The day has come || Destimir

C'était une étrange phrase qui se répétait dans sa petite tête d'enfant.
“Je vais aller au bal de Noël.”
C'était une étrange phrase, dans laquelle le pronom utilisé la faisait sonner improbable et digne d'une mauvaise fanfiction.

Pourtant, la jeune misanthrope se rendait bel et bien au bal de Noël organisé par le pensionnat. C'était la première fois qu'elle y allait, comme c'était la première fois qu'elle allait à un bal et la première qu'elle allait en soirée. Cette fête répondait à un grand nombre de critères attisant son agacement, à vrai dire. Une foule de gens concentrés en un petit périmètre ; de la mauvaise musique susceptible de la rendre sourde jusqu'à la fin de son existence ; des gens venus pour s'abrutir, se saouler et se trémousser bêtement jusqu'à la fin de la soirée... Quel en était l'intérêt ? Elle-même ne parvenait à le dire ; la seule réponse qu'elle parvenait à donner c'était “pour faire plaisir à Casimir.”

Pourtant, l'année dernière elle avait catégoriquement refusé sans la moindre once de compassion. Alors, pour quelle raison cette année avait fait exception ? À cela non plus elle ne parvenait à y répondre. À vrai dire, elle n'était pas d'humeur à froidement refuser son invitation, ni même à se montrer particulièrement méchante avec le blond depuis leurs retrouvailles. Elle qui s'était imaginée une persécution harcelante de sa part durant 7 mois et l'avait haï pour cette raison, elle avait balayé ce sentiment en comprenant que c'était faux. Une fausse idée, hein ?

Cela avait mis du temps pour se développer, mais il y avait bien quelque chose à présent. Elle ne savait pas réellement pourquoi, mais elle avait pris la peine d'enfiler une jolie robe rose saumon munie d'un large ruban noir en guise de ceinture, autour de la taille. Elle avait coiffé ses cheveux mi-longs en une tresse couronne — elle ne savait pas réellement pourquoi non plus. Elle avait même fait un effort pour le maquillage. Tout cela sans l'aide de personne. la Fille du Diable et la Chinoise avaient beau voulu l'aider, elle avait catégoriquement refusé — hors de question d'exprimer son envie de faire des efforts, et encore moins venant de ces deux choses. Elle savait pertinemment qu'on le lui ferait remarquer durant la soirée — et elle savait qu'elle serait le centre d'attention de certains.

Malgré tout, cela ne l'avait pas rendue spécialiste des codes sociaux pour autant ; l'idée même de faire tout le chemin avec son cavalier ne lui avait pas effleuré l'esprit une seule fois. Ainsi, elle lui avait donné rendez-vous devant l'entrée du bal, à la Grande Place, sans contestation possible. Destiny n'était finalement pas encore prête à abandonner son tempérament solitaire au prix des conventions. Et son côté quelque peu robotique l'avait incitée à se rendre en avance au lieu de rendez-vous.

Enveloppée dans le froid environnant, la jeune demoiselle marchait doucement mais sûrement, jusqu'à ce qu'elle atteignit une sorte d'entrée gardée par un jeune homme. Mais apparemment, elle était contrainte à attendre l'arrivée de son cavalier avant de s'aventurer plus loin...

“On ne peut entrer sans son cavalier, hein ?” Destiny grimaça légèrement. Elle pouvait percevoir une forme de logique dans cette règle traditionnelle — Vladimir le lui avait expliqué. Mais... pour les gens qui avaient froid ? “Ils doivent rester dehors jusqu'à chopper une pneumonie ou bien ?” Peut-être qu'elle aurait mieux fait d'accompagner Casimir au lieu de jouer le loup solitaire de la tribu. Heureusement, le jeune C n'était pas connu pour battre des records de retard. Il devrait bientôt arriver. Et si... et si Malice en avait profité pour le dissuader de venir...? Non, non ! Malice allait au bal avec Myrcella, et bien que l'idée lui déplaisait, cela lui garantissait au moins que la blonde serait présente au bal. ... N'est-ce pas ?

Mais pourquoi s'en inquiéter ? De toute manière il n'y aurait plus jamais de rentrée de janvier.

Après quelques minutes, elle vit d'abord arriver quelques têtes familières, notamment un couple de bruns très reconnaissable — malheureusement — et connu pour être aussi cancérigène que de rester dans une cabine à UV pendant sept jours. D'ailleurs, lorsque le mélange gallois et chinois aperçut la petite rose, ils esquissèrent respectivement un large sourire malicieux extrêmement explicite — ce qui fit grogner la A — avant de continuer leur route. Peu de temps après, elle repéra Casimir sortant d'un voile d'obscurité. Le jeune homme était, pour une fois, sur son trente-et-un. Un costume, qui différait de son costume de justicier ou même de ses tenues habituelles. On ne pouvait nier que cela changeait quelque chose en lui. Même Destiny peinait à retrouvait l'air enfantin si propre au C.
Légèrement impressionnée, elle se tourna complètement vers lui afin de lui faire face.

