« La musique n'est que l'expression de nos sentiments. »
Ce matin, j’ai encore séché le cours de math. Faut dire que j’ai pas été la seule à le faire aujourd’hui. Son cours est tellement mou et ennuyeux que tout le monde à envie de se pendre avant la fin de l’heure. Et vu qu’il est un peu « trop gentil avec les élèves » pour deux heures de cours séchées, j’en obtiens une de retenue. J’étais donc partie me balader dans les rues passantes pendant ces deux heures, à observer les passants passer à pas pressants les trottoirs, les vieilles mamies traîner leur cabas ou les voitures faire un bruit épouvantable. J’étais assise sur un banc en bois, usé et abimé par le temps, avec gravé des insultes partout et des cœurs contenant deux initiales. Le peu de peinture qu’il restait avait perdu de son éclat, de multiples ébréchures couvrait ce qui ressemblait maintenant à un banc . J’étais donc assise là à griffonner des trucs ridicules sur mon papier, comme le visage que j’avais retenu de certaines personnes dans la rue, ou encore la cours du pensionnat, voir quelques élèves assis à leurs tables en train de dormir ou d’écouter poliment ce que racontait le professeur. Que des gribouillages sans importance, sans une quelconque harmonie ou importance. J’observais ma montre, et compris qu’il était temps de rentrer. Je fourrai donc toutes mes feuilles et crayons dans ma sacoche, et pris Sunday par le ventre pour le mettre dans la petite besace de cuir que je portait à la ceinture. Je pressai le pas, accélérant même jusqu’à trottiner pour arriver à l’heure. Par chance je n’étais pas en retard, et je pu récupérer mes affaires d’Anglais pour pénétrer ensuite dans la salle des E.
Je faisais mon possible pour suivre un minimum le cours, c'est-à-dire fixer le tableau et écouter qu’à moitié la prof, en me retenant de m’endormir – inutile de préciser que j’avais passé une nuit mouvementée, hantée par mes démons quotidiens. J’écrivais le cours sans parvenir à me retenir de dessiner un visage sur la marge de ma feuille, je copiais les exercices tranquillement, ne faisant pas attention, mettant des réponses au hasard, et, miracle, la sonnerie retentit enfin. J’avais une heure de libre, que je pouvais occuper comme je voulais, par habitude j’allais en salle informatique, ou encore en salle d’arts plastiques car les deux salles de musiques étaient occupées. Mais aujourd’hui, un professeur était malade et je pouvais donc me rendre là-bas et chanter un morceau sans que quelqu’un vienne me chercher des noises.
Je regarde la porte de la salle de musique. Voilà un bon moment que je n’y suis pas allée seule. Voilà un moment que je n’ai pas remis mes anciens cours d’instruments en marche. Car oui, ma mère étant musicienne, j’ai appris très tôt la musique et aux pensionnat de jeunes filles aussi, je pouvais pratiquer mes instruments favoris. En effet, j’ai bien peur que ma guitare ait pris la poussière dans ma chambre, ou que j’ai perdu la main en piano que j’ai pratiqué aussi longtemps que la guitare acoustique. J’observe les instruments correctement installés. Je fixe le micro fixé sur son pied. Le chant. C’était bien évidemment mon choix de prédilection, celui qui concurrence tous les autres domaines où je me plait – mis à part le dessin bien entendu. Il va sans dire que j’ai chanté bien avant que j’ai joué du piano ou de la guitare Je caresse du bout des doigts l’embout du micro, ou les cordes et les touches des instruments. Lance-toi. Tu en meurs d’envie me souffle la petite voix dans ma tête. Mais je n’ose pas. Eh si quelqu’un rentrait ? Eh si quelqu’un voulait lui aussi s’entrainer ? « Non, lance toi, fais toi plaisir ! De quoi as-tu honte ? » C’est vrai. Ca je ne le sais pas moi-même. Peut-être que la timidité prend le dessus ? Peut-être que je pense trop à ma mère ? J’esquisse un sourire. Ma mère.
Je me rappelle d’elle assise à son piano, chantant une douce chanson, frappant avec légèreté chaque touche. Moi j’étais là, à côté, en train d’appuyer sur un si bémol dès qu’elle me le demandait. Elle sourait. Sa voix était douce et mélodique. Elle mettait tout son cœur dans cette chanson. C’était pour mon anniversaire. J’étais heureuse. Terriblement heureuse. Et elle m’a offert une guitare acoustique. J’avais les yeux brillants apparemment. Je n’en revenait pas. Et je ne me suis jamais séparée de cet instrument. Ma mère m’avait quittée cette année là. J’y travaillais d’arrache pied jusqu’à ce que j’arrive ici. J’avais certes mis le piano de côté, j’adorai chanter en jouant de cet instrument. Je ne capitulais pas quand une corde se cassait, que ma voix flanchait où que je ne parvenais pas à chanter tout en me concentrant sur la partition si difficile. J’étais tenace.
Mais cela m’a-t-il quitté ? Voilà la question que je redoutait le plus. Fébrilement, je m’assis au piano. Je joue une douce mélodie pour m’échauffer. Pas mal. Pour deux semaines d'inactivité, c’est pas mal – je peux jouer à Prismver rarement, étant donné que mes heures libres n’ont pas souvent de salle de musique à disposition. Puis je me relève et installe le micro. Et je me mis à chanter, longuement, passionnément, comme pour évacuer les tentions des semaines endurées dans ce pensionnat. Alors que je chantais, j’entendis le crissement de la porte. Quelqu’un pénétrait dans cette salle.
Bien plus qu’une envie. Un besoin. Parce-que la musique exprime ses pensées. Bien plus que des mots. Les notes se composent dans sa tête. Le stylo gratte sur la feuille. Il rature, réécrit, raye encore. Les yeux azur se ferment. La musique envahi son esprit, pourtant, autour de lui, le silence, à peine perturbé par l’encre se déposant sur le papier.
Assis, calé contre son lit, au sol, il écrit, les bras tenant un carnet par dessus sa basse. Il fredonne, chante, se râcle la gorge et recommence. Il gratte quelques notes, change le rythme.
Bassiste, chanteur et compositeur des PRI5MED, un groupe de musique du pensionnat qui commençait à avoir un certain succès. Ils jouaient lors de soirées de l’école, et parfois, en ville, dans le bar où Drew passait tellement de temps que Carl, le patron, le considérait comme l’un de ses meilleurs amis. Le groupe était composé de Benjamin, au violon, Innocence à la batterie, Jared au chant et à la guitare, et Drew au chant et à la basse. Une alchimie qui fonctionnait plutôt bien. En tout cas, assez bien pour donner à Drew l’envie d’écrire, de composer, de s’oublier dans ces mots, dans ces notes.
