Chasse au fantôme

Dans le pensionnat de Prismver, toutes sortes de rumeurs circulent dans les couloirs de l’institut. La plupart d’entre elles concernent les relations qu’entretiennent les personnes entre elles, comme qui couche avec qui, qui sort avec qui, qui est amoureux de qui. Bref, ce genre de rumeurs dont la plupart des personnes ne se soucient que pour avoir un sujet de discussion et paraitre au courant de tout. Les autres rumeurs qu’il peut y avoir concernent des mystères : des disparitions, des évènements étranges qui ne se passent que dans un seul endroit, etc. Mais personne n’y fait vraiment attention, surtout dans cette école où la multitude des pouvoirs que les élèves possèdent peuvent très bien être la source des mystères mystérieusement mystérieux. Cependant, certaines d’entre elles semblent tellement extraordinaires et impossibles, qu’elles arrivent à persister dans les discussions.

Calior, élève de Prismver possédant le don de se transformer en démon, ne sait pas qu’il est à l’origine de l’une de ses rumeurs exceptionnelles et inexplicable. En fait, elle n’a commencée à être entendue de plus en plus souvent lorsque trois élèves sont revenus avec une peur bleue et des dires dépassants l’entendement. Le jeune garçon n’avait pourtant pas cherché à faire peur aux trois élèves qui s’étaient aventurés dans les ruines un soir où il s’y trouvait lui aussi. Il n’avait même pas fait attention à eux à vrai dire. Le fait qu’ils aient eut peur est donc entièrement de "leur faute". Quel est cette rumeur ? Et bien, elle dit qu’un fantôme hante les ruines chaque soir. D’ailleurs, depuis que cette rumeur a commencée à circuler, ils ont été plus d’un à aller voir si les on-dit sont vrais ou qu’inventions. Chacun revenait affirmant avoir vu le fantôme des ruines, certains même avec des photos flous où l’on discernait pourtant une forme. Bref, ce qui était au début un simple murmure devint rapidement l’un des mystères du pensionnat.

Ce soir encore, Calior sortit de sa chambre, se transformant pour aller voler jusqu’aux ruines. Il avait beaucoup de mal à dormir ces derniers temps et préférait alors observer la lune du sommet des ruines, plutôt que sur le toit de l’école où un surveillant pouvait le voir et le réprimander. Les ruines… La douce lumière de la lune filtrait à travers le moindre trou, la moindre fissure pour éclairement faiblement l’intérieur des ruines. Quand le démon arriva face à l’entrée du village en ruine, il reprit sa forme humaine et commença à déambuler dans les maisons. Il ne faisait rien à part marcher, s’arrêter de temps en temps pour se laisser baigner dans la lumière lunaire, bien que celle-ci le laisse aussi terne que la lumière solaire. C’est peut-être que ça que tout le monde le prenait pour un fantôme : aucune lumière ne se reflétait sur lui, il restait constamment pâle et terne. Rien de plus, et ça suffit pour donner la frousse dans un endroit lugubre la nuit.

Calior ne faisait jamais attention à ceux qui, comme lui, se rendait dans le village la nuit. Il marche doucement, lui donnant l’impression de flotter. Il n’affiche aucune expression comme à son habitude, comme un fantôme. Cela doit aussi jouer en la faveur des pauvres aventuriers. Bref, pour en revenir à notre pseudo-fantôme, il se rendit à l’église du village, tout aussi en ruines et s’envola pour aller se percher sur son sommet pour regarder le ciel étoilé. Il savait pertinemment qu’il n’allait pas dormir de la nuit, mais il ne savait pas qu’il allait encore effrayer un groupe venu voir la rumeur dont il était la source sans le savoir. Il se contentait d’observer la lune argentée qui illuminait le village abandonné.

