Sujet: paint in black ♠ ABEL ♥ Lun 5 Jan 2015 - 22:51
Elle est dans ma voix, la criarde ! C'est tout mon sang, ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon coeur le vampire, - Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire !
_Charles BAUDELAIRE
Les boîtes de nuit, c’est comme les relations amoureuses. Les amours perdus. A chaque fois je me dis que plus jamais j’y remettrai les pieds, et à chaque fois je finis par m’y retrouver.
Je comprendrais jamais ce qu’il y a d’agréable à se faire broyer, écraser entre de la chair humaine suintante et imbibée d’alcool - tout en subissant un viol auditif permanent. Surtout lorsqu’on est seule, légèrement éméchée - surtout lorsqu’on est moi.
Sérieux quoi. Les gars. Où vous vous êtes barrés ?
J’veux bien être gentille et aller vous chercher vos verres - bon ok j’ai perdu à pierre-feuille-papier-ciseaux - mais vous auriez pu éviter de partir danser dans cette foule sans me prévenir. Le problème lorsqu’on passe beaucoup de temps avec un groupe d’amis, c’est qu’une fois qu’ils partent, on ressent bien vite la différence. Et sans mon Etienne et ma Charlie (Mo’ s’étant défilé), j’ai l’impression qu’on m’a enlevé quelque chose. C’est bête, dit comme ça - mais au milieu de tous ces gens qui s’amusent, loin de ceux que j’aime, je vois que j’ai pas ma place. La solitude, c'est toujours elle qui me fait voler vers mes peines, et recouvre mon coeur d'une cire un peu plus noire.
Noir noir noir. Je commence à broyer du noir. Du noir comme j’en ai partout sur moi, sur mes yeux, sur mes ongles - en moi. I see a red door and I want it painted black No colors anymore, I want them to turn black - mélangé au son électro qui sature l'air, le refrain des Rolling Stones qui se joue dans ma tête devient cacophonique. Assourdie, bousculée, je manque de renverser les deux mojitos que je tiens dans chaque main. Les connards - ‘devraient savoir que ces merdes coûtent la peau du cul. Je grogne, dégoûtée - . Parce que c’est toujours ça, toujours pareil - on me sort pour me changer les idées, on me fait boire pour oublier et moi, je finis par sombrer.
Me noyer dans les doutes, les questions, les petits détails qui me font psychoter. C’est encore pire avec l’alcool, pire avec le bruit, pire avec ce sourire tiré et usé que je m’efforce de garder. J’étouffe. J’ai besoin d’air.
Et c’est ainsi que je me retrouve dans la cour intérieure pour les fumeurs, tirant la gueule, déjà fatiguée. Une envie furieuse de cloper pour palier à ma frustration, je sors une de mes roulées, la glisse entre mes lèvres, avant de partir à la recherche de mon briquet. …. Ah mais oui, j’lai filé à Etienne bien sûr, faut que ça continue les merdes. Putain. Agacée, énervée, échauffée par cet alcool qui me donne trop chaud alors qu’il fait glacial dehors, je tente la technique du “respire, balade toi ça ira mieux.” Mes talons claquant rageusement sur le ciment sale de la cour, je cherche un endroit où me poser. Y’a des bancs. Beaucoup de bancs. Et beaucoup de gens en train de se rouler des pelles et faire d’autres choses obscures qui sur le coup, me donnent une bonne envie de gerber. Tiens, ça faisait longtemps. Je finis par en trouver un de libre et pas trop sale - de toute façon je crois que j’en ai plus rien à foutre. Je dégage la clope de ma bouche, et m’enfile un des verres, l’oeil vide.
Qu’est ce que je fous. En ce moment, dans ma vie, dans mes actions, dans mes choix. Je suis paumée. Parce que voilà, j’ai 20 ans (je ne le répéterai jamais assez, bien trop choquée putain) - et j’ai rien d’autre de prévu qu’une mort qui je l’espère aura assez de gueule pour racheter ma vie. Pas de vocation. Pas de projets. J’ai beau être heureuse - du moins je pense l'être, sincèrement - entourée de tels amis et d’un tel petit copain, il y a tout en moi qui me crie le contraire. Qui me hurle que cette Sarah, toute en sourires et en bonté, ce n’est pas moi. J'arrive pas toujours à croire au fait que je puisse être aimée aussi facilement, et qu'on puisse effacer tout ce que j'ai pu faire si simplement. Ca marche pas, pour les filles compliquées comme moi. On peut appeler ça une crise existentielle ou une autre connerie du genre, mais je sens que ça ne va pas. Ca ne va plus. Que quelque chose en moi - je ne sais pas trop quoi - est en train de lâcher prise. De couler.
