[FINI] SORRY NOT SORRY ft. Killiam

Après ta conversation tout de même un peu houleuse avec Hayden, tu étais retourné au bungalow avec une seule et unique envie, prendre Ezéchiel dans tes bras et mater n'importe quelle série pour te changer les idées, parce que tu étais énervé par cette conversation, et Hayden te paraissait si égoïste que tu avais eu envie de lui foutre ton poing dans la gueule et de le secouer dans tous les sens jusqu'à ce qu'il comprenne. Sauf que quand tu étais rentré, il n'était pas là. Après un instant de surprise, tu avais entraperçu le mot sur ton bureau et tu l'avais lu rapidement : « Je sors ce soir avec Alaskka, ne m'attends pas pour manger, je rentre dès que je peux, je t'aime babe » ; et tu avais été heureux de savoir qu'il était enfin sorti, autrement que pour aller chercher deux trois affaires et faire deux trois courses, tu avais été véritablement heureux en lisant ce mot que t'avais laissé tomber dans la poubelle après l'avoir lu.

Puis les heures étaient passées, longues et insoutenables. Si tu n'avais pas été inquiet au début, tu l'avais été plus tard dans la soirée, quand tu n'avais eu aucune nouvelle de lui. Parce que tu veux bien qu'il sorte, tu veux bien qu'il te dise de ne pas l'attendre pour manger, mais quand minuit passe, tu commences à t'inquiéter. Et tu t'inquiètes vraiment sérieusement. Et si il lui était arrivé un truc ? Et s'il buvait trop ? Et s'il se rendait compte qu'il n'avait plus envie de continuer à vivre ? Et s'il buvait tellement qu'il se retrouverait coincé par n'importe quel mec au détour d'un bar ? Et surtout, surtout Killiam, la pire de toutes, parce qu'elle est égoïste, parce que c'est de l'inquiétude envers toi-même et non pas envers lui... et s'il se rendait compte qu'il n'avait pas besoin de toi ? S'il se rendait compte qu'il avait besoin de son ex, et pas de toi ? S'il se rendait compte que tu ne lui apportais pas tout ce qu'il fallait, tout ce qu'il désirait, tout ce qu'il souhaitait ? Et si tu n'étais pas assez bien pour lui, et qu'il s'en rendait compte ?

Tu le laisserais partir.

Évidemment que tu le laisserais partir, tu ne l'enchaînerais pas à toi, jamais tu n'oserais le faire, jamais ; tu préférerais crever que de l'enchaîner à toi et de le rendre malheureux, de ne pas être ce qu'il lui fallait, de le tirer vers le bas au lieu de le pousser vers le haut.

Et les heures passent, encore, et tu t'inquiètes, tournant et retournant dans ta chambre, t'asseyant sur ton fauteuil, puis sur ton lit, faisant des pompes pour oublier les réflexions, puis de la corde à sauter, ne grattant pas ta guitare à cause du bruit. Et les heures s'écoulent, s'écoulent encore et tu t'inquiètes tellement, tellement, tellement, que tu n'entends pas la porte du bungalow claqué, concentré sur ton besoin de te calmer, car il n'y avait aucune raison de t'inquiéter, parce qu'il faisait ça tout le temps avant. Avant la mort de Clara, avant d'être avec toi. C'était une habitude, il était habitué à faire la fête, à rire, à boire jusqu'à n'en plus pouvoir. Mais bordel tu aurais aimé qu'il te dise qu'il allait rentrer tard, qu'il ne rentrerait sûrement pas de la nuit, même, pour que cette inquiétude disparaisse, pour que tu arrêtes d'avoir ce nœud à l'estomac.

