watching stars collide || Hayden Park

En entrant à Prismver ou du moins le temps que j’y restais, je devais mettre un frein à mes pratiques. J’avais réduit mon activité à une fois grand maximum par semaine. Parfois, pendant tout un long mois, je ne le faisais pas. Ce moment de détente, ce moment de bonheur, de tranquillité, il n’arrivait que quand je me savais le plus parfaitement seul. Il me fallait la sensation de solitude et de sécurité pour que je puisse évacuer toutes les tensions qui me pesaient dessus. Ça avait toujours été soulageant, mais c’était mauvais, égoïste.  De longues minutes à me relâcher, les yeux fermés, enveloppé de chaleur. J’adorais les bains.

Je les prenais en général tard, pour être sûr que personne ne viendrait me déranger. Je prenais une douche juste avant, puis je laissais couler l’eau. Je mettais une tonne de bain moussant. Et ce jour-là, je profitais de ce moment si particulier. J’avais les cheveux attachés pour ne pas qu’ils touchent l’eau, un livre accompagné d’une serviette pour que je m’essuie les mains posés sur une chaise que j’avais trainée dans la pièce et aussi mon téléphone qui, bien qu’il ne captait pas le réseau, me permettait d’écouter de la musique. Et je laissais mon esprit vagabonder, contemplant parfois la fenêtre à la vitre tellement opaque qu’on n’en retirait que de la lumière. Ici, celle des étoiles.

J’aimais bien les salles de bain. J’aimais l’odeur de parfum, de gel douche, de chaleur, de shampoing, de maquillage, de buée. J’aimais dessiner sur les miroirs même si ce n’était pas bien, j’aimais la sensation des carreaux sous mes pieds mouillés, j’aimais me laver les mains, me brosser les dents, me jeter un coup d’œil en quittant la pièce. Je préférais les jolies salles de bains aux jolies cuisines.

Celle-ci ne faisait peut-être pas partie des « jolies salles de bain », elle était simple. Dans un meuble étaient rangées des serviettes. Je posais toujours dessus mes vêtements. La baignoire n’était pas particulièrement confortable, le lavabo n’était pas spécialement beau, les odeurs ne s’imprimaient pas assez, le miroir n’était pas entouré de spots lumineux. Elle était un peu froide. A part quand j’emmenais mes bougies d’ambiance, que j’éteignais la lumière et que tout était tamisé, et tout se mêlait. Je mettais des playlists avec des voix douces, fragiles, et je m’enfonçais dans l’eau. C’était juste un petit moment de bonheur.

C’était ce genre de moment qu’on ne partageait pas – de toute façon, personne ne se proposerait de rentrer dans mon bain ni ne venait dans la salle de bain quand on savait que j’y étais, alors je ne prenais même plus la peine de verrouiller la porte.

Et puis, quand je m’ennuyais, je me murais dans les Pensées. J’essayais de créer des liens entre elles, j’essayais de les trier, de les ranger. J’essayais de m’expliquer pourquoi je n’arrivais pas à avoir des muscles et pourquoi ma phase de puberté ne se décidait toujours pas à s’enclencher. Je me demandais pourquoi quand je me réveillais, parfois, j’oubliais mes rêves alors que je devais encore les écrire. Parfois il n’y avait que le sentiment qu’ils m’avaient procuré qui me restait collé au cœur. Alors j’écrivais juste dans mon journal deux ou trois mots. Parfois juste un substantif. « Bonheur », « mélancolie », « incompréhension ». Il y avait ce mot, déroutant, ennuyeux, effrayant, que je finissais par barrer, à chaque fois. « Vide. »


Il y avait la voix de Daughter qui se mêlait aux parfums des différentes mousses que je mélangeais, qui me titillaient l’odorat, il y avait la lumière chaude des bougies qui se fondait dans la chaleur de l’eau. Il y avait ma solitude qui, tout doucement, serpentait le long de mes membres, et le réconfort mélancolique de la nuit qui alourdissait mes paupières. Je ne me laissais pas flotter. Je me laissais couler. Et bon dieu, que c’était agréable.

Autant dire que toute ma tranquillité, que tout mon bonheur calme, tous le murmures de mon esprit détendu prirent fin dès que la voix d’Hayden rebondit contre les murs carrelés de la salle de bain. Je savais déjà que ma relaxation prendrait définitivement fin. Hayden était très gentil, je l’aimais beaucoup, et puis il comprenait les mésaventures de l’androgynie avec ses airs de petite fille, et tout, mais… il était le contraire même du calme. Il devait tout le temps faire quelque chose, il ne pouvait jamais se poser tranquillement quelque part. J’étais énergique, mais Hayden c’était l’énergie même. Je me demandais même parfois s’il connaissait la fatigue.

Bon, au moins il avait l’air heureux de me voir. C’était un sentiment que je ne partageais pas. Mais pas du tout. J’avais toujours été d’un naturel pudique ; me mettre simplement en sous-vêtements devant quelqu’un me rebutait et les seules personnes à m’avoir vu nu sans que ça ne me dérange, c’était ma mère, jusqu’à ce que j’ai sept ans et mon meilleur ami – en même temps, si j’avais honte devant lui, ça signifierait que jamais je ne pourrais me mettre à nu devant quelqu’un. J’avais donc viré au rouge, en rassemblant le plus de mousse possible autour de moi afin qu’il ne voit pas même un centimètre de ma peau à part celle qui dépassait de l’eau.

