Ca fait combien de temps ? [Tybalt]

Tybalt feuilletait les pages de son grand dictionnaire sur le monde du théâtre. Il ne cherchait pas un mot en particulier, et n'avait pas vraiment besoin de faire cela, mais c'était machinalement que ses mains tournaient les pages. En fait, il passait le temps, tout simplement. Ce vocabulaire, il le connaissait bien entendu, mais ça ne faisait aucun mal de le réviser un peu. D'autant plus que ça lui permettrait éventuellement de pouvoir fournir des définitions précises à ses élèves. Parce que même s'il connaissait les mots, il était parfois difficile de les décrire avec exactitudes, et l'italien n'avait jamais été doué pour les explications. Alors, il s’efforçait d'apprendre par cœur les pages de ce dico. Et, si possible, à en prononcer les mots distinctement. Avec l'accent british quoi. Cela ne lui déplaisait pas de garder son accent qui le caractérisait, mais il aimerait parfois se sentir totalement compris, et non pas avoir l'impression que les élèves tendent l'oreille pour le comprendre. Quand il s'énervait par exemple, il ne faisait plus aucun effort et c'était avec un fort accent napolitain qu'il parlait, le rendant incompréhensible pour la plupart de ses interlocuteurs. Alors, il s'entraînait quand il pouvait. A ce moment précis, il était seul dans la salles des arts, assis en tailleur sur l'estrade en bois, son livre entre les mains. Il n'avait pas grand chose à faire d'autre. Il n'allait pas reprendre les cours avant quelques heures et n'avait pas forcément envie de rentrer chez lui. Il pourrait travailler ici.
Il releva la tête, contempla la vaste salle dans laquelle il était. Il y avait toutes sortes de choses ici : de la peinture, des toiles, des outils pour dessiner... bref, la salle préférée des élèves qui avaient choisis une filière artistique. Et accessoirement, c'était aussi la salle de Tybalt. Il était professeur de théâtre. Cela faisait deux mois maintenant, et il avait encore du mal à se rendre compte que c'était lui, le nouveau prof de théâtre. Lui qui était arrivé à Prismver début décembre, accueillit par le directeur qui semblait heureux de le revoir. En franchissant le portail, il s'était souvenu, avec quelque nostalgie, du temps où il avait été élève ici. Presque rien n'avait changé. Quand il voyait tous ces jeunes, il se sentait presque comme eux. Il avait passé trois ans ici. Trois ans pour découvrir son pouvoir et l'améliorer. Trois ans séparé de l'Italie, de la mafia, de ses parents, de sa grand-mère... et de sa sœur. En parlant d'elle... elle était la raison de sa venue ici. C'était pour elle que, pour la première fois, il s'était installé dans un des confortables fauteuils de la salle des professeurs. C'était drôle, car certains d'entre eux, qui étaient aujourd'hui ses collègues, avaient été ses profs avant. Et il avait encore du mal à s'en rendre compte.

Il soupira et sortit de ses pensées. Bon, il fallait peut-être qu'il bouge. Il allait commencer par se prendre un café et se fumer une cigarette. Après, il irait préparer son prochain cours. Il rangea le grand livre dans son sac et se leva, adoptant sa démarche habituelle pour sortir de la salle, qu'il n'oublia bien sûr pas de fermer à clé. Le distributeur était son prochain objectif. Certes, le café laissait à désirer, mais il avait besoin d'un petit remontant pour continuer sa journée. Il s'y dirigea donc, jusqu'à ressentir un choc dans son dos, ce qui manqua de le faire basculer et tomber à la renverse.
Il eu un sursaut quand il entendit son prénom. « Cette voix, c'est... » Il n'avait même pas besoin de se retourner pour le savoir. Cette voix, il l'avait tellement entendue qu'il avait fini par la connaître par cœur. L’intonation de sa voix montrait sa surprise, son choc même. Tybalt vit volte-face au moment ou la jeune fille se retournait elle aussi. Plus aucun doute. Il s'agissait bien de sa sœur.


Il avait tenté de faire de l'humour, sûrement pour se détendre. Parce qu'il ne savait pas quoi dire d'autre. Il n'avait pas mis Sorena au courant de sa venue, elle ne savait pas que son frère connaissait l'existence de son pouvoir. Il ne l'avait pas contactée, n'osant tout simplement pas le faire, de peur de sa réaction. Mais maintenant, elle était là. Et il ne pouvait pas s'enfuir. Il allait lui devoir des explications. Et il ne savait pas par où commencer.


« Imbécile ». C'était sûrement la chose la plus idiote à dire. Il ne lui avait donné aucune nouvelle depuis pas mal de temps, et il lui demandait comment elle allait. Comme s'ils s'étaient vus la veille en fait. Alors que non, ce n'était pas le cas. Silencieux et quelque peu mal à l'aise, il ne savait pas comment elle allait réagir. En espérant juste qu'elle ne partirait pas en courant..

