Qu'est-ce que tu faisais dans ces foutus jardins ?
Ah oui.
Pour la science.
T'en revenais pas de toujours faire ce genre de trucs en sixième année ; ces expériences un peu bancales que tu menais d'un œil désintéressé pendant que t'étais penché sur du Jules Vernes.
Au fond de toi t'avais même eu la petite impression que cette grande mascarade avait été faite dans le but de t'enfoncer, de te faire un peu criser, de te pousser hors de tes retranchements. Tu n'avais pas pu inventer ce regard que le professeur t'avais lancé, te disais-tu, il avait forcément monter ça contre toi.
Avoir comme devoir de faire pousser une fleur à partir d'une petite graine donnée – et d'y arriver – pour avoir un A, c'était forcément dirigé sur ta personne. C'était un comble, c'était incroyable. Et évidemment que t'avais tué cet embryon floral avant même qu'il n'entre dans le stade fœtus. Tu n'avais pas pu te pousser à voir s'élever dans ton espace personnel ce que tu exécrais le plus.
Sauf que maintenant la date butoir approchait et tu te retrouvais avec un pot de terre vide qui contenait ton enfant d'adoption mort. L'idée te fit frissonner et tu secouas la tête.
Ce professeur de science avait vraiment un jargon à en faire pâlir d'horreur un croque-mort.
Et bon, enfin, voilà, maintenant si t'étais dans l'endroit de Prismver que tu évitais normalement le plus, c'était pour – bon d'accord, fallait le comprendre –, pour tricher. La place était si verdoyante et contenait en elle seule tellement de variétés de plantes différentes que tu allais forcément trouver celle que l'on t'avait confié. Généralement tu ne trempais pas dans ces affaires là, où tu avais recours à des subterfuges pour garder tes notes élevées – mais t'avais essayé, vraiment, de te dire que celle-ci n'importait pas et qu'il ne fallait pas te prendre la tête avec cette tyrannie scolaire, en vain.
Encore une fois, t'avais choisi la méthode qui te ferait le plus grincer des dents. Peut-être que la triche ce n'était pas de ton calibre ordinaire, mais sinon, c'était vraiment tout toi.
Le pot de terre méticuleusement trimballé dans un sac de sport, tu parcourus du regard les différentes couleurs qui marbraient le sol avec un certain dédain. Tes épaules hautes et le moral six pieds sous terre, tu poussas un profond soupir lorsque tu aperçus le type de fleur que tu recherchais.
De tes mains, tu creusas hâtivement autour de la plante, et bien que l'envie de l'arracher était extrêmement tentante, tu te retins pour la sortir, elle et ses racines, avant de la laisser tomber dans le pot. Tes yeux noisettes la foudroyèrent, car tu savais parfaitement que si tu voulais la garder intacte tu ne pouvais pas juste la fourrer dans le sac – elle se plierait et ses pétales finiraient par tomber, et tu ne te voyais vraiment pas devoir les ramasser et les jeter à la poubelle
((ou les brûler, mais après la bibliothèque, tu évitais tout bonnement de penser à la braise
à la chaleur
t'y retournerai pas))
après avoir fait tout cet effort pour la ramasser.
Nouveau soupir, un regard autour de toi, loin de toutes ces couleurs qui te donnaient tout bonnement la nausée, mais cet arc-en-ciel se retrouvait partout et t'agressait la rétine – c'en devint presque un challenge de trouver une teinte qui n'était pas apparentée à ces éclosions de vie. Une défaite programmée d'avance ; enfin supposément.
Quelle fut ta surprise lorsqu'en te concentrant, tu captas une forme qui n'avait pas sa place entre deux géraniums vivaces et une gentiane.
Tu bloquas tes yeux qui menaçaient de rouler d'eux-même à ta propre culture florale, et t'approchas de cet détail qui t'intriguait.Ta curiosité te tenait fermement par la manche et te guidait vers ces plants alors que la forme se distinguait. Une fois arrivé à niveau tu laissas échapper un petit
«
Huh. »
Tu allais transporter deux choses, finalement.
Et ça ne serait pas cet objet qui finira dans le sac.
•
En rentrant dans ta cabane, tu balanças le pot sur ton bureau,
((il oscilla de gauche à droite, de droite à gauche, de gauche à droite, jusqu'à finalement se rattraper
phew))
enlevas tes chaussures et déposas – enfin – avec une délicatesse mesurée, l'objet que tu avais trouvé.
«
Je n'en reviens pas... » Tu murmuras en t'asseyant à ta chaise, le regard fixe sur l'appareil photo. «
Elle doit totalement criser. »
Cet appareil photo, tu l'avais déjà vu, collé à Ivy, dans ses mains, contre son torse ou alors sur son œil, pendant qu'un autre se retrouvait fermé – paupières collées alors qu'elle s'apprêtait à arrêter le temps et le rendre prisonnier d'une cage numérique.
Jamais très observateur, c'est peut-être pour ça que t'avais eu l'image d'une maman kangourou avec son petit, confortablement installé dans sa poche, lorsque t'avais vu la blonde avec.
Ça n'avait été l'histoire que de quelques fois, mais ça crevait les yeux que cet appareil était cher à son cœur – une extension de sa main qui se baladait avec elle, de quoi se sentir vide lorsqu'elle ne l'avait pas.
Fallait que tu lui rendes.
Ton regard dériva sur ton bureau.
Fallait que tu finisses ton devoir de Mathématiques.
Rectification.
Fallait que tu commences ton devoir de Mathématiques.
