♤ Alessandra Wälkky et Gabriel Oswald || Résumé : Gabriel décide de procéder à une vengeance précise et méthodique de toutes les personnes qui se se sont mises sur son chemin. Il commence par Alessandra. ♤
Méconnaissable. C’était le terme que l’on pouvait accoler à Gabriel, tant il ne ressemblait plus au garçon frêle qu’il incarnait jusqu’ici. Un maximum de fond de teint, une perruque brune, des lentilles noires, des lunettes banales, une tenue banale. Il était revenu à Prismver. Dans le plus grand secret, sans prévenir personne. Sans même daigner retourner dans sa classe, abandonnant à Londres Nathan le temps d’une presque-semaine. En effet, le garçon était parti depuis maintenant quatre jours. Quatre jours pendant lesquels il avait découpé son emploi du temps avec beaucoup d’audace. La première journée avait été consacrée à la vengeance contre ses parents, puis il avait pris le train pour Prismver. Feignant un séjour familial, réservant sa chambre d’hôpital pour son retour (il était majeur, il pouvait), il avait préparé un plan parfait pour introduire le début de sa revanche. Une vengeance froide, précise et rigoureuse, qui ne laisserait place à aucun doute.
Oswald arriva en gare de l’île au matin du vingt-quatre octobre. Il descendit à quai, sans le moindre bagage qu’un petit sac dans lequel était disposé quelques vêtements et quelques seringues avec des produits médicaux, le tout avalisé par une ordonnance médicale au vue de ses problèmes de santé. La nouvelle ne fit pas le tour de la ville, il s’éclipsa immédiatement dans les toilettes. Le garçon passa de nombreuses heures à se maquiller, sachant pertinemment qu’il devrait le refaire dès le lendemain. Arpentant tranquillement les rues de la ville, avec des lunettes de soleil, il se mêla à la foule sans attirer l’attention. La première phrase du plan venait de réussir. Il ne fallait pas traîner. Dans la plus grande discrétion, avec la plus stricte banalité, vêtu d’un jean et d’un pull américain, il rentra dans une jardinerie.
Il n’y avait pas beaucoup de monde, mais cela ne rendait l’incursion que plus dangereuse. Un seul élève en-dehors du Pensionnat, et tout risquait d’être foutu, bien qu’il demeurait méconnaissable au premier abord. Avec des gestes décisifs et sans l’ombre d’un doute, il s’empara de plusieurs sachets de mort-aux-rats, ainsi que d’autres ustensiles censés se porter garant de fioritures dans ces circonstances. Arrivé à la caisse, le jeune homme laissa ses articles dans le panier et le passa à la vendeuse. Elle les valida, laconique, sans se douter le moins du monde des sombres desseins auxquels ils allaient servir.
«
Bonne journée. » Fit-il avec une sobriété en étrange contradiction avec son caractère habituel.
Il regagna le seul hôtel de la ville dans lequel il réserva une chambre. Il n’y avait pas beaucoup de monde, cela allait sans dire. Gabriel se présenta sous une fausse identité. De toute façon, personne ne chercherait à vérifier. Il paya en espèce, découvrant son visage. On lui donna les clefs de sa chambre, et il alla s’y installer pour les deux prochaines nuits. Son petit sachet Jardiland dormait au fond de son sac
Eastpak, il ne tenait pas à ce qu’on lui demande la raison pour laquelle il avait besoin de tels produits dans un hôtel.
Passant les clefs dans la serrure, il entra et referma la porte. Enfin. La partie la plus facile venait de s’achever.
L’avantage à venir de Londres, c’est qu’hormis les vérifications du passeport, aucune douane ne faisait une étude poussée de ce que l’on transporte. Oh, bien entendu, on vérifie. Mais étant donné la faible distance, personne ne se demanda pourquoi Gabriel Oswald transporta avec lui des compléments alimentaires, censés rendre du goût à la nourriture. Le certificat médical de son médecin lui suffit à transporter ses antibiotiques et anticoagulants avec lui, dont les seringues nécessaires aux piqures. L’argent y avait sa part d’importance.
