There is something to do [PV Killiam] [FINI]

Depuis son retour, Ezé n’était plus Ezé. Il n’était plus que l’ombre de lui-même, et une ombre pâle, dilué. Effacé, froid, violent, agressif. C’était l’exact opposé de ce qu’il était en temps normal.
Je m’inquiétais pour lui. Tout comme beaucoup d’autres, j’imagine.
La perte de sa sœur l’avait dévasté et le voir se morfondre, broyer du noir, m’insupporter follement.
Il devait relever la tête, sortir de ce monde de noirceur dans lequel il s’était enfermé. Peut-être que je le voulais pour une raison très égoïste, retrouver Ezéchiel, mais aussi égoïste soit cette raison, elle comprenait le bonheur d’Ezé.

J’avais envoyé un LMS à Killiam quelques jours plus tôt pour pouvoir le voir et j’espérais qu’ensemble on trouverait le moyen de sortir Ezé de sa tristesse. On avait donc convenu – j’avais convenu serait un terme plus exact - de se retrouver à un café, en ville, un endroit où l’on pourrait discuter sans se faire importuné.

Il n’était pas encore dix heures quand je commençais à me préparer. Toujours obnubilé, comme depuis quelques jours, par Ezé.
Une chemise trop grande, un pantalon en cuir, deux traits d’eyeliners, des compensées et j’étais prêt à sortir.

Le rendez-vous était fixé à dix heure et demi. Je serais en avance.
Tout en marchant, je laissais mon esprit s’évader. Ezé quittait mes pensées l’espace de quelques minutes.
Et finalement, j’arrivais. Je m’asseyais à une table en terrasse et commandait un thé en attendant Killiam.
Killiam, ce garçon que je ne connaissais finalement pas. C’était le copain d’Ezé, ils avaient été proche avant ça mais je n’avais fait que le croiser. Rarement, brièvement, n’échangeant que de simples politesses. Tout ce que je savais de lui, c’était ce qu’Ezé avait dit au détour d’une discussion.

J’achevais tout juste mon thé quand j’aperçu Killiam, qui marchait en direction du café. Quand je fus sûr qu’il regardait dans ma direction, je lui fis un signe.
Il prit place et je pris la parole.

« Salut, comment tu vas ? » J’entamais cette discussion avec un sourire et des banalités.

Le sujet plus fâcheux arriverait après. Oui, il n’y couperait pas, et moi non plus.

Gau

Tu n'avais pas eu le choix. Enfin si, tu l'avais eu, le choix, mais tu avais décidé qu'Hayden était quand même l'ami d'Ezéchiel, et que, de ce fait, il méritait un tant soit peu d'attention et de politesse. Alors quand son lézard était venu t'apporter sa demande de te voir pour parler d'Ezéchiel, en premier lieu, tu allais l'envoyer sur les roses, en lui disant d'aller se faire foutre, un point c'est tout. Ezéchiel n'avait envie de voir personne, de ne parler à personne,e t c'était son droit, il gérait son deuil comme il le souhaitait. Et Hayden n'avait rien à dire là-dessus. Toutefois, tu savais que rester enfermé n'aiderait en rien Ezéchiel, alors tu avais accepté.

Mains dans ton short en jean et débardeur sur le dos, tu arrives au café avec quelques minutes d'avance, pourtant, il est déjà là, et servi. Alors tu t'installes à la petite table alors qu'il te demande comment tu vas, et tu réponds :

— Ça va, ça va. Et toi ?

Le serveur vient prendre ta commande et tu lui demandes un café avant de porter ton attention sur Hayden. Tu l'as croisé, de temps à autres, en soirée majoritairement, quand l'alcool coulait à flot dans vos veines. Tu ne te souviens pas vraiment de vos conversations, si vous en aviez eu en tout cas, mais tu te souviens plus ou moins de son comportement avec Ezéchiel ; tu n'es cependant pas très sûr. Tu attends qu'il te réponde pour reprendre :

— Entrons dans le vif de sujet.

Ezéchiel. Ezéchiel que tu n'avais pas trop envie de laisser seul trop longtemps, Ezéchiel que tu laissais tout seul, vraiment, pour la première fois depuis son retour – autre que pour aller courir. Ezéchiel que tu n'avais pas envie d'abandonner plus d'une petite heure.