Il finit par se lever, jetant son carnet dans un sac, son stylo ainsi que ses petits paquets de tabac, filtres et feuilles. Il rangea soigneusement sa basse qu’il installa sur son dos, sac en bandoulière à l’épaule, et se mit en route pour la salle de musique. Il devait finir de travailler cette nouvelle chanson sur ampli, et le sien avait malheureusement été victime d’une chute de bière le grillant. Il marchait donc à travers le parc roulant et fumant sa cigarette. Il avait le pas léger. L’humeur, bonne. Fier de sa composition, il avait hâte de l’essayer, de la montrer à Jared et aux autres membres du groupe. Encore une chanson d’amour, entre sensibilité et sonorités rock. Une chanson de sentiments, de sensations. Rien d’extraordinaire, rien de diablement original, mais le violon de Ben apporterait ce petit plus qu’on entendait pas partout, et l’alchimie des voix de Jared et Drew était intéressante, pour un jeune groupe.
Il marchait dans le couloir, bénissant au passage cette matinée de son emploi du temps, libre. Mais au moment même ou il allait pénétrer la salle de musique, sa main se stoppa net avant de se poser sur la poignée. Arrêté dans son geste, il fixa le bois de la porte fermée, tendant l’oreille.
Une voix. Un frisson. A la fois curieux et gêné à l’idée de déranger, Drew n’osait pas entrer, restant là, à écouter. Une voix intéressante. Un rythme juste. Drew avait facilement identifié la chanson chantée. Les notes, les tons étaient respectés. Elle était légèrement réinterprétée d’une façon originale, et plaisante. Cédant à la curiosité, il entra finalement, doucement. Comme il s’y attendait, la voix s’éteint presque aussitôt. Quel dommage que le chant soit une activité que peu de gens osent partager. Mais en ce qui concerne la jeune fille, elle n’avait vraiment aucune raison de douter d’elle.
“C’était beau. J’aime ta voix. Beaucoup.” Elle n’était pas une diva, mais elle avait un timbre particulier. Ce n’était pas parfait, mais c’était intéressant. “Tu m’a donné des frissons.” Avoua t-il avec un léger sourire, sachant parfaitement, en tant que chanteur, que ces mots étaient un réel compliment. Il s’était dirigé tranquillement vers un ampli, respectant une distance entre eux. Il sortait désormais sa basse de sa housse. Elle était simple, bien entretenue, mais on devinait qu’elle avait quelques années de pratique derrière elle. “Ca te gène pas si je gratte un peu dans mon coin ? J’veux pas te déranger. Et tu ne me dérange pas non plus.” Anticipa t-il, un sourire aux lèvres, voyant que la fille, légèrement gênée, était du genre à se sentir en trop. “Au contraire. Pas souvent qu’on entend de jolies voix.” Sourire franc. Non, pour une fois, ce n’était pas un plan drague. C’était la vérité, il avait vraiment été sensible à cette voix. Et passer un peu de temps avec une personne qui ne le détestait pas encore n’était jamais de refus...
« I never changing who I am. (It's Time, by Imagine Dragons»
Tu t’arrêtes pour identifier ce bruit soudain. Pas de doute, tu sais que quelqu’un pénètre dans la salle. Tu retires tes mains des touches, tu pousses du bout des doigts le micro, et tu récupères à la hâte ta sacoche. Mais trop tard. L’individu est déjà là. Tu sens son regard se poser sur toi. Instinctivement, tu baisses la tête, tu te prépares. On sait jamais. Une fois, quelqu’un avait surgit dans la salle d’arts plastiques pour t’infliger des visions du passé. Alors tu te prépares. A contre attaquer. Tu te crois un peu parano. Mais au fond, t’as raison. Pas envie de revoir ta mère mourir, ton grand-père crier, ou encore la directrice du pensionnat te taper sur les doigts avec sa baguette . Pas des bons souvenirs, que tu n’as aucune envie de revivre. Pourtant, t’es sûre qu’il ne va rien te faire. T’es sûre qu’il ne va pas te faire du mal. Etrange pour quelqu’un que tu n’as jamais vu. Tu te racles la gorge. Tu veux t’excuser. Mais il parle avant toi. “C’était beau. J’aime ta voix. Beaucoup.” Un compliment. Tu baisses encore plus la tête. Tu sais que tu aurais dû réserver. Tu veux partir. Mais il enchaîne. “Tu m’a donné des frissons.” Tu relèves la tête stupéfaite. Il sourit. Il a un beau sourire. Léger, frais. Tu veux ouvrir la bouche, le remercier. Mais aucun muscle ne semble vouloir bouger. Tu l’observes. Il est plus âgé, visiblement. Il se dirige vers un ampli. Tu décroches le câble du micro. Tu déranges, c’est certains. Puis tu le vois sortir une basse. Cet instrument…Tu l’apprécies beaucoup. Il a une touche d’amertume que n’a pas la guitare électrique. Il a ce son si posé, si grave. Tu fermes le piano. Tu récupères ta sacoche. Mais tu n’as pas envie de partir. T’as envie de continuer à jouer, chanter, mais surtout, tu souhaites écouter le morceau du jeune homme. “Ca te gène pas si je gratte un peu dans mon coin ? J’veux pas te déranger. Et tu ne me dérange pas non plus.” “Au contraire. Pas souvent qu’on entend de jolies voix.” Tu ne respires pas. Encore un compliment. Puis tu songes à ta guitare que tu as délaissée depuis pas moins de deux semaines. Tu te reproches cela. Et tu te souviens de sa corde cassée. Tu observes la pièce. Elle ne repère pas de tiroir, boîte ou autre contenant qui pourrait être remplis d’objets pour réparer les instruments, ou d’ustensiles. Comme par exemple, un médiator, des câbles… Tant pis. Tu repasseras déposer ta guitare pour qu’un professeur la répare, ou du moins, te donnes une corde. Tu décides qu’il serait temps de répondre. “Je… Merci. Tu joues beaucoup ?” Tu dis ça en fixant la basse. C’est un joli instrument. Puis tu repères la guitare acoustique du pensionnat. Elle est accordée. Tu la saisis, et tu décides de te lancer. Pourquoi ne pas partager ses passions ? “Ca te dérange si je me joins à toi ? J’ai bien besoin de m’entraîner.” Sur ce tu improvisas un petit morceau, chantant et jouant son refrain. Tu fermes les yeux, te laissant emporter. Ce qui est merveilleux avec la musique, c’est qu’on peut en faire ce qu’on veut. Lui donner une couleur triste ou gourmande. Une texture légère ou qui pèse sur le cœur. Une douceur innée et satinée ou une mélodie rude qui laisse penser à la douleur. On peut exprimer la joie, l’amour, la tristesse. Se perdre dans ses souvenirs ou imaginer un nouvel horizon. Chanter ses idées ou ses espoirs. Donner une nouvelle tournure à ses paroles. Personnifier une mélodie pour se l’approprier. Donner une marque qui fait que c’est toi. Apprendre, essayer, ne pas lâcher. Se contraindre, y arriver. Chanter, jouer. Et réessayer. Y parvenir. Etre fier du résultat. Vouloir la jouer au piano, puis y ajouter de la batterie. Prendre un morceau de rock n’ roll et lui associer un violoncelle ainsi qu’un piano. Chanter dans les graves et les aigus. Grimper sur des octaves que tu n’aurais jamais osé atteindre. Se découvrir. Comprendre. Trouver des sens cachés. Pouvoir parler de sujets tabous. Créer et réinventer. Voyager, dans le temps comme sur le monde entier. Faire vibrer son cœur. Etre passionné. Aucun mot n’est assez fort pour décrire cela. Tu le sais. La musique est encrée dans ton cœur, elle coule dans tes veines, elle fait partie de toi. Tu la ressens. A chaque battement de cœur, à chaque respiration, à chaque parole. Et le meilleur dans tout ça, c’est partager. Transmettre. Donner l’envie, faire vibrer le cœur des autres. La conclusion d’un travail acharné pour que le rythme, le ton, les accords soient en parfait accord. Tu rouvres tes paupières. Tu est retournée dans la salle de musique de Prismver. Un instant tu te serais crû au pays des rêves. Tu souries. C’est rare. La musique à vraiment un drôle d’effet sur toi. Jusqu’à te faire sourire. Le garçon n’a pas l’air de la connaître, de savoir qui elle est. Celle qui est capable de blesser, voir tuer des gens sans le vouloir. Celle qui est tellement froide que rien ne peut trahir son masque inflexible. Rien sauf… la musique ?