Calior restait là, à regarder la lune qui éclairait doucement son visage sans couleurs. Il s’interrogeait sur le manque de sommeil qu’il ressentait : était-ce un contre coup de son pouvoir ? Etait-ce le démon maléfique en lui que se manifestait et son corps réagissait instinctivement pour l’empêcher de prendre le contrôle en restant éveillé constamment ? Etait-ce le changement radical d’endroit qui lui faisait cet effet ? La peur de l’inconnu ? La foule de personnes se trouvant au pensionnat ? La peur de les blesser ou pire, de les tuer ? L’enfant démon ne savait pas pourquoi, mais tous son corps refusait obstinément de dormir et se reposer. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayer : l’infirmière lui a donné des somnifères, mais ça n’a duré que deux jours, passé ce temps, son corps avait fait comme un rejet à ce produit et il vomissait les somnifères moins de quinze minutes après les avoir avalés. Mais seulement, son corps montrait tout de même des signes évidents de fatigue : il avait régulièrement des maux de têtes, des pertes de l’appétit, des douleurs musculaires et articulaires et des pertes de connaissances de moins de dix secondes. Il était clair que son corps était à bout, mais impossible de dormir…

Cela faisait donc bientôt deux semaines qu’il ne fermait plus l’œil de la nuit. Heureusement pour lui, il n’était pas quelqu’un de normal : il était plus résistant que son corps frêle pourrait le supposer, sûrement grâce – ou à cause selon de le point de vue – de son pouvoir de se transformer en démon, qui est une espèce bien différente de celle des humains et plus tenace aussi. Sinon, il se serait depuis longtemps évanouit. Enfin, il le pense, car en plus d’être fatigué, il ne mange pas autant qu’il le faudrait. Il n’était donc pas au meilleur de sa forme. Cependant, ça ne l’empêchait pas le moins du monde d’utiliser son don, comme si l’un n’affectait pas l’autre et que son pouvoir ne le faisait pas seulement prendre une autre forme, mais lui donnait un corps qui se reposait pleinement quand il n’en prenait pas le contrôle. Bien sûr, ce n’était pas du tout sur ça que reposait son pouvoir, mais c’était l’impression qu’il avait parfois.

Du haut de son perchoir – assis sur le sommet de l’église en ruine – il entendit au loin deux personnes franchir le périmètre jusqu’où il pouvait étendre son ouïe, il faut dire que son pouvoir de démon déteignait sur lui et qu’à force de l’utiliser, intentionnellement ou non, il finissait par agir même lorsqu’il n’activait pas son don, il avait une ouïe beaucoup plus développé que la majorité des humains normaux et une vue aussi qui lui permettait de voir plus loin et mais aussi dans la nuit, quoi de plus normal pour un démon ? Il entendit et vit donc le couple entrer dans les ruines, l’un criant à tue-tête quelque chose à laquelle Calior ne prêtait pas attention et l’autre criant sur le premier. Il les fixa un court instant avant de retourner à l’observation de cette lune qui le rassurait.

Ces derniers temps, bon nombre de personne se rendaient dans les ruines. Le garçon démon avait même pensé à changer de lieu pour observer l’astre de la nuit, mais il n’avait pas trouvé d’autre endroit sans professeurs ou surveillants pour lui ordonner de retourner dans sa chambre. Alors il se contentait de les ignorer, ils devaient de toute façon venir ici dans le seul but de chercher à se faire peur, sûrement à cause de cette rumeur sur un fantôme qui trainerait la nuit dans les ruines. Personnellement, Calior ne l’avait jamais rencontré, enfin c’est ce qu’il se disait car il ne savait pas qu’il était la source de cette rumeur et que sa tête de fantôme était la cause de toutes ces personnes qui cherchaient à vérifier cette rumeur, totalement absurde au premier abord, mais qui a fait son petit train de chemin dans cette école où l’anormal est habituellement normal – ce qui était donc un exploit en soi.

Calior n’arrivait pas à détacher les yeux de l’astre grisâtre. Cela faisait tellement du bien de pouvoir l’observer de tout son soûl, après tout, il avait été enfermé tout jeune pendant plusieurs années sans voir, ni le soleil, ni la lune. Sa cellule dans les sous-sols ne comportait aucune fenêtre ou infime lucarne qui lui permettait de voir le moindre rayon de lumière. La seule lumière qu’il connu pendant ses années coupé du monde, ce fut seul des cierges de l’église. Le feu, ni les bougies, ne lui faisait pas pour autant peur, alors qu’il avait faillit être brûlé vivant sur un bûcher. Il en gardant un mauvais souvenir tout au plus, mais ça ne lui faisait pas du tout peur. Comme les églises ou les prêtres. Calior n’avait pas non plus peur des foules, il était seulement mal à l’aise avec du monde. En fait, la seule chose qui l’effrayait au plus au point c’est de tuer à nouveau, que ce soit un ami ou même une personne qu’il n’apprécierait pas énormément, tout ce qu’il veut, c’est de ne plus se réveiller au milieu de cadavres, la bouche et les mains couvertes de sang.

