Confessions intimes -> Hercule

Tu vas rougir de rage.

Lorsque la balle rebondit contre le sol, Lester lève la tête et note en silence que le ciel, aujourd’hui, est étonnamment dégagé. Sa raquette s’abaisse lentement et un souffle d’air lui donne la sensation que rien n’a d’importance. Il perçoit vaguement qu’on l’appelle au loin.  

- Hé, Nostra ? »
- Hein ? »

La balle frappe le mur dans un bruit matte. Lester se retourne, et rien ne semble avoir bougé autours de lui.

- C’est un peu chaud pour toi Lester, je crois bien que je te mets la plus belle raclée de ta vie. »
- C’est ça, allez. Ferme ta gueule et sert. »

Lester voudrait que cette partie se termine. Il voudrait que cette journée prenne fin. Il voudrait que son esprit se taise, que ses pensées ne parlent plus. Il voudrait désespérément que ses souvenirs cessent de s’agiter, de repasser en boucle des images qu’il ne parvient pas à supprimer. Lester refuse de se laisser envahir par l’angoisse de cette nuit. Il combat ses sentiments et fait sur lui un travaille intense pour rester stoïque, pour rendre son sang glacé, pour que son pouls ne s’agite pas. Rien n’est perceptible et il veille à ce que son comportement ne donne aucun indice du trouble qui l’agite. Pourtant, il ne peut empêcher son regard de vagabonder. Il ne peut s’empêcher d’accorder à cette partie de tennis un intérêt absent. Pour une fois dans sa vie, gagner n’a presque plus d’importance.

Avec un soupir las, il s’élance. Sa course, mesurée et précise, atteint son objectif avant que son adversaire n’ait eu le temps d’inspirer. Avec une force empreinte de la rage qui l’agite, Lester exécute un revers qui renvoi la balle dans un claquement sec. Il attend patiemment le retour : le jeu lui semble se dérouler au ralentit. L’attente entre le moment où il renvoi, et le moment où il sait qu’il pourra frapper de nouveau lui est intenable. Lester ressent un besoin viscéral de se défouler et la partie de tennis qui lui semble durer depuis des heures le frustre au point de non retour. Excédé, il lâche un grognement sourd, lève les yeux au ciel et en oubliant le respect dû à son partenaire de jeu, il quitte le terrain en laissant sa raquette contre la grille. Il entend qu’on l’appelle mais choisit consciemment de l’ignorer et, avant qu’on n’ai pu le rattraper, il pique un sprint.

Lester court au rythme de ses pensées. Il se repasse les événements des derniers jours et posément, réfléchit. Il en est arrivé très vite à la conclusion qu’une discussion avec Hercule s’impose : il a bien peur d’avoir compris certaines choses. Il pèse le pour et le contre : d’une part, cette histoire ne le regarde pas. D’autre part, il a bien peur que l’accident soit trop grave pour se contenter de l’ignorer. Lester, pragmatique, a conscience qu’ignorer le comportement étrange du jeune homme ne réglera rien. Il admet lentement que, quoi qu’il fasse, il est trop tard pour renier sa responsabilité. Il a assisté à l’acte : il fait désormais parti de l’histoire.

Une envie effroyable de hurler greffée à la poitrine, Lester interromps sa course à contre cœur devant la chambre d’Hercule. Il sert les dents. Au fond de son crâne, sa raison voudrait interdire à son cœur de cogner si fort contre sa poitrine. Il se dit, avec une conscience absolue de se mentir, que sa course est en partie responsable de son énervement et de la pulsation de son sang contre ses tempes. Il sait parfaitement que c’est faux : Lester pourrait courir des heures sans s’épuiser.  « Calme toi. C’est ridicule. Tu maîtrises parfaitement la situation. Tu maîtrise toujours parfaitement la situation, Lester. » Et sa propre voix sonne faux lorsqu’il frappe trois coups contre la porte. Brièvement, il ferme les yeux et inspire. Il se prépare à perdre une partie de ses souvenirs, et une partie de lui ces derniers jours. Il se demande si ce serait si grave : ces images le hantent à un point qu’il ne pensait possible, et pourtant, elles sont insignifiantes en comparaisons de certaines autres qui habitent sa mémoire. Alors s’en débarrasser ? Et pourtant, il refuse de s’y résoudre. Par orgueil, il refuse que quiconque ne touche à ses douleurs.

Personne ne touchera à son intégrité.

- Salut, Hercule. » Lester est pâle lorsqu’il pousse la porte, mais sa voix est ferme. Dire qu’il n’a pas peur serait mentir, mais Lester ne manque pas de courage. « … » Il laisse planer un silence et ferme lentement la porte derrière lui, s’y adosse en dévisageant Hercule. Avec un effort de volonté, il retient ses gestes pour ne pas agir trop vite et mesure ses mots pour rester compréhensible. « Je suis au courant. » Il se redresse et fait face. « Je suis vraiment au courant. » Et, défiant Hercule de faire quoi que ce soit, il plante son regard dans le sien.