Je dois admettre que cette idée de "journée parrain/filleul" était autant une bonne nouvelle qu'une torture absolue. Le problème dans ma situation, c'est que la prise-en-charge par une autre personne est une obligation. Le bon côté, c'est que j'en ai l'habitude et de fait, je ne m'en plains que rarement - ce qui ne m'aide pas vraiment dans cette situation. Au moins, le parrainage est quelque chose de normal et pas une mesure draconienne préparée pour mon illustre personne comme si le fait que l'école entière connaisse ma maladie n'était pas déjà une assez grosse punition (en plus de la maladie elle-même). À force de malchance, j'avais arrêté de me poser la question et en étant adossé contre le mur de la salle des professeurs, je m'attendais parfaitement à être pris en pitié par mon parrain. Avec un soupir, je décide de me réciter mes leçons apprises ce matin pour être certain qu'elles ne ressortent pas tout en continuant à attendre. J'ai l'habitude de patienter - ça ne me dérange pas.
À vrai dire, la majorité de ma vie étant comblé de trous, je m'en contente très bien. J'ai une personnalité plutôt calme en dépit de mes possibles dérapages en certaines circonstances - et encore, je n'ai eu que peu de fois l'occasion de le montrer. Je n'en ai pas les possibilités. Je suis fragile physiquement, et je dois me comporter en tant que tel. Ce n'est pas tant un choix qu'une obligation avec laquelle j'ai appris à vivre.
8:52
Le rendez-vous est à neuf heures. Je ne me permets pas le moindre tic ; marcher dans les alentours, taper du talon contre le sol ou le mur, pianoter sur le mur. Non - j'ai tendu mes membres et les bouge régulièrement pour éviter un craquement (ils sont bien plus violents dans mon cas) et je reste calme et immobile. L'hyperactivité n'est pas un luxe que je peux me permettre. Pour ma sécurité, les professeurs ont décidé de déplacer mon rendez-vous avec mon parrain ici plutôt que dans le Grand Hall pour éviter les bousculades. J'ai même été invité à y rentrer mais il n'est pas question que je cède. Contourner les règles a toujours été une manière de ne pas assumer la vérité de mon anormalité et celle de ma situation. Alors j'attends. Calme, conforme aux règles de mon existence.
Crossed fates feat. Finn O. Norgaard - date. 10 septembre
Tu es stressé. Vraiment stressé, Killiam. Tu es tellement stressé que tu as mal dormi cette nuit et que tu n'as pas arrêté de tourner et retourner dans ton lit toute la nuit, sans trouver le sommeil. Être parrain, c'était stressant pour toi : non seulement parce que ça rajoutait une responsabilité que tu n'étais pas prêt à prendre, mais surtout parce que tu ne voyais pas en quoi tu pourrais être utile à quelqu'un, à part pour faire visiter le pensionnat le premier jour. Donc te voilà dans le hall, à chercher du regard ton nouveau filleul, avant de te souvenir que, hé non ton filleul n'est pas dans le hall.
On t'avait fait un rapide topo, si rapide que tu n'avais compris que la moitié des choses, et tu avais donc retenu le seul truc important : son nom et sa maladie. Super pour faire connaissance dès le premier jour. Les mains un peu tremblantes sans aucune raison à part ton stress... qui lui n'avait aucune raison d'être étant donné que ce n'était pas comme si tu allais passer un examen, tu te diriges vers la salle des profs où ton filleul t'attend, normalement, ou où tu l'attendras, au choix. Qu'importe s'il est en retard, ça te laissera le temps de faire bonne figure.
Neuf heures moins cinq, et tu aperçois au bout du couloir ton nouveau protégé. Et intérieurement, tu sais que tu seras beaucoup trop protecteur avec lui, malgré le peu de différence entre vos deux âges, parce que bon, il était sous ta responsabilité, et le peu que tu avais entendu sur lui des profs te donnaient envie de le connaître plus qu'autre chose. Et quand tu voulais connaître quelqu'un, tu avais du mal à te détacher de ce sentiment, de ce besoin de protéger. Quelque chose que Théa n'avait toujours pas compris malgré vos dix-neuf années de coexistence.
— Salut, lâches-tu alors en arrivant devant lui, lui souriant légèrement.
Tu as un moment d'arrêt, ne sachant pas trop quoi faire de tes mains, lui serrer la sienne ? Non, il ne fallait pas le toucher. Okay. Ton esprit carbure et tu lâches alors dans un rire un peu gêné :
— Pardon c'est un peu ma première fois en tant que parrain, je sais pas trop comment faire. Je suis Killiam, enchanté.
Et tu lui souris, un peu moins gêné, un peu soulagé. Après tout, il n'allait pas te bouffer.
Sa première fois, mais pas la mienne, pas avec une vie pareille où j'ai l'habitude d'être pris en charge. Je ne le prends pas mal. Je suis un assisté et ce terme n'a pas à être péjoratif - d'autant que j'ai l'intention de m'imposer comme étant une personne à part entière et pas seulement un corps brisé qu'on s'efforce de trimbaler avec douceur. Je ne suis pas si fragile que ça - et mon seul pouvoir en est la preuve absolue. Je suis prêt à m'affirmer. Je sais que, dans ma situation actuelle où l'école entière est consciente de ma situation, ce n'est pas propice, mais ce sera bientôt le cas. J'ai l'intention de changer ça. J'ai l'intention d'aider les autres, ceux qui subissent les gens moins gâtés par la nature. Mais cette dernière n'en a pas fini avec moi. Elle a décidé de changer les choses, de m'accorder une nouvelle arme, une façon de me battre. Elle m'a hissé au rang égal à celui des autres, m'a donné de quoi vivre comme toute autre personne. Je peux me défendre. Plus encore, je ne tomberai pas - j'ai confiance en moi. Je n'ai pas besoin de savoir frapper. Tout ce que j'ai à faire, c'est de ne pas tomber jusqu'à ce que l'autre tombe.