Coule coule coule dans ces jours heureux qui tuent mon agressivité, ma hargne, ma raison de vivre. Qui changent ma nature.
Le froid me mord les joues, et je pousse un soupir - une buée blanche filant de mes lèvres. Faut que je fume. Vraiment que je fume avant de me mettre à fouiller dans la poubelle à passions, là où ça fait vraiment mal, là où les larmes peuvent encore couler. Du coin de l’oeil, je cherche une personne à qui soutirer du feu. Et c’est là que je le vois.
Et c’est trop automatiquement que je me relève pour me diriger vers lui, cigarette de nouveau dans la bouche et deuxième verre en main. Poussée d’adrénaline, de folie - coup de fouet dans la langueur trop douce de mon coeur. C’est un prétexte, une excuse. Un élément perturbateur sur lequel je jette mon histoire qu’a plus rien d’un roman depuis quelques temps - mais qui ressemble bien plus à une vraie vie.
C’est juste moi qui, toujours bien égoïste, me jette en plein danger.
« Je ne savais pas que vous sortiez dans ce genre d’endroit. » Lèvres écarlates et étirées. « Mr Crane. »
Mr Crane, le prof’ de litté. Mr Crane, mon prof’ préféré. La matière qu’il enseigne aide, mais il y a autre chose. Quelque chose. On a beau s’être jamais parlé ailleurs que dans la salle de cours, il a réussi à me piquer d’intérêt. Parce que ce type est étrange, atypique, et que derrière l’amère fadeur qui réside dans ses pupilles aveugles se trouve quelque chose d’intéressant. De cruellement attirant. Ce type a quelque chose que je crève d’envie d’étudier, de découvrir. Mais une fois de plus, c’est sûrement mon côté impulsif qui parle, trop heureux de ré-apparaître après plusieurs mois de calme.
« Vous m’allumez ma clope, je vous passe mon verre. Je me doute bien que les mojitos ne sont pas votre came, mais pour ma part, j’ai déjà trop bu. Deal ? »
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Sujet: Re: paint in black ♠ ABEL ♥ Mar 6 Jan 2015 - 1:12
Tu broies du noir, Sarah. La solitude t’effraie, tu la fuis, tu te fuis. Tu redoute ce tourbillon noir - ton âme - il t’attire, tu t’en échappes, il t’attire encore, et tu crèves d’y plonger. A toi seule, tu crées le Tout. Aussi noir soit-il, tu en as la capacité. Tu crées ta vie, tu crées ta mort, tu crées ta propre Passion.
Sais-tu la chance que tu as, Sarah ?
Moi, je n’ai rien. Moi, je suis vide. Tellement vide.
Et si la musique enflamme mon corps, si je danse, seul et aveugle au milieu d’eux tous, ce n’est que pour tuer le temps. Ce n’est que pour occuper ce morceau de viande que l’on appelle corps. Si je parle à ces gens, si je séduis cette jolie brune, ce n’est que dans l’espoir d’occuper mon esprit. Deux heures, trois heures, toute la nuit. Qu’importe.
Qu’importe. Dès demain matin, tout sera de nouveau vide. Insipide.
Qu’importe que fumer donne le cancer. Il paraît que ça vient tard. J’ai encore du temps. Mais du temps pour quoi ? M’accrocher à cette vie, sans trop savoir pourquoi. Il y a de belles choses ici. Les livres. Les femmes. La musique.
L’amitié, aussi. C’est sympa. Distrayant.
Tous condamnés. Tous paniqués à l’idée de crever, peut-être dans une heure, peut-être dans soixante ans. Alors on s’active, comme on le peut. Minuscules fourmis courant ça et là, courant encore et toujours, toujours toujours toujours plus.
Courons, vite, courons vite avant de mourir.
Allons faire les courses. Jouons à des jeux. Baisons. Travaillons. Mangeons. Du sport, de la musique, de la danse. Élevons des gosses, marions nous. Vite, vite, vite, faisons vite quelque chose du temps qui nous est imparti. Noyons nous dans le travail le sex l’alcool la drogue l’amitié l’amour la passion. Vite, vite, vite.
