There is nothing good about goodbye [PV Aiden]

There is nothing good about goodbye

Huit heures et quart. La bibliothèque a ouvert depuis peu. Il n'y a jamais personne à cette heure-ci. C'est le moment le plus paisible de la journée. Personne pour venir se poser juste à côté, à souffler toutes les deux minutes parce que "Pff, les math c'est trop dur! Ca sert trop à rien en plus!", personne pour se ramener avec son Coca et inspirer bruyamment dans sa paille alors que ça doit faire un quart d'heure que la canette est vide et cinq fois que t'essayes d'en boire. Le meilleur moment de la journée en somme. D'autant plus que j'avais besoin de solitude. Vraiment. C'était aujourd'hui que je passais officiellement en classe B. Voilà. Depuis minuit, j'appartenais aux bleus, corps et âme. Plus de dragon sur sa cravate. Plus le prestige auquel cela renvoyait. La sirène des éternels seconds l'avait remplacé. Je l'avais décidé moi-même, certes. Mais bon, ça me rendait quand même un peu nostalgique.
Cette grande salle, pleine de livres et de poussière, était rassurante. Elle calmait mon esprit : ici, tout les livres dont je pouvais rêver: "Le Livre des Bonnes Herbes", "Plantes et Remèdes Naturels", "70 Remèdes Naturels" … Les plantes étaient ma passion du moment.
Je rêvassais en passant à travers les rayons, laissant mon regard se poser sur chaque ouvrage, chaque auteurs, ma longue jupe en dentelle dansant sur mes chevilles au rythme de mes pas.

" Déjà lu… Déjà lu… Déjà lu… "

- Tu vas devoir faire ton choix, à un moment ou a un autre, tu sais.

La voix de Kei était toujours la première à venir briser l'assourdissant silence de cette pièce.

- Je sais, rétorquais-je d'un ton agacé.
- Je peux aller en choisir quelques uns pour t-
- Non! Le coupais-je

Je saisis donc le premier qui me vint sous la main. "Cultiver et Utiliser les Plantes Médicinales". Comme si je pouvais faire ça dans mon bungalow.

- Oh, il va surement t'être utile! Ironisa le garçon un livre sur les "situations négatives" à la main, sûrement bien plus que celui-ci !

Je me contentais de soupirer à la supposée blague tout en tournant les talons pour aller m'assoir à la table de gauche. Celle près de la fenêtre. Ma table. Avec "Sortir des scénarios négatifs" de Catherine Cudicio, voletant derrière moi. La fenêtre était entre-ouverte, laissant le vent faire danser les quelques mèches non tressées de mes cheveux entre mon visage et mes grosses lunettes, bien au chaud dans mon pull de laine couleur moutarde.

Plus qu'à se détendre...

Enfin, quand Kei se décidera enfin à se taire.

There is nothing good about goodbye

- Yop, ça va?

Une voix bien différente de celle qui me bourdonnait dans ses oreilles depuis une dizaines de minutes vint perturber ma lecture. C'était assez peu fréquent à cette heure de la matinée, mais je savais que cette personne n'était pas le genre d'indésirable de la librairie. J'aurais reconnue sa voix entre mille. Je levais les yeux et observait mon camarade, enfin, ex-camarade par dessus les verres de mes lunettes. Aiden. Il était debout, semblant un peu perdu dans les rayons, de grosses poches sous les yeux. Telle que je le connaissais, il avait du passer sa nuit devant un bon film de SF ou sur un jeu vidéo.

- Meh, couci-couça, répondis-je en reculant pour mieux m'adosser à ma chaise. Et toi? Bien dormis? ajoutais-je un soupçon d'ironie.

J'aurais dû dire oui, parce que je n'avais pas franchement envie de parler de ma mutation. Pas du tout, même. Mais c'était sortit tout seul. Et puis je n'allais pas lui mentir. Il s'en serait bien rendu compte un jour. Aujourd'hui même. Détourner la conversation était donc la meilleure des choses à faire. Si le sujet se présentait, je ne l’éluderais pas. Mais tant que ce n'est pas nécessaire ...

Surtout que c'était Aiden. Comme par hasard. Comme si ça ne pouvait pas être quelqu'un d'autre. Comme si la seule personne que je regrettais de ne plus voir était obligée de venir me demander si "ça va?". Mais il fallait que je reste calme, sinon, ma frustration allait finir par se voir sur mon visage. Et ça, c'est pas un bon plan quand on veut cacher quelque chose. En l'observant, je remarquais qu'il n'avait pas prit de livre. Assez étonnant pour quelqu'un qui s'installe à la bibliothèque à une heure si matinale. Il était venu exprès? Non, impossible. Si c'était le cas,je pense que je prendrais la fuite. Enfin, peut-être pas, mais vraiment. Ca ne serait pas le genre de scénario pour lequel je pouvais me préparer mentalement suffisamment rapidement. A coté de moi, Kei me faisait un sourire un peu débile, tapotant fièrement "Sortir des scénarios négatifs". Je lui renvoyais un sourire du genre "Haha, très drôle. Tu m'aides drôlement, merci". Tout ceci me rappelait que, de toute façon, Aiden ne pouvait pas être venu pour ça, puisqu'il ne pouvait pas savoir, puisque je ne lui avait pas dit. Encore une preuve de mon nombrilisme... Même s'il avait su, il ne serait probablement pas venu, de toute façon... Quoi qu'il en soit, il était là maintenant. Je fermais donc mon livre en soupirant. C'était parti pour une super journée...