HRP:
Désolée, j'ai changé de personne, je tente d'essayer d'utiliser la seconde personne du singulier. Je trouve ce style intéressant et je l'ai essayé :)
“Je… Merci. Tu joues beaucoup ?” Sourire. Elle semblait gênée, mais visiblement, il avait réussi à la mettre à l’aise. Il régla l’ampli, accroupi, haussant les épaules. “J’essai de garder un rythme. On a un groupe, donc ça aide, on a pas mal accès à la salle, et puis, faut sans cesse faire des répèts, composer de nouveaux morceaux...” Il se redressa, s’emparant d’un tabouret qu’il ramena près de lui. “De toute façon c’est comme la photo, je peux pas m’en passer bien longtemps.”
La photo pour voir un monde plus beau, la musique pour s’échapper de cet enfer. C’était probablement ce qui le ramenait encore à la raison. Ce qui l’empêchait de sombrer dans la folie pure. “Ca te dérange si je me joins à toi ? J’ai bien besoin de m’entraîner.” “Avec plaisir.” Il se pencha, tendant le bras pour choper un autre tabouret haut qu’il traîna près d’eux, l’invitant à y prendre place. La jeune fille se saisit d’une guitare acoustique, de celles qui étaient à la disposition de tous. Alors elle jouait du piano et de la guitare. Elle chantait, aussi. Drew, accoudé sur sa basse, l’écouta. Ses yeux glissaient sur ses doigts musiciens, ses oreilles s’ouvraient à sa voix si plaisante. Il ne connaissait pas cette chanson, peut-être même improvisait-elle; si c’était le cas, elle était vraiment talentueuse. Après un temps, il avait compris la mélodie. Son pied battait, tout doucement, la mesure, au sol. Et bientôt, la basse vint apporter cette caresse unique, profonde. Cette chose que seule la basse pouvait amener. Ce son grave, glissant, celui qui unifie les autres instruments. Celui qui fait vibrer le coeur. Ce son discret et pourtant, qui apporte tant. Ce son sur lequel on glisse, ce son qui fait la mélodie, en profondeur. Il improvisait, essayant de la suivre, y ajoutant des petites variantes qu’il jugeait sympathiques. Ses yeux, après avoir capturé les rythmes et notes de ses doigts, glissaient désormais sur son visage. Il l’avait déja vue. Drew était très observateur. Il la savait solitaire. Mais jamais ils ne s’étaient approché. Pourtant, à chaque fois qu’il l’avait vue, il s’était sentit proche d’elle. Elle dégageait quelque chose. Solitude, souffrance, peut-être des choses qu’il ne connaissait que trop bien, et qu’il pouvait désormais voir, sentir chez les autres. C’est aussi pour ça qu’aujourd’hui, en entrant dans cette salle, il avait fait un pas vers elle.
Drew était un solitaire. Sa réputation était celle d’un collectionneur, d’un mec violent. Rien de bien joli. Et pourtant. Pourtant, il y avait de jolies choses en lui. Cachées, bien profondément. Drew était un Loup. Un loup sauvage, solitaire et mystérieux. Mais finalement, trop de personnes avaient réellement pris la peine de l’apprivoiser pour le comprendre. Il cachait ses sentiments. Toujours. Ou alors, se servait de ses poings, ne sachant s’exprimer autrement. Lui restait alors la musique. Le chant. Le dessin. La photo. D’autres moyens d’expression qu’il gardait pour lui. Seule sa musique était partagée, et souvent, aimée. Son talent était reconnu, dommage que le personnage en lui-même soit souvent méprisé.
“J’ai composé une nouvelle chanson. Faudrait que je la teste. Hem.” Timide, Drew ? Un peu. Juste un peu. Plutôt de la gêne de dévoiler ses paroles, écrites avec le coeur, a une seule personne. Sur scène, il prenait cela comme un show, il s’en fichait. Mais ici, l’ambiance était intime. Ses mots seraient confidences, et cette idée le mettait mal à l’aise. Mais qu’importe. Après tout, elle s’était déja un peu dévoilée. “Accompagne moi si tu veux.” Il ouvrit son carnet à la page de sa nouvelle musique, qu’il posa debout, entre eux, de sorte à ce qu’elle puisse le lire. Ils prirent le temps de regarder les notes, Drew en modifia une, et, doucement, tapa du pied au sol, fermant les yeux, imaginant le début lançé par Innocence, à la batterie.