Tybalt observa sa sœur se figer, n'osant même pas faire un mouvement pour se rapprocher d'elle. Il imaginait bien sa surprise, et aurait sûrement réagit de la même façon s'il avait été à sa place. Sonera se retourna et détailla longuement son frère. Tybalt la regarda de la même façon. Son visage n'était plus celui d'une petite fille, bien qu'il gardait ce côté enfantin et ces traits si doux qu'elle avait toujours porté. Les battements de son cœur s'accélérèrent. Il n'avait pas vraiment réalisé à quel point la blondinette lui avait manqué, à quel point son absence avait créée une sorte de vide en lui. Enfants, ils avaient toujours été très proches, constamment collés l'un à l'autre, en train de jouer à toutes sortes de jeux, dont certains dont ils inventaient les règles. Il ne se quittaient jamais. Même leurs parents n'avaient jamais compris leur complicité. Ils se comprenaient sans même se parler. Et personne n'avait jamais pu réussir à les séparer. Les rares fois où ils s'étaient disputés, c'était pour se réconcilier quelques minutes après et retourner jouer comme si de rien n'était.
Sauf qu'ils n'étaient plus des enfants, et que ces moments-là, ça fait longtemps qu'ils ne les avaient pas vécus. D'abord, Tybalt était parti à Prismver, comme ça, sans prévenir, durant trois ans. Il avait été littéralement coupé du monde et les jours étaient passés. Il s'étaient habitué à être seul, même s'il résistait encore à cette époque à l'envie d'écrire à sa sœur afin de tout lui déballer, qu'elle le croit ou non. Mais il ne l'avait jamais fait. Il était revenu, et avait repris ses activités au sein de la mafia italienne. Ils n'avaient pu que se voir très peu à cette période. Et Sonera à son tour était partie à Prismver. C'est quand il avait été prévenu de ceci, par l'intermédiaire de sa grand-mère, qu'il y était allé, en tant que professeur. Deux mois qu'il était là et il n'avait pas osé recontacter la jeune fille, malgré le fait que son cœur battait plus fort chaque fois qu'il tombait sur son nom dans la liste des élèves.

Mais maintenant elle se trouvait juste en face de lui, à quelques pas. Ce n'était pas une impression, une illusion. C'était réel. Comme un apparition du passé. Mais c'était vrai. Alors, il tendit les bras quand sa sœur se précipita vers lui. Il la sera fort contre lui, comme s'il avait peur qu'elle ne s'enfuit, qu'elle disparaisse. Il aurait voulut faire durer cet instant de retrouvaille des millénaires, tellement le bonheur que cela lui procurait était grand.
Il lui sourit quand elle se mit en colère. Enfin, façon de parler. Il sentait bien qu'elle aussi était heureuse de le revoir, il n'y avait aucun doute là-dessus. Elle ne comprit pas tout de suite ce qu'il pouvait faire ici. C'est vrai que les gens dit ''normaux'' ne traînent pas dans ce genre d'école. Et les touristes ne sont pas autorisés dans l'enceinte de l'établissement.


Sonera n'avait pas été au courant du pouvoir de son frère. Il s'était retenu de le lui dire, de peur qu'elle le prenne pour un fou, ou quoi que ce soit d'autre. En fait, il avait tout gardé pour lui, car c'était la seule manière de protéger se secret. Il s'était sentit différent à cause de cela. Et son entrée à Prismver lui avait permis de rencontrer des gens qui étaient comme lui. Et, avant de savoir que Sonera aussi disposait de ce genre de capacités, il croyait être le seul monomageia dans sa famille.
Alors qu'il se faisait cette réflexion, sa sœur compris subitement ce qu'il pouvait faire ici. Le sourire de l'homme aux cheveux rouges s'élargit. Cette fois, il ne pouvait plus le cacher.


Il avait simplement dit cela comme ça. L'intitulé de son pouvoir qu'il ne disait pas à tout le monde. Seulement quand on lui demandait en fait. Ou alors, il l'utilisait devant ses élèves quand il en avait besoin. Mais quoi qu'il en soit, il avait suffit de cette phrase pour répondre à la question de sa petite sœur.


Répondant à sa demande silencieuse, il la prit dans ses bras. Son envie d'aller se chercher un café s'était totalement envolée. A vrai dire, il avait carrément envie qu'ils puissent avoir du temps. Et il allait bien profiter des deux heures qui lui restait.

Sonera lui en voulait sûrement, et lui-même aussi s’en voulait. Il n’avait pas été facile de résister à la tentation de tout lui dire, qu’il ait quelqu’un avec qui partager ce secret, quelqu’un en qui il avait confiance. Il en avait été malade, de devoir mentir à sa soeur. Il détestait lui mentir, et l’histoire de Prismver avait été le plus gros mensonge qu’il lui avait jamais raconté, après le Père Noël et la Befana. Il était quelqu’un d’assez franc à la base, même s’il était tout à fait capable de garder ses secrets et savait parfaitement mentir. Sauf qu’avec Sonera, c’était différent. Lui mentir lui avait été douloureux mais il avait dû s’y faire. Et il était finalement soulagé du fait que la blondinette avait aussi un don, et qu’il pouvait donc tout lui dire. Il ne lui cacherait plus rien cette fois.
Après tout, elle avait raison. Ils s’étaient toujours tout dit et n’avaient jamais eu aucun problème à se dire ce qu’ils avaient sur le coeur. Mais son pouvoir était quelque chose de tellement anormal pour le monde dans lequel ils vivaient qu’il n’avait tout simplement pas pu. Il avait été retenu par ses parents… mais il devait avouer qu’il avait aussi pris la décision tout seul, malgré le remord qui l’avait habité. C’était comme s’il s’était déchargé d’un énorme poids maintenant qu’il lui avait dit, et il se sentait beaucoup mieux.