Et quand la porte de ta chambre s'ouvre trop brusquement, tu te redresses sur ta chaise de bureau, te lèves et tu te rends compte de son état. Et tu as envie de lui gueuler dessus, Killiam ; tu as envie de lui hurler qu'il t'a inquiéter, que bordel il aurait pu t'envoyer un LMS, répondre à celui qu'il lui avait envoyé. Tu as envie de lui hurler qu'il est plus tout seul maintenant, qu'il doit rendre des comptes à quelqu'un parce que ce quelqu'un s'inquiète. Parce que bordel Killiam, tu t'es inquiété comme pas possible, tu ne pensais pas qu'il rentrerait si tard pour sa première sortie depuis la mort de sa sœur, parce que tu ne pensais pas qu'il allait sortir qu'avec son ex et que ça allait te rendre jaloux, tu ne pensais pas que tu allais être si inquiété par quelque chose qu'il fait tout le temps, et que toi aussi, tu fais tout le temps.

Et bordel la moindre des choses c'était de t'en parler, pas de seulement te poser un mot sur ton bureau comme si t'en valais pas la peine. La moindre des choses, c'était de te prévenir qu'il ne rentrerait pas après manger, ce que son mot laissait sous entendre. La moindre des choses, bordel, c'était de te dire où il allait, pour que tu puisses venir le chercher au cas où il se passerait quelque chose de grave. Et s'il était tombé sur des non-mages, comme Laurent ? Et s'il c'était fait tabasser sans que tu ne puisses intervenir, comme Laurent ? Et s'il était tombé sur un connard, trop fort pour lui, qui n'aurait voulu que le baiser dans une ruelle ?

Tu étais terrifié de toutes ces choses.
Et tu te hais tellement, tellement, d'être terrifié.

Après qu'il ait refermé la porte avec la discrétion d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, tu te racles la gorge, te levant et te dirigeant vers la porte, lui lâchant à voix basse – même si tu continuais d'avoir envie de lui hurler dessus :

— Tu devrais aller te coucher. J'vais te chercher à manger.

Et c'est ce que tu fais avant même qu'il réponde, sortant de ta chambre pour aller dans la pièce principale, récupérant un des paquets de biscuits dans le placard. Puis tu prends une grande inspiration pour te calmer, soupires doucement avant de rentrer dans ta chambre et de fermer la porte doucement, silencieusement, lui lançant le paquet de gâteau alors qu'il est assis sur le lit.

— Mange.

Et ta voix ne lui donne pas l'occasion de refuser.

Il s'exécute et mange ; toi, tu le regardes, les bras croisés sur ta poitrine, appuyé contre ton bureau. Tu es énervé, et tu t'es inquiété pour rien, il était vivant, devant toi, et même s'il puait l'alcool, mais bordel tu t'étais inquiété à un point inimaginable. Tu demandais juste... des nouvelles. T'en avais rien à foutre qu'il soit avec son ex – enfin, pas totalement rien à foutre, mais si c'était la seule personne qu'il lui fallait pour aller mieux, t'étais prêt à totalement t'effacer pour lui laisser la place – tu t'en foutais qu'il s'amuse, qu'il boive, qu'il danse avec n'importe qui. Tu demandais juste des putains de nouvelles, juste d'être tenu au courant. Merde. Il vivait dans ta piaule, il vivait chez toi depuis mi-juillet, et c'était la moindre des choses, bordel.

Et il s'excuse, parle, peut-être un peu trop fort, mais pas assez pour réveiller tes colocataires. Tu t'approches de lui, repousses la boîte de gâteau, attrapant par la même occasion un de tes jogging propres qui traîne et un t-shirt que tu avais mis pour traîner aujourd'hui, mais tant pis, ça irait bien pour dormir.

— Tant mieux si ça va. Maintenant on va te mettre en pyj parce que tu pues l'alcool et c'est dégueulasse.

Et bordel de merde, ça te met dans un état lamentable Killiam. Ça te met dans un état lamentable de te rendre compte qu'il n'a fallu qu'une soirée à Alaskka pour le faire sortir, pour le faire rire, pour que ce soit trop cool et trop bien, alors que toi... toi tu tentes de le rendre heureux depuis qu'il est revenu à Prismver et c'est sans succès. Ça te rend malade. Tu lui retires son sweat, l'envoyant dans ton panier à linge sale, puis son t-shirt à qui tu réserves le même sort avant de lui enfiler ton t-shirt trop grand pour lui.