Alors, il gratta une corde. Puis une autre. Ses yeux glissaient sur la partition écrite à la main, et ses doigts, instinctivement, glissaient, pinçaient. Pas de médiator, ses doigts glissaient sur les cordes, les frappaient. Son poignet, tordu, ses doigts, jouant avec les quatre cordes avec habileté. Il se racla la gorge, et doucement, se mit à chanter. Il avait une voix basse, grave, cassée. Une voix typique du genre de ces groupes rock type Nickelback, Seether ou Theory for a Deadman. Une voix qui ne brille pas par son originalité, mais lui avait le talent de garder l’émotion intacte, à chaque mot qui s’échappait de ses lèvres. Quand aux paroles, elles étaient pleines de souffrance, d’amertume, de regrets. Blessé. Car c’est ses sentiments qu’il écrivait. Sa main grattait le papier, mais c’est son coeur et son esprit qui saignaient sur ces pages blanches. Il ouvrit les yeux, continuant la mélodie, et posant son regard sur la jeune fille. Elle l’ignorait peut-être, mais chaque mot était une confidence, soufflée, qu’elle était la première à entendre.
It seems like every day’s the same and I’m left to discover on my own It seems like everything is grey and there’s no color to behold They say it’s over and I’m fine again, yeah Try to stay sober feels like I’m dying here
« La vraie mesure de l'amour, c'est l'amour sans mesure »
T’as l’impression qu’il est le double de toi. Une sorte de clone de ta personne, version masculin. T’aimes pas les bavards, pour toi mieux vaux observer et écouter. Elle le voit souvent seul, à errer dans le pensionnat. Il n’aime pas trop faire la discussion non plus. Tu te reconnais en son être. C’est bizarre de penser ça. Et pourtant… Alors tu décides de te laisser prendre par la curiosité. Tu sais déjà qu’il va te plaire. Rival ou pas, t’aimes déjà son caractère. Tu l’observes. Personne ne s’est jamais autant intéressé à toi, personne ne te fais de compliment. C’est plus des railleries que tu reçois de la part de tes camarades. Il te délaisse pas, te fuit pas comme la peste. Et c’est l’un des premiers. T’as déjà entendu parler de lui. En fait, tu te rappelles plus de son nom, mais tu te souviens des propos qu’on lui a lancé. Il est estimé comme l’un des plus grands coureurs de jupons de Prismver, et apparemment, violent. Mais tu t’en fiches. Parce que tu sais ce que c’est les clichés et les rumeurs. Peut-être qu’il aime bien avoir des filles dans son lit, ça ne regarde que lui. Peut-être a-t-il ses raisons d’être violent. Mais tu ne réfléchis pas vraiment à ça. Parce que tu viens d’achever le morceau que tu as composé. Le morceau qui vient de ton imagination. Tu ne ressens pas de la fierté, ou même de la joie. Tu ressens plus du soulagement. Après ces longues heures à essayer de trouver un air, une mélodie, tu as enfin fait quelque chose d’accompli. Tu souries. Mais le meilleur dans tout ça, c’est qu’il t’a accompagné. Il a joué avec toi. Des accords, des variantes. De quoi rendre la mélodie magique.
“J’ai composé une nouvelle chanson. Faudrait que je la teste. Hem.” Il semble gêné. Mais tu ne relèves pas. Tu estimes que tu n’as pas à parler de ça – te jugeant aussi timide que lui à ce sujet. Alors tu te tais. Tu écoutes le début des quelques accords joués avec sa basse. Il bat la mesure du pied. Et il chante. Sa voix est d’un ténor agréable. Tu as l’impression que tes cheveux s’irisent sur ton crâne. Le couplet te parle. T’as l’impression qu’il raconte ton histoire. Sa voix est empreinte de douleur et de tristesse, et pourtant, on sent le feu de la vie qui crépite au fond de cette chanson. Il a un rythme juste, un timbre étonnant, intéressant. Pas parfait ; la perfection n’existant pas. Mais tu sais déjà que s’il était professionnel, tu aimerais déjà sa personne. Au bout de quelques temps, tu t’armes de ta guitare, posée précédemment sur tes genoux. Tu joues avec lui. Tu as déjà retenu un peu les paroles du refrain. Alors tu fais les chœurs. Tu chantes bas, mais assez fort pour apporter une touche d’originalité. Tu ne te calques pas sur la basse, tu fais ton morceau, tout en s’assurant qui colle avec le reste de la mélodie. Tu chantes avec passion. Tu sens des larmes te monter aux yeux, même si, pourtant, tu n’es pas une grande sensible. Cette chanson te donne une sorte d’espoir. Mais tu décides de laisser couler le flot de tes pensées par les larmes. Elles ont trop longtemps été retenues. La première roule le long de ta joue. Tu chantes, tu mets de la puissance, tout en restant à ta place. Un flot intarissable jailli de tes yeux. Tu t’en fiches, tu chantes, tu te fais plaisir. Mais la musique s’arrête, et tu t’arrêtes aussi. Les larmes cessent de couler, comme la mélodie cesse de résonner dans ton crâne. Tu essuies d’un revers de main ta peau. Et puis tu souries.
“ Si je peux me permettre, juste ici –tu tends un doigt, désignant le pont musical-, le violon pourrait être mis en évidence.” Tu ne l’as pas remercié, ou complimenté. Des larmes suffissent à vous donner une réponse. Tu t’étais finalement souvenue d’une affiche au pensionnat, où il figurait, il fait donc partie d’un groupe. Et un garçon pratiquait le violon. “Je ne joue pas très bien du violon mais… Ma mère en pratiquait, je connais donc quelques airs simples. Tu vois, il pourrait, plutôt que rester « à sa place » pendant le pont, faire plus de nuances, un peu comme ça : ”Tu saisis le violon repéré précédemment, et tu joins le geste à la parole ; tu fais un air simple pendant quelques secondes, tout en chantant les paroles pour qu’il puisse se repérer. Enfin arrive le pont, et tu fais beaucoup plus de variantes. “Bien sûr, moi je ne joue pas très bien, ce n’était pas bien compliqué de faire ce que j’ai fais… Et ce n’est qu’une idée.” Tu te rends compte que tu n’avais pas à donner ton avis là-dessus. Que ceci ne te concerne pas. Que tu es tellement nulle en violon que tu ne devrais même pas en parler. Tu sens de la gêne grandir en toi.