Je ne comprend pas ce monde. Je ne comprend pas ces gens. Moi, j'attends. J'attends sur mon canapé, j'attends sans bouger. A quoi bon, puisque l’on est condamné. A quoi ça rime ? Quel est l’intérêt de lire si l’on connaît la fin de l’histoire ?
Moi je la connais, ma fin. Notre fin à tous. Et diable, comment vous tous pouvez accepter ça ? Je vous méprise. Vous et vos vies que vous essayez de remplir de milles façons, assoiffés comme un crevard dans le désert, vous prenez tout, tout ce qui passe, vous prenez tout pour vous. Paniqués.
Oui, vous allez crever. Alors à quoi bon se passionner ? On connaît la fin de l’histoire. Et vous savez quoi ? Elle est nulle.
Décevante. Terriblement décevante. Si la Vie est un livre, alors c’est un déchet, une de ces merdes qui ne sera jamais éditée. Un auteur foireux, une trame dégueulasse. Et une fin à chier.
Est-ce que c’est vraiment pour ça, que tu te passionnes, Sarah ?
« Parce-que je suis prof d’une matière ringarde et, qui plus est, aveugle ? » Que sais-tu de moi, Sarah ? Que crois-tu savoir ? Qu’espères-tu ?
N’espère rien, Sarah. Tu vas être tellement déçue.
« Deal. »
L’échange est fait. La cigarette allumée. La gorgée bue. Peu importe, ce que je bois. Ca n’a pas grande importance. Je ne suis pas de ceux qui se donnent un genre en ne jurant que par un alcool et en en dénigrant d’autres. Je bois, point barre. Qu’importe, bon ou pas. L’alcool est là. L’effet désiré est le même, quoi que l’on boive. Le goût n’est qu’un prétexte.
C’est peut-être ça, mon problème.
« Tu connais Philippe Pollet-Villard ? » Oui, j’ai reconnu sa voix. Sa façon de parler. Elle a un grain de voix, quelque chose de peu commun. Une élève assidue qui ne manque ni de caractère ni de personnalité. J’en suis convaincu.
« “Dans un voyage ce n'est pas la destination qui compte mais toujours le chemin parcouru.” Dis-moi ce que t'en penses. » Le visage toujours levé en l’air, yeux clos, cigarette dans une main et verre dans l’autre - que je fais tourner distraitement - j’hausse un sourcil dans un petit rire. « Mmh. A moins que t'ai déja trop bu pour ce genre de choses. Ce serait fâcheux, parce-que tu n’aurais alors pas plus d’intérêt que toutes les jeunes femmes à l’intérieur. J’aimerai que ce soit pas le cas. Mais si ça l’est, tant pis pour moi. » J’hausse les épaules et goûte une nouvelle gorgée. « T’inquiète pas, j’ai pas l’intention de te faire un cours maintenant, certainement pas. Je me posais juste la question. »
Et un nouveau soupir s’échappe de mes lèvres avant qu’elles n’épousent ma cigarette. La june Blackmore m’apporte une distraction, et je la saisis comme je le peux. Sa réponse devrait être divertissante, dotée d’un intérêt légèrement plus élevé que tout ce que je pourrais me mettre sous la dent pour le moment. C’est pourquoi j’ai posé la question. Ce n’est pas de la curiosité. Ce n’est pas de l’intérêt.
Ce n’est, comme d’habitude, qu’un moyen de passer le temps. Un moyen de combler le vide, comme je le peux.
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Sujet: Re: paint in black ♠ ABEL ♥ Mer 7 Jan 2015 - 2:54
Elle est dans ma voix, la criarde ! C'est tout mon sang, ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon coeur le vampire, - Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire !
_Charles BAUDELAIRE
« Arrêtez monsieur, à me parler comme ça on va croire que vous vous intéressez à moi. Mais je ne marche pas si facilement. »
Tu parles, menteuse. Trop fière qu’il t’aie reconnue rien qu’au son de ta voix, et non pas pour ta dégaine de fantôme ambulant. Evidemment que j’ai plus d’intérêt que ces pouffiasses qui viennent tous les soirs pour se sentir désirées. Oui, j’ai beaucoup plus d’intérêt que cette brune avec qui il dansait. La salope. Et pourtant, je vois bien que ça lui est égal. Il a la fatigue de vivre déjà infiltrée dans ses paroles, l’ennui qui lui pourrit la peau. Aveugle ou non, Mr Crane a les pupilles déjà mortes. Et après, on s’étonne que je me sente attirée par lui - pas de ma faute si j’ai les instincts charognards. Je porte ma clope à mes lèvres, et pousse un soupir d’aise lorsque je sens la nicotine traverser mon organisme. Y’a la frustration qui se ravale, les mains qui se détendent - et le sourire qui se délie, se décrispe.