Je sais que je suis différent, je le sais depuis ma naissance. Je sais que je mérite ce regard condescendant que m'adressent les gens et dont l'éclat brille, même de façon volontaire dans les yeux d'autrui. Je n'en veux pas à Killiam, pas plus que je n'en veux à l'administration - d'autant que c'est davantage une mesure commune que spécifique à ma situation. Je n'en veux à personne, j'ai appris à accepter les choses.
Je n'en veux à personne et plutôt que de blâmer les autres, c'est ma propre personne que je tente d'entraîner - c'est ce corps que je tente de former, cette magie que je tente de dompter au service de ma justice. Je sais que c'est sûrement utopique, d'autant que je ne suis qu'un gamin. Je fais presque pitié, et je le vois en face de mon parrain - il semble bien plus assuré, malgré une nervosité que je ne peux comprendre, et il dégage bien plus de force que je n'en suis capable actuellement.
"Salut. Je suis Finn et, hm, ce n'est pas la première fois que je suis pris en charge, pour être honnête."
Et ça sort sur le ton de plaisanterie, sans auto-dérision, sans hypocrisie, parce que rigoler de ces choses fait moins mal que de se créer une illusion dramatique qui volerait en éclats. Je n'ai pas besoin de ça. Je n'ai pas besoin de pitié, d'aide, qu'on me rassure sur ma confiance, mon identité, mes moindres capacités. Je suis comme je suis et les différences me sont égales - car maintenant que je suis mage, je me sais capable de les combler.
"J'imagine qu'ils t'ont fait un résumé de ma situation. Tu n'es pas très chanceux de m'avoir comme parrain, tu auras sans doute plus de travail que les autres. Désolé de t'imposer ça."
Et c'est à moitié vrai. C'est une assurance que je me donne, c'est un boulot que je lui colle entre les bras, comme le fait de l'obliger à ce que je puisse compter sur lui. C'est dégueulasse, et j'en ai bien conscience, et ma main tremble, déçu par mon comportement idiot, déçu par ma lâcheté. Et je m'en veux déjà de penser à la facilité alors que j'ai déjà bien évolué, alors que je suis capable de bien plus de choses en grandissant et maintenant que mes os sont capables de bien plus d'efforts.
Et je m'en veux déjà, moi qui hait être considéré différemment, d'avoir vu en cette relation grandissante quelque chose qui se rapproche plus de mon intérêt.
Crossed fates feat. Finn O. Norgaard - date. 10 septembre
Tu ouvres la bouche, la refermes alors qu'il reprend la parole. Si sa présentation sommaire t'a laissé surpris sans que ça ne se voit sur ton visage, ce n'est pas le cas à la suite de ses paroles. Tu te mords la lèvre, soupires en te frottant la nuque dans des tics nerveux que tu ne contrôles pas. Ce n'est pas la meilleure des rencontres entre un parrain et son filleul, et ça, tu le sais. Tu n'es clairement pas doué pour ça, ne l'avais jamais été, et tu l'avais bien dis aux professeurs que c'était une très mauvaise idée de te donner un filleul alors que tu avais le club de musique à gérer et qu'en plus de ça, tu n'étais pas très sociable de base.
Et comme souvent ces temps-ci, tu décides de prendre la carte de l'honnêteté, et du coup, de la parole. Chose que tu faisais de plus en plus au lieu de fuir comme un lâche, détournant les yeux et en faisant volte-face. Tu te racles la gorge, te frottant de nouveau la nuque avant de commencer, ton regard gris rencontrant ses yeux vairons qui te destabilisent un instant :
— T'es pas pris en charge. Enfin, pas par moi. Je suis pas là pour ça en fait, j'suis là pour te faire visiter le pensionnat, pour t'aider si t'as besoin d'aide pour des cours et tout le reste... genre, que ce soit toi ou un autre c'est pareil, tu vois ? C'que j'veux dire c'est juste... well, comment dire.
Tu soupires, cherchant tes mots, tes mains glissant dans les poches de ton pantalon parce que tu ne sais pas trop quoi en faire avant de les sortir, emmêler de nouveau tes cheveux avec l'une et faire quelques brassements d'air avec l'autre. Tout ça te prend beaucoup trop la tête alors que ça ne devrait pas. Tu réfléchis un court instant avant de reprendre rapidement pour ne pas qu'il prenne la parole :
— J'peux comprendre que t'aimes pas le principe, je comprends totalement et si tu préfères que je sois moins envahissant ou quoi, je le serai pas, c'est toi qui gère, c'est pas moi. Tu as besoin de moi, tu m'appelles et je viens, c'est comme ça que ça fonctionne. Mais pense pas que je le ferai pas de bonté de cœur ou quoi. J'hésiterai pas à venir te voir quelque soit la raison. Genre, des devoirs, ou juste parce que t'es paumé dans le pensionnat, que tu trouves pas ta salle de classe, que tu cherches un bon restau sur l'île, que tu déprimes et que t'as envie d'en parler à quelqu'un. Tu vois ? Genre, j'suis là pour ça. Enfin, c'est pas le but, le vrai, j'suis surtout là pour t'aider au niveau des cours et tout ce qui est administration et tout le reste normalement mais genre, quand je décide de prendre soin de quelqu'un ou de quelque chose, je le fais bien ? Donc. Voilà. Okay ? C'est pas du travail, je t'apporterai quelque chose comme tu m'apporteras quelque chose, et si tu m'apprécies pas, bah, tu pourras demander un autre parrain ou quoi. Bref. Vois moi plutôt comme un ami, au lieu de me voir comme un mec obligé de se coltiner un filleul. C'est pas le cas.
