RED ; Riot [HEATH, LÉOCADE + 1 OPPOSANT]

Il n’existe pas plus étrange sentiment que la haine de l’autre. La nature humaine, dans toute sa splendeur, s’illustrait par un concours de dégoût parfois incommensurablement grave. Sans vouloir être misanthrope, j’ai toujours été étonné par la puissance de la révulsion qu’il pouvait subsister pour autrui. Ils sont marrants, à s’agiter comme des moutons de panurge pour devenir des bêtes féroces du moment qu’on atteint à leurs valeurs. Le bien, le mal, la rivalité sous toutes ses coutures. Tout le monde se croit investi d’une mission sacrée ; défendre un idéal plus que jamais valable sur cette terre. Je n’y faisais pas exception, bien au contraire, mais je me demandais comment on pouvait autant se salir les mains pour des questions aussi futiles qu’une hiérarchie des classes.
Je me demandais, mais je connaissais tout de même la réponse. L’égo. C’est toujours une question d’égo’ de toute façon. L’Homme en a besoin pour vivre. C’est bien naturel, mais c’est aussi tellement pitoyable. Le terroisme n’a jamais été une réponse concrète aux problèmes des hommes. Qu’ils soient de l’IRA, Al-Qaïda ou Red, jamais les inquisiteurs de la violence ne purent imposer leur diktat. Les gens répugnent à le tolérer, parce que c’est une forme de chantage égoïste qui satisfait les uns pour desservir les autres. C’est profondément lâche, ce genre de destruction. Je venais à peine de fonder Reckoning Tea Party que je me confrontais déjà aux actions ultra-violentes de tout-un-chacun. Vu la popularité avec laquelle je venais de recruter mon socle de base, nul doute que ces pitoyables provocations causaient un grand malaise dans la communauté des élèves. Et ce n’était pas WIP, avec ses parangons de vertus, qui pourrait mettre définitivement un terme à leurs agissements.

L’un comme l’autre étaient coupables. Coupables de lâcheté. Coupables de faiblesse. Coupables de leur propre nature. Jamais je n’aurais aimé être comme eux, bouffé par mes propres émotions. Même les membres de ce parti répondaient à leur pulsion ; cela se voyait. Et ça me dégoûtait. Mais je me taisais. Je n’avais rien à gagner à les arrêter, au contraire. Je devais faire en sorte de les pousser jusqu’au plus profond d’eux-mêmes, de toucher l’abysse de leurs esprits pour les faire devenir assez virulents de sorte à ce qu’ils aient la hargne de les anéantir. Ce genre de nuit devenait le théâtre propice à ces actions.

J’ai toujours été, moi, Gabriel, un jeune homme qui s’intéressait beaucoup aux dernières technologies. Très présents sur les réseaux sociaux, joignables à n’importe quel moment, je refusais de vivre en autarcie pour me couper du monde. Je ne voulais pas être le dernier des clampins à apprendre ce qui se passait en ce monde, à découvrir les horreurs du tapage nocturne. J’appréciais qu’on me dise les choses, aussi appréciai-je ce SMS reçu de ce cher Silvester. Bref, circonspect, il me prévenait d’une rixe qui avait lieu en ce moment même dans le Grand Hall. Sans plus attendre, alors que je peinais à trouver le sommeil, j’enfilai une chemise violette ainsi qu’un pantalon noir, des chaussures de la même couleur que mon haut ainsi qu’une canne achetée à Venise. J’aimais bien ce petit côté décalé, que je joignis à des lunettes de vue pour me donner un air plus austère. Je sortis sans faire de bruits, tandis que mes camarades roupillaient dans leur cabane. Je descendis les marches une à une, avec toute la précaution nécessaire pour ne pas me faire remarquer. Un petit appareil photo numérique en main, je me plus à filmer les quelques altercations que je captai.