Il fallait vraiment que ce soit lui pour que j’accepte de réfléchir à sa question. Je veux dire, quoi de pire que des questions sur le sens de la Vie à 2h du mat’, quand on a l’esprit embrumé par le doute et l’alcool et la patience légèrement usée ? Un nom d’auteur, une odeur de tabac, des cheveux bruns et un accent craquant. Faut au moins ça pour gagner le ticket pour me faire cogiter.
Pollet-Villard, hein ? Encore un de ces types qui pensent pouvoir réduire la vie à une simple phrase. Connards prétentieux. « C’est un point de vue comme un autre. J’dirais que c’est presque ça. Sauf qu’il faut prendre en compte la distance du voyage, aussi. » Je laisse passer un moment de flottement, un court instant de silence dans le froid, avant de continuer - « Faut-il vivre un court voyage avec le plus d’intensité possible, ou être prudent pour tenir la distance ? » Faut-il être une allumette, un magnifique éclat de mille violences, insaisissable, éphémère ? Ou faut-il être un de ces êtres au temps gravé à fleur de peau - ces gens comme Aiden ? Je sais que je suis du premier type, mais je ne suis pas prête à dire que c’est le meilleur de tous. Mais quand je vois Aiden, ou même Mr Crane …. Ca me dérange. Ca me crève. Ca me donne envie de mordre.
C’est vrai, on crève tous à la fin - parfois par accident, parfois par choix. Et je pense que c’est bien, très bien de pouvoir choisir l’heure, le lieu, l’instant de sa mort - c’est l’une des plus belles preuves de liberté. Moi, je veux pas mourir vieille, non. La vie m’a déjà assez abîmée comme ça, on va pas laisser l’occasion au Temps de faire le plus de dégâts. Non, je veux mourir belle, encore féroce, encore mordante. Aimée - et surtout haïe d’un maximum de personne. Je veux être une sublime étincelle, qui les brûlera tous avant de disparaître dans l’air. Juste comme ça, dans un claquement de doigts. « La destination c’est la même pour tout le monde, six pieds sous terre. Tout ce qu’on peut faire, c’est choisir si on prend un trajet direct ou avec escales. » Mon regard s’est perdu sur le bout de mes pieds, alors qu’un léger rire a effleuré mes cordes vocales. « Ou peut être qu’il ne parlait vraiment que de voyager. Dans ce cas, la destination m’intéresse quand même - j’ai toujours rêvé d’aller en Nouvelle Zélande. » Ironie qui dégouline en trop grosse dose de ma voix rocailleuse - je me reconcentre sur lui. Mon regard se perdant un instant dans la contemplation de son visage.
« Et vous ? » Oui, vous, monsieur. Vous qu’avez l’air ennuyé par votre voyage dont vous ne pouvez pas voir les paysages, vous avez jamais eu envie de le terminer ? Pas même une fois ? Sûrement pas votre genre, hein. Après tout, faut un minimum de détermination pour choisir de sauter de l’avion. Monsieur coeur-de-glace ; trop cynique, trop détaché, trop froid. Plus froid que moi qui frissonne, un vent glacé venant caresser mes épaules dévoilées. Je me demande bien ce qu’il peut y avoir, sous ces débris glacés - car il doit y avoir quelque chose. Il y a toujours quelque chose. Un sang chaud qui fait tourner la machine.
« Long ou court, votre voyage ? » Raisonnable, ou déjà fou ? En tant qu’Homme, on a jamais le choix - même si on peut tenter, s’accrocher à cette autre possibilité qui nous semble si belle. Si chaleureuse. Si différente de ce qu’on est vraiment. Des utopies bancales. Mal menées et malmenées.
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Sujet: Re: paint in black ♠ ABEL ♥ Mer 7 Jan 2015 - 14:35
- Arrêtez monsieur, à me parler comme ça on va croire que vous vous intéressez à moi. Mais je ne marche pas si facilement.
