Nightmare ▬ PV Hercule

Les activités du club ne l’intéressaient même plus tant Felicia était préoccupée par les événements récents. La tête ailleurs, pensées tournées vers Ernest qui l’envoyait faire mille et une bêtises en sa propre compagnie. Aujourd’hui encore, une opération dangereuse qui avait failli mal tourner - s’il ne l’avait pas aidée, elle se serait fait attraper sur le champ. L’aurait-elle laissé tomber ? Pas moyen - elle savait que bien que réticent au début, il n’existait pas de personne mauvaise. Il ne pouvait pas simplement tourner les talons et la laisser dans la merde.

C’est donc sur cette pensée positive qu’elle s’était rendue chez les cheerleading - entraînement habituel avec le monde qu’elle avait apprit à connaître, notamment avec Nino. Visiblement leur mini-confrontation du premier jour avait marqué la rose. Non seulement ça la préoccupait, mais en plus de ça, Victoria n’allait pas fort. Le coup de la soirée ne les avait pas arrangées et en plus de ça, la capitaine se montrait bien plus froide qu’à l’accoutumée. Pour masquer les faits, la suédoise tentait de se montrer aussi enjouée mais le coeur n’y était pas - cet incident les avait bousculées toutes les deux.

Inconsciente de la situation dans laquelle elle était, Felicia avait fait preuve d’une imbécillité marquante en révélant haut et fort le secret de sa présidente. Pour elle, ça ressemblait plus à une révélation à partager qu’à un secret - et jamais, ô grand jamais, elle n’aurait voulu contrarier Victoria. Elle était un vrai modèle : pourquoi l’aurait-elle mise en colère ? C’était pourtant là qu’elles en étaient - les oeillades sombres de la reine lui rappelaient cruellement qu’elle était loin d’avoir géré et faisait remonter dans son estomac noué sa culpabilité.

Honte.

Une fois de plus elle avait voulu s’enterrer six pieds sous terre - mais elle aimait trop ce sport pour ne pas venir. Et puis, ça n’allait pas aider qu’elle disparaisse de la circulation - vivre dans la perpétuelle idée d’être détestée, elle ne pouvait pas. Lorsque Victoria la désigna pour le nettoyage du sol, elle acquiesca en silence et s’entraîna encore un peu alors que les autres se changeait. Parfaite couverture pour ce job honteux - et elle se remit en uniforme une fois que toutes les filles eurent quitté le vestiaire.

Et maintenant ? Au boulot. Elle se munit de la serviette et d’un balai, commençant à nettoyer les moindres recoins de la salle. Pure maniaque, elle passa au peigne fin la totalité de la salle - jusqu’à la moitié. Arrivée à ce stade, elle se mit à glisser en chaussettes sur le sol mouillé et tenter toutes sortes de figures étranges. Une occupation qui la distraya quelques minutes avant qu’elle ne retombe dans son profond ennui, stimulée par son humeur maussade. Elle finit par s’arrêter, posant ses outils de travail et s’assit sur le sol, triste.

Brisée.

Hercule n’a vraiment pas choisi le meilleur moment pour arriver. Il lui fait face, à la fille habituellement enjouée et survoltée. Elle l’était, d’ailleurs, cinq minutes plus tôt, à traverser la salle en glissant pour laver le sol. Elle prenait tout très à coeur, juste avant, et si Hercule était arrivé à ce moment, il n’y aurait pas eu de soucis. Il l’aurait rejoint et les deux auraient pu s’amuser à voir qui glisserait le plus loin, si longtemps que le sol aurait été on ne peut plus impeccable. C’aurait pu être tellement plus simple s’il avait été là cinq minutes plus tôt, mais il avait choisi d’arriver au moment où elle s’était relâchée. Juste un peu, quelques minutes de pause le temps de se reprendre et de réfléchir. Le temps de sourire à nouveau, trouver sa bonne humeur là où la culpabilité ne l’avait pas encore effacée.