Comme pour oublier ce que tu viens de faire, tu retournes au piano, écrivant quelques notes au hasard sur ton cahier, posé dessus. Franchement, quelle idiote tu fais ! Tu essayes ta mélodie. Jolie, tendre, sucrée, certes, mais en colère après toi, tu la trouves médiocre. Tu l’observes, lui, toujours là, sur son tabouret. Tu détournes la tête. Mieux vaudrait-il t’excuser : “Excuse moi, je n’aurai pas dû m’en mêler.” Tu dis ça dans un chuchotement, dans un souffle. Ce n’était pas sa musique. Le violoniste aurait sûrement eu une idée bien plus ingénieuse. Tu te racles la gorge, et tu réessayes ta mélodie. Ta colère s’est un peu apaisée. Juste un peu. Tu trouves la musique jouée déjà meilleure que la fois précédente, alors que tu n’en as rien changé. Tu respires doucement, calmement. Ca ne sert à rien de se mettre dans tous ses états, pourtant… Tu te sens coupable. Peut être le violoniste avait déjà une idée, ou alors peut être voulait-il y réfléchir seul. Alors tu ne veux pas que le jeune homme jouant de la basse lui transmette ton idée. Tu comprends alors que tu ne connais pas son nom. “Oh, je m’appelle Sial. Hum… Tu devais le savoir, tout le monde me connais ici, à cause de… -tu te mords la lèvre inférieure, oh et puis zut, qu’il le sache, et qu’il se barre en courant- de la dernière rumeur lancée à Prismver…”
La guitare. Ses notes l’accompagnaient. Justes. Originales. Intéressante. Parce-qu’elle avait l’audace de proposer quelque chose sur sa propre composition à lui. Elle apportait sa vision de la chose, là ou tout le monde, absolument tout le monde aurait suivi les notes griffonnées avec une rigueur parfaite, afin de ne pas entacher la fierté du compositeur. Mais non. Pas elle. Elle ajoutait ses propres épices au plat du chef. Elle ajoutait sa texture au mur qu’il avait battit. Et ça, ça signifiait beaucoup pour Drew. Parce-que finalement, en restant fermé sur lui-même, il passait probablement à côté de personnes magnifiques. C’est ce qu’il se surpris à penser alors qu’il chantait, ses mots, ses notes imaginées touchant la jeune fille au point de la faire pleurer.
Car elle pleurait. Elle pleurait, rendant, étrangement, Drew le plus heureux du monde. Parce-que c’étaient des larmes de bonheur. Des larmes d’artiste, d’artiste touché de plein fouet. Des larmes si précieuses. Celles qui viennent du fond de l’âme, pures; elles n’ont pas besoin d’un prétexte, d’une peine, d’une souffrance pour s’exprimer, non. Elles apparaissent d’elle-même, et c’est l’âme qui exprime à travers elles son bonheur. Touché par ce témoignage spontané et non voulu de la jeune fille, il se forçait à rester concentré, ne serait-ce que pour ne pas briser ce moment. Ce moment intime, ce moment ou quelqu’un le comprend, et l’aime. Ce moment ou il exprime son mal être, ce moment ou il est écouté et, quelque part, réconforté. Car l’art était ce qui maintenait sa tête en dehors de l’eau. Ce qui l’empêchait de sombrer totalement. Et voir qu’il y avait encore du talent, qu’il y avait encore de belles choses en lui le faisait brûler d’espoir. Il frissona, ne cessant de la fixer, se nourrissant, se nourrissant de l’émotion si précieuse qu’elle lui offrait, là, simplement, et sans retenue. Il avait chaud au coeur. Et cette sensation, cela faisait une éternité qu’il ne l’avait pas ressentie. Il voulait la remercier. Il voulait la prendre dans ses bras. Mais non. Le meilleur remerciement qu’il pouvait lui offrir était de continuer, de finir cette création. Alors il ferma les yeux, ses mains dansant toujours avec sa musique, et sa voix achevant les dernières paroles. La fin.
Un long soupir. Reprise de souffle. Elle sèche ses larmes, sourit. Il répond à son sourire, la regardant avec une tendresse que peu connaissent dans ces iris azur. Un instant. Et puis... “ Si je peux me permettre, juste ici, le violon pourrait être mis en évidence.” Il reporte ses yeux sur la partition, observant, attentif, ouvert, légèrement surpris. Parce-que peu auraient eu l’audace, encore une fois, de reprendre sa compo. Surtout après avoir témoigné tant d’émotions. Il aimait ça. Et alors qu’il réfléchissait à sa suggestion, elle venait l’illustrer, s’étant saisie du violon de l’école. Appuyé sur sa basse, intrigué par cette nouvelle approche, cette nouvelle façon de voir ce passage, il l’observait, écoutait. Elle avait retenu les paroles de ce passage. Elle faisait là une proposition des plus intéressantes. En effet, ces variantes de violon collaient parfaitement à la mélodie, tout en apportant réellement quelque chose. Sa variante à peine modifiée, ce serait parfait. Mais avant même qu’il n’exprime son contentement, elle était déja repartie, plongeant, pommettes rosies, sur le piano, s’y cachant dans une petite mélodie jouée à la va-vite. “Excuse moi, je n’aurai pas dû m’en mêler.” Un léger rire, attendrit, s’échappa des lèvres du jeune homme. Etonnante. Elle était étonnante. “Au contraire. Ta proposition apporte quelque chose. J’aime. Tu ne devrais pas autant douter de toi.” Conseilla t-il simplement, posant sa basse pour, doucement, s’approcher d’elle alors qu’elle essayait de nouveau sa petite mélodie. Elle inspirait, semblait perturbée. Comme si elle essayait de se calmer, se concentrer. Elle semblait encore gênée de s’être mêlée de sa composition, malgré qu’il ait tenté de la rassurer. Lui s’était approché du piano, et, face à elle, s’y était appuyé, observant ses doigts glisser sur les touches, bras croisés dessus.
Le piano. Il ferma les yeux un instant, s’imprégnant de ses sonorités. Un instrument magnifique. “Oh, je m’appelle Sial. Hum… Tu devais le savoir, tout le monde me connais ici, à cause de… de la dernière rumeur lancée à Prismver…” Il rouvrit les yeux, la pénétrant instantanément de ses iris azur. Sial. C’était donc ça. Il avait déja entendu ce prénom. C’est tout. Il soupira, se redressant. “Je n’ai jamais écouté les rumeurs. Je suis, genre, hermétique à toutes les conneries que racontent les gens.” Elle semblait gênée. C’était toujours le cas, lorsqu’on était pris d'assaut par la communauté, affamée de ragots, affamée de la moindre crasse à raconter. Il fit quelques pas. “Je ne les écoute pas. Et même si tu étais la pire ordure aux yeux de tous, j’en ai, franchement, rien à foutre.” Sourire complice. Il venait de s’asseoir près d’elle, sur le tabouret du piano. Ses yeux observaient de nouveau sur les touches, sur lesquelles il fit glisser ses doigts, avec hésitation, lentement, avec bien moins de dextérité qu’à la basse. “Je m’appelle Drew. Bolton. T’a dû en entendre aussi, des crasses sur moi. Et pourtant on est là, et on apprécie ce moment.” Un aveux simple, soufflé alors que ses yeux ne quittent pas l’instrument.