Tu déglutis, te racles la gorge et te mords la lèvre. Bien. Comment faire fuir une personne en une leçon, par Killiam Kenneth.
Je m'arrête quelques instants, surpris par son discours. Je m'arrête et je prends conscience de ma stupidité, de mon égoïsme, de mon manque d'humanité. Et je me déteste. Je me haïs. De l'avoir considéré comme une aide, d'avoir pensé qu'il ne penserait pas, de l'avoir jugé sans même le connaître. Je me déteste, et je veux revenir en arrière, je veux recommencer ça comme j'aimerais recommencer la moitié de mon existence. Je déteste cet esprit suffisant persuadé de posséder la lucidité absolue. Je déteste ce caractère ironique qui me rend si aveugle à tant de bonté.
Je déteste de voir instantanément toute remarque comme une chose à refuser, de ne plus être ouvert aux choses comme lorsque j'étais enfant. Je regrette d'avoir changé, d'avoir perdu cette innocence, et j'aimerais me répandre en excuses. Je regrette tant de choses et je me contente de déglutir toute cette amertume que je dois refouler pour l'instant car je ne peux pas me permettre d'agir égoïstement une fois de plus. Je regrette mais l'heure n'est pas à ça, car tout commence maintenant et si le faux pas est le mauvais, le suivant doit redresser le chemin. Je regrette mais je ne m'en soucie plus, car Killiam a déjà pardonné - car quoi que j'en dise, sans même me connaître, il s'est déjà investi dans un rôle qu'il voyait autrement.
"Un ami." murmurais-je comme pour moi-même.
Et je lève les yeux, croise son regard longuement, le sonde entièrement. Cet échange termine de lui livrer ma confiance car la franchise se ressent comme il doit ressentir ces effluves de honte qui émanent de ma personne. Cet échange de regards compte car je deviens en une seconde celui que j'ai rêvé d'être, même si ça ne dure pas, car j'accepte de compter sur lui, non pas par intérêt, mais parce qu'il a la gentillesse de m'accepter tel que je suis. Plus encore, parce qu'il ne s'est même pas soucié de qui j'étais avant de le faire - parce que pour lui, rien de tout cela ne semblait compter alors que pour moi, qui affirmait la même chose, ce poids me pesait dessus tout ce temps et semble aujourd'hui un peu s'alléger.
"Je ne sais pas si ton discours est sincère mais si c'est vrai, ça me fait plaisir."
Courte pause. Je mords ma lèvre, détourne les yeux. Et mon regard trouve à nouveau le sien.
"Tu serais bien le premier à m'offrir une relation sincère. C'est dur, dans ma situation. Je veux dire - je ne veux pas me plaindre, mais, j'apprécie ton effort, c'est ce que je veux dire. Si on peut devenir amis plus que parrain et filleule, crois-bien que ça me ferait plaisir. Je- Ce n'est pas quelque chose que j'imaginais trouver aujourd'hui."
Car la franchise à présent, semble être devenue mère de la discussion.
Crossed fates feat. Finn O. Norgaard - date. 10 septembre
Il y a un long moment de silence que tu ne combles pas, tu te complais dans le silence, tu as toujours aimé le silence, tu y as toujours été plus à l'aise. C'est Ezéchiel, qui te change. C'est Ezéchiel qui te force à parler, à dire les choses, toi qui te tais si souvent, qui ne dit rien et qui hausses simplement les épaules, qui laisses les choses couler sans intérêt. Ezéchiel te faisait prendre ta vie en main, tu n'étais plus que simple spectateur, et bientôt, peut-être aurais-tu même le rôle principal.
— Je ne sais pas si ton discours est sincère mais si c'est vrai, ça me fait plaisir. — J'ai pour principe de pas mentir, ça sert pas à grand chose, lâches-tu lentement, d'une voix un peu hésitante quand même.
Vous vous ressemblez un peu, tu en as l'impression du moins. Il avait été sur la défensive, tu l'avais été aussi. Vous ne saviez pas où vous mettiez les pieds, ni l'un ni l'autre. Et peut-être que tu te trompes, peut-être que vous n'allez pas être ami, peut-être que vous ne vous supporterez pas à un moment donné, que vous alliez vous arracher les cheveux, que vous alliez avoir une animosité commune, l'un envers l'autre. Tu ne sais pas, vraiment pas ce que l'avenir te réserve, mais le peu que tu sais sur lui te plaît, et te donne envie de le connaître. Vous vous ressemblez plus que tu ne veux bien le croire. Et c'est sûrement pour ça que tu as cette envie de le connaître un peu plus.
Il reprend la parole et tu frottes de nouveau ta nuque de ta main, sans trop savoir quoi dire. Parce que tu n'avais pas l'impression qu'il y avait vraiment quelque chose à dire. Tu te racles la gorge, cherchant tes mots, encore, et tu lâches sur un ton gêné :
— Je te promets pas qu'on va devenir les meilleurs potes du monde en deux jours, on se connaît pas après tout et tant tu vas me détester tu vois, du coup, enfin voilà. Mais bref, voilà.
