Fais-moi de la place sur ton banc. | Lohann.

  Peu importait la saison. Qu’il vente, qu’il gèle, qu’il pleuve, que le soleil s’abatte sur mes épaules comme s’il pouvait concentrer le poids de toutes les douleurs de l’humanité. Peu importait l’endroit. La route infinie se fondant dans le ciel, ou quand celui-ci était rendu invisible par la cime des arbres et que je ne le voyais plus qu’en zébrures dans tout ce vert lorsque je parcourais les sentiers de forêts, ou encore quand le sable s’agrippait à mes jambes le long des plages. Tout ce que je voulais, c’était courir. Le plus longtemps possible, jusqu’à ce que mes poumons n’arrivent plus à aspirer la moindre goutte d’air, jusqu’à ce que tous mes organes asphyxiés me crient de m’arrêter, jusqu’à ce que mes jambes pleines d’acide lactique me fassent souffrir au moindre pas. Et je continuais. Les premiers kilomètres étaient les pires. Ils me coupaient le souffle, me brûlaient les abdominaux et vrillaient les sens. J’avais envie de m’arrêter. Puis passé ce stade, le bonheur s’engouffrait dans mes veines. Plus loin, plus longtemps. Je cherchais l’infini. Je cherchais ce stade où je ne pourrais plus m’arrêter, parce que courir signifiait euphorie. Mais à un moment le mal être revenait. Il revenait toujours. Mon fléau.

  Je venais de courir. Le soleil était passif dans le ciel, faisait paître ses nuages moutonneux sans réchauffer l’atmosphère. L’air froid était le plus vif, le plus incisif, il me découpait les poumons, et ma sueur refroidissait sur ma peau qui commençait à perdre son bronzage naturel. Ce soleil qui partait en vacances chaque hiver. J’étais épuisé. Je sortais du sac que j’emmenais toujours avec moi un pull épais. Mes pas m’avaient mené jusqu’au parc. J’aurais peut-être préféré ma chambre pour me débarrasser de la transpiration que j’avais encore sur moi.

  J’étirais mes jambes avant qu’elles ne soient roides et attrapais ma gourde. Je jetais un regard ensommeillé aux alentours. Le banc le plus proche était déjà occupé par une personne, mais je m’en fichais bien, comme j’étais fatigué. Je me laissais tomber à côté de la personne. Elle n’était pas très grande. Sûrement en première année. Peut-être attendait-il une jolie petite fille qui lui avait posé un lapin. De toute façon, les filles en première année n’avaient que douze ans. Elles étaient stupides.

  Je me laissais tomber sur le banc, passant une main dans mes cheveux légèrement humides. J’aurais vraiment dû rentrer. Je pris une gorgée d’eau en bouche et attendis qu’elle soit moins gelée avant de l’avaler. Elle était tellement glacée qu’elle choquait les nerfs de mes dents et engourdissait ma langue. Ma gorge tressaillit en se sentant transpercée par les éclats de froidure. Ma poitrine se soulevait plus lentement, plus harmonieusement. Mes poumons s’habituaient au repos. Mon cœur ne défonçait plus mes côtes comme s’il menaçait de jaillir de mon corps pour s’échouer sur le sol. J’étais juste fatigué.

« J’espère que ça ne te dérange pas que je sois assis ici. Tu es nouveau ? Je ne t’ai jamais vu dans le coin. »

  Après tout, ça faisait deux ans que j’étais là. Et il avait une cravate rouge. Je connaissais de vue une partie des E. Surtout ceux qui étaient plus petits en taille que moi. Je lui adressais un grand sourire, pour ne pas qu’il croie que j’allais m’en prendre à lui. J’étais un B, ce serait stupide de m’attaquer à un allié.

  Je m’attachais finalement les cheveux avec l’élastique que j’avais toujours au poignet quand je partais faire du sport. Quand allais-je donc l’utiliser avant ?

« Ne t’inquiète pas, je ne suis pas un S – d’ailleurs, je n’ai sûrement pas l’air assez fort pour aller en S. Enfin, comme tu es nouveau, peut-être que tu ne les connais pas. Mais à ta place, je les éviterais. Surtout comme tu es jeune. Ils ne feraient qu’une bouchée de toi. »

  J’avalais à nouveau de l’eau, sans la retenir dans mes joues. Le froid non filtré. J’avais l’impression de boire de la neige et qu'elle me contaminerait les entrailles.