À maintenant dix-huit ans, le britannique savait qu’il était libre de faire ce qu’il voulait. Et maintenant qu’il avait récupéré une large part du trésor Oswald, une des familles les plus puissantes de Grande-Bretagne, plus rien ne pouvait l’arrêter dans sa soif de vengeance. La vengeance. Encore et encore. Ne jamais s’arrêter. Ils allaient tous payer. Sans exceptions. À l’aide de son ordinateur portable, immergé sous le
deep web, il confectionna un sérum virulent, douloureux et puissant à base du poison qu’il avait acheté plus tôt. Au lieu des médicaments qu’il était censé mettre dedans, trois seringues bénéficiaient d’une dose plus ou moins complète de la dernière partie de son plan.
«
Alessandra. I’m coming for you. »
Dans une petite boîte dormait un hamster. Gabriel lâcha la première dose dans le pâté qu’il lui servait. S’endormant paisiblement, le garçon rêvait. Il rêvait de la longue journée qui l’attendait demain. À son réveil, le hamster serait mort, et il ne douterait plus de son efficacité. À échelle humaine, le résultat serait moins violent, mais tout aussi délectable.
***
«
Bon appétit. » Avec une voix morne, sans laisser paraître la moindre émotion, si ce n’est l’indifférence du cuisinier blasé, Gabriel Oswald servit les élèves de la classe A les uns après les autres. Son cœur battait la chamade. Si sa casquette tombait, s’il enlevait ses lunettes, si quelqu’un se rendait compte du travail de fourmi qu’il avait fait sur son visage, c’en était fini de lui. Et conscient de cette réalité, il continuait à servir. Oh, un simple somnifère avait suffi à provoquer au cuisinier une panne de réveil. Il le connaissait, depuis le temps, ce célibataire lourdingue. Une vieille boîte de chocolats envoyée par une admiratrice secrète, une élève sexy, et le tour était joué. Malgré un dosage très scrupuleux, le risque qu’il débarque à tout instant sans que le garçon n’ait pu toucher sa cible le faisait frémir. Ce plan si parfait comportait de nombreuses failles, et pourtant. Il y croyait dur comme fer. Il voulait croire en sa réussite, même si elle reposait sur un facteur chance indéniable. Jusqu’ici, celle-ci lui avait souri. Comme si elle désirait l’aider à accomplir son destin.
En tant que serveur, il n’avait eu un droit de regard que très minime sur le plat du jour. Suffisant toutefois pour agir. Avec une remarquable dextérité, très rapidement, il avait drogué une partie du plat principal. Les steaks. Ces petits bouts de viande que l’on donnait par portion déjà prédécoupée. Il avait suffi d’insérer l’aiguille. D’insérer le poison. Et de le garder sous un œil attentif. Le ravitaillement arrivait vite, et il le gardait, ce morceau de viande. Il craignait que le cuisinier arrive. Et puis non. La cible arriva.
Alessandra Wälkky. Celle qui avait menacé de le tuer à Londres. Celle qui avait profité de sa faiblesse pour le mettre plus bas que terre. Elle allait regretter, cette salope. Sans pitié, il saisit de l’outil de cuisine un steak et le glissa dans son assiette. Calmement. Sans parler. Sans qu’elle ne fasse attention à lui, qui portait la tenue hygiénique de rigueur. Ce steak seul allait porter les germes de sa propre déchéance. Et Gabriel allait s’en délecter. Il acheva presque le service quand le cuisinier arriva, la classe E allait passer. Un bref dialogue, un clin d’œil.
«
Je vous ai remplacé… Ne vous inquiétez pas. Personne n’a rien vu. Les gens comme nous sont invisible. ».
Et sur ces mots, il se retira. Il adressa un regard à Alessandra, au loin. Elle embouchait le dernier morceau de viande. Un sourire s’étira sur le coin de ton visage. C’est fini pour toi.