Loser ft. Hadès

Il ne se rappelle plus vraiment de ce qui l’a décidé.
Le regard livide de Josh, peut-être, l’éventualité d’une nouvelle journée dure dont il n’avait pas envie de s’accabler. Il ne se rappelle plus, Hadès, entre ces milles et une pensées terribles, entre toutes ces choses qui le torturaient. Il a juste le vague souvenir qu’à ce moment, alors que le blond a levé sa tête abattue pour croiser son regard, son envie de faire n’était pas là.

Alors il n’a pas agit. C’est peut-être hypocrite de se dire ça alors qu’il l’a si longtemps mit à mal, mais aujourd’hui, il n’a pas envie. Il a presque pitié de lui - mais c’est un sentiment qu’il ne connaît pas, et ça se rapproche plus de l’empathie.

Des gens lui manquent, et ces couloirs bruyants lui semblent presque vides quand il se lève pour aller en classe. Mais ici, c’est l’étage des A, c’est son étage, et il ne comprend pas pourquoi il y trouve Josh ici. Il se creuse la tête, mais rien ne lui vient - et un gamin au regard si vague ne peut avoir un objectif précis.

Il erre plus qu’il ne marche, il fixe plus qu’il ne regarde, et Hadès a compris.
Hadès se voit, Hadès voit ce monde, ses cauchemars qu’il a créé par mégarde, ce manque d’envie crucial au moment où il lui en fallait le plus. Alors non. Hadès n’a pas envie. Il l’observe quelques instants, indéchiffrable regard, expression renfermée, se refusant, même au prix de l’aide qu’il pourrait apporter, à montrer ce qu’il ressent vraiment. C’est peut-être la culpabilité qui le pousse à réagir comme ça, à vrai dire, il pense plutôt à de l’empathie. Il n’a pas envie de poursuivre ça. Il n'a pas envie de revivre lui-même ce qu’il voit comme un mal partagé.

« Move on. »

C’est tout ce qu’il lui dit, sans une hésitation, le ton neutre, presque froid, mais assez neutre pour que Josh ne se mette pas en alerte. Aujourd’hui, Hadès est fatigué - et ça arrive si rarement qu’il prie pour ne jamais croiser quelqu’un en ces jours-là. Mais c’est arrivé. Mais c’est le cas, et maintenant qu’il a cette prise de conscience, il n’a même pas le réflexe de se taire pour éviter les futurs regrets. Non. Hadès continue, il progresse. Il affirme sans détours, conseille sans prétention. Il n’a pas besoin de retours pour savoir qu’il a dit la bonne chose.

« Tu vas continuer à pleurer parce que tes copines sont parties ? » Il croise les bras, le toise de ses yeux rouges. « Ça va arranger les choses, oui. »

Il prend le temps de le regarder, jauger ses réactions, s’écarte finalement de son chemin. Si Josh veut partir, il ne le retiendra pas - et lui, colle son dos au mur, posant son regard devant lui. Il n’a plus envie de perdre du temps là où il n’y a pas de concurrence.

« Même moi, j’ai fini par me lasser de tout ça. »

Et c’est dur, cassant. Mais terriblement sincère.

Les mots qui font mal, la vérité qui déchire son esprit déjà bien entamé par les événements d'une vie sévère. C'était ça qui se cachait derrière toutes les bassesses de son âme, les regards arrogants et ses actes qui tenaient du défouloir en face des seules personnes capables de les encaisser. Victimes d'une sélection dure. C'étaient tout ce que signifiaient les autres pour lui, tout ce que cette vie semblait évoquer. Le mal sans raison, la cruauté pour oublier la culpabilité qui le taillade, et, inlassablement, son schéma de vie continuait. Cercle vicieux dénué de limites, son esprit fragile au bord de la rupture qui se voyait reconstruit juste assez pour revivre sa propre destruction.

Persuadé d'être sur la bonne route, le démon rouge poursuivait son existence, aux prises avec lui-même ; et pourtant, malgré tous les arguments qu'on pouvait lui soumettre, il restait inflexible au sein du désespoir éprouvé. Il pouvait bien donner des leçons, gentillesse au retour de tout le mal qu'il avait commit, ça n'en restait pas moins creux - à mi-chemin entre l'amusement que la pitié avait estompé et l'envie de réparer ce qui semblait avoir perdu toute ampleur à ses yeux.

