Ya comme un lézard [14 août 2018] - pv Destiny

À ce qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais porté le mois d’août dans son cœur.

Les petits rayons du soleil qui descendent de leur piédestal pour brûler sa peau de neige et laisser couler des perles de sueur sur chaque millimètre de ce corps si fragile. La chaleur qui pèse sur ses frêles épaules et l’enveloppe dans une bulle étouffante, elle qui a toujours côtoyé les basses températures de la contrée helvétique. La clarté de l’astre solaire qui s’impose jusqu’à des heures tardives et bannit l’obscurité dans laquelle elle adore se tapir. D’ailleurs, elle est devenue son nouveau réveil matin, toquant à sa fenêtre pour ouvrir ses paupières en toute impunité ; oh qu'elle rêverait de se laisser bercer par Morphée quelques heures de plus, après avoir éteint sa lampe à trois heures du matin, cependant elle n’a jamais réussi à se rendormir efficacement une fois que ses neurones se sont activés. Huit heures du matin… La vie au pensionnat n’est pas suffisamment active pour l’enthousiasmer à l’idée de se préparer ; de ce fait, elle décide d’allumer son ordinateur et d’y brancher sa manette Xbox destinée aux jeux PC, afin de se plonger dans son univers digital de si bon matin.

À ce qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais porté le moindre lézard dans son cœur.

Destiny avait espéré, à la réception de son second lézard, que la nouvelle serait moins embêtante que son prédécesseur – un lézard piquant qui s’emmêlait dans ses câbles et les abîmait un par un. Néanmoins, elle se révélait plus pénible sur bien des points : moins efficace dans son travail, et plus envahissante dans ses parties vidéoludiques en solitaire. Enfermée dans son monde virtuel, la rose se laisse entrainer dans son aventure palpitante, cette deuxième vie bien plus fructueuse que celle qu’elle incarne dans le réel. Ces succès qui lui font parfois oublier, qu’en dehors, elle n’est pas capable de grand-chose. Ce succès qu’elle n’a guère réussi à accomplir à la venue de son animal qui emporte avec lui le câble de la manette, instrument indispensable à la réussite de sa bataille.

Une vie de perdue, puis deux… Il devient impossible de continuer suite à ce contretemps embarrassant ; la A pose sa main sur l’écran de son ordinateur afin de le fermer sous une pulsion colérique, elle ne supporterait pas plus longtemps son échec écrit en pixels. Un poing serré, puis deux... Elle ne supporte plus vraiment cette lézarde maladroite et envahissante, cette nuisance faisant stopper les effets de sa douce cocaïne de si bon matin. Les signaux qu’elle envoie à travers ses pupilles sont d’une clarté si nette qu’ils indiquent à la pauvre bête qu’elle doit prendre la poudre d’escampette le plus rapidement possible.

À quoi bon s’habiller ? Son T-shirt noir à motif « Loading… please wait » ainsi que son short blanc qui font office de pyjama feront l’affaire pour une petite sortie autour des cabanons. Tel un aigle dans le ciel majestueux des prairies, Destiny s’aventure et observe de ses yeux perçants chaque recoin afin de guetter sa fameuse proie. Elle inspire, et expire des cris d’appel dans l’espoir que son animal sera suffisamment idiot pour venir à sa rencontre. Les minutes défilent, une par une, et c’est un jeune garçon sorti de sa torpeur qui croise sa route, dans un accoutrement si négligé et enfantin qu’elle aurait explosé de rire si son agacement ne s’était pas emparé de son humeur toute entière.

– Dormir ? C’est bientôt 11 heures, tu exagères un peu. Faut arrêter de faire la fête jusqu'à pas d'heures. lâche-t-elle avec un sourire moqueur avant de retrouver son impassibilité habituelle.

Destiny jette un regard aux alentours en ignorant magnifiquement l'effet de son entrée en matière sarcastique et peu avenante.

– Je cherche ma lézarde, Salazzle, je suis certaine de l’avoir vu filer dans cette direction. Quelle plaie. Tu l’aurais pas vue par hasard ? Pas très grande, entièrement blanche et assez rapide seulement quand il s’agit de fuir – en ce qui concerne les LMS, je peux toujours rêver. Ha. Ha. ricane-t-elle avec une pointe d'agacement.

Une dernière description spécialement sarcastique, fruit de son ressentiment contre la bête qu’elle a accumulé au fil des semaines.

Elle a l’impression de le reconnaître, de reconnaître ce visage d’une rondeur enfantine laissant deviner son jeune âge, de reconnaître cette chevelure d’or similaire à des épis de blés. Où l’a-t-elle vu ? Elle a l’impression de reconnaître cette hauteur dans les normes, de reconnaître ces prunelles noisettes ; énuméré de cette manière, elle a ce sentiment d’avoir tissé le portrait de son petit ami à l’exception de ses iris se rebellant à ce lien parfait ; et elle se souvient avoir déjà fait ce rapprochement étrange. Mais avec qui donc ? Sa mémoire s’éclaircit soudainement comme si elle franchissait le bout d’un tunnel obscur. La réponse tant attendue s’inscrit comme une évidence après tant d’éléments qui se superposent. Ce jeune garçon maniait paisiblement des crayons de couleur dans la salle d’art durant la petite visite de propagande d’Ivy, la présidente du club d’art. Quoi de plus normal après tout ?