Le fait était que premièrement, j’avais crié de surprise. Qui rentrait dans la salle de bain alors que c’était sûr qu’il y avait quelqu’un dedans ? Hayden n’avait pas non plus la notion des convenances… Et puis, déjà mort de honte, il m’avait embrassé le front. Mon cerveau devait couler de mes oreilles, tant je ne pouvais plus réfléchir. Quoi ? Qui fait des bisous à ses potes quand ils sont dans leur putain de bain ? Personne. Le combo des deux devait m’arriver, à moi.


Je le regardais en fronçant les sourcils – je tentais un pseudo-air menaçant mais vu mon pourcentage de gêne ce n’était pas très convaincant – avant de me radoucir.


Je m’enfonçais de plus en plus dans l’eau. Je me recroquevillais contre le bord histoire de mieux me cacher. Je n’arrivais pas à y croire. J’étais quand même nu devant quelqu’un. Couvert de mousse, mais nu.


Je me mordillais la lèvre inférieure. Comment faire pour m’habiller supervite ou du moins m’enrouler dans une serviette à la vitesse de l’éclair ? Elles étaient trop loin, hors de portée. Je paniquais. Encore, le haut du corps, OK, ça allait mais… s’il voyait… je sais pas, mes fesses ou bien… autre chose…

Et je ne mentais pas. Ce genre de situations où un psychopathe se dirigeait en souriant vers sa victime m’avait toujours effrayé. Et Hayden avait un sourire un peu dérangeant parfois, alors ce rôle lui allait assez bien. Il allait avouer qu’il n’avait pas l’air très sain de base non plus. M’enfin, il n’était pas complètement dingue. Du moins, j’espérais.

Mais voilà qu’il me demandait un bisou. Je m’apprêtais à le faire, si c’était pour qu’il sorte j’aurais accepté beaucoup de choses, mais comme d’habitude, les choses ne se passèrent pas comme prévu. Tout se passait au ralenti dans ma tête. Et j’étais complètement impuissant face au spectacle qui se déroulait lentement sous mes yeux. Sa main qui glisse, son corps qui bascule vers le mien, son visage, trop proche, mon mouvement de recul. La trajectoire de sa main droite ne comprenait heureusement pas ma peau, bien qu’elle fût toute proche de celle-ci. Sa main gauche ne fut pas aussi clémente. Sa paume rentra en collision avec ma cuisse. Trop haut. Trop près. Terriblement près. Mon cœur tremble dans ma poitrine, ma respiration se casse. Pourquoi est-ce que ça devait toujours se passer comme ça ? Pourquoi est-ce que les accidents gênants devaient me tomber dessus comme ça ?

Ça n’avait duré qu’une seconde et demi, je ne sais pas s’il l’avait vu dans mes yeux ; j’avais l’impression d’avoir perdu un peu plus de ce que je tentais obstinément de protéger. Mon innocence. Et il était parti. Mes muscles tendus se relâchèrent lentement, et j’avais encore les jambes tremblantes en sortant de la baignoire. J’avais contemplé quelques secondes ma nudité dans le miroir, comme si je cherchais une trace de cet événement sur mon corps, comme si ça aurait pu l’effacer.

J’étais passé dans ma chambre avant de sortir, histoire de m’habiller et de ne pas rester en pyjama. J’avais attrapé sans regarder un bermuda et une chemise à manches courtes avec une paire de baskets. J’étais ensuite sorti du cabanon, me demandant bien ce qu’il comptait me montrer. Je ne pouvais plus vraiment le regarder dans les yeux, d’ailleurs. Je savais que c’était ridicule, qu’un corps c’était rien de plus qu’un corps, et que surtout le mien n’avait aucun intérêt à être sexualisé, mais ce petit instant, il avait déchainé tout le circuit du désir que je refoulais. Et ça me dégoûtait.


Je baissais les yeux. Rien que lui parler faisait brûler mes joues. Je ne m’étais même pas rendu compte que je m’étais empourpré bien avant d’ouvrir la bouche. La scène repassait en boucle dans ma tête. Mon cœur tentait de s’échapper en défonçant ma poitrine. Je n’avais jamais eu autant honte devant un garçon de toute ma vie.

Je risquais un regard dans sa direction en me mordillant une lèvre inférieure tremblante. Mon cerveau qui tournait à cent à l’heure me montrait ce qui aurait pu se passer, si ça avait été quelqu’un d’autre, si ç’avait été intentionnel. Si sa main n’avait pas été « à côté ». Si Hayden n’avait pas été garçon, ç’aurait n’empêche été pire. Si ç’avait été la jolie rousse qui hantait mes rêves, ç’aurait même été infernal. Mais elle ne serait entrée. Mon fantasme ne serait jamais entré dans la salle de bain.


J’essayais d’être nonchalant.
Mais la sensation demeurait.