There is nothing good about goodbye

- Yeah, bah j'ai quand même passé une bonne nuit même si j'ai pas dormi. Et toi, pourquoi couci-couca ? 

Je me pinçais les lèvres en cherchant une manière assez simple de répondre, sans vraiment y aller totalement brutalement. "Oh, bah je change de classe hein, je vais en B. Je t'en avais pas parler parce que je savais pas trop aborder le sujet mais je me sentais pas à l'aide dans cette classe de con -pas que tu sois con, hein, au contraire, je te trouve super- mais je trouve que Chan avait raison finalement.", ni la sortir à la mutation de service "Mon cher Aiden, mon cher camarade, puisque le sujet se présente, je tenais à t'annoncer que j'ai pris la décision de laisser ma place dans la classe A après cinq ans de bons et loyaux services dont une fabuleuse année à tes côtés pour finalement me réorienter vers une classe dont l'idéologie me correspond mieux, c'est-à-dire les B".  Non, non, non, non, non. De toute façon, le blond repris vite la parole.

-T'es venue aussi tôt pourquoi ? T'as des cours après ou c'est juste pour éviter les pintades qui gloussent ? 


Il me connaissait si bien. Venir, il savais que je venais. Il savais également que je ne venais pas toujours spécialement tôt, n'étant pas spécialement matinale. Juste avant les cours, c'était assez fréquent: pour réviser ou approfondir  un peu ce que l'on allait faire. Du moins, si les cours ne commençaient pas à l'aurore. Mais la tranquillité de cette salle, l'heure suivant son ouverture était tout de même inégalable.  Elle ne supportait pas de voir ces petites pestes type Nolwen et sa clique se ramener à la bibliothèque pour lire des magazines de modes et en s'esclaffant toutes les trois minutes à la bêtise (probablement volontaire, pour faire en sorte que les lectrices se sentent moins idiotes) de Nabilla ou je ne sais quelle autre cruche de téléréalité.


- Il y a un peu de tout ça, soufflais-je en plongeant mon regard dans le siens.


Aah! Le regarder dans les yeux me mettait encore plus mal à l'aise! J'avais juste envie de lui faire un câlin et de lui dire que j'étais vraiment triste de partir, de ne plus être dans la même classe que lui. Mais que j'en avais trop marre de cette ambiance. Que j'avais du mal à supporter le poids de ma conscience après la lettre des A, qui demandais une sorte de ségrégation malsaine au sein d'un établissement que j'appréciais pourtant. Que je ne comprenais pas la mauvaise foi de ces derniers qui se ventent de ne s'être jamais plaint de leurs conditions de vie dans Prismver. Comme si les monarques avaient à se plaindre alors que les E vivaient comme des paysans. Alors que les B partageaient même leurs salles de classes avec ceux qui en avaient le plus besoin, même s'ils étaient un peu plus turbulents. Que peut-être, ils le seraient moins, si eux aussi avaient le droits à des vrai cours, dans des vraies salles.  
Mais ça ne me ressemblerais pas. Et en plus, je finirais par me mettre à pleurer. Vraiment pas envie de pleurer dans les bras d'Aiden. J'aurais l'air de quoi, hein?

- Je voulais surtout me détendre un peu, expliquais-je, enfin, surtout me changer les idées avant…

Plus dur à dire que ce que j'avais prévu. J'aurais vraiment aimé lui annoncer ça, comme ça, l'air de rien, sans même le regarder. Un truc un peu classe quoi. Le regard perdu parmi les arbres, derrières la fenêtre, un petit sourire nostalgique sur les lèvres. Mais il n'y a que dans les livres que ça arrive. Je suis loin d'être aussi forte que ces personnages qui peuvent partir dans des aventures incroyables et renoncer à ceux qui leurs sont les plus chères pour leur idéaux.

Damned!

Je pris une grande inspiration et soufflais de toute mes forces, comme pour faire sortir toute la peur et la honte en moi en même temps que le dioxyde de carbone dans mes poumons. Pas sur que ça marche.

- Avant que je ne commence par première journée de B.

Voilà c'est dit. Je n'ose pas lever la tête, ni regarder autre chose que mes oxfords beiges et les chausses qui en dépassent.