Cette profusion de bruits, et personne qui ne venait arrêter les violences. À croire qu’ils voulaient vraiment voir l’école détruite.
Ce n’était pas du tout mon problème, bien loin de là, mais je tenais à cœur le respect des valeurs auxquelles moi je croyais. Je ne pouvais laisser indéfiniment des terroristes en couche-culotte armés de pistolets à bulles semer la terreur en ces lieux. Une petite tasse de thé dans la main, je continuai à avancer prudemment dans les couloirs à mesure que les affrontements et les joutes verbales se déportaient. Certains échanges furent très intéressants, d’autres, proprement inutiles, mais j’avais de toute façon les moyens pour mettre certains hors d’état de nuire. Je préférerais toutefois ne pas dévoiler les pièces de mon jeu tout de suite. Cela pourrait servir à quelconque forme de chantage par le futur, je devais me parer à toutes les éventualités. J’avais installé un petit microphone offert par mes parents il y a quelques années sur mon écharpe, pratiquement invisible, au cas où certains jugeraient bon de m’agresser physiquement. Je ne chercherais pas à me défendre, de toute façon, cette forme de violence ne m’intéressait pas.

J’éprouvai une satisfaction presque malsaine à voir le chef des Red sortir de sa tanière et se joindre à la mêlée générale. Même pas la force de tout commander à distance, il voulait être au front, il voulait se consumer lui-même dans la honte. Quand le groupe se dispersa, je pris très calmement la filature de Joach et de son chef. J’avançai dans les dédales, ignorant les rodomontades grotesques qu’ils s’envoyaient les uns aux autres. Je restai dans mon coin à les observer, jusqu’à ce que juge la situation propice. Trois personnes, une pour me protéger au cas où. Je pourrais faire ma petite illusion et repartir tout de suite après. Les prévenir que je suis au courant, que je sais tout, que j’ai tout filmé ? Non. Ce n’est pas mon genre.

Sans prévenir, en m’appuyant sur ma canne, me faisant passer pour un vieillard considérablement diminué, je m’arrêtai à quelques mètres d’eux, bien dans leur champ de vision, un sourire de défiance collé aux lèvres. On ne voyait plus mon appareil numérique que j’avais laissé dans la poche de mon veston.

« C’est une douce nuit… n’est-ce pas ? Mais je vous en prie, continuez. Ne faites pas attention à moi. » Je scrutai avec attention chaque détail de la pièce, pour finir par poser mon regard sur les deux élèves de classe E. « J’ai toujours adoré les guerres et les batailles. Quand il y a un vrai enjeu, je veux dire. Ne croyez-vous pas faire tout cela en vain… ? Remarquez, quelle importance. Les jeunes ne respectent plus rien aujourd’hui. Mais je crois que les archontes de Red peuvent me comprendre. » Je m’approchai un peu plus d’eux, quitte à me trouver à quelques centimètres. Je portai ma tasse de thé à ma bouche.

« J’ai oublié mes manières… Vous voulez du thé ? Quoi que je n’en ai pas apporté sur moi. Mhm, c’est fâcheux. Bon, tant pis. Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Vous vivez vos derniers mois d’existence. Et je puis comprendre que cela soit frustrant pour vous, mais en même, faut faire fleuriste si on veut éviter les déceptions dans la vie. » Je me reculai pour contempler le cassage de ces voyous. « En fait, vous n’êtes pas que des voyous. Vous êtes aussi des crapules et des terroristes. La main de la justice finira par tomber. Et j’y veillerai. » Je feignis de regarder ma montre.

« Cela étant… Il se fait tard. Et demain j’ai une grosse journée. Je vais vous laisser vous… entretuer en paix. Excellents reckonings sinon, sans mauvais jeu de mots. Prenez soin de vous. » Avec le plus beau de mes sourires, je tournai les talons en direction des dortoirs. C’était un monologue, je ne leur avais pas laissé répondre. Peut-être allaient-ils m’interpeller, peut-être allaient-ils m’agresser. J’étais juste venu voir ce qui se passait sur place. Sans outre forme de procès d’ailleurs. Je n’allais pas me fendre la carrure d’un super-héros, pas ce soir, j’avais des gens à convaincre moi !
Satisfait de ma prestation, je haussai les épaules en marchant à contre-sens.

« La lune vous sourit ce soir ! » M’exclamai-je en quittant le bâtiment administratif.