Et Destiny n’apprendra sans doute jamais, jamais que son attitude moqueuse et peu avenante mériterait quelques modifications – car on n’essaie tant de le nier, mais les premières impressions ont toujours tant compté. Jamais qu’il y a des vérités à étouffer pour faciliter la convenance d’autrui. C’est trop demandé pour une âme rebelle aux conventions imposées. Oh Destiny, petite Destiny qui se fait des ennemis si aisément et ne récolte que la tempête qu’elle sème si vivement. Le culot du jeune garçon attise l’amusement de la jeune fille, un peu surprise qu’un visage si angélique puisse dissimuler une répartie si spontanée. A-t-elle été si froide pour mériter une telle riposte ? Oh, sans doute, oui.

Un sourire narquois fend le visage de ce visage si pur, un ange dévoilant son véritable visage une fois son paradis perturbé ; et cela lui plaît autant que cela envenime son humeur. Elle aime se délecter de ce sel afin d’imposer sa propre supériorité. Jusqu’à… Jusqu’à cette petite pique pourtant inoffensive sur la couleur de sa crinière, douce barbe à papa, objet de moqueries et de persécutions à l’époque de son apparition et objet de mauvais souvenirs. Souvenirs qu’elle refuse de voir matérialisés dans le présent, ni même dans le futur. Son sourire s’efface l’espace d’un instant, dominée par les remarques d’un élève plus remonté qu’elle ne l’aurait soupçonné, avant de réapparaître sous une forme plus moqueuse.

– Je suis pas le genre à avoir des discussions avec des lézards, j’en vois pas l’intérêt. murmure-t-elle si doucement que c'en est à peine perceptible.

Le coin de ses lèvres accentue l’allure mauvaise de son humeur.

– Oui, je ne crierai plus parce que je sens que j’ai une piste intéressante. Je sais que tu mens : tu me parles comme si tu prenais sa position et précise qu’il a fui alors que ma phrase pouvait laisser entendre qu’elle était simplement partie. Tu as quelques raccourcis assez faciles toi aussi. conclut-elle fièrement.

Sa petite taille lui permet de se faufiler à l’intérieur de la propriété privée sans la moindre honte pour accomplir ses objectifs.

– Dis-moi simplement où il est, et je te laisserai dormir. Deal ? lance-t-elle comme un ultimatum.

La guerre est déclarée.

Son comportement suscite son interrogation, elle doit bien l’avouer ; son empathie pour le reptile messager transpire de ses paroles moralisatrices. Toutefois ce qui retient son attention demeure dans cette idée de converser avec l’animal de sang froid comme avec un semblable humain – oh, et bien que Destiny n’affectionne pas particulièrement les interactions avec ses petits camarades, elle imagine avec beaucoup de difficultés pouvoir rejoindre la position du petit blond. La plupart ont plus d’intérêt et de conversation que les humains ? Cette étrange déclaration lui met la puce à l’oreille quant à plusieurs explications plausibles – deux, pour être précis… Serait-il un adepte du blablalézard, ce fameux produit ayant son petit succès notable auprès des amoureux des animaux ? La somme d’argent nécessaire lui paraît un minimum conséquente pour une activité aussi dispensable qui sonne comme une habitude dans sa bouche, néanmoins cette supposition n’est pas à exclure, son interlocuteur a vaguement l’allure de s’adonner à ce passe-temps. Ou alors serait-il doté d’un pouvoir lui permettant de communiquer avec eux ? Tout porte à croire qu’il s’agit de la clé du mystère enveloppant son don non dévoilé, bien que les chances se réduisent en assumant une vérité encore inconnue.

Destiny s’étonne à devenir curieuse au sujet d’un être humain, davantage en constatant qu’elle le considère comme un parfait inconnu – oh, et les chances que cela change se révèlent plutôt nulles en cet instant même. La situation lui exige de se montrer vive d’esprit pour mener à bien ses plans de récupération – le propriétaire de cette habitation refusera de semer des indices pour lui venir en aide, elle en est consciente. Il concentre ses efforts à la chasser de sa demeure, sans doute pour protéger son invité réfugié ; elle ignore superbement ses dernières piques – de son point de vue, elle a parfaitement sa place en ces lieux.

– « Plus d’intérêt et de conversation que les humains », hein ? D’une manière ou d’une autre tu parles avec eux, en d’autres termes, et t’as l’air d’en avoir l’habitude. Il est déjà si difficile d’enseigner des simples mots à un chien, alors discuter avec eux mieux qu’entre nous ne peut être que l’œuvre d’une magie, je me trompe ? conclut-elle.

Un objet, un pouvoir, peu importe… Destiny s’approche doucement du but tant désiré. Et Destiny pense qu’elle pourrait accomplir bien plus que simplement récupérer son animal de compagnie.

– Dis-moi comment tu fais. Dis-moi, si tu sais si bien comment faire, comment installer une meilleure ambiance avec elle. déclare-t-elle avec affirmation.

La voix d’une jeune fille dépassée qui ne parviendra pas à supporter plus longtemps la routine établie. La demande d’une jeune A qui ne refusera jamais une occasion pour améliorer sa situation.
S’il désire tant avoir le dernier mot, Destiny le met au défi de le lui prouver.