Il se savait aussi perdu que Josh pouvait bien le montrer, la différence étant qu'il arrivait à le cacher. Il trompait le monde comme il l'avait toujours fait, il trompait chaque chose à l'exception de ce coeur qui se broyait un peu plus à chaque seconde sous le joug de tous les sentiments éprouvés. Il vivait dans la tristesse d'une existence qu'il ne pouvait pas supporter, un mal si profond que même malgré sa nature, ces choses lui paraissaient trop difficiles à vivre. Et dire qu'il avait tout fait contre ça. Et dire qu'il avait vécu en reclus avec une unique attache pour s'éviter la torture de l'amour à supporter - et dire qu'il avait tout fait, et que cette école lui avait tout prit. Car c'est le cas, Josh, et s'il ne connait rien de toi, c'est réciproque.

C'est pour ça qu'il se tient là avec ses menaces qui s'accrochent au statut de bienveillance, au nom d'une empathie qu'il refuse d'assumer ou de montrer différemment qu'au travers d'une violence encore plus marquée. Il n'a jamais voulu autre chose que le bonheur loin de tout, écraser son humanité sous le talon de cette cruauté qui le caractérisait pour imposer sa vision du sien. C'est pas t'aider qu'il veut, sans doute apaiser sa conscience. C'est pas ton amitié qu'il désire, juste la résistance d'un esprit qui saurait l'amuser. Il aime se raconter des choses, se morfondre dans le perfection du monde qu'il a imaginé.

Menteur de ses propres désirs.

Il aime se dire Roi, au-dessus de chaque chose, assis sur son trône de suffisance à l'image de l'arrogance qu'il affiche. C'est jamais que ce mal, cette chose que tout le monde lui connait et qu'il n'a plus qu'à laisser couler. Laisse venir Hadès, les effluves de colère tout comme les sentiments enfouis. Laisse tout venir, des mots tranchants pour effacer ceux qu'il t'adresse.

Laisse venir, laisse couler, laisse exploser.
Laisser-toi submerger par ces émotions que tu refoules, laisse-toi aider par le ressenti humain ne serait-ce que pour soulager ton âme que tu tourmentes. Laisse filer tout ça, des mots sincères, ceux que tu n'as jamais osé adresser. Montre lui chaque chose Hadès, les dessous de tout ce que tu retiens, exprime chaque ressenti avec les mots que tu manies si bien.

« Et toi, qu'est-ce que tu en sais ? »

Il se retourne, le regard brûlant de cette flamme qu'il lui a tant offert. Il se retourne, fait face à ce qu'il voit enfin comme la victime qu'il a toujours frappée. Il ne peut pas lui adresser la vérité, même s'il le désire vraiment, pas à lui. Pas comme ça. Pas si simplement. Un défouloir, rien de plus. C'est ainsi que sont les choses Hadès. T'attends pas à comprendre les autres quand tu sais même pas voir les sentiments que tu possèdes. C'est l'envie qui t'anime, les désirs du mal qui s'affirment.

Qu'est-ce que tu veux en finir, Hadès, ignorant l'appel de cette envie de bien faire qui s'impose.
Ça parait si tentant, la facilité grouillante qui tord ton estomac dans sa sublime simplicité. Pourtant, tu ne cèderas pas, refusant de laisser le mal s'emparer de toi comme tente de le faire le bien - car tu n'appartiens qu'à ta propre cause.

« Je ne vais pas insister sur l'inutilité du fait de s'en prendre à moi, en revanche, explique-moi pourquoi tu n'as jamais dirigé cette colère sur elles si tu étais capable de la montrer ? »

Il fourre ses mains dans ses poches, s'écarte de nouveau pour lui laisser le passage libre. Il n'a pas envie de le voir s'étreindre d'une arrogance stupide, mais ça lui est bien égal de savoir ce qu'il devient. Ses attaques ont toujours été à double tranchant, la torture mentale la plus terrible - car il arrivait que certains la surmontent. On dit bien qu'il faut se confronter à ses peurs pour les vaincre, il n'y a pas de meilleure méthode que lui - et bien qu'il ne fasse pas ça dans un but altruiste, il était toujours agréablement surpris de voir ce genre de cas. Josh n'était peut-être pas le plus solide qu'il ait vu, mais il avait du culot.
De la repartie. Il était plus fort que la plupart des élèves de sa classe, c'est ce qui avait poussé Hadès à s'intéresser à lui.