On racontait la vérité, sur Drew : Il est violent. Il se tape tout ce qui bouge. Il est méprisant. Il couche avec son pire ennemi, autant qu'il se bat avec. Il a brisé un couple. On racontait également des mensonges. Il aurait tué quelqu'un sans le vouloir. Couché avec des profs. Frappé des profs. Volé.“Ne te soucie pas des gens d’ici. Ne leur accorde pas la moindre importance, ou ils te boufferont. Ils n’attendent que ça.” La haine et l’amertume se sentaient dans sa voix, se lisaient dans son regard. Il pianotait d’une main quelques notes du morceau le plus basique que l’on puisse exécuter au piano. “Et quand bien même tu aurais fais les pires choses, bah...” Il inspira, posant les yeux sur elle. “On a tous nos démons.” Sourire. Il reporta son regard sur sa propre main. Si elle savait. Si elle savait combien ses démons étaient présents en lui. Si elle savait à quelle profondeur ils l’avaient attiré dans les enfers. Perdu dans ses pensées, il lâcha un vague “J’ai toujours rêvé d’être pianiste.” Le talent, oui. Pas le temps. Pas le courage. Pas de professeur. Un rêve abandonné. “Raconte moi quelles sont ces rumeurs, et d’où elles viennent.” Il leva les yeux vers elle, cessant de jouer. Sérieux. “Rien de ce que tu peux dire ne me choquera. Ne t’en fais pas.”
Pourquoi demander une telle chose ? Parce-qu’il s'intéressait à elle, et pas de la même façon qu’il s'intéressait aux autres filles. Et surtout... Parce-qu’il n’avait pas su voir les démons de Selwyn. Il ne les avait pas vu, il les avait ignoré. Il les avait vu l’emporter sans réagir. Il ne voulait plus les laisser agir. Il voulait savoir. Il voulait les voir. Et il voulait mener une croisade en enfers, étant lui-même, de toute façon, déja mort. Il déglutit. “Raconte-moi pourquoi tu ne crois pas en toi.” Car, c’était là, une évidence qui s’était imposée à lui, dans le peu de temps qu’il avait eu pour la découvrir.
« Ne laisse pas tes peurs te ralentir, utilise les pour avancer. »
“Je n’ai jamais écouté les rumeurs. Je suis, genre, hermétique à toutes les conneries que racontent les gens.” Tu soupires. Parce que tu n’en as rien à foutre des rumeurs, ou de l’image qu’on donne de toi. Parfois même, ça t’arrange, les gens te laissent tranquille, ont peur de toi et rient dans ton dos. Tu n’aimes pas vraiment ceux qui font par derrière, mais là, c’est différent. Ca ne t’atteint pas en fait. Par contre, il y a aussi beaucoup d’inconvénients. Par exemple, quand tu fais une rencontre qui ne te laisse pas anodin. Les populations sont affamées de ragots en tout genre, quelqu’un d’isolé, qui ne se fait pas remarqué mais qui peut s’avérer dangereux est une cible parfaite, tout comme les conseils beauté de la dernière idole de l’établissement. “Je ne les écoute pas. Et même si tu étais la pire ordure aux yeux de tous, j’en ai, franchement, rien à foutre.” Tu as envie de sourire. Parce que vous êtes pareils. Tu sais que des bruits courent à son sujet. Difficile de les louper. Tu n’y fais pas attention. Tu as juste retenu le sujet. De toute façon, elle aussi est « dangereuse », mais différemment. Tu te mords la lèvre inférieure. Tu ne sais pas quoi dire. Tu t’es toujours renfermée sur toi-même. Tu passes pour une faible, sans doute, à cause de ton regard fuyant et cette gêne pesante. Mais tu es loin de l’être. Tu as traversé des tas de trucs, tu es devenue presque intouchable. Parce que tu intériorise, parce que tu portes ce masque figé, parce que tu ne parles pas, tu écoutes et tu vois, parce que, parce que, parce que. Toutes tes émotions, tu les refoules au plus profond de ton cœur ; et tu les éjectes par l’intermédiaire de la musique et du dessin. Il s’assoit à tes côtés. Tu l’observes. T’as l’impression qu’il détaille chaque touche du clavier, en faisant glisser ses doigts dessus avec légèreté. Il est calme et posé. Pas violent. Juste calme et posé. “Je m’appelle Drew. Bolton. T’a dû en entendre aussi, des crasses sur moi. Et pourtant on est là, et on apprécie ce moment.” Drew… Ce nom résonne dans ton crâne, ricochant sur chaque paroi. T’aime le son qu’il produit. Bref, simple, pas trop compliqué, et pourtant si élégant, léger, et réconfortant. Oh oui, tu en as entendu. Sur beaucoup de monde. L’ouïe est un outil formidable pour beaucoup de chose. Comme apprendre des choses sur les gens (bien qu’elles ne soient pas toutes vraies), ou en savoir plus sur une personnalité, avoir la vision du monde d’un autre individu. Ce qu’on dit de lui : Violent. Collectionneur. Mais tu t’en fous. Il peut bien aimer toucher les formes des autres filles, que cela le garde. Il peut bien s’énerver et taper sur ceux qui le font, il faut le dire, chier, ça ne te regarde pas, et ce n’est surtout pas à toi d’en juger – tu peux être aussi très violente quand tu veux. Oui on apprécie ce moment, éphémère, certes, mais tu l’apprécie. Un pur moment d’artiste, entaché ni par les rumeurs, ni par la violence, les préjugés, les moqueries. Un moment aussi pur que le blanc de la neige. Frai, léger, calme… En un mot : Agréable. “Ne te soucie pas des gens d’ici. Ne leur accorde pas la moindre importance, ou ils te boufferont. Ils n’attendent que ça.” “Et quand bien même tu aurais fais les pires choses, bah...” Il conclut : “On a tous nos démons.” Tu relèves la tête, tu l’observes, plongeant ton regard dans le sien. Tu ne parles pas. T’as rien à dire, pour le moment. Une chose jamais faite : porter attention à ce que pensent les autres. Le plus important, c’est ce que tu penses de toi, de ta personne. Toi c’est vite fait : tu sais que t’es insociable la plupart du temps – t’as l’impression que ça fait une éternité que t’as pas tenu une conversation si longue. Tu tiens tête facilement. Tu te fonds dans le paysage pour éviter d’attirer les ennuis. T’es un cancre, une incapable. T’aimes dessiner, chanter, jouer de la musique. T’es froide. Incohérente. Stupide aussi. Solitaire. Tes démons sont clairs : l’impossibilité de