— Attention, allonge toi.

Et tu le repousses doucement en travers du lit pour lui enlever son jean, lui mettre ton jogging et il t'aide plus ou moins. Tu te redresses enfin et lui tends la bouteille d'eau sur la table de nuit. Tu es tellement énervé. Mais ce n'est pas le moment de lui gueuler dessus, pas le moment de lui faire des reproches.

— Bois un peu, mange, et dors ensuite.

Tu n'as qu'une seule envie, qu'il s'endorme pour que tu puisses partir marcher, prendre l'air, pour que tu puisses arrêter de t'inquiéter autant, pour que tu puisses te libérer de ce poids sur ton cœur sans que tu n'en connaisses la raison. Ça te rend malade. Et pourtant, là, maintenant, tout de suite, il est heureux, alors pourquoi tu n'arrives pas à l'être pour lui ? Il se sent bien, alors pourquoi te sens-tu aussi mal ? Et tu te forces à avoir une voix plus douce, plus calme, plus posée :

— Dors Ezéchiel, t'en as besoin.

Du moins, tu crois.
Tu n'es plus sûr de rien.

Il se redresse, ne reste pas allongé et tu te forces au calme. Il faut qu'il dorme, parce que toi, tu ne tiendras pas debout longtemps, parce que l'inquiétude t'a enlevé toute ton énergie et maintenant, à part partir fumer une cigarette dehors et revenir, tu ne te sentais plus capable de rien. Il t'attire vers lui et tu es fatigué d'avance de devoir lui expliquer qu'il faut qu'il dorme, parce que toi aussi, tu veux dormir. Tu as la rancune tenace, vraiment trop tenace, et même si la colère passe petit à petit, même si l'inquiétude a disparu, il n'empêche que tu lui en veux de ne pas t'avoir prévenu. Ça coûtait rien, bordel.

— Mmmh... viens chéri, j'ai envie de toi.

Et sa voix est fatiguée, lascive, tendre, et il tire sur ton t-shirt, te faisant un peu perdre l'équilibre car tu ne veux pas le repousser violemment. Tu pourrais. Tu pourrais te dégager de son emprise, te reculer et lui dire que non. Mais tu n'as pas envie de lui faire mal, tu n'as pas envie de casser cet état de bien-être dans lequel il est, qu'il n'a pas eu depuis la mort de Clara. C'était sûrement le seul moment depuis la mort de sa sœur qu'il devait se sentir complètement bien. Alors tu glisses dans le lit, trop vite avec la perte d'équilibre, te retrouvant sur lui et tu roules sur le dos, le repoussant.

— T'es pas en état pour ça. Et j'suis fatigué alors... non.

Et tu lui as dis non, de ta voix fatiguée, de ta voix lasse, de cette voix qui était si caractéristique quand tu lui parlais avant. Avant que les sentiments prennent possession de toi, avant toute cette histoire entre vous, avant que vous ne soyez ensemble. Tu soupires légèrement et lâches d'une voix presque plaintive, trop fatigué pour te battre véritablement contre un Ezéchiel bourré :

— Franchement Ezéchiel, dors, s'il te plaît.

Ça fait deux fois que tu l'appelles Ezéchiel, et non pas par ce diminutif que tu as adopté depuis quelques semaines. Tu es allongé sur le dos, loin de lui malgré la petitesse du lit, mettant cette distance entre vous alors que tu ne devrais pas, vraiment pas, mais tu n'arrives pas à t'en empêcher.

Tu as besoin d'une cigarette. Peut-être même de deux. Et si tu étais honnête avec toi-même, tu dirais que tu as besoin d'utiliser ton don pour retrouver cet état où tout te semble atteignable, où le sol n'existe plus, où ton esprit vagabonde dans ce qui semble être une autre dimension.