Planté au milieu de la cour, visage toujours levé au ciel et yeux clos, l’aveugle balança un bref sourire dans le vide, durant lequel Sarah pu pleinement mesurer combien il pouvait être difficile de “lire” un aveugle. Les yeux clos, le visage tourné ailleurs - Abel savait très bien se faire comprendre sans parler, quand il le voulait, mais il savait tout aussi entretenir une petite chape de mystère autour de sa propre personne. Et c’est ce qu’il fit, à cet instant, avec ce sourire ne voulait rien dire.
- C’est un point de vue comme un autre. - Oui. - J’dirais que c’est presque ça. Sauf qu’il faut prendre en compte la distance du voyage, aussi.
Le professeur bu cul-sec ce qu’il restait du mojito et, activant sa vue deux petites secondes, fit deux pas en avant pour rejoindre le petit muret sur lequel il déposa le verre vide. Sa cigarette avait été jetée, et la rondelle de citron était désormais prisonnière de ses doigts.
- Continues., dit-il avant de s’appuyer dos au muret, portant le citron acide à ses lèvres. - Faut-il vivre un court voyage avec le plus d’intensité possible, ou être prudent pour tenir la distance ?
Il resta silencieux, yeux clos et visage légèrement baissé, suçotant le citron entre ses lèvres.
- La destination c’est la même pour tout le monde, six pieds sous terre. Tout ce qu’on peut faire, c’est choisir si on prend un trajet direct ou avec escales. Ou peut être qu’il ne parlait vraiment que de voyager. Dans ce cas, la destination m’intéresse quand même - j’ai toujours rêvé d’aller en Nouvelle Zélande. - Classique., commenta t-il du ton le plus neutre. La destination type pour en prendre plein la vue, promue par deux trilogies de films qui ont dû envoyer un paquet de touristes là-bas.
Il déposa le citron dans son verre. Ca n’avait pas été dit sur le ton de la critique. Juste, simplement énoncé. Un léger silence se fit, pendant lequel il suçota son pouce et son index pour recueillir les dernières gouttes de citron et d’alcool, avant de sécher le tout d’un revers de main sur son jean.
- Et vous ? Long ou court, votre voyage ?
Voila bien une question à laquelle il n’avait pas la réponse.
- Pathétique., qualifia t-il alors avant de laisser échapper un léger rire mêlé à un soupir.
Il se redressa.
- Je pourrais le choisir court et mourir vieux, après avoir miraculeusement survécu à tout un tas de maladies. Je pourrais le choisir long, me préserver dans une santé de fer, et me faire faucher par une voiture avant mes 25 ans.
Il haussa les épaules, se déplaçant doucement, yeux clos.
- Et puis, on est jamais fixé du début à la fin. On trouve l’amour, on veut que ça dure. On le perd, on souhaite que tout s’arrête.
Il fit de même, glissant ses mains dans les poches de son jean, de profil, par rapport à Sarah.
- Je ne me drogue pas. Je ne me suiciderai pas. Je brave d’autres interdits, je me met parfois en danger, et d’autres fois, suis prudent. Je n’ai rien d’intègre, mais je ne suis pas mauvais. J’admire certaines choses, mais me fiche de les voir disparaître.
Il pencha la tête vers elle, sourcils haussés, yeux clos.
- Alors d’après toi, mon voyage est court ou long ?, et sans attendre, il redressa la tête, répondant lui-même à sa question. On ne choisi même pas. A moins de se suicider, au moins, la question est réglée. Mais c’est l’acte le plus dénué d’intérêt qu’il soit, et, comme tout le monde, je n’aime pas vraiment les choses sans intérêt.
Il sourit, soudainement, la voix plus aiguë et, cyniquement, plus enthousiaste.
- Quelle belle discussion profonde pour le soir de mes 24 ans., il laissa échapper un rire, avant que son visage ne retrouve rapidement son amertume habituelle. Il paraît que ça doit être un jour spécial. Pour ma part j'attends toujours qu’il le devienne. D’ailleurs, minuit est passé, on dirait que j’ai raté ma chance.
Il s’étira légèrement, roulant du cou et du dos avant de lâcher un gémissement en laissant tomber sa tête en arrière.
- Haaan, je tuerai pour qu’il arrive quelque chose.
Et un triste désespoir s’échappa de ses lèvres dans un énième soupir. Il redressa la tête en raillant, fouillant les poches de sa veste à la recherche d’une nouvelle cigarette.
Pas d’arrière pensée. Pas de façon de parler, de sens caché. Juste une froideur, sèche, amère et dédaigneuse.