s’exprimer normalement, de ne pas faire preuve de sarcasme, ou tout simplement ceux du passé. Toute sa famille l’a abandonnée, trahie. Elle ne sait même pas qui elle est. Une fille, oui. Mais ses tenues de villes ne seront jamais une jupe ou une robe. Son père, elle ne sait pas qui il est, s’il est mort ou vivant. Et puis, la peur que le masque se brise, la peur d’aimer, de s’attacher, d’être abandonnée. “J’ai toujours rêvé d’être pianiste.” Tu souries. Et tu lui glisse un : “Je t’apprendrai.” “Raconte-moi quelles sont ces rumeurs, et d’où elles viennent.” Tu déglutis. Pas question. Il peut bien dire ce qu’il veut, quand il apprendra quel danger public tu es, il te fuira comme la peste. Même si il a dit s’en foutre. Parce que toutes ces rumeurs ne sont pas fondées, et ne se sont jamais produites. A part quelques unes. Mais elles peuvent arriver. Tu réfléchis. Après tout, tu seras fixée. Si il t’apprécie vraiment, il laissera ça de côté. Le risque zéro n’existe et n’existera jamais. “Raconte-moi pourquoi tu ne crois pas en toi.” Tu veux lui répondre. Tu vas lui répondre. Mais les mots restent coincés dans ta gorge. Tu ne baisses pas la tête, et tu dis, d’un air vague : “Les rumeurs, elles vont, elles viennent, la plupart parties de rien, d’autres avec un semblant de réalité. Il y en a eu des tas à mon sujet, d’innombrables depuis que je suis ici. J’ai réussi à faire peur à beaucoup de personnes plus âgées, mais au moins, on me fou la paix. On me qualifie de « Danger Public », mais tout le monde sait que ça ne m’atteint pas. Je sais ce qui est faux et… Ce qui est vrai aussi. Dans de nombreux élans de colère, il y a eu des accidents, des punitions. Après, parfois, c’est totalement faux. Par exemple, je n’ai jamais envoyé un élève à la préhistoire. Je n’ai pas brûlé des champs lorsqu’on était en sortie. Mais… J’ai déjà fais souffrir un professeur par l’intermédiaire de quelqu’un qui maîtrisait ce don. Sauf que je ne le contrôle pas, mon pouvoir. Je ne pouvais pas savoir ce qu’il allait se passer. J’ai détraqué ce don car je sentais une douleur aigue monter en moi. J’ai tout simplement contré l’effet. Il aurait pu s’accentuer, dans mon corps, jusqu’à me tuer, se diminuer, aller sur quelqu’un d’autre, faire souffrir son propre possesseur. J’ai aussi détruit les vitres de la classe, alors que j’avais un cours commun aux A et que des filles me balançaient des injures sur ma propre famille. Je ne réagis pas d’habitude, c’est juste que ce jour là… J’étais à cran. Et toi ? Raconte moi d’où viennent les rumeurs qui courent à ton sujet.”
Sa voix. Ses mots. Le piano, derrière, qui retentit doucement. Drew l’écoutait attentivement, ses mains ayant cessé de jouer, et son regard fixé sur les doigts féminins glissant distraitement sur les notes. Silencieux, il évaluait chaque mot choisi, en tirait les conclusions évidentes. Ils se ressemblaient. Ils se ressemblaient beaucoup. Comme Selwyn. Comme d’autres, les moutons noirs. Ceux qu’on remarque malgré eux, ceux qui préféreraient n’être que des ombres. Ceux qui étaient différents, et rejeté pour cela. Il cilla lorsqu’elle lui retourna la question, sortit de ses pensées plus tôt que prévu, ses explications ayant été, à son goût, écourtées. Respectant son désir - ou son incapacité - d’en dire plus, de détailler, il inspira, quittant ses doigts des yeux pour le porter dans les siens. Un instant. Il se leva finalement, sans but particulier, alors que ses yeux parcouraient les partitions aux murs. Faisant les cent pas, d’un air distrait, il lâcha simplement : “Sous les émotions, ta maîtrise de toi-même devient chaotique. Et bien, on peut dire que pour moi c’est un pareil... Je suis impulsif, et violent.” Et pourtant. Pourtant il était là, calme, posé, un jeune homme qui semblait attiré par les notes de musique dessinées sous ses yeux. Une personne douce, sensible. “Je n’aime pas les gens, et il en faut peu pour m’agacer. Je n’ai pas la patience de parler - ou d’ignorer les imbéciles. Alors je frappe.” Doux, sensible, mais une montagne de muscles, qu’on devine aisément sous ses vêtements. “J’ai...” Un silence. Parce-que, pour la première fois, il arrivait à poser des mots sur ce noeud qui l’étouffait de jour en jour. Pour la première fois, il avait envie de prononcer ces mots. “J’ai une rage intérieure que seule la violence parvient à apaiser.” Ses yeux s’étaient posé sur une note, perdus, loin, bien plus loin que le morceau de papier sur lequel elle était dessinée. Inspiration. Réveil. “Bref, les rumeurs concernant mes coups n’en sont pas. C’est la vérité. En revanche, je n’ai jamais tué de prof.” Lâcha t-il dans un rire amer. N’importe quoi. L’imagination des élèves, et leurs mépris, étaient des choses infinies.
Il quitta la partition des yeux pour reporter son regard sur elle. Il valait mieux ne pas parler des rumeurs concernant les filles. Il s’approcha d’elle, l’observant avec, toujours, le même intêret. En plus de sentir qu’ils se ressemblaient, elle était jolie, il fallait l’avouer. Jolie à ses yeux à lui, en tout cas. Et, aussi adorable qu’il pouvait se montrer, Drew restait Drew; un homme qui ne sait pas résister aux jolies filles. La séduction était une seconde nature, il ne pouvait s’en empêcher.
Il posa ses coudes sur le piano, face à elle, croisant ses bras. Il l’observait jouer, posant de temps à autre son regard azur dans le sien. Silence. Il avait envie d’en savoir plus sur elle. il avait envie de discuter avec elle. Parler de tout, de rien, de ses goûts, de ses opinions. Parler autour d’une bière, d’un café, d’un kebab ou d’un dîner. Il avait envie de la faire rire, la faire rougir. Un sourire naissait au coin de ses lèvres. Il avait envie de l’embrasser, qu’elle rougisse plus encore. Il voulait la faire danser. Il voulait chanter, de nouveau, avec elle. Il voulait des rires, des taquineries. Il voulait des confidences. Il voulait la séduire. Qu’elle l’embrasse. Il voulait...