Et il se tait, et c'est un soulagement comme une crainte, un soulagement comme un poids sur ton cœur, mais tu restes là, les yeux grands ouverts sur le plafond, écoutant ce silence qui te brise les membres. C'était bien la première fois que tu te sentais mal en présence d'Ezéchiel, la première fois que tu voulais le fuir autant depuis que tu avais accepté tes sentiments, la première fois que tu étais si éloigné de lui, comme si tous vos efforts venaient d'être réduit à néant par cette distance que tu mets entre vous pour rien, ne serait-ce qu'une inquiétude trop forte, une colère sourde liée à elle et peut-être, peut-être, un brin de jalousie, de cette impression de se sentir inutile pour la personne que l'on aime si fort, tellement fort. Un sentiment horrible.

— ... Je ne te plais plus ?
— Quoi ? Non. Dis pas n'importe qu...

Et en tournant la tête vers lui, ton corps se fige et tes mots meurent sur ta bouche. Il pleure. Il pleure par ta faute, alors qu'il était si bien il y a quelques minutes. Il pleure à cause de toi, et tu te sens horrible de le faire pleurer pour rien, de le faire pleurer tout court. Ton corps se précipite, si vite, tellement vite, avec ce besoin intense de le prendre contre toi, de combler cette distance horrible et inhabituelle entre vous. Tes mains viennent se glisser sur sa joue, essuyer les larmes sur le haut de ses joues et ses tempes avant de glisser dans ses cheveux.

— Ezé, Ezé pleure pas, s'il te plaît... évidemment que tu me plais... Ezé s'il te plaît pleure pas...

Tu es une horrible personne.

Ça te rend malade, tellement malade que tu as envie de vomir. Tu veux le prendre dans tes bras, le serrer si fort contre toi, et c'est ce que tu fais, tes bras l'enlacent, tes mains viennent se glisser sous le t-shirt pour que tes doigts puissent parcourir son dos, tes bras l'enserrent, si fort, tellement fort. Et tes lèvres viennent embrasser sa joue, sa tempe, sa mâchoire, le creux de son cou.

— Ezé pleure pas, pleure pas je t'aime toujours, je t'aimerai toujours c'est juste... je me suis inquiété, okay ? Je me suis inquiété pour toi, c'est tout. Tu m'as pas dis où tu étais, ce que vous alliez faire, je croyais que tu rentrerais plus tôt et avec Laurent qui s'est fait tabasser j'ai flippé, c'est tout... pleure pas Ezé... j'suis désolé je voulais pas te faire pleurer...

Tu ne voulais pas lui enlever cet état de bien-être total.
Tu es une horrible personne, Killiam.

Ses bras t'entourent également et tes lèvres continuent d'embrasser chaque parcelle de peau qu'elles peuvent atteindre. Il continue de pleurer contre toi, tu le sens trembler contre toi et tu te sens si mal, si mal d'avoir été si distant, si mal de t'être défendu contre lui, de t'être mis sur la défensive à cause de ta peur, de ton inquiétude. Et il ouvre la bouche, et ses sanglots te font si mal au cœur, tellement mal au cœur. Tu ne veux plus jamais le voir pleurer, oh non plus jamais.

— M-mais pourquoi, pourquoi tu me rejettes si... si tu t'inquiète ? P-pourquoi tu me parles comme ça et.....et agis comme ça ? Je... j'ai... j'ai pas fait attention à l'heure, je... je voulais pas t'inquièter, j'voulais juste profiter et.. et te faire profiter aussi et... et qu'on soit ensemble p-parce que tu m'as manqué et...
— Ezé...