Et tu changes de sujet assez rapidement, pour ne pas t'épancher sur le sujet, parce que tu restes gêné de parler autant sur des choses dont tu n'as pas l'habitude de parler.
— Du coup, t'es en quelle classe et en quelle filière ? Moi j'suis en B, donc, si t'as un problème avec certains cours y'a pas de soucis, vraiment, je me débrouille plutôt pas mal. Sauf en litté. Vraiment, la litté et moi on est pas potes.
Et petit à petit, pierre par pierre, tu commençais à construire doucement votre relation.
Alors tout avance et ça semble si facile. Tout va bien avec ce gars parce qu’il prend les initiatives, réfute les mauvaises possibilités, montre cet optimiste un peu refoulé au nom d’une politesse que je n’estime déjà plus nécessaire - car il m’a convaincu. Je suis peut-être un peu naïf, c’est un fait. Depuis mes premiers jours, c’était l’un de mes pires défauts. Il faut dire que dans une vie où les règles sont trop strictes pour vous permettre le moindre écart (quelque part, c’est le cas pour tout le monde. Mais dans mon cas, les conséquences sont bien trop néfastes pour compter sur une tolérance des parents relative à mon âge croissant.) les conseils des autres comptent trop pour que je puisse les ignorer. Ajoutez à cela une incompétence quasi totale à me faire des amis et vous obtiendrez les circonstances parfaites pour la création d’un esprit naïf - de la même manière dont tout cela ressemble à une vaste excuse.
Je le sais : j’ai besoin d’être pris en charge. Je ne suis pas même capable de me débrouiller seul au quotidien et ma seule défense est l’ironie que j’adresse aux initiatives inutiles, comme une barrière contre ma propre incompétence. Un parrain, c’est tout ce dont j’ai besoin, et je suis presque heureux que Killiam m’ait démenti. Si j’ai cru à une aide permanente, c’est du conditionnement. Mais je suis venu ici. J’ai accepté mon départ. Ma mère est présente mais elle est loin de moi - et si elle s’ennuie dans son quotidien, ça vaut mieux. Si elle n’a rien à faire, aucun sujet d’inquiétude, c’est que je me débrouille bien. Pourquoi j’aurai besoin d’aide, finalement ? Je sais que je peux faire les choses par moi-même. Je sais que de tous, une aide sur demande est la plus difficile sur laquelle compter. Je n’ai pas envie d’appeler Killiam au quotidien, et sans le savoir par cette façon de faire, il m’aide déjà beaucoup.
Mon problème avec les autres a toujours été eux-même. Je n’ai pas de problème de timidité ou de gentillesse mais ma condition me rend difficile d’accès, il semblerait. Je lâche ça sur le ton de la légèreté pour ne pas que s’en ressente la moindre amertume mais ses maigres traces ne tardent pas à s’envoler quand je réalise mes mots. Je n’ai pas pensé un seul instant que je puisse être le problème alors que, en cet instant précis, ma volonté prouvait le contraire. Peut-être que des amis, ce n’est pas ce que j’attendais. Peut-être que mes attentes ont effrayé les autres. En y repensant, la seule personne proche de moi l’était aussi pour répondre à mes besoins - non pas que je doute de ses sentiments amicaux, mais être serviable a toujours été une nécessité pour rester à mes côtés. Tous ces tâches, je peux plus ou moins les réaliser seul mais tout cela m’a toujours semblé normal - et bien que ça ne puisse pas être entièrement de ma responsabilité, je n’ai jamais pris la peine d’y réfléchir.
"Mais peut-être que je partage la responsabilité., corrigeais-je avec un sourire. Je suis en C et en filière art. Le dessin, c’est mon truc. À part ça, je n’ai que quatre...trois que deux options. Histoire, arts visuels et maths."
Et je n’ose pas parler du sport, parce que, comme bien des choses, c’est un caprice d’enfant. Comme bien des choses, c’est une réaction stupide envers un système mis-en-place pour mon bien. Comme mes préjugés idiots de tout à l’heure. Je m’en veux toujours - et pour effacer tout cela, je lui fais signe de me suivre jusqu’à l’ascenseur réservé à une poignée d’étudiants. Au début, j’étais trop fier pour en accepter la clef, et au fil du temps, j’en ai compris la nécessité. C’est ce mélange entre la fierté et l’envie de confort qui me construira une personnalité dont je pourrai être fier.
"Tu as l’air d’être un bon gars. Merci d’être aussi prévoyant."
Je m’incline légèrement en guise de politesse. Et cette fois, mes attentes sont différentes - c’est davantage du respect envers sa volonté gratuite et si humaine.
"J’aimerais t’inviter quelque part pour te remercier, comme la cafétaria. Je n’ai pas encore visité la ville mais j’ai entendu dire qu’il y a un manga-café et un bar vintage. Qu’est-ce que tu en dis ? Je pourrai en profiter pour aller voir T… le Grand Arbre."
Et je me rattrape à la dernière seconde, conscient de ma gaffe. Je suis tant habitué à parler aux mêmes personnes que le sujet Thilda est facile à évoquer, mais je ne tiens pas à en parler maintenant. Ni même jamais - je tiens trop à ma petite sœur pour l’exposer aux moindres problèmes de l’école.
