Vive le vent d'hiver qui rapporte aux vieux enfants leurs souvenirs d'hier • Valdy & Est'

L'escabeau tangua dangereusement sous ses pieds et Inge déploya ses bras pour tenter de regagner son équilibre. Quand l'objet finit par retrouver son immobilité première elle se haussa à nouveau sur la pointe de ses orteils, bien décidée à atteindre son objectif. Le sommet du sapin la narguait à quelques centimètres à peine de sa main, refusant obstinément d’accueillir l'étoile dorée qu'elle tentait depuis plusieurs minutes de lui faire porter. Elle réalisait maintenant qu'ils s'étaient peut-être un peu emballés avec son père lorsqu'ils avaient choisi cet arbre-là le week-end dernier dans la forêt. Il était immense et majestueux, certes, mais peut-être l'était-il un peu trop. Langue tirée, sourcils froncés, plus concentrée que jamais, elle étendit ses membres de jeune fille de dix-sept ans au maximum, persuadée d'y arriver, quand une petite main attrapa l'ourlet de son jean.
« Inge, j'ai fini ! »
Freja tira innocemment sur le bout de tissu et Ingebjørg sentit son monde basculer. Alors qu'elle partait en arrière, elle sauta adroitement de son perchoir et se réceptionna de justesse avant la chute. Heureusement qu'elle était sportive.
« Fais gaffe, j'ai failli tomber ! gronda-t-elle sa petite-soeur mais sans méchanceté. Tu as fini ?
_ Oui, regarde ! »
L'adolescente fit quelques pas en arrière pour admirer le résultat de leur labeur. Le sapin brillait de mille feux, scintillant de guirlandes lumineuses et de bougies, leur lumière se réverbérant sur des boules de verre de couleurs multiples. Des drapeaux du Danemark flottaient à des endroits stratégiques et des lutins de papier jouaient à cache-cache au milieu des branches et des cœurs suspendus. Le reste de la pièce était bien entendu décoré également, à base de bougies, de guirlandes, de couronnes de l'Avent et de personnages de carton, mais l'arbre était à n'en pas douter l'élément central de ce décor de fête. La pile de cadeaux à son pied ne faisait que lui ajouter un attrait supplémentaire.
Inge sourit avec fierté, contente d'elle-même et du travail accompli. Elle avait toujours particulièrement aimé les fêtes de fin d'année, avec leur ambiance chaleureuse et conviviale, mais cette année était spéciale. Cette année, tout devait être parfait. Car, cette année, la famille Møller recevait un invité. Excitée à cette simple idée, elle bondit sur place avant de courir en direction de la cuisine, Freja sur les talons.
« Allons voir si maman et Valdy ont besoin d'aide ! »