C'est une plainte qui sort de tes lèvres, ça te détruit de le voir pleurer, ça te détruit de le voir si mal. Bordel, tu ne voulais tellement pas le voir comme ça, tu n'avais pas voulu qu'il pleure, tu n'avais pas voulu lui faire du mal, jamais, tu ne voulais pas lui faire du mal, tu ne voulais pas le blesser, lui faire peur, c'était pas ton but, ça ne l'avait jamais été. Une de tes mains abandonnent son dos pour se glisser dans ses cheveux, pour reculer un peu et tu poses ton front contre le sien, murmurant doucement :

— Regarde moi... Regarde moi, Ezé...

Et tu attends qu'il ouvre les yeux, tu attends qu'il ouvre ses si beaux yeux pour plonger ton regard dans le sien, pour le détailler et ne pas le quitter des yeux, juste, le regarder, longtemps, avant de reprendre :

— Je te rejette pas, okay ? Je te rejette pas, je te rejetterai jamais. Arrête de t'inquiéter, d'accord ? T'as pas à t'inquiéter, je te laisserai jamais tomber. Jamais, okay ? Et je suis là, et on est ensemble. C'est tout ce qui compte. Pleure plus, s'il te plaît... je voulais pas t'inquiéter ou te blesser, je suis désolé.

Ne pleure plus, mon amour.

— J'ai mal réagis, c'est tout. Raconte moi, comment c'était, ta soirée ? C'était bien ? T'as bu beaucoup ? lui demandes-tu enfin, avec un léger rire dans la voix, taquin.

Mais en réalité, ton cœur est si serré de le voir pleurer. En réalité, tu te donnes envie de vomir de l'avoir fait pleurer. Et tu n'as pas si mal réagis que ça, c'est juste trop pour lui. Et tu es désolé, si désolé.

Ne pleure plus, je t'en prie, aimerais-tu lui répéter encore et encore jusqu'à ce que ses larmes cessent.
Je t'aime, mon amour, voudrais-tu répéter jusqu'à ce qu'il en devienne sourd.

Son rire atteint enfin tes oreilles et tu te détends légèrement, caressant toujours du bout des doigts sa joue, vadrouillant de temps en temps dans tes cheveux pour rejeter une mèche ou deux en arrière, ne le lâchant pas du regard. Jamais. Et il commence à te raconter. Oui, c'était bien, ça lui a changé les idées, et tant mieux, tu es heureux pour lui, tellement heureux. Tu te sens mal de ne pas y avoir pensé avant, mais il te disant tellement qu'il n'avait pas envie de sortir, qu'il n'avait pas envie de croiser les autres que tu ne l'avais pas forcé à sortir. Tu aurais dû. La voix d'Hayden tourbillonne dans ton esprit, te répétant encore et encore à quel point tu avais tord, et toi qui le trouvais si égoïste tout à l'heure... tu as l'impression, maintenant, que c'est toi l'égoïste dans l'histoire.

Et il continue, disant que vous devriez sortir, tous les deux, en amoureux ; mais pour dire la vérité, Killiam, tu ne fais pas attention à cette phrase, tu n'y fais pas attention car tu ne veux pas l'entendre, car tu te sens tellement peu à la hauteur d'un coup, si peu à la hauteur de ce que tu devrais être, de l'excellence que tu veux atteindre.

Tu es tout ce qui ne lui faut pas.

Et il s'excuse, et ton cœur semble battre avec plus de facilité. Il s'excuse et ton corps se détend. Parce que tu attendais des excuses, quand même, car ton inquiétude avait été réelle, ta peur avait été réelle. Et tu es quand même content qu'il se rende compte qu'il y a toi, maintenant ; même si t'es pas parfait, même si tu n'es pas ce qu'il lui faut, même s'il trouvera sûrement mieux, bien mieux, tellement mieux et sûrement très vite.

— Excuse-moi, chéri..
— Ça va, t'inquiète pas va.

