Le rendez-vous

Ce jour-là était un jour comme un autre. Mon agenda crachait par tous les pores sa souffrance d’être rempli de rendez-vous qui ne me laissaient qu’à peine l’occasion de prendre une pause déjeuner.

Mon brave chien, quant à lui, ronflait dans un coin de la pièce. J’aurais tout donné, à cet instant, pour échanger mon emploi du temps contre le sien. Dormir, le maître mot de la vie de mon Shar Peï.

A cette heure-ci, j’avais un rendez-vous avec un professeur. C’était moi-même qui avait demandé à le voir, parce que j’avais à lui parler du cas préoccupant d’un élève. Ses notes baissaient gravement, et il me fallait l’appui du corps enseignant pour l’aider. J’avais cru comprendre que ce Steven Wargrave était son professeur principal, alors peut-être pourrait-il me renseigner à son sujet.

J’avais déjà, auparavant, entendu parler de ce professeur. Il était, paraissait-il, assez blagueur, et certains de ses élèves venus en consultation me racontaient ses plaisanteries qui m’avaient pour le moins impressionnée. Mais je me demandais si de telles blagues ne pouvaient pas avoir un effet négatif sur des jeunes aussi fragiles que mon patient.

En soit, j’avais hâte de rencontrer cette personnalité atypique. Je me demandais à quoi il ressemblait, physiquement, tandis que je sirotais mon café en attente du début de cette journée qui promettait d’être longue.

Je savais, même à travers la porte fermée de mon bureau, que le professeur que j’avais convoqué était arrivé. Il s’était installé dans la salle d’attente avec cinq minutes d’avance, et c’étaient ces cinq minutes qu’il me restait pour sonder les pensées de mon rendez-vous.

Concentrée sur le flot des mots et images qui traversaient son esprit, je sentais qu’il était nerveux. Il avait peur de ce que je pouvais penser de lui. Ah, s’il savait que j’étais même capable de deviner ce que lui-même pensait de sa personne, il en serait malade !

Les magazines que j’avais mis à sa disposition sur la table basse ne l’intéressaient pas, un peu comme si, encore une fois, il s’inquiétait du jugement que je pouvais porter sur lui. Oh, il n’était pas le seul à éprouver ce genre de sentiments face à une convocation chez un psychologue…

Cinq heures pile. Il y eut un dong de la pendule posée sur mon étagère, et j’ouvris dans l’instant qui suivit la porte qui donnait sur la salle d’attente, au même moment où mon chien sursautait.

– Bonjour, vous êtes Steven je présume ? lui lançai-je d’un ton enjoué.

Un large sourire traversait mon visage, tandis que je lisais la surprise dans ses yeux. Il ne devait pas s’attendre à trouver quelqu’un comme moi dans le cabinet d’un psychologue. Peut-être supposait-il rencontrer un homme d’un certain âge, barbu comme l’était Sigmund Freud… Mais les temps ont changé, depuis les premières années de vie de la psychanalyse, et la proportion des barbus dans la profession se fait de plus en plus petite.

Un mal de tête caractéristique martela soudain mon cerveau. C’était la même douleur à chaque fois que je m’aventurais à lire dans les pensées des autres. J’attrapai dans le fond de ma poche un puissant analgésique que je glissai sous ma langue, tout en m’écartant de la porte pour laisser entrer le professeur.

– Vous savez pourquoi je vous ai demandé de venir ? lui demandai-je.