Ah, Drew. Une soif des femmes aussi insatiable que sa soif de violence, de rage et de sang. Sans se départir de son léger sourire taquin, et se rendant compte qu’il la fixait depuis trop longtemps, il se redressa, s’étirant dans un soupir d’aise. “Bon. J’vais y aller.” L’heure tournait, malheureusement. Il fit quelques pas, rangea sa basse qu’il enfila dans sa housse, sur son dos. Il fit quelques pas vers la porte, et se retourna vers elle au moment d’ouvrir. “Je t’invite à boire un coup ce soir. Si t’a envie de me revoir, sois au McLaren’s vers 18h. Si non... dommage. J’ai vraiment apprécié ce moment. Vraiment.” Réalité. Un petit sourire taquin, un signe de la main, et il quitta la pièce, refermant la porte derrière lui sans lui laisser le temps de répondre. Il s’éloigna de la salle d’un pas léger. Il espérait qu’elle vienne ce soir. Car avant toute mauvaise pensée, elle l'intéressait, elle l'intéressait en tant qu’amie. Oui, il sentait en elle l’amie que ne pouvaient être Selwyn ou Amalia. Quand à la suite... Seul l’avenir pourrait le dire. Et même si Drew n’était pas contre l’avoir à la fois dans son coeur et dans son lit, ce n’était pas le but de ce rendez-vous. Ca n’en serait qu’une éventuelle heureuse conséquence, disons.
Tu continues à jouer, doucement, essayant d’effacer les douloureuses pensées qui te hantent. Tu n’as jamais voulu posséder un tel don, encore moins aussi dangereux pour toi ou pour les autres. Tu te détestes en fait. Tu te trouves inutile, sauf pour ce qui est de faire souffrir les gens autour de toi. La douleur est aigue, te transperce de tout ton être, tu te retiens de suffoquer, ton cœur saigne intérieurement. Parce que personne ne t’a jamais aimée. Parce que personne ne t’as jamais soutenues, conseillé. Parce que même les professeurs sont maintenant en train de te délaisser, ils abandonnent, préférant te punir à t’aider. Chaque écart produit, leurs griffes se referment sur toi. Tu les hais tous. Ta « famille » qui t’as foutue dans un pensionnat. La directrice pour t’avoir mise ici. Ta mère pour être morte. Les autres pour ne cesser de remuer le couteau dans la plaie déjà si profonde. Ténèbres partout autour de toi. Chaos à l’intérieur de ton cœur et de ta tête. Souffrance qui te martyrise de tout part. Tu n’en peux plus, tu es à bout. Et pourtant… Tu es là, en train de jouer du piano, en train de converser de sujets jamais éclairés avec un parfait inconnu. Tu n’as pas peur. Tu n’es pas à crans. Tu n’as pas envie de te cacher. Tu veux juste être là. Avec lui. Dans cette salle de musique, pour oublier l’extérieur. Pour que la douleur s’apaise juste le temps de quelques heures…
Lui aussi, il dévoile ses démons. Tu les connais. Ou du moins, tu les perçois. La violence. C’est si facile d’asséner un coup quand on est grand est fort, quand on ne sait se contrôler. C’est si facile de ne pas résister à la rage et à la colère, de ne pas se contrôler. Etonnant contraste avec la difficulté à avouer les choses. Tout cela pour calmer la douleur noire et la rage rouge. Satisfaire un désir de sang pour n’être soulagé que l’espace d’une heure ou deux. Un besoin plus qu’une envie, comme l’effet d’une drogue. Elle savait à quel point cela pouvait être un besoin, pour survivre, nous, les ombres, nous avons tous le bon moyen. Lui c’est frapper, se soulager. Toi c’est de te renfermer ; de faire l’effet d’un miroir sur chaque remarque qu’on te lance. Et malgré cela, tu te sens terriblement mal. Tu as juste une envie : hurler pour que ça s’arrête, de devenir aussi légère qu’une plume, pouvoir voler, se reposer, panser les plaies jusqu’à les oublier. Mais pour cela, il n’y a qu’un moyen irréversible. Mourir. Mais tu ne veux pas te laisser battre par la vie aussi facilement. Cela serait abandonner, rendre les armes. Tu es une battante. Alors tu croiseras le fer aussi longtemps qu’il le faudra pour sortir de ce trépas. Bien que cela semble impossible. Tes forces s’amenuisent. Tu le sens au fond de toi.
Tu finis par sortir de ta léthargie quand tu sentis son regard peser sur toi. Tu n’oses pas détourner le regard, de peur de se noyer à l’intérieur du sien. Le morceau est terminé. Tu ne t’es même pas souciée de se qu’il donnerait. Peu importe maintenant. Tu ne résistes pas longtemps ; tu plonges déjà tes yeux à l’intérieur de ses prunelles azur. Tu frissonnes. Et puis il s’en va, te proposant te le rejoindre au Mc’Larens à 18 heures. Tu ne dis rien, et la sonnerie retentit à travers tout le pensionnat.
Tes cours sont finis, mais pas ta journée. Bien décidée à honorer cette invitation, tu décides de t’y rendre. Pour la bonne raison tout d’abord que tu as besoin de sortir. Et aussi que t’as envie d’en savoir plus sur lui, et, il faut l’avouer, tu te sens terriblement et inexplicablement proche de lui. Tu retires ton uniforme, et puis, tu enfiles peut-être la seule robe de ton armoire, une veste, des collants opaques et tu ajoutes des bottines style militaire (féminine mais pas trop). Ta tenue terminée. Tu sors à l’extérieur, emmenant avec toi un sac en bandoulière, contenant un peu d’argent au cas où. L’air frai de brûla les joues, le vent faisant valser avec légèreté tes cheveux détachés. Tu marches dans la rue, et, au bout d’un certains temps, tu te trouve face à ce bar.
Tu hésites à franchir le pas de la porte, tes pensées se bousculent dans ton crâne, ton imagination t’emporte dans un tourbillon de diverses idées. Mais tu fermes les yeux, tentant de retrouver pied, et tu t’engages à l’intérieur du bâtiment. Tu n’es jamais venue ici auparavant, ni dans un endroit de ce genre. On va dire que tu n’en as jamais réellement eu l’occasion. L’odeur du tabas et de la bière te pique le nez, et curieusement, tu aimes bien cet alliage entre deux senteurs, qui, habituellement, te dégoutent. Des cris et rires joyeux fusaient de partout, le tintement des chopes faisait équo. En fond résonnait un doux morceau s’échappant d’un lieu inconnu, le bruit des pas sur le plancher et les chaises qui grincent. Au bar patientait Drew, tu ne pus t’empêcher de sourire. Tu t’approchais doucement, grimpa sur un tabouret, et tu murmura un « Salut » amical, tentant de prendre ton aise dans un endroit inconnu que tu appréciais déjà.