Et tu continues de lui caresser la joue doucement, tendrement. Maintenant qu'il a passé le cap, maintenant qu'il est sorti une fois, tu aimerais qu'il continue, qu'il ne reste pas enfermé dans cette chambre qui ne doit rien lui rappeler de positif étant donné qu'il est là depuis la mort de Clara. Tu aimerais qu'il voit du monde, qu'il vive. Sans toi. Et peut-être que ce trop plein d'amour te tue, Killiam. Peut-être que ça te fait peur, de l'aimer autant, parce que tu sais que c'est éphémère, tu sais qu'il trouvera mieux, tu sais qu'il partira. Alors oui, oui tu profites de chaque instant, tu ne penses pas au futur incertain, mais ça te terrifie de l'aimer autant, d'être tant dépendant de lui, autant que tu l'es de Théa, autant que tu l'es de ton don. Ça te terrifie tellement, Killiam. C'est peut-être pour ça que ça t'a fait si peur de le voir partir, ce soir.

— Tu ressors avec elle quand ?

Parce que tu veux vraiment qu'il ressorte. Et s'il est mieux avec elle qu'avec toi, tu ne peux que le pousser vers elle, tu ne peux que le pousser à aller mieux, l'aider à ce qu'il aille mieux, qu'importe tes états d'âme, qu'importe le fait que ton cœur se serre à l'idée qu'il est mieux avec elle qu'avec toi.

Oh Killiam, la jalousie est un vilain défaut, mais la peur qu'il t'abandonne est ton cancer, qui te détruit et te dévore.

Il te répond et tu le regardes, le détailles. Tu as l'impression qu'il a les idées plus claires – sûrement à cause de toi – et tu l'écoutes, attentif à chacun de ses mots. Et il parle, il parle de l'oublier et tu secoues légèrement la tête de gauche à droite sans pouvoir t'en empêcher. Il t'abandonne, se recule de toi pour se mettre sur le dos et tu cales ton visage dans ta paume, le coude appuyé sur le coussin pour te redresser et le regarder, encore, toujours le regarder.

— T'es pas obligé de l'oublier, et t'es pas obligé de pas l'oublier. Faut juste que tu fasses ton deuil. Et si t'as besoin de l'oublier un moment, t'as le droit, t'as le droit de pas vouloir te rappeler qu'elle est plus là. Ça fait parti de ton deuil.

Mais il ne semble pas t'entendre, peut-être n'as-tu pas parlé assez fort, car il lâche une phrase, une phrase qui te serre le cœur, une phrase qui te ferait presque monter les larmes aux yeux tellement tu la trouves cruelle. Et il balance ça, comme s'il n'était pas important, comme si sa personne, son entité n'était pas suffisante pour vivre, ou ne serait-ce survivre, s'oublier, pour ne plus penser, pour ne plus aimer, pour ne plus souffrir. Et ça te coupe le souffle. Ça te coupe le souffle comme un coup de poing dans le ventre, ça te coupe le souffle comme si on venait de te donner un coup dans l'estomac, faisant remonter toute la bile qui te donnait cette forte et soudaine envie de vomir.

Il se cache de toi, cache ses yeux que tu ne peux plus trouver des tiens, comme une barrière à son être, à son mal-être, comme une barrière à son âme.

Il parle, parle, parle encore et encore, caché de toi, caché de tes yeux qui ne l'ont jamais jugé et tu l'observes, tu regardes ce visage niché dans le creux de son coude, comme s'il voulait se cacher de toi, comme s'il n'était pas fier de ses paroles, comme si tout ce qu'il disait, il le portait depuis bien trop longtemps et, qu'enfin, il craquait. Et il parle, de Narcisse, d'Hayden, des Blasters, d'Ambroise, de Jack. Il parle, parle, parle encore et toujours, sans s'arrêter, sans que tu ne puisses le couper pour lui dire que non. Non stop mon amour arrête tu dis n'importe quoi c'est pas vrai. Et il parle de toi, comme si tu n'avais pas le choix, comme si tu ne choisissais pas de rester avec lui, comme si tu n'étais pas maître de toi. Et il continue, te confie que c'est de lui qu'il n'en peut plus et tu t'empêches de le couper, de lui dire que c'est des conneries, tout ça. Et enfin, ces deux dernières phrases, qui te brisent le cœur encore plus que son besoin de s'oublier lui-même.