— Yo. commença-t-elle brièvement.

Elle se tut, ne sachant quoi ajouter de plus. Destiny n'avait jamais été réputée pour formuler des salutations élaborées, surtout pour une occasion aussi spéciale. Elle attendit plusieurs secondes avant de poursuivre.

— J'imagine que je devrais commencer par complimenter ta tenue ? Hmm... je dois avouer que c'est classe. Elle marqua une pause, esquissant un bref sourire. De mon côté j'ai aussi tenté de faire un effort pour me fondre dans la masse ici. Après tout, c'est mon premier bal, le dernier de Prismver et certainement mon dernier bal... soupira-t-elle.

Elle détourna le regard en direction de l'entrée, duquel sortaient quelques rayons de la lumière artificielle qui devait envahir le chapiteau. La buée s'échappant de ses lèvres lui rappela qu'elle était sensible à la basse température de l'extérieur ; elle se retourna donc à nouveau vers Casimir.

— Hmm, ça caille ici, je propose qu'on continue. proposa-t-elle.

Elle fit signe à Casimir de l'accompagner avant que ce dernier ne fonçât vers le jeune homme gardant l'entrée, destiné à passer la soirée dans le froid en compagnie de la solitude, tandis qu'il entendrait des gens s'amuser à l'intérieur. D'ailleurs, pour entrer, elle devait avaler un verre rempli d'une substance indéterminée qui titilla son signal d'alerte. Les mains hésitantes, elle mit plusieurs secondes avant de réaliser qu'elle n'était pas la première à ingurgiter cet étrange liquide et qu'aucun scandale n'avait encore éclaté. Mais peut-être que ce n'était qu'une question de temps... Non... Non personne ici ne voudrait déclencher un tel problème, et pour quelle raison ? Mais alors... à quoi servait ce verre ? En voyant Casimir le boire, la jeune rose se résigna à suivre la marche. Un croisement se dressa ensuite devant eux, l'un des chemins se prénommant "Tapette" et l'autre "Guerrier". Bien entendu, le héros s'engouffra sans hésitation et plein d'entrain dans celui des grands guerriers, alors que Destiny soupira avant de le suivre. À mi-chemin, il fallut piocher un bonbon dans une boîte pour continuer sa route, et c'est ce qu'elle fit, d'un geste résigné. Enfin ils atteignirent la fête.

Elle traversa ensuite l'entrée du chapiteau avant de se figer sur place, quelque peu frappée par la décoration qui ornait l'immense salle du bal. Un rideau d'étoiles recouvrait le ciel d'hiver qui devait s'étendre au-dessus d'eux. Elle baissa les yeux pour apercevoir une multitude de gens danser ou rythme — ou non, cela dépendait de qui — sur la scène. La musique résonnait dans toute la salle à un volume probablement prohibée par les conventions — et pour penser cela, la petite Vermeil ne souffrait pas même d'une quelconque hypersensibilité.
En un sens, Destiny était impressionnée. Mais de l'autre, elle ignorait ce que l'on pouvait faire à ce bal. Elle jeta un regard un peu blasé mais surtout interrogateur vers Casimir.

— Bon, on fait quoi ? Je sais pas ce qu'on est censés faire ici, ni même ce qu'il y a d'intéressant par là. Donc je te suis. Pause. Ah, par contre si l'on pouvait éviter Malice, Vladimir et Chan, ce serait top : mon petit doigt ne dit qu'ils complotent contre nous ce soir.

Tu parais si motivé,
et pourtant si stressé,
Casimir...

Tu possèdes cette petite étincelle qui t'est si propre, à toi et à ton énergie ; on aurait dû s'en douter, mais quand bien même tu te retrouves à un bal avec ta dulcinée, tu tiens à dévoiler ton originalité à travers ta cravate — c'est certainement mieux ainsi, pense-t-elle. Elle s'attendait à ce que tu dénonces cette promenade de santé avec ce ton si scandalisé, que tu aurais souhaité prouver ta bravoure et tes aptitudes dans un combat acharné contre des "vilains" comme tu les appelles si bien... Elle ricane de te voir face à des confiseries qui peuvent à peine se vanter d'être l'ennemie de ton émail dentaire, bien qu’elle-même en ait emmené une avec elle.