Ça l’emmerder tellement d’être ici. C’était écrit sur son visage. Ça se voyait tellement que j’en venais à me demander pourquoi est-ce qu’il avait accepté de venir.
Mais au fond de moi j’avais cette intuition qui me disait que s’il avait bien voulu me voir, c’était que lui-même souhaitait voir Ezé se remettre et qu’il ne parvenait pas l’aider.

Toujours est-il qu’il me retourna la question que je lui avais posé et j’y répondais avec le même entrain que celui avec lequel j’avais entamé cette discussion. J’allais très bien.

Mais mon visage s’assombrit dès qu’il eut prononçait cette phrase : « Entrons dans le vif de sujet. ». Cette phrase qui lui faisait avouer que venir ici, l’ennuyait.
Alors avant de lui répondre, je m’installais. Je m’appuyais contre le dossier de ma chaise, les jambes croisées, je sortais une des cigarettes que je réservais aux soirées avant de l’allumer et de tirer une longue bouffée nocive.
Les yeux clos, je recrachais la fumer par le nez. Et quand je rouvris les yeux, ceux-ci se posèrent directement sur ceux de Killiam.
Une inspiration plus tard, je me lançais.

« Etre ici pour parler de ça ne te fais pas plus plaisir qu’à moi, crois-moi. Seulement, je pense qu’on ne s’y prend pas de la bonne façon pour aider Ezé, il est mon ami et est ton copain – n’espère pas que ça ait échappé à qui que ce soit – on ne peut pas le laisser comme ça. » Une pause me permis de tirer une nouvelle fois sur ma cigarette. « Si tu penses aussi que le fait que tu es probablement le seul qu’Ezé veut voire m’a échappé, tu te trompes. Alors quitte à se lancer directement sur ce sujet fâcheux, je voudrais savoir ce que tu fais de ton côté pour l’aider à se redresser. »

J’avais employé un ton plat. Sans nuances. Pas de reproches. Je ne lui en faisais pas. Je voulais simplement savoir ce que le seul être qui côtoyait Ezéchiel l’aidait. Et ce qu’il pouvait penser de moi m’importer finalement assez peu. Je refusais tout simplement qu’Ezé se ferme au monde pour s’enfermer dans un univers factice où tout était noir.

©Gau

Tu le regardes prendre sa cigarette, respirer ce cancer comme s'il était une bouffée de vie et tu l'imites, sortant une cigarette également, l'allumant lentement alors qu'il prend la parole, ne te quittant pas des yeux. Et tu l'écoutes attentivement, Killiam.

Tu l'écoutes dire on alors qu'il n'y a que toi. Ce n'est pas lui qui calme ses cauchemars la nuit. Ce n'est pas lui qui calme ses pleurs, qui récupère sa haine froide, son silence glacial. Ce n'est pas lui qui est obligé de le forcer à manger, qui doit occuper son esprit. Ce n'est pas à lui qu'Ezéchiel a avoué ses peurs, de son pouvoir, de la mort de sa sœur. Ce n'est pas lui qui fait les choses, c'est toi. Toi et seulement toi.

Et tu prends ses mots comme une attaque, Killiam, comme s'il voulait entrer dans votre vie privée, à Ezéchiel et toi, comme s'il voulait vérifier que tu n'étais pas un connard ou autre chose dans ce genre. Ça te met en colère, vraiment. Parce qu'il n'avait pas le droit de se croire plus important qu'il ne l'était. Il n'avait pas le droit de s'imposer dans la vie d'Ezéchiel juste parce que bon lui semblait. Ça lui avait pris plus de deux semaines pour se réveiller ? Et il était passé où, pendant quasi deux semaines, hein ? Nul part. Il était pas là, il n'avait pas été là. Il avait été absent, inexistant, ne s'inquiétait d'Ezéchiel que parce qu'il n'était pas venu le voir. Et ça te rend malade, et en colère. Parce qu'il n'a pas le droit de débarquer comme ça, de s'imposer à Ezéchiel alors qu'il avait besoin de calme et d'être seul, alors qu'il avait besoin de quelqu'un qui accepterait tout de lui, et que n'arrêterait pas de lui répéter... chose que tu faisais.

— Je le laisse vivre son deuil tranquille.

Le regard que tu lui lances est noir, tes sourcils sont froncés et tes doigts se sont légèrement crispé sur ta cigarette.