Mais cette fois elle n’y arrivait pas. Elle pensait à cette soirée, revoyait l’engueulade à laquelle elle avait eu droit. Elle aurait dû se douter que c’était un secret, qu’il ne fallait pas faire n’importe quoi avec la confiance de la reine. Elle aurait dû y réfléchir davantage plutôt que de sauter sur Morgan pour lui hurler son savoir à la figure, ressasser davantage les mots de Victoria dans sa tête. Seulement c’était trop tard, car maintenant elle n’avait plus que des reproches au sujet desquelles réfléchir, le plafond à contempler pour éviter que les larmes ne coulent. Ne pleure pas, pas pour un truc aussi futile. Ne pleure pas, pas comme une gamine.

Pas ici.
Pas devant Hercule.

Elle devait continuer d’être la même, d’être droite et irréprochable. Elle aurait dû se redresser fièrement pour honorer son second prénom, articuler d’une voix masculine très mal imitée que Zlatan ne pleurait jamais. Seulement, elle n’y arrivait pas. Elle ne pouvait pas se relever après un coup pareil, parce que Victoria lui avait tourné le dos trop vite. Elle aurait bien voulu sourire pour Hercule, non pas pour lui mentir, mais juste assez pour le rassurer. Sourire pour lui dire que c’est bon, elle gérait la situation, elle pouvait continuer à nettoyer parce que ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ça et elle était habituée. Sourire, juste histoire de ne pas inquiéter tonton, parce qu’elle n’aimait pas quand il s’énervait, elle n’aimait pas le voir autrement que lorsqu’il arrivait tout souriant dans la salle pour les voir s’entraîner.

Alors arrête de t’inquiéter Hercule, parce qu’elle n’a pas envie de t’entraîner dans sa chute. Elle veut simplement être tranquille pour l’instant, pleurer dans son coin s’il le faut parce qu’elle est la seule responsable. Trop idiote, bien trop pour comprendre qu’elle avait fait la plus grosse bourde de sa vie. Elle avait peut-être brisé une amitié en voulant bien faire - et même partant de ce postule-ci, elle n’avait pas d’excuse. Qui aurait balancé quelque chose comme ça à quelqu’un ? À défaut d’être une pure imbécile, elle était trop innocente pour comprendre de quoi il en retournait. À présent, elle comprenait mais ça ne l’aidait pas vraiment. Les jeux étaient faits.

▬ T’inquiète pas tonton, je gère, c’est pas la première fois que j’le fais !

Elle lève son balai en l’air, tente de prendre un air conquérant. Elle veut sourire, veut se montrer convaincante mais le coeur n’y est pas. Alors elle tourne la tête, dissimule son visage avant que son sourire ne se noie dans sa tristesse, avant que son masque ne tombe - bien incapable de tenir plus d’une seconde sous le poids du chagrin. Elle aimerait tellement être douée pour cacher ses émotions mais elle est trop honnête, elle a toujours été habituée à se comporter naturellement. On lui a apprit à agir de cette façon, en ce sens elle est peut-être le soleil le plus éclatant de tous. Mais le plus fragile, aussi.

Et ça, Hercule l’a bien comprit. Elle le sait parce qu’elle entend sa voix, qu’elle ressent son instabilité sentimentale dans ses mots. Elle ne le voit pas vraiment, la vue un peu embrumée parce qu’elle a envie de pleurer mais que les larmes ne montent pas assez, qu’elles sont toujours cachées. Elle cligne des yeux, renifle doucement, s’interdit de craquer. Tonton est en colère et ça ne l’aide pas à se calmer. Hercule a toujours été un symbole de protection, si bien qu’elle a toujours eu envie de lui sauter dessus quand elle le voyait. Plus que jamais, maintenant, elle le voulait, pleurer dans ses bras toute la peine qu’elle accumulait. Se laisser aller juste une fois, parce qu’elle n’avait jamais été quelqu’un de fort comme lui.

▬ Tu peux y aller tonton, j’vais nettoyer. C’est bientôt le dîner, dépêche-toi.

Elle a parlé vite, accéléré sa fin de phrase pour ne pas entendre sa propre voix trembler. Pour ne pas qu’il entende sa voix trembler, pour ne pas qu’il s’inquiète. Elle ne veut pas, elle n’a pas envie que Victoria lui en veuille davantage. Si ce ne sont que des tâches comme ça, ça lui va, elle est bien capable de les supporter. Alors elle reprend son balai, tente de s’appuyer dessus pour se redresser et continuer mais son corps lui semble si lourd, chargé de sa tristesse.

