Un shot, puis deux, l'amertume de l'alcool le fait grimacer. Ca ne tourne pas autant qu'il le voudrait, mais la soirée ne fait que commencer. Il est là, Raphaël, accoudé au comptoir, solitaire. Il est là Raphaël, engoncé dans sa chemise trop serrée. Il déboutonne un bouton, puis deux, juste de quoi dévoiler sa croix qui repose sur sa poitrine. Et ça va un peu mieux. Juste un peu. Pensif il joue avec sa bague, faisant tourner l'anneau autour de son doigt. Il ne sait plus trop où il en est Raphaël. Il ne sait plus trop ce qu'il doit faire, vers qui se tourner. Il y a le chemin tout droit, pavé de bonnes intentions, direction l’Église, et qui sait peut être le Vatican. Mais d'un autre côté, il y a le chemin que Sarah arpente, le chemin sur lequel il tourne en rond depuis son arrivée. Vices, déceptions, trahison. Un autre verre, vidé puis retourné sur le comptoir. L'alcool descend lentement, anesthésiant pendant un instant le bout de ses doigts, et les fourmis sont délicieuses, la perte de repères un régal. Mais éphémère. Il se sent seul Raphaël, immobile au carrefour de sa vie, Dieu reste bien trop muet, incapable de lui tendre la main pour lui indiquer le bon choix. Il n'y avait que lui, lui et sa putain d'enveloppe mortelle, lui et sa tête emplie de mensonges résonants, trop bruyants. Il a envie de leur dire de se taire, de fermer leur grande gueule dégueulasse, de leur coudre les lèvres pour ne plus avoir à les supporter. Mais rien qu'à cette pensée, Raphaël se sent coupable, et pour se punir il se mord la lèvre, un peu trop fort. Un goût de fer emplit sa bouche pendant qu'il aspire les quelques gouttes carmins qui s'écoulent de sa peau fissurée. Infect. Nouveau shot, l'alcool lui brûle la lèvre et Raphaël ferme les yeux, goûtant à la saveur de la douleur. Il se sent plus propre. Presque gracié. Presque. Tant pis. Raphaël était venu seul au bar ce soir. Ce n'était pas parce qu'il n'avait personne pour l'accompagner, non, plutôt parce que pour une fois il avait envie d'être seul. Il n'était pas là pour la fête, il n'était pas là pour discuter. Non. Il était là pour se perdre. Oublier ne serait-ce qu'un instant jusqu'à son propre nom : voilà ce qui était grisant. Il avait besoin de sentir l'alcool courir dans ses veines comme une rivière de feu, le goût de la tequila de mauvaise qualité lui retournant les boyaux. Et alors qu'il fait tourner le liquide dans son petit récipient, le jeune homme se tourne pour observer la salle. Pleine à craquer, logique pour samedi soir. Il aperçoit quelques têtes connues, pas des amis, juste des gens qu'il avait déjà rencontré dans les couloirs, en cours, au réfectoire.
« Non, il n'est pas sincère quand il dit qu'il n'y a que toi au monde chérie... »
Murmure-t-il en observant un couple à quelques mètres de lui. Encore une qui allait se faire avoir par un minable. Encore une qui finirait mal, à pleurer jusqu'à en faire couler son mascara. Mais après tout ce serait aussi un peu de sa faute à elle : qu'elle idée de s'engager dans une relation pareille ? Raphaël n'avait jamais compris. Jamais voulu comprendre. Les filles étaient trop compliquées et peu attirante, quant aux garçons... Même pas la peine d'y penser. Il était bien comme il était, seul, avec sa croix et son verre de tequila. Prêt à passer à quelque chose d'un peu plus fort, le jeune homme reporta son attention sur le barman, levant le doigts pour commander un verre d'un quelconque whisky, du moment qu'il était fort. Perdu dans ses pensées il ne la vit pas tout de suite. Non. Il y eu quelques instants, sans doute le temps de réaliser. Et puis il tourna la tête pour l'observer. En un instant, le monde de Raphaël fut détruit. Il n'y avait personne, et puis, comme par magie, elle était apparue. Sublime. Vénéneuse. Oh oui, vénéneuse. Et pour la première fois, Raphaël compris ce que c'était de regarder une fille, non, une femme. Son cœur manqua un battement, douleur, et le jeune homme se retourna pour fixer son verre. Putain. Ça tambourinait fort dans sa poitrine, bien trop fort. Il n'avait jamais ressenti ça. Raphaël avait l'impression que quelqu'un avait volé l'air de ses poumons : il suffoquait. C'était comme une véritable flèche en plein cœur, enduite d'un poison pernicieux qui n'attendait que l'impact pour se faufiler dans ses veines. Le jeune homme attrapa son verre fraîchement servit et le vida d'un trait pour essayer de se calmer. Pour essayer d'oublier, d'oublier qu'à côté de lui, venait de s'installer la plus belle personne qu'il n'ai jamais rencontré. |