Cette force d'esprit étonnante.

Il l'avait peut-être déçu, mais il montrait de nouveau les ressources dont il disposait au moment opportun - la parfaite défense. Une étoile peut-être pas si facile à éteindre, peut-être un de ces personnes indémodables comme il n'avait que rarement la chance d'en croiser ?

Il ne pouvait pas le savoir ainsi.

« Alors, maintenant, qu'est-ce que tu vas faire ? Te venger ? Quoi que tu fasses, par pitié, montre-toi inventif. Tu vaux mieux que les répliques clichés que les gens ont l'habitude de me sortir. »

Les paroles qui s'engouffrent dans les bas-fonds d'une honnêteté cruelle, vérité sortant d'une bouche bien trop innocente pour se confronter à la réalité qui l'accable, l'esprit d'un rayonnement sans pareille qui, cette fois, se tient face à la douleur qu'il n'a pas l'habitude de devoir surmonter. C'est ainsi qu'est la vie, c'est ainsi qu'est l'agonie qui tiraille chacun, ce à quoi tous espèrent pouvoir échapper - c'est comme ça qu'est le monde, Josh, et ni lui ni toi ne pourront y échapper. Ne crois pas que c'est juste un connard aux yeux rouges qui agit sans raison, non, il avait beau l'être auparavant, il avait prit conscience d'énormément de choses - et la possibilité du bonheur était peut-être toujours aussi ridicule, mais il avait avancé. Il n'était plus coincé dans son absence de sentiments, dans la froideur qui le séparait de tous - refus total de s'exposer à des relations idiotes.

Il s'était ouvert, téméraire.
Il s'était donné en pâture à ce monde qu'il détestait, et il avait beau sentir le désespoir s'immiscer au sein de toutes les choses éprouvées, il n'avait pas abandonné son idée de règne - et nul ne pourrait l'arrêter. Ce n'étaient certainement pas les histoires de trois élèves qui risquaient de l'adoucir, ce n'était certainement pas l'auto-dérision d'un blond qui avait gâché un mois de son existence qui allait lui faire quelque chose, et il resta de marbre. Le refus de craquer. Le refus de croire en une idée stupide, le refus d'abandonner tout ce qu'il avait fait jusque maintenant.

Le refus de tout.
Le refus de toi, Josh.

Presque un connard, quelle idée ?
Il l'était, sans aucun doute, sans distinctions, sans débat possible. Il ne devrait pas le remercier mais chercher à le faire tomber aussi bas que possible. Il ne devrait pas discuter mais écraser son poing dans la figure de celui qui l'avait si longtemps torturé. Arrête de réfléchir Josh. Frappe-le. Venge-toi d'une douleur que tu ne peux pas encaisser. Submerge la tristesse d'une colère que tu n'as que trop retenue.

« Je suis un connard. » corrigea-t-il. « Et ne me remercie pas, je l'ai fait pour moi. »

Il roula des yeux, décroisant ses bras, le chemin toujours ouvert au D. Il enfouit ses mains dans ses poches, affirmant l'inutilité d'en faire davantage.
Il était satisfait de la tournure des choses, sincèrement.

Les réactions des gens n'avaient pas juste le don de l'agacer, elle le décourageaient - et en ce sens, Josh avait prouvé qu'il était différent. Il ne lui avait fallut que quelques mots pour prendre conscience des choses et maintenant, tout était lancé.
Sa reconstruction.
L'éclat qu'il avait toujours évoqué. Pendant cette période, doté de cette confiance, il serait intouchable et Hadès en était pleinement conscient. Pourrait-il seulement lui faire du mal à nouveau ? Ce serait même étonnant. Il avait sauvé quelqu'un de ses propres maux au lieu de le détruire ? Impensable.
Ça ne lui procurait aucune sensation sinon l'agacement de le voir se tenir sans agir, mais pour une fois, il décida d'en rester là.

Quelque chose clochait.
Et il allait falloir arranger tout ça très vite.

« Tu ne te pardonneras pas. Tu arrêteras juste d'y penser. »

Jetant un dernier regard au jamaïcain, il le dépassa pour marcher dans la direction opposée et partit d'ici aussi vite qu'il le pouvait, c'est-à-dire pas très vite. Il était bien placé pour le savoir. La culpabilité ne partirait jamais, et le reste du monde ne pouvait que tenter maladroitement de l'effacer.