Un regard vers la foule… A en voir l’entrain des autres, et le tien, elle se dit que pour la première fois, elle devrait écouter les conseils idiots de son mentor niais répondant au même prénom que l’ordure dirigeant la Russie ; elle devrait profiter un peu et cesser de se prendre la tête pour des bêtises, cesser de rester spectatrice avec cette posture tendue et cripsée. Mais tu sais, Casimir ? C’est loin d’être une tâche aisée quand on se prénomme Destiny ; elle est consciente que ce soir, sa venue au bal avec toi ne va pas laisser certaines de ses connaissances indifférentes, que ce soit en bien ou en mal. Même pour… ce jeune homme dont la chevelure s’accorde avec la cravate de sa classe, tiens. Tu sais, Destiny le connaît à peine, le juge plus fatiguant que la majorité des humains dont elle supporte l’existence – à l’exception des moments où il tourmente Madeline ; ceci dit cela ne l’empêche pas de sentir une violente tension dans sa poitrine car… car elle a vu ce regard un peu trop bref sur elle, elle sait… elle sait que… que vous parliez d’elle alors elle formule des hypothèses dans sa petite tête rose sur les éventuelles remarques qu’il te fait. Qu’est-ce qu’il peut bien te dire ? Qu’est-ce qu’il peut bien te dire au sujet de ta jeune cavalière ?

Essaie-t-il… de te faire réaliser qu’elle n’en vaut pas la peine… ?

Elle ne parvient guère à aboutir à une conclusion positive malgré les possibles scénarios dont elle tisse le fil… Aucune. Quelque part, lorsqu’elle voit arriver une autre chevelure rousse accompagnée d’une voix brutale, elle soupire de soulagement… De soulagement car cette jeune inconnue est parvenue à chasser le sujet de ses craintes, te laissant, par la même occasion, quelque peu étonné. Elle se calme doucement... En réalité, elle se demande pour quelle raison elle panique autant… Pour quelle raison, cela lui tient tant à cœur… Car quelque part, c’est sa dernière soirée ici. Après cela, on l’oubliera.

Elle est déjà résignée à l’idée que personne ne voudra la revoir par la suite.
Ca, elle en est certaine.

Tu réponds qu’apparemment les fêtes ne sont faites que pour se saouler et danser ; et elle doit t’avouer que ces deux occupations sonnent ennuyeuses voire détestables à ses oreilles : tu sais, Destiny n’a jamais eu de problèmes ou de traumatismes liés à l’alcool comme toi tu l’as autrefois expérimenté – sans jamais l’avouer. Pourtant son avis sur le sujet n’en reste pas moins tranchant et rempli de mépris à la vue de tous ces abrutis prétextant qu’une soirée sans boissons alcoolisées ne peut se vanter d’être une soirée de qualité. Quels pauvres crétins. Quant à la danse, la demoiselle n’a jamais appris à bouger en rythme avec la musique, encore moins en compagnie d’un cavalier comme toi, et elle n’a jamais trouvé la motivation de changer cette opinion.
Cela dit, tu n’as pas l’air convaincu par ses avertissements concernant Malice, et elle sait… elle sait qu’elle ne saura te convaincre avec la méthode la plus pragmatique et raisonnable. C’est peine perdu. Elle essaie donc d’adopter une posture droite et confiante pour jouer ton jeu. Car Malice doit à tout prix se tenir loin de vous deux. A tout prix.


— Si. Car elle rit de voir qu’elle est parvenue à te berner et que tu ne la soupçonnes de rien. Aucun doute possible. Quant aux deux autres, je les ai vus ricaner et comploter tout à l’heure. réplique-t-elle sûrement.


Ton long silence ainsi que tes regards centrés sur le décor la font se demander si tu as prêté attention à ses paroles. Tu l’inquiètes un peu… à poser tes yeux un peu partout. Puis finalement, dans tout ton entrain, tu lui proposes de danser en avançant des arguments farfelus dont elle devrait être habituée. Et pourtant elle reste silencieuse, interloquée, te laissant simplement comprendre son hésitation grâce à ses yeux affichant toute sa surprise.


— Danser ? Euh c’est vrai mais… chuchote-t-elle.