— T'es qui pour lui dire comment vivre son deuil ? T'es qui pour t'imposer à lui alors qu'il a besoin d'être seul ? T'as une sœur, Hayden ? Une petite sœur ? Une personne que t'es censé protéger envers et contre tout ? Une personne qui compte plus que ta propre vie ? T'es qui pour lui dire de pas rester seul, qu'il a besoin d'être accompagné, de monde autour de lui ? Non. Non il faut qu'il soit seul, il a besoin d'être seul parce que tout déraille autour de lui. Sa sœur est morte, ses parents sont des connards et son pouvoir fait de la merde parce qu'il contrôle plus rien. Alors reste loin de lui, c'est la seule façon dont tu peux l'aider.

Et tu écrases ta cigarette à peine commencée dans le cendrier, déjà prêt à partir maintenant que tu as dis ce que tu avais à dire.

Il s’énerve. Son visage change, son attitude change. Ce que je lui ai dit ne lui plaît pas. Mais pour être honnête, je ne lui ai pas demandé de venir ici pour plaire. C’était le cadet de mes soucis.

Mais je l’écoute. Restant stoïque face à ce regard haineux qu’il me lance. Calme devant ce qu’il m’envoyait en pleine figure. Et je ne voulais pas m’énerver, ça n’aurait servi à rien. Je le regardais, je l’écoutais, inclinant la tête. Je restais de marbre, imperturbable, et je m’en félicitais en mon fort intérieur.

Et alors qu’il parlait, qu’il déversait ce flot de mépris, je fumais tranquillement. Peut-être même qu’il prenait mon calme pour de la désinvolture. Peut-être qu’il avait raison de penser cela.

Et quand finalement le flot en vint à se tarir, il écrasa sa cigarette.

Pour la première fois, je quittais Killiam des yeux pour porter toute mon attention sur cette cigarette toujours coincée entre mon index et mon majeur. Je la portais une nouvelle fois à ma bouche.

« Il faudrait vraiment que je me débarrasse de cette sale manie… »

Et à nouveau je m’adressais à lui de la façon la plus plate possible. Je ne lui répondais. Je laissais tout cela en suspens. C’était pesant, comme si ses mots avaient envahi l’atmosphère. Autour de nous, ils attendaient. Ils attendaient une réponse que je ne me pressais pas à donner.
Et finalement alors que tirais une nouvelle fois sur ce stick de mort que je n’avais toujours pas quitté des yeux, je plantais à nouveau mon regard dans le sien. Et si ses yeux ne montraient que de la colère, je faisais en sorte que les miens ne montre rien de ce que je pouvais ressentir.

« Qui je suis ? Voyons voir… Un de ses amis les plus proches depuis maintenant quelques années. J’estime que ça me permet de me préoccuper de sa santé. Qu’importe ce que tu penses. » Cette dernière phrase avait claqué comme un fouet. Sèche, sans compassion pour ce qu’il pouvait ressentir. « A défaut d’avoir une petite sœur, j’ai au moins un petit frère. Tu parles de moi comme si tu pensais que ma vie était merveilleuse, mais après tout que sais-tu ? Tu penses probablement comme les autres :  « Pauvre gosse de riche, il doit être si malheureux avec tous ces billets. » Mais je m’en fiche. Je me fiche totalement de ce que tu penses de moi. On pourrait se haïr, ça ne changera rien pour moi. En revanche, aider Ezé, un ami, est pour moi plus important que les querelles que je pourrais avoir avec son petit-ami. »

Je marquais une pause. Tirant à nouveau sur ma cigarette, je plaçais une mèche de cheveux derrière mon oreille. Mes yeux ne quittaient plus les siens.
Je tapotais sur ma cigarette, faisant tomber les cendres sur le pavé.
Et avant qu’il ne réponde, je me relançais.

« Tu dis qu’il ne doit voir personne parce qu’il va mal. Mais c’est certainement lui qui le dit et on le sait tous. Les idées des personnes qui s’inscrivent dans une forme de dépression sont toujours les meilleurs pour les sortir de là. C’est connu de tous que les personnes qui s’isolent de tous leurs amis se sentent immédiatement mieux. L’isolement ne leurs permet pas non plus de remuer toutes leurs idées sombres. On le sait tous. »

Le plat et le calme avaient cette fois disparus, laissant place au cynisme. Et finalement j’écrasais ma cigarette avec violence dans le cendrier avant de rapprocher vivement mon visage de celui de Killiam.