L’enfant démon ferma les yeux un instant, voulant chasser toutes ses pensées négatives de son esprit. Il n’aurait peut-être pas dut, car il perdit connaissance pendant ce court laps de temps, comme si fermer les yeux pendant plus qu’un clignement de paupière avait déclenché une perte de connaissance. Le sommet où il résidait n’était pas plat mais en pente, car c’était le toit de la tour où se trouvait la veille cloche de l’église. Sa chute fut donc inévitable. Tel une ombre noir éclairée par sa Sainteté la Lune, il tomba, tomba et tomba encore, sans se réveiller. Le sol se rapprochait dangereusement de lui, mais heureusement, ses pertes de connaissances ne duraient jamais bien longtemps et lorsqu’il ouvrit les yeux et vit le sol, il activa son pouvoir par réflexe, faisant sortir de son dos les grandes ailes noirs de chauve-souris qui lui avait été offerte par son don.

Lesdites ailes lui permirent de se relever à temps avant de s’écraser au sol, mais l’aspiration donnée par la chute l’empêcha de simplement atterrir : comme prit dans un courant d’air, il se laissa porter par le vent, et frôla le sol quelques secondes avant de remonter vers le ciel. Au passage, il survola de près les deux intrus sur son territoire, l’un d’eux tombant à terre à cause du puissant courant d’air provoqué par son vol très rapide… Calior secoua la tête, il se mettait dangereusement à penser comme s’il était un démon… Il était vraiment fatigué et ne devait surtout pas rester plus longtemps sous cette forme. Il décida de se poser rapidement sur une maison à quelques mètres du couple. Il reprit une forme convenable une fois descendu du toit et s’enfonça les ruelles sombres et difficilement éclairés par la Lune dans le but de trouver un endroit où de nouveau se poser sans risquer cette fois de mourir. Quoi que ça rendrait service à bon nombre de personnes s’il perdait la vie ici et maintenant, comme à ses potentielles futures victimes par exemple… Bien qu’il ne sache pas de qui il s’agissait.

Lorsque le démon aux ailes noires se posa enfin à terre, il reprit l’apparence d’un jeune garçon qu’on pourrait qualifier de toute à fait normal. A quelque chose près bien sûr, comme le fait qu’il est le don de se transformer en un monstre effrayant, chose impossible pour un humain normal, et le fait qu’il ressemble plus à un fantôme avec sa peau pâle qui n’arrivait pas à se faire éclairer par le soleil. Mais bon, concernant le premier cas, il n’était pas le seul à être bizarre, puisque dans l’école où il se trouvait, tous les élèves pouvaient faire une chose surnaturelle.

De plus, il n’avait pas le temps de penser à ça. En fait il n’en n’avait plus la force. Il voulait juste une chose dormir. Plonger dans un profond sommeil et ne pas se réveiller avant la prochaine saison. Cela faisait tellement de temps qu’il n’avait pas connu ce sentiment de bien être lorsque l’on s’endort dans un bon lit tout chaud. Ou même sur un arbre, bien que les réveils soient toujours durs. Sa vue se brouillait, il était encore capable de discerner les formes en général, mais pour les détails, il faudra repasser. Il ne savait presque plus quel était l’envers et quel était l’endroit. Impossible pour lui de faire la différence. Il voulait juste dormir…

Mais les maisons en ruines ouvertes aux quatre vents n’étaient pas vraiment un lieu pour piquer un petit somme. Surtout qu’avec son haut en partie en lambeaux, il risquait d’attraper froid très rapidement et de tomber malade à tous les coups. Il se releva difficilement et s’appuyant contre la première chose qui lui tombant sous la main. Une fois dehors, la vue de la lune retint une fois de plus son regard. Etait-ce en réalité son démon qui ne pouvait se passer de l’astre aussi pâle qui lui, mais tellement plus resplendissant ? Il ne savait pas. Il savait en réalité si peu de chose qu’il se demandait sincèrement si un jour il comprendrait la "chose" qu’il était devenu.