L'atmosphère de la cuisine était étouffante mais l'air sentait divinement bon. Des odeurs de canard rôti, de pomme de terre confites, de pommes, de pruneaux, de riz sucré et de pâtisserie flottaient tout autour, la faisant saliver. Elle s'approcha de Valdemar dans son dos, avant de jeter un regard par-dessus son épaule et lui demander narquoisement :
« Ca va, t'y arrives ?
_ Je peux pas faire pire que toi de toute façon !
_ Hé ! C'est pas vrai !
_ Ingebjørg, si tu as le temps d'embêter ton frère tu dois aussi l'avoir pour nous donner un coup de main, intervint leur mère depuis l'autre bout de la pièce. »
Tirant la langue à son aîné avec un air boudeur, elle alla retrouver sa génitrice qui s'activait sur la préparation du riz au lait et aux amandes.
« On a fini le sapin avec Freja, mais j'ai pas réussi à mettre l'étoile, lui dit-elle en lui montrant piteusement la décoration toujours dans sa main.
_ C'est pas grave, ton père le fera. La table est mise ?
_ On a mis des paillettes dessus ! s'exclama joyeusement la plus jeune à cette évocation, s'attirant un regard attendri de la part de l'ensemble des personnes présentes.
_ C'est bien mon ange, la félicita sa mère. Tu veux mettre l'amande ?
_ Oui !! »
Inge se baissa pour attraper sa petite-soeur, la portant au niveau du plan de travail. Cette dernière y attrapa une amande entière et la fourra joyeusement dans le saladier rempli de riz ; l'heureux élu qui la trouverait dans son assiette aurait droit à une confiserie en pâte d'amande. Impatiente, l'adolescente ne put s'empêcher de jeter un regard à l'horloge murale.  
« Maman, quand est-ce qu'ils arrivent ? se plaignit-elle en faisant bien traîner les voyelles.
_ Votre père est parti chercher votre ami à l'aéroport il y a une heure, ils ne devraient plus tarder.
_ Mais ils devraient déjà être là !
_ Il doit y avoir des embouteillages, à cause de la neige. En attendant tu veux bien amener la bière à table et vérifier le feu ?
_ J'y vais ! »
Elle reposa sa sœur à terre et retourna dans le salon, la bière brune des lutins dans une main, son étoile dorée dans l'autre, des chants de Noël plein la tête. Elle posa la carafe au centre de la table, évitant de son mieux les bougies qui y brûlaient et fila en direction de la cheminée. Le feu flambait avec panache mais elle ajouta tout de même une bûche, au cas où. C'était la première fois qu'ils avaient un copain de Prismver qui venait et elle était vraiment très enthousiaste, ne tenant plus en place. Certes, Esteban était plus l'ami de Valdemar que le sien, mais elle l'aimait aussi beaucoup et tenait absolument à ce qu'il passe les meilleures vacances de sa vie en leur compagnie. Rien qu'à l'idée de tout ce qu'ils pourraient faire ensemble sa tête lui tournait ; faire des batailles de boules de neige, de la luge, se raconter des histoires d'horreur au coin du feu, voler discrètement dans la réserve d'alcool des parents, aller se balader en ville, parler toute la nuit... Mais pour tout ça, encore faudrait-il qu'ils arrivent !
Frustrée, elle fit une énième fois le tour de la maison, s'occupant comme elle pouvait en attendant, vérifiant qu'elle avait bien pensé à mettre le cadeau d'Esteban avec les autres sous le sapin (elle espérait qu'il lui plairait). S'arrêtant devant un miroir elle vérifia que ses longs cheveux châtains étaient bien coiffés et grimaça devant le pull-over à motif de flocons que sa grand-mère lui avait tricoté et que ses parents l'avaient obligée à porter. Au moins il était plus joli que celui de Valdemar avec ses cerfs. Elle ricana à cette pensée. Soudain, son regard se porta sur le sapin et son sommet nu et son obstination revint au galop. Ses yeux firent plusieurs aller-retour entre l'étoile et la pointe vierge qui osait la narguer avant de s'immobiliser sur cette dernière. Elle visualisa l'étoile, la déplaça mentalement dans l'espace, la positionna en 3D dans sa tête de la façon dont elle voulait qu'elle se trouve, la manipula jusqu'à être satisfaite. Puis Ingebjørg prit une profonde inspiration et activa son pouvoir. L'étoile disparut de sa main et réapparut sur le sapin, parfaitement positionnée. La jeune fille poussa un cri de joie et enchaîna sur une danse de la victoire, avant d'être soudainement interrompue par le bruit de la porte d'entrée.
« Esteban !! s'écria-t-elle en courant aussitôt à la rencontre des nouveaux venus, tout sourire. »

Les yeux rivés sur le paysage qui défilent sous les yeux, tu distingues à peine le changement d'architecture et la neige dense cache presque tout. Heureusement, cela ne t'as pas empêché de prendre ton vol jusqu'ici au Danemark. Le père Moller a eu la gentillesse de venir te chercher à l'aéroport et il essaie tant bien que mal de te décrocher quelques mots, ponctuant la conversation de blagues auxquelles tu réponds timidement. Mais c'est pas trop de ta faute Esteban, t'es juste trop introverti lors des premiers contacts. C'est pas naturel pour toi d'aborder les autres. Tes doigts tapotent nerveusement contre l'accoudoir de ta portière, un peu gêné encore d'être invité pour Noël dans la famille Moller… et d'avoir délaissé tes parents à Paris, plusieurs heures plus tôt. Malgré leurs accords, t'as deviné qu'ils étaient déçus, peut être un peu blessés aussi et t'as culpabilisé une parti du trajet. Mais faut que tu arrêtes d'y penser maintenant.