Bon bah ça serait un LMS alors. Prenant l'un des rares stylos fonctionnel éparpillé sur l'innommable bazar qui gouvernait ton espace de travail, tu gribouillas hâtivement un mot simple mais bref :
J'ai retrouvé ton appareil dans les jardins ; il est sain et sauf, viens le chercher dans ma cabane. Tu te levas, t'apprêtas à le confier à Curt, ton lézard qui lézardait mais qui ne lésinait jamais au travail – lorsque ce dernier avala le message. Tout rond. Tu serras la mâchoire et pris une profonde inspiration.
Ah oui. C'est vrai qu'il faisait ça.
Le cœur scindé en deux tu admiras tes mathématiques et tu admiras la possibilité que Curt boulote les cinq autres messages que tu aurais la présence d'esprit de lui confier et décida, d'un commun accord avec ta patience et ton amour pour la gente animale, que tu serais bien plus apte à gérer avec les siennes de ton lézard après t'être un peu reposé la tête.
Déblayant un peu ton bureau et jetant deux trois dossiers (que tu avais préparé pour Ivy et que la jeune fille elle-même t'avait donné) sur le lit, tu te mis au travail. Du coin de l'oeil tu pouvais apercevoir l'appareil, et ce dès que ton regard se perdait loin de ta copie, dans une tentative de réflexion plus poussée.
Et à chaque fois t'avais cette culpabilité qui te rongeait l'estomac – pour quoi, vraiment ? Parce que t'avais valorisé ton devoir de mathématiques et n'avait pas pris la peine de vérifier ne serait-ce que la cabane d'Ivy pour lui rendre un objet qui lui était cher ?
Pff. Non.
Tu vas quand même le mettre sur une étagère juste pour être sûr, question de... concentration, voilà.
Hm.
Donc, les mathématiques.
Ce n'est pas comme si tu n'allais pas lui rendre de toute façon, hein. Tu allais lui rendre.
Math.
Y'a peut-être un moment où va falloir que t'arrêtes de psychoter pour un rien. Le seul risque c'est que t'oublies – t'oubliais les choses si facilement, c'en était maladif, peut-être que tu devrais consulter ? – mais c'était juste impossible, catégoriquement hors de question que tu oublies un élément aussi important de ta soirée. Un élément aussi important dans la vie d'Ivy.
Tu poussas un soupir. Ça ne servait à rien de tergiverser, ta décision était prise et si tu restais inutilement indécis, tu n'avancerai dans aucune des deux situations. Tant que tu avais encore la tête dans des calculs, tu décidas d'achever cette tâche plus que laborieuse, tout en gardant dans un coin de ton esprit secondes et minutes.
Tu n'allais pas oublier, te répétas-tu les cinq premières minutes.
Les dix suivants, tu cessas de te dire la phrase, mais tu y gardas une pensée.
Les trente d'après ne laissèrent dans ton esprit que l'image nette et précise de l'appareil photo.
Puis l'heure passa et
bien sûr, tout s'effaça.
En finissant, un détail te démangea l'arrière du crâne et en cherchant, tu étais persuadé que tu avais oublié quelque chose sans mettre le doigt sur quoi exactement.
Tu haussas les épaules et te dit que ça allait te revenir tout seul.
Après tout, tu ne l'aurais pas oublié si ça avait été important.
Et sur cette note, tu revins à ta routine quotidienne, t'affalant sur ton lit, Curt se replaçant correctement après que tu eus perturbé sa sieste continue. T'avais le nez plongé sur des ouvrages de psychologie que tu devais rendre à la bibliothèque – mais qui maintenant occupaient un statut vacant entre ta possession et celle de l'école. Au moins tu n'aurais plus à te soucier de devoir rendre des livres perdus dans ton beau bordel, et encore moins des dates butoirs qui te pendaient au nez à chaque maudite fois.
Tu tournas une page, puis deux, te fixa quelques longues minutes sur l'article dédicacé au « Déjà-vu ». Bizarrement concentré sur le sujet, tu plissas les yeux – comme si ce banal mouvement pouvait réellement accroître la compréhension d'un sujet et étendre les capacités cérébrales – et sursautas lorsque tu entendis toquer à la porte de la cabane.
Trois secondes. Toc toc toc. Quatre secondes. Les autres pourraient y aller, certainement, peu de chances que ça soit pour toi.
TOC. TOC. TOC.
D'un coup de main résigné tu fermas le livre. «
Bon bah, j'y vais. »
Tu puais la détermination à plein nez, vraiment, manquait plus que tu fasses une galipette et une petite danse et on était convaincu pour partager ton enthousiasme flagrant.
((t'es pas le seul à pouvoir faire du sarcasme))
Les pas aussi aussi traînant que joyeux, tu partis ouvrir, te préparant au froid qui allait assiéger l'endroit et à l’interaction sociale qui allait en découler.
Lorsque tu le fis cependant, toute ta réticence fondit pour laisser place à une charmante surprise. «
Oh, hey Ivy. » La jeune fille, ta compétitrice d'une certaine façon et amie, se tenait devant toi, avec ses longs cheveux blonds et ses grands yeux bleus. Une vision normale – même excitante d'ordinaire, car elle ne serait pas venue si elle n'avait pas quelque chose à te montrer. Mais y'avait autre chose, la même chose qui te démangeait l'arrière du crâne avant. Tu te décalas de la porte pour la laisser entrer, assez poli et suffisamment ancré sur terre pour ne pas la garder plus longtemps dans ce froid, mais non sans avoir l'air pensif.
«
Hey » tu croisas les bras. C'était bête mais ça te torturait l'esprit. «
On s'est déjà vus aujourd'hui ? »
Si c'est une nouvelle technique de drague Kelly, elle est nulle au possible. Même Jean-Marc Généreux n'oserait pas mettre au-dessus de 3 sur 10 pour cette pitoyable prestation.