S’il pouvait revenir en arrière, il lui dirait tout. Il partagerait ce secret avec elle, pour avoir quelqu’un à qui parler. Mais il lui était impossible de remonter le temps et il devait assumer les conséquences de ses actes. Désormais, il était là, face à sa soeur qui lui avait tant manqué, et il se sentait si bien qu’il voudrait rester comme ça pour toujours. Il était revenu pour elle. Et n’était pas prêt de partir.


Il avait dû réussir à se sortir des activités mafieuses, et c’était sûrement la chose la plus compliquée au monde. La mafia ne vous lâche pas comme ça, sans raison. Aucun de ses “collègues” ne savait où il se trouvait. Et heureusement, sinon il risquerait d’avoir quelques problèmes. Malgré l’année entière qu’il avait passer à se détacher des tentacules de la Pieuvre, il savait qu’il n’en serait jamais totalement libéré. Et c’est pour ça qu’il espérait rester à Prismver le plus longtemps possible.
Il soupira d’un agacement amusé quand sa soeur lui tira les joues. Il avait tellement l’habitude que cette zone de son visage était devenue quasiment insensible. Sonera devina tout de suite quel était son rôle dans l’école. Pas étonnant de sa part, elle connaissait tellement bien son frère que c’est le contraire qui aurait été surprenant.

Sa sœur lui pardonnait. C'était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Tybalt en fut tellement soulagé que c'est limite s'il eu les larmes aux yeux. Il ne voulait pas contrarier sa sœur, il avait toujours détesté ça, et la décevoir était la plus grande de ses peurs. En ne lui disant rien, il lui avait caché son plus grand secret, celui qu'il n'avait même pas pu partager avec la personne dont il se sentait le plus proche. Il se dit qu'il avait agit en véritable idiot. Mais il ne pouvait pas reculer, et regretter ces choses de toute façon passées ne lui servirait à rien. Il devait plutôt penser au moment présent. Il retrouvait sa sœur qu'il n'avait pas vu depuis si longtemps que cela lui semblait une éternité. Non, il se ferait des réflexions sur lui-même plus tard, quand il serait seul. Là, il se trouvait avec Sonera. Et rien n'aurait pu lui faire plus plaisir que cela. Sa journée en devenait radieuse. Et pour rien au monde il ne laisserait passer ce moment de pur bonheur.

« On devrait aller la remercier tous les deux, un de ces jours ! »

Tyalt sourit. Leur grand mère... elle avait tellement fait de chose pour eux deux. C'était quelqu'un d'unique, le frère et la sœur le savaient bien. Quelqu'un sans qui rien de tout cela ne serait arrivé. La découverte de son pouvoir avait été quelque chose de spécial, forcément. Ça avait totalement changé sa vie. Et il se disait que, sans l'aide de sa grand-mère, il n'aurait pas pu faire grand chose. Il lui devait tellement... et c'était la même chose pour sa sœur.

Il se mit à rire à la réponse de la blondinette. C'est sûr que son nouveau métier était différent de l'ancien. Enfin, travailler dans la mafia pouvait-il être considérer comme un métier ? Rien n'en était moins sûr. Quoi qu'il en soit, il s'était rangé du bon côté. Et il ne l'avait pas fait pour lui, non. Juste pour Sonera. Uniquement pour elle. Bien sûr, il adorait le théâtre, et il avait choisi un métier en rapport avec sa passion... mais si sa sœur n'avait pas été là, il serait encore en train de faire des petites affaires au sein de la pieuvre italienne.

Le frère et la sœur laissèrent les élèves passer, stoppant leur discussion. Il ne fallait pas que l'on pense n'importe quoi d'eux. Ça ne dérangeait pas le professeur de théâtre que l'on sache que Sonera est sa sœur, bien au contraire... Mais disons que ce n'est pas ce à quoi les gens pensent quand ils voient un professeur et une élève ensemble...
Il s'assit ensuite aux côtés de sa sœur, afin qu'ils continuent de se parler tranquillement. L'homme aux cheveux rouges avait oublié à quel point il aimait ces moments de discussions avec la jeune fille, et il redécouvrait ce plaisir.


Il eu un petit rire. Le directeur, qui était devenu son patron, n'avait pas changé. Et maintenant qu'il le côtoyait plus, il ne pouvait que mieux se rendre compte de son côté... hors du commun. Mais, c'est comme ça qu'il aimait. Et c'est ce qui le rendait unique.