Happy Lucky Day?

C’était l’un de ces beaux jours où elle se promenait librement dans la cour intérieure, les mains jointes derrière son dos et une démarche gracieuse guidant ses pas. C’était l’un de ces beaux jours où cette petite voix imprévisible qu’était ses émotions lui susurrait qu’elle désirait prendre l’air, sentir les derniers rayons du soleil et de chaleur sur sa peau avant de saluer l’automne, puis l’hiver. Ahh, oui… C’était l’un de ces beaux jours où Aisha errait en dehors des bâtiments, étonnamment seule, avec nulle autre justification que celle de vouloir profiter de l’extérieur. A force, elle connaissait tout de ces lieux, les petites particularités, les légendes et tout ce qui s’y trouvait ; elle aimait se rendre ici, de temps à autres, particulièrement pour goûter les fruits du grand arbre situé au milieu de la cour. Elle s’approcha doucement, tendit ses deux bras en direction des branches couvertes de feuilles dont la couleur perdait de leur verdure, et saisit l’un des fruits suspendus. Il se trouvait qu’il s’agissait d’une poire, en cette saison. Cela tombait bien, car elle aimait les poires. Ce n’était pas une bonne chose pour elle de grignoter entre les repas ; mais son esprit capricieux jugeait toujours qu’elle pouvait se le permettre, peu importait son diabète. Alors elle ne perdit pas une seule seconde pour le déguster avec une mine exagérément réjouie, tandis qu’elle s’éloignait de l’arbre géant.

En se dirigeant vers la fontaine jaillissant près de l’entrée, ses iris dorées furent attirées par un étrange petit garçon, recroquevillé dans un coin des lieux, adossé à un mur. Tout portait à croire qu’il allait mal, même vu de loin : quelques tremblements nerveux parcouraient son corps ; et sa tête était baissée, comme s’il peinait à affronter le regard des autres. Mais c’était tout naturel… Aisha n’avait qu’à survoler les environs pour remarquer qu’il était bel et bien la cible des regards suspicieux des élèves ainsi que des murmures de ces derniers. Etrange… Qu’est-ce qui pouvait justifier un tel malaise, ainsi qu’un tel intérêt des autres ? La renarde était curieuse, et il était dans sa nature de ne laisser planer des mystères. Oh, mais vous savez ? Aisha n’était pas une héroïne, elle n’était pas la grande justicière qui défendait les faibles et protégeait les âmes démunies, malgré toute l’injustice sociale et la pauvreté qu’elle avait connue. Cependant, elle supposait qu’il serait déplacé d’abandonner ce pauvre jeune homme dans un moment pareil. Elle se questionnait au sujet de ses problèmes, de ses tracas et de ses soucis.

Elle s’approcha doucement, lentement en direction du garçon à la chevelure rougeoyante, le regarda fixement durant de longues secondes jusqu’à ce qu’il remarquât sa présence. Elle pencha la tête sur un côté, sans que ses iris dorées ne quittassent la cible de sa curiosité. L’animal en elle semblait l’avoir quittée, et pourtant, elle continuait de se comporter comme tel ; une renarde curieuse qui analysait chaque détail. Sa chevelure d’ébène flottait au rythme du vent.

— Eh bien mon garçon, que se passe-t-il ? Veuille excuser mon approche brutale, mais tu sembles tétanisé. l'aborda-t-elle calmement.

Elle prit un air faussement désolé pour justifier sa venue, et son visage retrouva de suite son air naturellement souriant. Elle avait l’habitude d’approcher les gens qu’elle ne connaissait pas, simplement parce qu’elle le désirait. Elle n’allait pas être sincèrement désolée pour cela. Ses pupilles à l’affût descendirent et remarquèrent la présence d’un morceau de papier dans la main du petit inconnu. Une lettre froissée dont elle ne put apercevoir aucun mot, aucun indice. Elle replongea ses yeux dans les orbes d’or du petit bonhomme, qui n’avait l’air aucunement rassuré.

— Allez, allez, essaie de te calmer ! Les gens aux alentours t’effraient ou t’ont causé du tort ? Ou bien… Elle fit une courte pause. Est-ce en rapport avec cette lettre froissée que tu tiens entre tes doigts ? demanda-t-elle sans le quitter du regard.

Son sourire ardent se voulait doux et rassurant ; et pour la première fois, le sourire carnassier du renard se mua en quelque chose de plus maternel et compatissant.