Dégueulasse.
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Sujet: Re: paint in black ♠ ABEL ♥ Jeu 8 Jan 2015 - 0:23
Elle est dans ma voix, la criarde ! C'est tout mon sang, ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon coeur le vampire, - Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire !
_Charles BAUDELAIRE
L’avantage quand on est moi, c’est qu’on a l’habitude des connards prétentieux. Et qu’on apprend à les écouter - voire même à les apprécier.
« Au contraire, je trouve ça très intéressant.» Les fesses posées sur le muret, jambes croisées, pieds dans le vide - le sourire sans joie plaqué sur mon visage. Elle est bizarre, sa vision de la vie - elle est vide, creuse, il y a quelque chose qui manque. Et trop curieuse, j’ai bien envie d’en savoir plus. Qu’est ce qui lui a volé la flamme de vivre - aussi petite, tourmentée, tremblante soit-elle. « Vous dites que vous attendez que quelque chose se passe, mais vous ne faîtes rien pour le provoquer. Normal que la Vie soit d’un ennui mortel, lorsque l’on reste passif. » C’est dit tout doucement, mon visage tourné vers lui - sans reproche, sans compassion. Il veut parler froidement ? Moi aussi je sais être froide, quand je le veux - un vrai glaçon. « Je tuerai pour qu’il arrive quelque chose. - et bien allez-y. Tuez. Tuez moi. Tuez l’un de ces types aux mains baladeuses, là-bas. Et vous l’aurez, votre quelque chose.»
Vous l’avez dit vous même, la vie n’offre rien. Chieuse jusqu’au bout. On doit se battre, se bouffer, pousser les choses pour avoir l’impression d’exister. Vous êtes si amer, Monsieur - comme un café pas bien dosé. Et c’est sûrement ce que vous êtes. Un homme qu’a pas les bons réglages, pas les bonnes proportions. Trop de fatigue, pas assez de hargne. Vous allez me répondre quoi ? Que ça ne sert à rien ? Que ça n’en vaut pas la peine ? Comment vous pouvez le savoir, apparemment vous avez toujours été trop lâche pour essayer. Oh, pardon, trop désintéressé.
Moi j’ai essayé - j’essaie de trouver la vie belle. J’essaie d’être heureuse, j’y travaille avec tout la volonté dont j’en suis capable. J’essaie de changer. Alors n’allez pas vous plaindre, alors que vous ne faîtes que regarder.
« Mais si vous n’avez même pas la force ou l’envie de faire bouger les choses...» Je me redresse, carre les épaules, et plante mes yeux dans les siens. Il ne peut peut être pas voir le brun rendu noir de mes pupilles - mais il peut en ressentir l’intensité. Cette intensité que j’essaie de lui implanter, injecter, de lui coller de force. « Dans ce cas, ce n’est pas le voyage qui est pathétique … c’est vous.»
Ca tombe comme une évidence entre mes lèvres toujours étirées. C’est vous, monsieur, dont on doit avoir pitié. C’est vous et votre coeur déjà crevé, gelé - c’est vous qu’avez aucune raison d’être sur cette Terre. Pourtant, vous êtes là - alors pourquoi, pourquoi ? Qu’est ce qui fait que vous n’avez pas cet instinct animal, celui qui vous bouffe les tripes et vous dit de bouger ? De se lever tous les matins. De se battre. Et d’aimer. Surtout d’aimer.
C’est sûrement parce qu’on a commencé à parler alors que j’étais en plein bain de pensées que je réfléchis autant sur ses réponses. Ses réponses que je peux pas approuver - à peine concevoir. Ma vie est un enfer, et j’ai souhaité de nombreuses fois qu’elle s’arrête - trop de douleur, trop de larmes, trop de tout. Mais ce n’est pas pour autant que j’irais dire qu’elle ne valait pas la peine d’être vécue. Au contraire. On me donnerai le choix, je referai tout - chaque cicatrice et coeur brisé, chaque cri et chaque coup - tout exactement pareil.
« Je vous plains. Et c’est assez rare pour moi de le faire.» De plaindre quelqu’un d’autre que ma petite personne - que mes rêves brisés. J’écrase ma clope contre le muret, crachant une dernière volute en l’air. Peut être que j’ai mal parlé - c’est un prof, après tout. Et puis merde, comme si je me souciais de ces petits détails. Après un moment à rester là, gueule en direction d’un ciel sans étoile, j’ouvre la bouche de nouveau. Ma voix est beaucoup plus douce, que tout à l’heure - beaucoup plus blanche, aussi.