Elle se maudit, Felicia, parce qu’elle se doute qu’au fond, elle est bien incapable de cacher ce qu’elle ressent vraiment. Pitoyable actrice, elle brille tant que le moindre écart n’a aucun mal à être remarqué. Elle est si éblouissante qu’un relâchement est tout de suite repéré. Alors elle fait de son mieux, la suédoise, elle voudrait ne jamais s’arrêter de sourire pour les autres, elle voudrait rester la même tout du long. Elle voudrait, et c’est une battante, mais elle sait qu’au fond, c’est inutile - elle n’a pas la force des autres, elle ne peut soutenir personne comme le ferait Hercule. Elle tente de se résigner, mais elle a déjà envie de craquer - elle ne pourra rien cacher à son tonton, elle l’a su dès l’instant où il est rentré dans la pièce.

Alors la blonde veut se changer les idées, amorce un mouvement pour se redresser et reprendre son travail - bien résignée, au final, parce qu’elle n’a jamais pu combattre la colère avec la colère. Bien incapable d’en éprouver à l’égard de Victoria, elle avait bien tenté d’être naturelle mais ça n’avait rien changé - et ce terrible sentiment d’inutilité lui tordait l’estomac ; une solitude qui lui déchirait le coeur. Elle n’espérait plus vraiment à ce sujet, elle voulait simplement porter un masque, aussi lourd soit-il, si ça pouvait empêcher la moindre embrouille. Cette même gentillesse, vestiges de son amitié pour sa présidente, qui la poussait à ranger sa peine dans l’ombre. Qui la poussait, cette fois, à reprendre le balai pour se remettre sagement au travail.

Mais Hercule la prit de court - un mouvement brusque qui la happa, lui faisant lâcher son outil et elle se retrouva dans les bras du E. C’était là qu’elle voulait être, dissimuler sa peine ici, près d'un ami attentif et bienveillant qui serait là pour elle. Felicia cligna des yeux, surprise, mettant un moment avant de se rendre compte de ce que Hercule avait fait. Ses paroles survinrent à leur tour, une claque en plein visage pour la suédoise qui pensait avoir réussi à cacher son jeu. Seulement, Hercule n’était pas dupe et il avait lu sa peine sans grand mal, il mettait de côté son dîner pour elle.

C’est plus une question. J’vais t’aider. Ca ira mieux tu verras, si on est tout les deux.

Elle s’immobilise, surprise, mord sa lèvre tremblante. Felicia a toujours été là pour les autres, mais l’inverse au fond, n’a jamais été vrai. Elle pensait partager des amitiés dans ce pensionnat mais c’est bien la première fois qu’elle a l’impression d’être vue, d’être appréciée comme la véritable personne qu’elle est. Tonton est là, maintenant, elle peut se laisser aller. Il l’a dit lui-même, ça ira mieux tous les deux. Elle lui rend son étreinte, serre ses mains dans le dos du jeune homme. C’est cruel, elle le sait, elle ne peut pas se laisser aller. Elle ne peut pas pleurer, elle ne peut pas lui dire parce que Felicia sait qu’il aime Victoria aussi, qu’elle lui est chère. Elle a déjà brisé son amitié avec Morgan, elle ne veut pas briser celle-ci.

Elle renifle, hume cette chaleur protectrice - un oncle si rassurant, si aimant. Elle reste silencieuse, sent ses yeux d’embrumer et finit par craquer - ses larmes coulent, brusquement, lui ôte toute sa combattivité. Elle a honte mais elle pleure, pleure de toutes ses forces dans les bras d’un Hercule qui a su la rassurer. Elle veut se cacher mais c’est trop tard - elle montre enfin tous ses regrets ; celui d’avoir trahi la confiance de sa capitaine et, à présent, celui de lui mettre un nouveau problème sur le dos.

▬ C’est ma faute tonton. C’est ma faute.

Elle a la voix brisée, arrive à peine à se faire comprendre, mais elle veut quand même agir noblement. Hercule est impulsif, elle ne veut pas voir à nouveau sa colère - encore moins par sa faute, pour une erreur qu’elle a commise. Felicia ne voulait pas flancher, pourtant, elle voulait rester seule à porter ses propres peines, mais au fond, elle était même incapable de ça.