Tu as le cœur en compote, t'as l'impression qu'il vient de te le marteler à l'aide d'un marteau et d'un burin, t'as l'impression qu'il vient de tout détruire sur son passage, que tout son être n'est que mensonge. Tous les progrès que tu pensais avoir fait avec lui, toute cette impression que tu avais qu'il commençait à aller mieux n'est qu'un énorme mensonge qu'il a construit, un énorme mensonge qu'il t'a fait gobé et auquel tu as cru sans en douter une seule seconde.

Tu n'arrives pas à ouvrir la bouche, et les secondes s'écoulent tels des grains de sable que tu ne peux stopper entre tes doigts. Tu n'arrives pas à arrêter le temps, il s'échappe de tes doigts comme de la fumée, il est insaisissable et vagabond. Tu ne sais même pas par quoi commencer tellement ton cœur te rend sourd, tellement tu es malade de le voir si triste, tellement tu te sens inutile à l'aider. Ta main qui avait abandonné son corps bouge enfin, viens repousser son coude pour le voir, pour le regarder, pour qu'il sache que tu es là, que tu ne le quittes pas. Tu entrelaces vos doigts avec toute la douceur possible et tu viens porter sa paume à tes lèvres, y déposes un baiser avant d'emmener vos mains se laisser aller sur son ventre.

Tu ne sais pas quoi dire, tu te sens si inutile, si mauvais avec les mots. Et si tout ce que tu lui disais ne faisait que renforcer cette impression d'être ennuyeux ? Et si tout ce que tu lui disais ne faisait que le faire aller plus mal qu'il ne l'était ? Et si tu étais mauvais pour lui ? Et si tu étais son cancer à lui, hein ?

— T'es pas un connard. Tu veux pas qu'ils t'approchent parce que tu sais que ton don déconne, parce que tu es persuadé que c'est toi qui a tué ta sœur alors que c'est faux. T'as besoin de faire ton deuil et si pour le faire tu ne dois voir personne, alors tu ne vois personne. Narcisse le sait, il te laisse le temps, mais il sera là dès que tu lui feras comprendre que c'est bon, que ça va mieux, que t'as besoin de lui, que t'as pris sur toi. Hayden est égoïste et il veut absolument t'aider comme s'il voulait se rattraper d'un truc. Ambroise, j'sais pas, j'connais pas, et Crane est un connard. Je vois même pas pourquoi on en parle. Les gens en général sont des connards, et ils parlent parce que leur vie est si insignifiante qu'ils ont besoin du malheur des autres pour vivre. Mais ils en valent pas la peine, okay ? Ils en valent clairement pas la peine, Ezé.

Tu déglutis, te mords la lèvre puis continues :

— Et tu fous pas la poisse à tout le monde. C'est pas toi qui le décide, c'est pas toi qui contrôle ton don et qui fait que je me cogne à la porte une fois par jour. C'est pas toi, okay ? C'est ton don, t'as du mal à le contrôler et c'est normal, bordel. C'est normal, okay ? T'as perdu ta sœur, Ezé, et à ta place... à ta place je serais pas revenu. J'aurais pas eu le courage de revenir, j'aurais été... j'aurais pas survécu, Ezé, vraiment pas. Alors si t'as besoin de voir personne, si t'arrives pas à contrôler ton don un moment, c'est okay, ça va, c'est pas grave. T'as le droit d'aller mal, on attend pas à ce que tu sois la joie incarnée en deux semaines. Et... et pour ce qui est de moi...