- Tu dormiras dans le lit de Val'.
- Mais Val' du coup ?
- Il dormira par terre, c'est toi l'invité.

Mr. Moller est catégorique, un brin amusé aussi. Tu sens qu'il veut te mettre à l'aise alors t'essaies de faire un minimum d'effort. Tu pouffes à la pensée de déloger ton pote, voir de le faire rager et vous arrivez bientôt. La voiture se gare devant une petite maison remplit de charme qui contraste beaucoup avec ton appartement en plein Paris.

Un brin maladroit et mal dégourdit, on doit t'aider pour tes bagages. Le froid agresse ta peau le temps de sortir de la voiture. Vous avez à peine sonné à la porte qu'Ingebjørg vous ouvre, joyeuse et souriante comme à son habitude.

- ESTEBAN !!
- Salut Inge, tu vas bien ?

Sourire mince et tu lui tends le petit paquet cadeau rouge que tu avais gardé à la main.

- C'est pour toi, j'ai quelques jours de retard tu m'excuseras, Joyeux anniversaire ! T'as le même âge que Val et moi, maintenant.

17 ans et t'as tellement de projets dans la tête Esteban, par rapport à ton pouvoir, par rapport à tes études et tu te sens tellement bien avec Maël, Valdemar et Ingebjørg à tes cotés au pensionnat.

Tu t'es jamais senti aussi proche d'eux et t'aimerais que cela reste ainsi pour toujours.

Tu rentres avec ta valise et défais ton manteau avant qu'on te le prennes pour le ranger avec les affaires des Moller. T'es étonné par l'atmosphère aussi chaleureuse, par les décorations qui viennent égailler tes yeux et par l'odeur qui te ferais presque saliver de suite. Tu dis bonjour à la mère d'Inge et Valdemar qui vient t'accueillir.

- J'ai des choses à mettre sous le sapin également, si je peux bien sûr.

On t'indique où il se trouve -bien qu'il soit assez imposant pour que tu le trouves seul-. Un sapin comme dans les films avec des cadeaux à ses pieds et l'étoile au sommet. Et une fois ton méfait accompli, tu sens quelque chose tirer sur ton pull. Baissant la tête, tu remarques alors une petite que tu trouverais presque trop mignonne. Tu souris, bienveillant.

- Oh, tu dois être Freja toi ! Ta grande sœur m'a beaucoup parlé de toi. Tu t'abaisses pour qu'elle te fasse un bisous sous la joue en guise de bonjour et tu restes à sa hauteur. Ça te dis qu'on la surveille à deux ce soir pour pas qu'elle fasse de bêtise ?

Petit sourire mutin, elle acquiesce. Tu lui ébouriffes les cheveux, alors qu'Ingebjørg n'est qu'à quelques pas... et qu'elle a surement tout entendu.

C'est mal d'essayer de se mettre dans la poche les petits comme ça, Esteban.

Tu l'as laisses parler et va rejoindre le monde en cuisine ensuite.

- Je vois que le délégué des A est au fourneau avec son plus belle uniforme ! Foutage de gueule, tu attends qu'il se retourne vers toi pour continuer. Salut, Val' j'espère que tu vas bien ! Je peux aider à quelque chose ici ?

pv les Moller •• #3399ff

©Gau

Depuis que les Møller avaient mis leurs mains à la pâte, Valdemar n'avait cessé de grogner. Non, on ne pouvait pas mettre ces bougies asymétriques sur la table ! Et ce serait un crime de ne pas assortir les coussins avec la nappe, ou de servir de la sauce tiède avec le canard. Comme un vrai officier de guerre, il n'avait cessé de faire des allers-retours entre la cuisine et la salle à manger pour bien passer derrière le travail de ses deux sœurs. Pourtant, malgré tous ses ronchonnements en tout genre, il adorait les fêtes de fin d'année. Bien sûr, il ne l'admettrait jamais devant sa chère famille parce qu'il fallait garder sa crédibilité de leader en leur mettant la pression pour mettre en place un repas PAR-FAIT. D'autant plus que cette fois-ci, ils avaient un invité de marque, et ce pour la première fois. Il fallait donc que son ami passe une soirée inoubliable, c'était décidé.