Crossed fates feat. Finn O. Norgaard - date. 10 septembre
Il est en C, filière art, histoire, arts visuels, maths, le dessin c'est son truc. Okay. Tu retiens, tu mets ça sur un post-it au fond de ton crâne pour ne pas l'oublier. Tu étais bon en histoire et en mathématiques, tu n'avais plus de cours de maths, mais tu pouvais te débrouiller facilement s'il avait besoin d'aide sur certains sujets. Tu vas pouvoir lui être utile, et c'est déjà pas mal pour toi qui pensait ne pouvoir rien faire à part lui faire visiter le pensionnat. Encore faut-il qu'il accepte ton aide, mais tu as l'impression que c'est plutôt bien parti pour.
Il t'incite à le suivre et tu rajustes la lanière de ton sac sur ton épaule, le suivant vers l'ascenseur. Tu grimaces en arrivant devant et tu lâches alors, pas très à l'aise avec l'idée de monter dans cet ascenseur qui se bloquait toujours et avec tout le monde. En général, tu n'avais aucun problème avec les ascenseurs, mais celui-ci, il y avait tellement eu d'élèves coincés à l'intérieur que tu en avais développé une peur pas très rationnelle. Après tout, tu ne risquais rien, dans cet ascenseur... mais rien que l'idée de le prendre te fout des frissons.
Il reprend la parole et tu secoues la tête de gauche à droite, levant les mains comme pour lui dire que ce n'est pas la peine, et ta parole accompagne tes gestes, ne faisant pas attention à l'accro dans sa voix :
— Non non t'inquiète, t'as pas à me remercier de quoi que ce soit, c'est normal.
Non, ça ne l'était pas, tu prenais ton rôle de parrain bien trop à cœur, surtout.
— Et on peut aller où tu veux, la cafétéria, ça me semble bien. Je sais que y'en a un, de manga-café, mais j'y suis jamais allé, j'préfère me poser dans ma chambre je t'avoue.
Tu jettes un regard torve à l'ascenseur une fois devant et tu lui demandes alors, le détaillant un instant :
— Cet ascenseur reste coincé quatre vingt dix neuf pour cent du temps. Donc... mh, si un jour tu restes coincé, panique pas, tout est normal.
Enfin, autant que tout ce qui se passait dans cette école.
Nos relations sont-elles dépendantes de la proximité physique ? La plupart des gens vous diront que non. La plupart des gens sont habitués à ces normes devenus si normales qu'elles en perdent leur familiarité. La plupart des gens ne mesurent pas la force d'un contact ou leur signification. Certains même leur attachent plus d'importance que le reste, et en même temps aucune - faisant d'elle la priorité absolue de leur vie relationnelle. Couples démonstratifs. Aventure d'un soir. N'ayant que rarement goûté au contact d'autres personnes, je peux vous le dire : ce genre de choses a une importance. Plusieurs fois déjà, j'aurai aimé serré la main de mon parrain ou lui démontrer ma reconnaissance de la façon la plus sincère possible. Plusieurs fois, j'aurai aimé faire l'impossible pour moi - ce que je ne peux exprimer que par des mots dans ma situation actuelle. Des mots, c'est aussi bête que ça.
Des mots, et pour ça, j'ai appris à les manier assez finement pour dire ce que je ressens sans me perdre en stupides onomatopées. Oui, les contacts jouent dans n'importe quelle relation. Et j'ai beau ne pas m'en soucier, ça me désole de ne pouvoir donner aux autres ce qu'il mériteraient - un contact affectueux, quel qu'il soit, tout ce qui force une habitude autre que celle de se tenir loin de moi. Le fait de ne pas mériter quelqu'un a tenu en haleine mes pensées pendant une longue période. À vrai dire, je m'en suis souvent voulu de n'être pas en mesure d'agir normalement avec les autres - mais depuis mes séances chez le psychologue, j'aborde la question d'un point de vue différent. Je relativise, on peut dire. Je ne me réfère pas qu'à l'avis des autres pour mesurer la façon dont je dois me comporter. J'essaie d'être correct tout en suivant mes envies, respectueux tout en prenant en compte mes besoins. C'est ma normalité - et quoi qu'en pensent les autres, c'est ce à quoi j'ai décidé de me tenir.
"C'est embêtant." répondis-je en un soupir. Parce que cet ascenseur est censé être réservé pour les gens comme moi. Mais je ne le dis pas - les plaintes, les références à ma situation sont terminées. "Va pour la cafétaria. Je ne connais pas encore bien le coin alors reprends-moi."
Et je continue ma route une fois sorti de l'ascenseur, me dirige lentement vers la cafétaria. Courir n'est jamais une bonne idée. Ce n'est pas une question d'effort physique mais d'éventuel choc - je suis comme une voiture ; le moindre choc me serait fatal. Sans doute pas depuis mon pouvoir, j'en suis quasiment persuadé, mais je préfère ne pas en faire l'expérience. Une fois arrivé à la cafétaria, je prends un simple chocolat et laisse Killiam faire sa propre commande.
"Dis-moi Killiam. Tu es au courant de toute la politique autour de l'île ? Je n'ai pas pu m'entretenir avec les groupes, la secrétaire ne les a pas laissé m'approcher."
Crossed fates feat. Finn O. Norgaard - date. 10 septembre
Oui, c'est embêtant. C'est même carrément emmerdant, mais tu ne dis rien. Tu ne le prenais jamais, tu n'es clairement pas à l'aise dans cet ascenseur et il faudrait que tu sois en fauteuil roulant pour le prendre en tant normal tellement tu ne veux pas monter dedans. Mais tu fais l'effort, restant concentré sur la voix de Finn pour ne pas flipper dans cet ascenseur. Vous déambulez dans les couloirs jusqu'à la cafétéria et tu grimaces quand il prend la parole.