Oui, toi, Killiam. Toi, parce qu'il ne comprend pas ce qu'il fout dans ta piaule. Toi, parce qu'il pense qu'il te cloisonne ici. Toi, parce qu'il pense que tu n'es pas maître de tes choix. Toi, parce que vous étiez lui et toi. Bordel pourquoi ne voulait-il pas comprendre ? Pourquoi il ne voulait pas comprendre à quel point il t'étais important, à quel point tu l'aimais ? A quel point tu ne pouvais pas te passer de lui ? A quel point tu ferais tout pour le rendre heureux ? Pourquoi est-ce qu'il ne comprenait pas ?

— Déjà, tu me cloisonnes pas. Je suis encore maître de mes choix, merci. Si j'ai envie de sortir, je sors, et je me suis jamais empêché de faire quoique ce soit, même depuis que t'es revenu. Je vais courir tous les matins, je pars boxer de temps en temps. Tu me cloisonnes pas. Et... putain Ezé, ce que tu fous dans ma piaule ? Tu crois que y'a beaucoup de gens qui rentrent dans ma piaule ? Qui s'allonge dans mon lit ? Avec moi ? Pas grand monde non. T'es pas ennuyeux, c'est pas parce que tu vas mal que t'es ennuyeux putain. Ezé bordel, je comprends même pas pourquoi t'es avec moi, et c'est toi qui me demande ce que tu fous dans ma piaule ?

Mais il ne faut pas parler de toi, Killiam ; il ne faut pas parler de tes doutes, du fait que tu penses qu'il trouvera bien mieux plus vite qu'il ne le pense, du fait qu'il t'aime alors que tu n'en vois pas les raisons, il avait toutes les raisons de ne pas t'aimer, de ne plus vouloir de toi. Tu l'avais fais poiroter plus d'un mois, parce que t'étais pas capable d'assumer. Tu l'avais repoussé, cherché, repoussé de nouveau avant de ne lui laisser aucun choix de fuite, avant de l'emprisonner avec toi, l'attacher à toi sans lui laisser l'occasion de partir, de dire non, de s'enfuir, tel l'égoïste que tu étais. Alors tu ne comprends pas, mais il n'est pas question de toi, Killiam, il est question de lui. Et il faut que tu lui dises pourquoi il est dans ta piaule, là, actuellement, pourquoi tu l'attaches à toi, pourquoi tu ne veux pas qu'il parte, pourquoi tu veux qu'il reste, pour toujours et à jamais, comme l'égoïste parfait que tu étais.

— Ezé t'es magnifique. Intérieurement parlant, extérieurement aussi mais c'est pas la question. T'es... putain. Tu t'inquiètes pour tes potes, et tu ferais tout pour eux. T'es loyal, t'es adorable, quand tu veux, seulement quand tu veux, et genre, tu te bats pour les gens que t'aimes. T'as, cette façon de parler quand t'es heureux qui peut que me rendre heureux, t'as ce sourire qui genre, me donne envie de t'embrasser à chaque fois et t'as ce regard, quand tu me dis que tu m'aimes qui, putain, me fait tomber amoureux un peu plus à chaque fois. A chaque putain de fois. Et t'es dans ma piaule pour ça, Ezé, parce que je suis amoureux de toi, pour toutes les raisons possibles et inimaginables. T'es dans ma piaule, pour ça.

Et Killiam, tant pis, si c'est niais, si c'est trop. Tant pis parce qu'il a besoin de les entendre, de temps en temps, parce qu 'il faut que tu le rassures. Parce que ressentir quelque chose, le montrer à ta façon c'est une chose, le lui dire ça en est une autre, et tu sais qu'il a besoin que tu lui dises, que tu le lui répètes. Surtout en ce moment. Alors tant pis, tant pis c'est si con, tant pis si c'est trop, tant pis. Mais tu ne veux pas qu'il en doute. Il peut douter de tout ce que tu es, mais tu ne veux pas qu'il doute de ça. Jamais de ça.

Tu l'aimes beaucoup trop pour qu'il puisse en douter sans que ça ne te brise.