Oh, ne pense pas qu’elle hésite par manque de répartie, car elle saurait quoi dire pour contrer tes arguments, elle aurait pu te répondre que « les reptiliens trouveraient suspect qu’elle se mette à danser. » Ou une autre excuse bidon qui saurait t’interpeller malgré son absurdité. Destiny est réticente à l’idée d’accompagner les gens dans leurs déhanchements ridicules, aussi bien qu’à l’idée d’être exposée au milieu de la foule. Ceci dit, elle se voit mal refuser ton invitation, quelque part elle n’en a pas envie. Ton instant de déception la fait davantage hésiter, son regard se posant à de multiples reprises sur les pensionnaires régnant déjà sur la piste réservée aux danseurs – ou à ceux qui aiment prétendre l’être, à en juger leur… talent. Comme pour y chercher un indice qui la ferait trancher. C’est finalement ta réponse qui la convainc, parce que quelque part, Destiny se situe dans la catégorie des personnes qui ne prennent jamais d’initiative par eux-mêmes. Il faut la secouer un peu, un peu pour qu’elle abandonne ses consoles et l’ombre de sa chambre dans laquelle elle pourrait se loger jusqu’à son dernier souffle. Elle te regarde en soupirant sur un ton blasé, non pas un soupir de refus mais de résignation, un peu forcé.


— Je suis pas si fan du chocolat, mais bon, ce serait con que tu fasses une indigestion pour une danse. répond-elle  avec un drôle de sourire forcé.


Elle t’accompagne timidement jusqu’à la piste, restant figée quelques secondes tandis que ses yeux intimidés dévisagent les alentours ; ses épaules légèrement tendues, elle peine à les mouvoir pour leur donner une allure classe, ou bien élégante – deux adjectifs qu’elle utiliserait bien pour qualifier les autres danseurs, elle doit l’avouer, à cet instant précis. Surtout par rapport à elle. La musique est dynamique. Elle ne sait pas réellement ce qu’elle est censée faire, alors elle essaie de t’imiter un peu ; elle ignore même si elle est censée se rapprocher de toi, elle jette des coups d’œil aux alentours comme pour trouver un exemple à suivre – elle affiche beaucoup d’assurance, la petite rose, mais dans le fond elle craint faire un trop grand faux pas, un faux pas fatal. Cette crainte ne veut pas partir, quand bien même elle se persuade qu’à présent, cela n’a plus d’importance. Plus aucune importance.

Elle ignore pour quelle raison mais… à cet instant précis, elle a la sensation que quelque chose vient de la pousser en ta direction, afin de réduire d'un simple geste la distance qui vous sépare.

Quelque peu déboussolée, elle tombe presque sur toi, juste suffisamment fort pour te bousculer sans te faire tomber, et lui laisser la possibilité de se redresser par réflexe. Son cœur commence à battre la chamade, l’effet de surprise l’ayant hautement perturbée. Elle te quitte du regard et retourne ses yeux derrière son dos, un air menaçant se logeant dans ses iris couleur guimauve, comme pour foudroyer le responsable de cette mauvaise plaisanterie. Quelle plaisanterie de mauvais goût.

Rien.

Personne qu’elle ne connaît ; elle fait face au dos d’une jeune fille qui se déhanche d’une façon trop obscène. Mais elle sait que la sensation qui s’est appuyée sur elle n’était pas un dos, ni même rien qui pouvait appartenir à un corps physique. Elle reste sur ses gardes, se retourne vers toi au ralenti, comme choquée de ce qui vient de se passer.


— C’est qu’une hypothèse mais… Silence. Mais je crois que notre couverture est grillée. Par qui, cela dit, j’en sais rien. On devrait bouger finit-elle en surveillant les alentours du coin de l'oeil.


Ses pupilles se dirigent par hasard vers le stand de boissons disposé dans un coin de la salle ; il se pose d'abord sur Malice, Malice qu'elle croit responsable dans une seconde de doute. Mais la raison revient, évaluant la distance, les intentions et surtout... cette drôle de fascination avec laquelle elle observe Myrcella — fascination réciproque à en juger l'attitude de la brune... Puis, comme pour ne pas perdre de temps, ses yeux se posent sur une Chinoise qu’elle ne porte aucunement dans son cœur, une Chinoise dont le sourire malicieux et naturel l’horripile ; une Chinoise bien entendu accompagné du paysan, se servant un verre de vin rouge au bar tenu dans un coin de l'immense salle.


— Casimir... susurre-t-elle en soulevant discrètement l'un de ses doigts en direction des stands.


Elle n’en est pas tout à fait certaine mais…
Avant que le DJ ne démarre une musique un peu plus douce.
Destiny est persuadée qu’en l’espace d’une seconde ou deux...


— T'as vu la même chose que moi ? dit-elle avec une pointe d'espoir, presque de gaieté mais également de frayeur.


Elle a vu le verre de l’Asiatique se soulever tout seul dans les airs.