Oui, forcément. La politique de l'île, mais surtout la politique des groupes de piafs qui foutent n'importe quoi n'importe comment, et qui sont tout sauf bon pour l'image des mages dans le monde. Tu lui lances un regard, continuant d'avancer en réfléchissant à comment lui expliquer un peu toute cette merde, ce capharnaüm d'idées et d'idéologies. Tu soupires de nouveau, humidifies tes lèvres de ta langue et tu commences :
— C'est compliqué ? Je pense pas être le mieux placé pour t'expliquer, mais, en gros. En très gros hein. Y'a toujours eu une rivalité entre les classes, avant, et ça a foutu beaucoup de bordel, mais je t'avoue que je prenais pas vraiment part au conflit. Et là...
Un soupire, tu te mords la lèvre. C'est compliqué à expliquer, c'est compliqué à vraiment définir. Si tu étais honnête, tu lui dirais que tu ne comprends pas très bien toutes ces idéologies différentes, et le monde serait bien mieux avec moins de cons sur terre.
— Depuis que tout le monde sait pour la magie, y'a eu des sortes de clans au début, et ça c'est vite transformé en groupes, avec, genre, un chef, un porte-parole tout ça. Et en gros, bref. T'en as quatre. Cinq. Y'a, les Pinguinos, ils sont un peu neutre sur tout ce qu'il se passe, ils ont pas vraiment d'opinion sur la magie révélée au grand jour, ils s'en foutent. Enfin, je crois ? T'as les Adlers...
Et le mot est lancé comme une insulte, avec un mépris assez évident dans ta voix.
— ... qui se croit supérieurs à tout et à tout le monde, surtout au non-mages, parce que, bah eux, ils ont des pouvoirs du coup ils sont forcément l'élite de la race humaine. Les Colombes, qui sont clairement trop utopistes en pensant que tout va aller pour le mieux, mais disons qu'ils ont la meilleure philosophie de tous les groupes. Les Voltors, qui foutent la merde un peu plus, toutes leurs actions sont plutôt violentes, et je crois que y'a cette volonté de se montrer supérieur aussi, un peu comme les Adlers. Puis les Kiwis. Ils sont ni pour ni contre, pas de violence et pas d'utopie sur le dialogue et la paix, et ils font deux trois trucs de temps en temps, pour montrer qu'ils existent. Et sans compter les S qui sont pas vraiment dans un groupe et en même oui, qui font des trucs et on sait pas quoi. Ah. Et y'a eu Raven aussi. On sait pas trop ce qu'ils veulent, mais un truc du genre unifier un peu Prismver. Ils ont des intentions louables au moins, comme les Colombes. Enfin, je crois. C'est plutôt compliqué.
Tu t'arrêtes dans le couloir, attends qu'il fasse de même avant d'humidifier de nouveau ta langue de tes lèvres :
— Je vais pas te dire quoi faire ou quoi hein, mais... essaie de rester éloigner des piafs le plus longtemps possible tant que t'es pas sûr de toi. C'est plus une prise de tête qu'autre chose et à part te mettre dans la merde, ça va pas faire grand chose.
Tu soupires, reprends :
— Juste... prends le temps d'y réfléchir vraiment.
Hors sa condition physique, ces groupes étaient vraiment qu'une partie d'emmerdes à grande échelle.
Cela ne me prend qu'un instant pour me rendre compte de l'évident mépris de mon parrain à l'égard des Adler. Interdit de les rejoindre, je pense aussitôt - je ne suis pas du genre à suivre aveuglément quelqu'un mais Killiam a clairement de bonnes valeurs humaines et je doute qu'un groupe auquel il s'oppose si fermement soit une bonne chose. Il faudra que je me renseigne plus sérieusement, bien sûr. Vérifier que tout cela n'est pas un vaste mensonge organisé en simple bizutage, que je ne suis pas sous influence de pouvoir ou autre bêtise, mais ces possibilités sont trop peu probables pour que je n'y croie vraiment. Je prends une maigre inspiration et plonge mon regard dans celui de Killiam pour lui répondre le plus franchement possible.
"Mon choix est déjà tout vu. Je n'ai pas la bêtise de croire que je connais la meilleure solution. Je vais rester à l'écart de tout ça."
Et c'est simplement ça. C'était plus de la curiosité, une envie de se mettre à la page, de connaître le contexte. Quelqu'un a dit un jour qu'il valait mieux être un soldat au milieu d'un jardin qu'un jardinier sur un champ de bataille - et en récoltant la connaissance nécessaire pour un jour réagir si la situation me touche, je m'y prépare.
En y réfléchissant, je me laisse le bénéfice de changer d'avis par la suite. Je ne veux pas être simplement nonchalant et penser que mon ignorance m'évitera tout dilemme. Je veux agir sérieusement, y réfléchir, je veux être de ceux que j'ai toujours admiré. Et je connais mon moral mieux que personne.
"Je veux simplement venir en aide à ceux dans le besoin."
Et ça paraît bête, quand ça sonne dans ma bouche. Ça parait illusoire.
Il me faut du temps pour relever les yeux vers Killiam parce que j'ai l'impression de sentir mes joues chauffer et d'être revenu des années en arrière quand j'étais un petit enfant qui ne comprenait pas encore qu'il ne serait jamais le héros dont il rêvait. J'avais l'impression d'attendre le jugement cruel d'un adulte qui me dirait que, dans mon état actuel, étant donné à quoi ressemblait mon corps, j'en serai incapable, et peut-être que mon plus grand désir était d'attendre de savoir que je pouvais poursuivre ce rêve ou l'abandonner à tout jamais.
