches de cheveux, tenues par un minuscule élastique. Mèches roses. Et lorsque Gautier s’assit, Jim les lui tendit, entre deux doigts, haussant un sourcil et se retenant à grande peine d’éclater de rire.

- Bonsoir ~~

Ce jour était devenu spécial à la seconde où le LMS de Jim était arrivé dans ma chambre. Le programme était habituel : séchage de cours, basket, un peu de jeux vidéos et de délire avec mes colocataires... mais ça avait changé. Depuis peu, je me sentais différent. Avec deux missions Alpha d'Entropy en moins d'un mois et surtout, trois conflits avec Anshu -et Prudence au passage-, j'avais tendance à être sur les nerfs. Le dernier avait beau s'être soldé d'une meilleure façon, ça n'en était pas soulageant pour autant. Je restais cloîtré dans ma chambre, me consacrant exclusivement à Entropy ou aux jeux vidéos - en arrivant presque à délaisser le basket. Mes entraînements étaient réduits à deux par semaine, et quelques fois, l'envie n'y était pas.

Et ça durait ainsi depuis deux semaines.
Le message avait tout bouleversé. Une invitation de Jim à boire un verre pour parler - reprendre contact enfin, après tant d'événements. Depuis cette soirée il y a maintenant un moment, l'un comme l'autre avions pris nos distances. Était-ce une bonne chose ? La tension était parti, les quelques messages que nous nous étions envoyés le prouvaient - mais aucune explication n'avait été faite. Au fond, peut-être que nous n'en avions pas besoin mais, enchaînés par cette cruelle culpabilité, nous ne pouvions qu'avancer en traînant le poids lourd de notre conscience, pataugeant dans cette douleur interminable. La distance n'était pas la bonne solution.

C'est pourquoi ce lms m'avait fait sourire. Il avait fait ce que je n'osais pas faire - reprendre contact, renouer ce lien que nous tenions à bout de bras, remodeler bon an mal an notre lien presque fraternel, lien qui avait surprit plus d'une personne. Jim avait toujours été un maître et, même s'il avait semblé perdre cette place l'espace d'un moment, aujourd'hui, en prenant ses responsabilités, il s'offrait une chance de la recouvrer. Il avait parlé d'une nouvelle coupe de cheveux - et en y repensant, ça n'avait pas été le seul changement : plus de Jim's Party pendant un moment. Il avait fait profil bas mais peut-être que ses cheveux, comme l'avait énoncé Shu, était le début d'un changement. Un nouveau Jim.

La curiosité me fit accélérer le pas - je regrettais presque ma veste bleutée affublée d'un pauvre t-shirt blanc. Le prendrait-il mal ? Aurais-je dû m'habituer plus chic pour l'occasion ? Je baissais les yeux vers le t-shirt décoré de l'insigne "FUCK" et songeais à, dès demain, faire vraiment gaffe aux habits avant de sortir. Je fermais la veste pour cacher le mot faussement évocateur et m'arrêtais, finalement arrivé devant le magasin et son grand écriteau rouge : CALIENTES JOVENES. De l'espagnol. Peu importe - je demanderai à la prof plus tard. Quelques pas en direction de l'entrée puis je franchis le seuil en observant les alentours pour chercher Jim du regard - le trouvant finalement à une table au fond.

Et les trompettes jouèrent alors que je fis mes premiers pas.
Ces hommes étaient fous ? Je m'assis avec gêne à une table exagérément romantique pour faire face à un Jim presque hilare, me tendant ses mèches de cheveux roses tenues par un élastique. C'est là que je remarquais pour la première fois sa nouvelle coupe de cheveux : un brun qui semblerait presque naturel, une coiffure différente mais le même visage enjoué. C'était donc l'approche qu'il choisissait... si je ne le savais pas avec Morgan, j'aurai presque été inquiet.

- Qu'est-ce que c'est moche cette nouvelle coupe, dis-je en étouffant un rire.

J'observais à nouveau les alentours, surpris de l'ambiance qui régnait ici. Avec la rose dans la bouche, c'était terriblement ambiguë... mais aussi marrant. Shu aurait pu nous voir, mais qu'est-ce que j'en avais à foutre ? Depuis quand est-ce que je m'intéressais aux rumeurs et à mon image ?
Jim n'était pas le seul à avoir besoin d'un peu de renouveau. M'éclaircissant la gorge, je me décidais à jouer le jeu - histoire de faire quelque chose de tout cet orchestre et de ce restaurant.

- Désolé mon amour, Michel a dû m'appeler pour réparer son double vitrage alors je n'ai pas eu le temps de me changer. Sache que ce costume te va à la perfection. Je vois que tu as même pensé à mon vin préféré, dis-je en saisissant la bouteille sur la table vide à côté. Château de Roqueford Gay, comme je les aime.

Vous manquez de personnel ? Engagez-moi comme acteur.
Putain qu'est-ce que j'suis bon.

- Orchestre s'il vous plaît, la 8ème de Chopin en si bémol mineur !

Je me redressais maladroitement, observant Jim tout en me mordant la lèvre pour ne pas rire. Putain quelle situation quand même. Je vous jure, amenez un pote à vous, un peu plus vieux, dans un restaurant galant et demandez une musique ridicule après vous êtres fait offrir des mèches roses par ce pote tenant une rose dans sa bouche. Et au passage, armez-vous d'une bonne dose d'humour parce que c'est pas fini. Je rangeais soigneusement les mèches OVNI dans ma poche et le regardais, un peu plus sérieusement.

- Alors... tu voulais discuter.