« Alors avant de jouer les êtres moralisateurs, réfléchi bien à tout ce que je viens de te dire. » Et cette fois, la colère perçait. Mon regard se fit noir à son tour. « Et toi Killiam, qui es-tu pour imposer aux amis d’Ezé ce que tu penses être le meilleur pour lui ? Qui es-tu pour dire « C’est le mieux pour lui alors ne vous emmêlez pas et laissez-moi gérer. » Ezéchiel est autant ton mec qu’il est mon ami. Comprends le et arrêtes de croire que ce que tu considères comme étant le meilleur l’est.»

Et les nerfs à vif, je sortais une nouvelle cigarette que j’allumais d’un geste rageur.

©Gau

Et tu l'écoutes. Tu prends sur toi pour l'écouter, mais tu l'écoutes jusqu'au bout, t'énervant silencieusement. Il parle, parle, parle, ramène les choses à lui et à sa petite vie de riche, grand bien lui fasse. Il ramène ça à lui, il ramène ça à vous, mais c'est Ezéchiel, le plus important, c'est Ezéchiel qui compte, et si Ezéchiel pense qu'il a besoin de silence, de calme et d'être seul, alors tu lui donnais son silence, son calme et sa solitude. Il dit que c'est toi qui dit tout ça, mais ce n'est pas vrai : tu es seulement un rempart à Ezéchiel, seulement un rempart pour l'aider, pour faire de ses désirs des ordres. Et il parle, parle, parle, encore et encore et son cynisme, son ironie te fait serrer les dents, et bordel comme tu aimerais lui foutre sa gueule sur la table pour le faire taire, parce qu'il parle, parle, parle, de façon tellement égoïste que ça te fout en rogne.

— Il a besoin d'être seul. Arrête de faire le mec qui veut que son bien alors que tu veux surtout le tien, et pas te sentir mal de pas avoir rien fait pendant deux semaines. Il a besoin d'être seul parce que son don fait de la merde et qu'il veut pas vous blesser, t'es con ou tu le fais exprès ? C'est quoi ton problème ? Tu crois que c'est moi qui gère ce qui est le mieux pour Ezéchiel ? Et puis quoi encore. Il sait ce qui est bon pour lui et ce qui ne l'est pas. Et pour le moment, ce qui est bon pour lui, et pour tout son entourage, c'est de ne pas l'approcher.

Tu te redresses légèrement, te rapprochant de lui pour continuer, mais le serveur revient avec ton café alors tu te tais et, lorsqu'il dépose le café sur la table, trop rapidement, trop violemment, il le renverse sur toi. Tu empêches un juron de sortir, plus ou moins habitué à ces petits désagréments depuis un moment ; se taper le pied dans le coin du lit, faire tomber sa tartine du mauvais côté deux fois d'affilés, se cogner la tête contre la porte du placard... que des trucs de merde, que des trucs qui arrivaient à tout le monde, assez souvent, mais toi, ça t'arrivait trop souvent pour que ce soit normal, et même si tu disais à Ezéchiel que non ce n'était pas sa faute à chaque fois qu'il s'excusait, tu savais que c'était quand même son don qui déraillait totalement. Tu échanges quelques paroles avec le serveur après avoir pris quelques serviettes pour essuyer ton t-shirt et tu soupires, te t'affalant de nouveau sur la chaise, soudain fatigué de devoir t'expliquer avec Hayden alors qu'il te semblait seulement être trop égoïste.

— Il s'excuse à chaque fois que je me prends les pieds dans un tapis ou que je me cogne contre la porte d'un placard. Tu veux t'énerver ? Énerve toi. Tu veux utiliser l'ironie ? Fais toi plaisir. Ezéchiel a besoin d'être seul, il a pas besoin de gens autour de lui pour lui dire quoi faire et comment le faire. Quand il sera prêt, il reviendra vers toi, n'est pas peur, il va pas te lâcher. Il est pas comme ça.

Et tu te lèves, mettant fin à la conversation.

— Laisse le tranquille. Il a pas besoin de toi pour le moment.

Mais il aura sûrement besoin de lui plus tard. Mais pour le moment, qu'il le laisse tranquille, qu'il le laisse respirer, qu'il le laisse faire son deuil et reprendre le contrôle, au lieu de faire son égoïste égocentrique tête à claques insupportable.