Crossed fates feat. Finn O. Norgaard - date. 10 septembre
Il va rester à l'écart de tout ça. Ça te rassure un instant, puis tu te dis que, toi aussi, tu voulais rester à l'écart de tout ça, et finalement, tu avais intégré les kiwis sans te cacher, tu t'étais disputé avec ta sœur, tu avais eu cet éloignement un peu forcé avec Laurent. Car finalement, on ne restait jamais à l'écart de tout ça bien longtemps. Il y a peut-être un léger moment de flottement entre vous, jusqu'à ce qu'il reprenne la parole et tes pensées s'évaporent pour se concentrer seulement sur lui.
— Je veux simplement venir en aide à ceux dans le besoin.
Et sa façon de le prononcer, sa façon de te le dire, comme s'il te révélait son plus grand secret te surprend, tu le regardes un instant alors que son regard te fuit, alors que ses joues se colorent d'une légère teinte rosée et tu le dévisages un instant, jusqu'à ce, qu'enfin, il relève les yeux vers toi.
— Tu penses que j'en suis capable ?
Il te faut un moment pour comprendre l'importance de ta réponse, mais tu décides de ne pas y faire attention, tu décides de ne pas prendre en compte cette importance, tu veux juste lui répondre ce que tu aurais répondu à n'importe qui, ce qui te semble être juste. Alors tu lâches en haussant les épaules, reprenant ta route :
— Y'a huit milles façons différentes d'aider les autres. Pourquoi t'en serais pas capable ?
Il n'est pas obligé d'être en première ligne, il n'est pas obligé de faire le bouclier, ou d'être le soldat, il pouvait être le médecin, le psychologue, la tête de l'expédition. Il n'était pas obligé de prendre les coups pour aider les autres, il pouvait agir dans l'ombre, ou agir dans la lumière, mais seulement en arrière plan, et encore ? Évidemment qu'il pouvait venir en aide à ceux qui en ont besoin, évidemment qu'il pouvait les aider, si c'était ce qu'il voulait, s'il s'en sentait capable, lui, ce n'était pas aux autres de décider ce dont il était capable ou non. Sauf peut-être physiquement, et encore, on est bien les seuls à connaître véritablement son corps.
— Si toi, tu t'en sens capable, et que toi, c'est ce que tu veux faire. Alors y'a même pas besoin de poser la question.
Il faut juste qu'il évite de se mettre en danger pour les autres.
C'est une baume au cœur, une impulsion, l'espoir qui renait. C'est un coup de boost au moral, un sentiment si euphorique qu'il frôle la félicité, un bonheur et une fierté telle que j'en ai rarement ressenti. C'est si rare, c'est si unique, c'est une première ; c'est indescriptible. C'est un renforcement d'acier qui vient de passer sur mes os de verre, une façon tellement spéciale de me dire que je ne vaux pas rien. C'est tellement sincère que j'en ai envie de craquer, de pleurer, de laisser mes sentiments me submerger pour me noyer dans cette joie inattendue - car c'était la désillusion qui semblait m'attendre au tournant. C'était la fin, les mots cruels d'une personne qui ne me connait pas et d'une personne assez honnête pour ne pas prendre de gants, de quelqu'un qui semblait à même de juger la situation correctement. C'est un avis qui change tout, un avis que j'attendais depuis si longtemps, des mots si spéciaux que je n'ai jamais osé poser la question à mes proches. Killiam, en si peu de temps, a déjà fait bien trop de choses. Killiam, en si peu de temps, a déjà rempli plus que son rôle. En cet instant, je me sens prêt à pardonner l'administration. En cet instant, je me sens proche d'eux, proche de ce système, proche de mon parrain - j'ai l'impression de pouvoir entrevoir la normalité physique, la possibilité de rêves, d'une vie commune, d'un quotidien à l'image de n'importe qui d'autre.
"Merci."
Et je m'essuie les yeux d'un revers de main, ne laissant qu'un instant pour apercevoir ces éclats brillants déjà essuyés. Je ne veux pas craquer, je ne veux pas être faible, je ne veux pas être dépendant. Je ne veux plus de tout ça. Je veux vivre par moi-même et plus encore, je veux être un modèle - comme Killiam s'apparente à le devenir pour moi. Je sens déjà l'impatience de grandir, d'avoir mon propre filleul - je sens l'inspiration de sa façon d'être, l'envie de changer en bien.
Je veux être un héros.
C'est ce que j'ai toujours voulu et un souhait aussi simple que je n'ai jamais pu formuler. Alors, je m'assois à une table, pose ma boisson dessus et prends place sur une chaise avec délicatesse.
"Tu as vraiment quelque chose."
Je prends une gorgée de boisson chaude avant de poursuivre.
"J-Je ne sais pas. Un certain charisme. J'ai rencontré pas mal de gens qui tentaient d'être rassurant et à défaut de montrer de la pitié, mais toi... tu sais persuader les gens. Je n'ai pas de magie à ce sujet mais je sais que tu es une bonne personne. J'ai l'impression de le savoir."
Ça parait ridicule, pas vrai ? Mais c'est vraiment sincère.
"Peut-être que la pédagogie, c'est ton truc. Tu as déjà envisagé ça, l'enseignement ? Ça pourrait te correspondre."