Elle a essayé, de toutes ses forces, mais ça n’avait pas été suffisant. Hercule l’avait aidée à laisser ressortir sa peine, l’avait poussée à se confier et ça, ça l’avait rendu heureuse. Un rayon de soleil dans cette averse triste, un tonton à l’écoute pour un soleil solitaire.
Et les larmes ne s’arrêtent pas, trop heureuse de trouver enfin un endroit où se décharger. Alors, ne t’énerve pas Hercule. Tu l’as déjà sauvée.

On va se débrouiller. C’étaient les mots d’Hercule, les mots de tonton. Elle avait prit plusieurs secondes avant de se rendre compte qu’il la serrait davantage, semblait tout autant troublé qu’elle. Le pilier sur lequel elle se reposait n’était pas si infaillible, elle savait qu’elle ne pourrait pas toujours noyer ses peines ici. Cette tristesse touchait autant le E qu’elle la touchait elle-même - et ça, ça la faisait terriblement culpabiliser. Soulager son coeur à ce prix, Felicia doutait que ça en vaille la peine - et s’il fallait qu’elle encaisse davantage pour que Hercule continue de sourire, c’est ce qu’elle allait faire. Même si elle devait craquer, même si les larmes devaient couler à nouveau, en douce cette fois, elle le ferait pour lui. Elle le ferait sans aucun doute - mais cette fois, juste une fois, elle se laissait aller.

Ce moment lui avait fait un bien fou - quelques minutes à pleurer incessamment, à se laisser gagner par ses faiblesses. Elle avait honte, elle se détestait pour ce qu’elle avait fait, mais elle savait aussi que c’était inévitable et que toute cette décharge lui serait tombée dessus à un moment donné. Cruelle vérité qui ne lui ôtait pas pour autant ce poids sur la conscience - et elle avait même hésité, malgré les larmes qui coulaient, à se donner complètement. Elle avait voulu faire marche arrière, mais elle avait finit par laisser tomber. Pleurer sans détours, crier sa peine sans prendre garde - et tant pis, cette fois, si on l’entendait, tant pis si Victoria savait ou non.

Elle devait être forte - c’est ce que Hercule avait dit. Pendant quelques minutes, elle avait trébuché mais elle se relevait, faisait de nouveau face parce qu’elle avait ça en elle. Cette force, cette lumière, cette combattivité qui la rendait différente et forte, même si elle était persuadée du contraire. Ses larmes coulaient toujours, mais elle était silencieuse, reniflant avant de s’essuyer les yeux avec maladresse. Elle aussi ne pouvait pas toujours sourire, et même si c’était une simple dispute qui la faisait tomber, elle n’en restait pas moins une lumière éblouissante et naturelle - pas pour les autres, pas pour elle-même, c’était sa nature qu’elle s’efforçait de mettre en avant à chaque instant pour la répandre sur le monde.

Et aujourd’hui, ce soleil avait trouvé son support. Elle le ressentit, tout cet amour que tonton avait, cette affection et cette fraternité - quand sa main glissa dans ses cheveux, elle se fondit en un sourire sincère. Elle appréciait, égoïstement, cet instant où elle se reposait et n’avait plus à faire d’efforts. Elle appréciait, malgré la tristesse, de se relâcher - peut-être juste pour cette fois, peut-être que le retour à la réalité n’en serait que plus dur, mais elle s’en moquait. Elle avait pleuré et maintenant, elle se redressait, assise, pour faire face à Hercule. Ses yeux se plantait dans les siens, elle qui désirait parler avec une sincérité implacable, dire la vérité.

▬ Vic m’a dit quelque chose, tonton. J’étais contente qu’elle me parle d’elle mais je pensais pas que c’était… un secret aussi important. Je voulais pas trahir sa confiance.

En toute sincérité. Mais elle ne pouvait pas soutenir davantage son regard et le déporta sur ses mains qui jouaient nerveusement avec une mèche de cheveux. C’était d’une telle stupidité qu’elle se maudissait elle-même de ne pas avoir fait montre de plus de maturité ou d’égarts vis-à-vis de ses paroles. C’est quelque chose qu’elle n’oublierait pas.