♤ Couper les ponts. Tôt ou tard, les enfants rompent avec leurs parents. Dans le cas de Gabriel Oswald, c'est une relation de haine. Et il n'y a qu'un intérêt au bout : l'argent. Leur sort sera doux comparé à ce qu'ils méritent. ♤
Gabriel A. Oswald tenait dans ses mains une lettre de ses parents. Une écriture fine, parfaite, au style britannique quasiment royal. Elle était écrite avec des mots précis, elle était écrite sans hésitation, pour ne pas dire robotique et froide. Aucun sentiment n’en transparaissait. Son père lui rappelait qu’à présent qu’il était majeur, il ne revenait plus à sa famille de supporter les soins d’un sodomite, que par conséquent, il lui coupait l’accès à ses comptes et qu’en guise de bonté, il lui payant ses frais d’hôpital. Pour le reste, le jeune homme allait devoir se débrouiller. Cette nouvelle le rendit furieux. Oui, cette nouvelle provoqua en lui une colère d’une puissance jamais égalée. Ils voulaient la guerre ? Ils l’auraient.
Cela faisait maintenant presque trois semaines qu’il était hospitalisé. Trois semaines pendant lesquelles son état s’améliorait peu à peu. Le traumatisme lui avait fait perdre le brun de ses cheveux, heureusement, les médecins lui avaient indiqué que c’était temporaire. Bande d’idiots… Le Charisme fonctionnait parfaitement. À croire qu’être passé près de la mort n’avait pas amoindri sa puissance, bien au contraire. Avec un jeu de comédien au plus près de la perfection, il avait su endormir les suspicions à l’égard de sa décoloration mystérieuse, survenue quelques jours après son réveil. Il n’allait pas s’en plaindre.
Maintenant qu’il était quasiment rétabli, il ne lui restait que quelques formalités à remplir. La question d’argent allait vite se poser. Il ne bénéficiait pas d’assez de ressources pour continuer à mener son train de vie, surtout qu’après avoir failli sombrer dans la drogue, ses dettes s’étaient accumulées. La nouvelle de cette lettre n’était qu’un fâcheux contretemps, loin d’être un problème insoluble. Ce qu’on a perdu peut être retrouvé. Il suffit de savoir comment s’y prendre. Son père, en tant que patron d’une grande entreprise britannique devait beaucoup tenir à son image pour renier ainsi son fils, et sa mère, bourgeoise de la haute société, refusait sans doute d’être qualifiée de femme à pédés. Une haine indicible s’éprit de son cœur pourtant fragile. Le dégoût qu’il éprouvait pour eux dépassait les limites.
À l’aide de son ordinateur portable, le garçon immergea lentement de ses souvenirs. Plusieurs heures venaient de passer sans qu’il ne s’en rende compte. Encore. Ce problème ne cessait de s’aggraver, et il ignorait comment le résoudre. Qu’importe. Cela ne demeurait pas une priorité, et chaque chose devait être traitée dans leur temps. Il navigua pendant plusieurs heures sur différents sites traitant de l’actualité. L’entreprise de son géniteur, associée aux grandes firmes transnationales, devrait étouffer le scandale à tout prix. Lancer une rumeur dans la presse prendrait beaucoup trop de temps. Il fallait une action beaucoup plus belliqueuse, et beaucoup plus incisive. Quitte à se mettre lui-même en péril. Il lui fallait l’accès à ces comptes, immédiatement et tout de suite. Il devait récupérer ce qui faisait la puissance de la famille Oswald avant qu’il ne soit trop tard.
L’idée germa dans son esprit. Quatre jours. Quatre jours pendant lesquels il allait devoir s’absenter. Récupérant des horaires de train, il commença à préparer une petite valise qu’il ne reprendrait que le soir. Depuis le temps, son état s’était beaucoup amélioré. À présent, Gabriel pouvait marcher. Il retrouvait sa vitalité d’antan. Il retrouvait sa force, ce qui l’avait toujours constitué jusqu’à présent.
Après avoir prévenu les infirmières d’une absence impérieuse qui nécessitait sa présence immédiate au sein de la cellule familiale, le garçon leur demanda toutefois de garder sa chambre. Il sentait que sa convalescence n’était pas encore finie, et qu’il n’en aurait pas pour longtemps.
Il avait pris le partie d’en parler à Nathan. De lui confier qu’il allait devoir se rendre quatre jours chez ses parents, après lui avoir fait lire le contenu de la lettre. Il ne pourrait pas l’accompagner. Pas cette fois. Et d’un baiser, le britannique lui promit qu’il allait se rattraper. Qu’ils passeraient beaucoup de temps ensemble à son retour. Toute sa mémoire n’était pas revenue. Il alternait encore entre différents états, mais il sentait de plus en plus que l’unité se faisait dans son esprit.