Crossed fates feat. Finn O. Norgaard - date. 10 septembre
Le remerciement te fait l'effet d'une bombe, et tu ne sais pas vraiment quoi dire, tu ne sais pas vraiment quoi faire, parce que tu vois son geste pour essuyer ce qu'il semble être des larmes et tu te mords la lèvre, gêné, ne sachant ni trop quoi faire ni trop quoi dire. Parce qu'après tout, tu n'as fais que dire la vérité, Killiam. C'est ce qui te définit le mieux : tu ne mens jamais, ce n'est pas ton genre, tu n'en vois pas l'intérêt. Tu te mens souvent à toi-même pourtant, sans même vraiment t'en rendre compte. Mais aux autres ? Non, tu n'en étais pas capable, tu n'en voyais pas l'intérêt.
Vous commandez vos boissons, les récupérez et vous vous installez à une table. Tu te laisses tomber sur une chaise, faisant glisser ton sac au sol alors que lui, au contraire de toi, s'installe lentement, doucement, avec une délicatesse dans ses gestes que tu trouves... tu ne sais pas vraiment comment le décrire, mais il a un certain charisme, peut-être ? Oui, c'est sûrement ça.
— Tu as vraiment quelque chose. — Quoi ? Je... hein ?
Quelle éloquence, Killiam. Et il continue, te répond et tu ouvres la bouche, la refermes, laisses couler ton regard dans ta tasse de café que tu trouves soudain très attrayante. Il continue à te dire toutes ces choses Killiam, ces choses qui font rosirent tes joues, qui te font te racler la gorge et te frotter la nuque d'une main tremblante et gênée. Puis tu balayes ses paroles d'un geste de la main, comme si tu les chassais de l'air avant de lui répondre :
— Non c'est pas, ça m'intéresse pas trop. J'suis pas vraiment fait pour ça. Parler devant les gens tout ça. Déjà être président du club de musique me fait à moitié flipper donc bon. Et puis, j'te dis juste, la vérité, tu vois ? Genre, c'est pas... t'sais, c'est pas. Je vois pas l'intérêt de te mentir. J'vais pas te dire de devenir pompier parce que physiquement, tu pourrais pas, ou du moins, pas actuellement, on sait pas tant, dans dix ans peut-être tu vois ? Mais t'as huit milles façons d'aider les autres, vraiment. Genre, c'est tout. Je vois juste pas l'intérêt de te mentir.
Il te faut changer de sujet, Killiam, parce que tu es mal à l'aise avec ces compliments qu'il vient de te faire, parce que tu sens tes joues encore chaudes et tu te noies dans ton café, en buvant quelques gorgées.
— Du coup. Aider les autres. Tu as une idée de comment t'y prendre ?
Et tu bois de nouveau quelques gorgées de ton café, t'appuyant ensuite sur le dossier de la chaise, le détaillant un instant. Et au fond de toi Killiam, tu es persuadé qu'il pourra le faire, qu'il pourra aider les gens, qu'il les aidera sûrement mieux que beaucoup d'autres. Il suffit seulement qu'il s'accroche à son rêve, et s'il faut, tu seras là pour l'aider à grimper l'échelle.
Tu ne deviendras pas pompier. Je sens un sourire amer se dessiner, la remarque logique qui fait mal après que je me sois tant emballé. Pourquoi tu fais le surpris, Finn ? Tu le savais déjà. ...Et c'est on ne peut plus vrai. Je m'y attendais. Je le savais. Et quelque part, la vérité, plutôt que de m'abattre, fait naître en moi un sentiment de soulagement. Je le sais mieux que personne, et la possibilité qu'il approuve un rêve idiot était improbable. Je le sais à présent, Killiam est une personne responsable.
Et je me sens idiot à côté - je me sens invisible, prisonnier d'une utopie que je n'arrivais pas à assumer. Ce n'est même pas une leçon de vie, c'est juste un rappel, une réponse normal, logique, pas même méchant et qui ne devrait même pas être dure à évoquer. Je prends un moment pour réfléchir à sa question, une part de moi a envie d'évoquer ma régénération mais quelque chose m'en empêche. Un sentiment qui me serre au niveau du ventre car je sais que Killiam n'approuvera pas - mais quelque part, je ne veux pas lui dire. Je veux agir par moi-même. Je ne veux pas être bridé par l'avis des autres, je veux essayer, et si je tombe... alors tant pis. Je veux devenir un moi-même qui sera fier de ce qu'il est, du visage qu'il présente aux autres.
"Je ne sais pas. J'irai me renseigner au bureau d'orientation. Tu pourras me montrer où c'est, s'il te plait ?"
Un maigre sourire, je bois quelques gorgées de plus de mon thé, lui laissant quelques instants pour me répondre. En réalité, j'ai déjà fait quelques recherches pour faire plaisir à mes parents et pour remplir mes obligations dans la matière concernant le projet professionnel de mon ancien lycée, mais étant donné ma situation, j'ai pu ne pas la faire sérieusement. Seulement, cette excuse ne passera plus. Pas maintenant que mon avenir devient une question dont je me soucie par moi-même.
"Et toi, Killiam ? Tu penses quoi de tout ça ? Tu serais du genre à donner de toi-même pour améliorer le monde ?"
Ça m'intéresse, sincèrement. Depuis notre rencontre, Killiam s'est imposé comme une personne avec beaucoup de respect et des qualités humaines très prononcées. J'aimerais savoir quel parti il a décidé de prendre quant on en vient au monde.