« Vous avez toujours été comme ça ?» Vous avez toujours été ce vous ci ? Pour ma part, je sais que j’ai été trop de moi différentes pour que je m’en rappelle. Et en ce moment même, je me sens bien loin de moi. Je suis en train de militer pour la vie, merde. Ce doit être une mauvaise blague.
Une très mauvaise blague - mais au moins, c'est moi qui l'aura provoquée.
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Sujet: Re: paint in black ♠ ABEL ♥ Ven 9 Jan 2015 - 2:47
- Vous dites que vous attendez que quelque chose se passe, mais vous ne faîtes rien pour le provoquer. Normal que la Vie soit d’un ennui mortel, lorsque l’on reste passif.
Il ricane, portant sa cigarette à ses lèvres.
- Ne parle pas comme si tu connaissais quoi que ce soit de moi. - Je tuerai pour qu’il arrive quelque chose. - et bien allez-y. Tuez. Tuez moi. Tuez l’un de ces types aux mains baladeuses, là-bas. Et vous l’aurez, votre quelque chose. - Un ennui pire, coincé entre quatre murs ? La belle affaire. Ce n’était qu’une façon de parler. - ...si vous n’avez même pas la force ou l’envie de faire bouger les choses... Dans ce cas, ce n’est pas le voyage qui est pathétique … c’est vous.
De nouveau, il sourit, gardant cette fois ses réflexions pour lui. Au moins pour l’instant.
- Je vous plains. Et c’est assez rare pour moi de le faire. - Voila qui fait de moi quelqu’un d’exceptionnel, au moins à vos yeux. - Vous avez toujours été comme ça ? - Oui.
Insupportablement éteint et insupportablement réponse-à-tout à la fois. Ca, c’est quand il a décidé de faire chier. Et il est bon à ça, Abel. C’est que c’est à peu près tout ce qui l’amuse dans la vie, de faire sa bitch. Et il est en train de comprendre qu’il en a une de taille, face à lui.
- Je préfère encore être l’homme rationnel qui s’ennuie mais qui ma foi, n’est pas malheureux, que la personne totalement irrationnelle qui se fait souffrir elle-même en s’inventant des problèmes, des tortures qui n’ont pas lieu d’être.
Il glisse son regard sur elle, laissant deviner qu’il active son don pour quelques secondes.
- Celle qui se griffe la peau, s’éprend de véritables déchets, qui se fait vomir. Ou se faisait, peu importe.
Il chasse l’air d’une main en détournant la tête, banalement, sur le ton de la conversation.
- Si à tes yeux, vivre, c’est pousser un homme à bout au point qu’il t’explose la figure, alors c’est moi qui te plains, et je trouve ça également pathétique.
Son petit sourire amusé ne le quitte pas, alors qu’il joue des pieds sur le sol en pierre, recrache son souffle toxique avec sa cigarette entre pouce et index.
- Mais tu vas me dire que la Passion vaut la peine d’être vécue, bla bla bla...
Il soupir, rieur.
- Une vraie Juliette.
Il fait un pas, baissant le visage, étirant son sourire.
- Et que feras-tu, Juliette, quand le drame ne sera plus là ? Quand tu auras tout pour être heureuse, et sera bouffée par l’envie dévorante que de nouvelles choses s’abattent sur toi, que l’on te jette en pleine tempête ? Tu gâchera tout toi-même au nom de ta Passion égoïste ? Ou comme moi, tu te contentera d’un quotidien ennuyant, fade et sans reliefs ?
Il jette sa cigarette au sol, expirant.
- Dans tous les cas, tu seras pathétique. Dans tous les cas, des gens te plaindront. Et dans tous les cas, ta petite personne n’aura aucune espèce d’importance.
Il hausse les épaules, relevant le nez.
- Je ne fais qu’éviter de me fatiguer en restant passif. Et au moins, moi, je ne blesse personne. Elles sont belles, tes phrases pleines de vie, d’espoirs et de sois-disant principes. Mais si tu blesses des gens autour de toi, sur ton chemin tellement plus intéressant que le mien, alors je ne vois pas en quoi il est mieux. Tu es un mouton malade qui contamine les autres, mais tu restes un mouton. Rien d'exceptionnel.