Un plan mûrit en lui. D’une pierre deux coups. Un plan qui satisferait toutes ses ambitions. Un sourire se mua sur ses lèvres alors qu’il quittait temporairement l’hôpital.
***
«
Bonsoir, papa. » Lâchas-tu avec un sourire hypocrite. Gabriel s’invita lui-même à entrer dans son ancienne demeure. Son père avait finalement daigné lui ouvrir. C’était bien rare qu’il se trouvât à leur domicile, mais cela n’avait rien d’étonnant. Pour prendre le temps d’écrire une telle lettre, du champagne avait dû couler sous la coupe de ses géniteurs.
«
Gabriel… Je peux savoir ce que tu fais ici ? La lettre que je t’ai écrite n’était-elle pas claire ? ». Une impression de liberté se lâcha dans ton corps. La revanche avec tes parents. C’était ce que tu attendais le plus au monde. Cet instant que tu allais savourer, après avoir été malmené et perdu tout ce temps.
«
Oh si, papa. Elle était parfaitement claire. C’est la raison pour laquelle je suis ici. » L’homme se raidit. «
Oh. Ne crois pas que j’ai été triste en lisant ta lettre, et que je viens te supplier de me pardonner. C’est même tout le contraire. Je viens cependant te dire qu’il n’est pas question que j’abandonne mes comptes et mon argent. Les Oswald sont quand même l’une des familles les plus puissantes de Grande-Bretagne… Je m’en voudrais de ne pas pouvoir en profiter. » Tu le regardais avec un sourire mauvais, tandis que lui planta ses yeux dans les tiens. En bon homme d’affaires, il voudrait se battre jusqu’au bout. Il attendit et ne dit rien. «
Je te connais, papa. Je sais que tu es quelqu’un qui aime te battre, mais cette fois, je crains que tu n’aies pas le choix. »
Il eut un rire mauvais quand ta mère vous surprit. Elle ne dit rien, elle t’ignora et envoya un regard inquiet à son époux. «
Qu’est-ce que tu pourrais bien me faire, morveux ? » L’adolescent s’avança jusqu’à lui et planta son regard droit dans les siens.
«
Tu as détruit ma vie. Tu as pollué tout ce que tu pouvais toucher, Ernest. Et Holga t’a laissé faire, dans ses traditions puritaines. Cette… femme… Elle a renié son fils. » Une gifle vola à ton encontre.
«
Shit faggot, je t’interdits de lui parler comme ça. Déguerpis d’ici ou je te flingue. Ne reviens plus jamais, sale clébard. Retourne faire ton outre à foutre à Soho et viens plus nous faire chier, t’as compris ?! C’est terminé. Tu nous as sucé toute notre gratitude, t’es bon qu’à ça de toute façon, sucer. Et crois-moi, je me ferai un plaisir de te voir sur le trottoir, pauvre incapable qui ne fera jamais rien de sa vie. » Une marque rouge apparut sur ton visage. Tu passas ta main frêle dessus, et tu le regardas, cet homme, les yeux brillants. Tu parus acculé un moment, puis ton calme revint. Tu passas ta main sur ton haut bleu ciel, et tu allas décrocher une petite caméra que tu éteignis.
«
Ce qui te perdra, Ernest, c’est que tu m’as toujours pris pour un incapable, justement. »
Tu te reculas calmement et tu le pris de haut, avec condescendance. Ton sourire ne te quittait plus, cette petite moue pateline devint un rictus figé dans tes traits. Cela faisait longtemps, très longtemps que cela n’était pas arrivé.
«
Voilà comment ça va se passer. Je viens d’enregistrer toute la conversation. Je savais que tu perdrais très vite ton calme dès la première provocation, tu n’as jamais su t’y prendre avec les enfants. » Petite pause. «
Si tu ne veux pas que je détruise ta vie, que j’anéantisse ta réputation d’homme d’affaire prodigieux, vous allez faire tous les deux très exactement ce que je vais vous dire. Vous allez rouvrir l’accès à mes comptes, et vous me donnerez tout ce dont j’ai besoin. En échange, cette vidéo restera secrète et je m’ingérerai plus jamais dans votre vie. »
Couper les ponts. Disparaître. Oublier. Découvrir. Menacer. Convaincre. Dissuader. Repartir. Vainqueur. Héroïque. Puissant. Invincible. Sans oublier jamais cette expression ancrée sur leurs traits : celles de ceux qui ont failli, qui ont échoué.
La défaite. La soumission. Être quelqu’un. Renaître. Sentir quelque chose de changer au fond de nous.
Respirer. Oui. Respirer.
« Crois-moi, ce n’est que temporaire. »
Oh, tu l’espérais bien Gabriel. Tu n’en avais pas fini avec eux, bien au contraire. Tu te sentais plus que jamais vivant. Tu te sentais revenir, et tout le monde s'en souviendrait. Ce n'était que le début, le prologue à une histoire sans fin. D'une source de rage alimentée par le chagrin.