Alors forcément, l’aîné de la famille s'était montré insupportable toute la journée. A en croire sa logique, on n'obtenait un travail parfait qu'en hurlant sur son prochain. D'ailleurs, il s'apprêtait à réprimander une nouvelle fois Ingebjørg sur la façon stupide dont elle s'était mise en danger en essayant d'accrocher l'étoile en haut du sapin, mais la sonnette de la maison retentit avant qu'il n'ait pu mettre un pied en dehors de la cuisine. Quoi, déjà ? Mais... Il n'avait pas encore fini de décorer le gâteau correctement, et certains des plats cuisaient encore sur le feu. Perfectionniste, Valdemar ? Mais non, pas du tout ! Vous rêvez.

— ESTEBAN !!
— Ingebjørg, je t'ai déjà dit mille fois que crier sur les gens et leur percer les tympans n'est pas une façon correcte de leur dire bonjour, pesta t-il depuis la cuisine, mais malheureusement pour lui, personne ne l'entendit avec les bruits des oignons qui revenaient dans la poêle, et puis ne lui fais pas de câlin, la dernière fois t'as failli lui briser au moins trois os !

N'obtenant aucune réponse, il se contenta de grogner en rajoutant des pépites de chocolat et des framboises sur le gâteau aux pommes. Ce n'est que quelques minutes après qu'Esteban rentra dans la cuisine, se moquant de son tablier en guise de bonjour. Il fallait vraiment qu'il arrête de traîner avec sa sœur, elle avait une très mauvaise influence sur lui. Et il était hors de question qu'il les laisse se liguer contre lui.

— Je te signale que tous les grands chimistes portent des blouses pour éviter de se renverser des produits dangereux dessus. C'est la même chose pour les cuisiniers avec leur tabliers. Au moins, je n'aurai pas de traces de farine sur ma belle tenue de noël. Il croisa les bras, une cuillère en bois dans la main et l'air assez mécontent de la remarque de son ami, mais en quelques secondes son expression changea en un large sourire. Bonsoir, Esteban ! Je suis ravi de te voir. Et il lui tapota l'épaule en guise de salut, le poussant hors de la cuisine par la même occasion. Ça va pas, non ? Tu es notre invité, va plutôt t'installer sous la table. De toute façon, tout est prêt. MAMAN, PAPA ! FREJA, FRANKENSTEIN ! On passe à taaaable !

Et il conduisit son ami dans la salle à manger, non sans attraper au passage des chaussons hideux en forme de cerf pour les lui prêter. Après tout, il n'y avait pas de raison qu'il soit le seul à avoir l'air ridicule, avec son tablier plein de tâches. « Tiens, c'est pour pas attraper froid. Et tu peux pas refuser un tel cadeau parce que je l'ai acheté exprès à ta pointure, en sachant que tu viendrais séjourner chez nous. »

Oui, c'était bas. Mais c'était de bonne guerre et grâce à lui, son meilleur ami n'attraperait pas de rhume.

— J'espère que tu ne ronfles pas, sinon je devrais t'étouffer avec mon oreiller. Mais en principe, tout le miel qu'on met dans notre cuisine t'évitera d'avoir le nez bouché. Oui, quoi de mieux qu'une petite pique pour débuter une conversation ? T'es pas trop fatigué du voyage ? Mon père a été gentil avec toi, il n'a pas cherché à te faire peur ? Oh, et tu as faim, j'espère ? Tant de questions, si peu de temps. Il faut dire que ça faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas vus, et qu'il avait un paquet de choses à lui raconter.

pv Esteban & Inge

©Gau