Car pour lui, ce n’est pas un don qu’il possède depuis la naissance, mais un changement qui c’est produit sans signes avant coureur. Et ça avait particulièrement empiré depuis son soi-disant "exorcisme". Oh bien sûr, son "père adoptif" – pouvait-il vraiment l’appeler ainsi ? – lui avait appris à maitriser ce monstre qui dormait en Calior, mais jamais il ne le contrôlait réellement. Après tout, ne venait-il pas d’en faire usage sans qu’il le décide vraiment ? Bien sûr, ça lui avait sauvé la vie, mais il n’avait pas pensé à activer son don lorsqu’il avait rouvert les yeux en pleine chute… Et sans s’en rendre compte, plonger dans ses pensées ainsi lui fit perdre pied avec la réalité.

Un côté-semi animal, si caractéristique de ces créatures des Enfers cruels, le plongea dans un demi-sommeil. Et il se transforma complètement, endossant l’apparence d’un véritable démon : par on ne sait quel miracle, son corps, ses os, sa peau, ses muscles, ses nerfs, ses veines et tout ce qui constituent le corps humain s’étirèrent faisant grandir le jeune garçon fatigué de plusieurs centimètre, rendant la différence entre les deux bien visibles ; ses cheveux bruns s’illuminèrent enfin et des reflets roux apparurent à la lumière de la lune, ils descendaient désormais dans le bas de la nuque ; deux cornes aussi blanches que le linge le plus propre poussèrent sur le dessus du crâne de Calior, au milieu de ses cheveux bruns aux reflets roux, s’enroulant un peu sur elles-mêmes et mesurant vingt bon centimètres ; ses canines poussèrent légèrement entaillant un peu la peau hâlée et colorée, faisant perler une goutte de sang sur cette même peau, goutte qui coula le long du cou de Calior laissant une trainée rouge derrière elle ; lentement, au rythme paisible du cœur du jeune adolescent, deux ailes noires semblables à celles des chauves-souris firent leurs apparitions, enveloppant le garçon dans une douce chaleur protectrice ; la dernière chose à changer furent ses yeux marrons pâles qui prirent progressivement une teinte rouge sang.

D’un coup d’aile élégant et simple, cette bête qui n’était plus tout à fait Calior mais qui le restait quand même un peu, s’envola et se posa sur la branche d’un arbre, à l’abri des regards protégé par le feuillage. Il se trouvait au milieu d’une place du petit village en ruine. De là, il pouvait quasiment tout voir, comme ces deux humains qui prenaient des ruelles à le recherche de quelqu’un visiblement. Bien qu’il n’y ait personne d’autre dans les ruines pour le moment. La créature ne comprenait pas non plus que c’était lui qu’on cherchait. Il se laissa aller contre le tronc de l’arbre et se reposa tranquillement. Mais son haut trop petit pour lui le gênait, il se l’arracha donc et pendant qu’il faisait ça, il vit quelque chose de très particulier, qu’il n’avait jusqu’alors jamais vu : une ombre sans rien autour pour la créer, pas d’objet, ou d’être vivant. Pourtant cette ombre bougeait (?) sur le sol. Elle ressemblait à un être humain entièrement noir. La créature démoniaque se redressa et la fixa, se demandant de quoi il pouvait bien s’agir…

La curiosité pour les animaux est un mauvais défaut, ils ne peuvent s’empêcher de s’approcher… Et pour ce semi-démon, ce fut pareil, il sauta gracieusement de l’arbre et attrapa "la chose" noire si vite que celle-ci ne put rien faire pour l’esquiver, si elle le pouvait bien sûr. Calior la souleva du sol et fit la première chose qui lui passa par la tête : il tira deux bouts de "la chose" et avec sa force démoniaque, il réussit à le déchirer en deux. Sadique ? Cruel ? Et bien oui, c’est un démon. La première chose qu’ils font lorsqu’ils rencontrent de nouveau, c’est de voir si c’est résistant ou pas. Calior regardait les deux parties de "la chose" attendant de voir s’il se passait quelque chose. Il fut à moitié déçu de voir seulement "la chose" disparaitre… Il aurait préféré que quelque chose de plus "extraordinaire" se passe. Tant pis. Calior remonta rapidement dans l’arbre en entendant les voix et les pas des deux jeunes gens qui se trouvaient également dans les ruines se rapprocher. Il préférait observer les gens plutôt que de se mêler à eux, et ce depuis longtemps. Après si l’un des deux le voyait, il ne bougerait pas et ne ferait rien pour s’enfuir. Sûrement que ce serait eux qui s’enfuiraient plutôt, car il n’y avait rien d’humain dans son apparence et son esprit ne l’était qu’à moitié.