Rock never dies

C'était le matin, un matin frais. Un matin où je ne savais pas quoi faire à part entraîner mon violon. Je profitais toujours du matin pour me rendre à la salle de musique. En temps normal, il n'y avait personne, et cela m'arrangeait; je préférais travailler dans le calme, pour m'entendre jouer et aussi pour que personne ne me fît de remarque. Alors, la poignet de ma mallette dans la main, je traversais les couloirs vides de l'établissement. Le chemin à faire jusqu'à ma destination n'était pas très longue, et je connaissais si bien l'itinéraire que je pouvais facilement le faire les yeux bandés. Il m'était impossible de me perdre, et je trouvai la salle rapidement et facilement.
Je me trouvai derrière la porte de la pièce, et j'entendais une mélodie assez puissante derrière ces murs. Je restai figée, fronçant un sourcil, je n'avais pas envie de croire qu'il y avait quelqu'un alors que je souhaitais être seule. Mais il fallait se rendre à l'évidence: j'allais avoir de la compagnie. Mon corps refusait de bouger, et la seule envie qui me rongeait était essayer de reconnaître ce style, son propriétaire. Le style de musique ne ressemblait pas à celle de Sélène en plus; là, c'était quelque chose de rythmé, et de lourd, très loin de la douce et magnifique voix de ma chère A. Ma main baissa la poignet de porte, me permettant d'entrer. Mon regard se posa directement sur l'auteur du morceau, et je le reconnus facilement: Marius, un D. Je ne l'aimais pas pour être franche, il était dans cette classe que j'avais de la peine à blairer, en plus il faisait partie de ces personnes sociables et énergiques; mais il jouait bien, ce qui était énervant à admettre.

Mon regard se détourna, comme si je voulais faire semblant de ne pas l'avoir remarqué alors que je savais qu'il était là. Mais mon visage me trahissait en faisant apparaître une grimace à la vue du blond. Mais du coin de l'œil, je remarquai sa guitare, son amplificateur - je compris mieux pourquoi ça résonnait au-delà de la pièce - et ses habits typiques d'un fan de rock. Le métal et le rock n'étaient pas mes styles préférés, mais bon, j'aimais bien encore, ça restait de la musique. Je m'assis assez loin de lui, sur un tabouret destiné aux batteurs - parce que, oui, il y avait plusieurs instruments de musique dans cette salle, dont une batterie -, et je me mis à l'observer; il faisait trop de bruit pour que je jouasse du violon, dommage, alors autant essayer de le faire un peu taire. Il avait l'air de ne même pas m'avoir vue, et lorsqu'il termina son morceau, je déclarai une fois que j'étais vraiment sûre que c'était la fin:

▬ Ah ? C'est enfin fini ?

Mon regard n'était pas très sympathique, et montrait que j'étais un peu d'une humeur sévère. Ma mallette se trouvait à côté de moi, par terre. Je repliai une de mes jambes pour que mon pied se posât sur le tabouret. Je portais un pantalon, il n'y avait aucun soucis. Quelques secondes après cette phrase, je continuai:

▬ Ce n'est pas que c'était nul, mais on t'entends même en dehors de la salle. Je sais que c'est du rock, ou du métal, mais n'exagérons rien. Je ne pense pas que les rares passants ont envie de t'entendre.

Je le fixais toujours, sans le lâcher du regard. Sympathique n'était pas un adjectif qui définissait mes propos, mais je me disais qu'il devait savoir que je ne l'étais pas.

Il se retourna pour enfin voir ma personne qui venait d'assister à son spectacle. Il ne sembla ni ravi, ni vraiment de mauvaise humeur à ma vue. C'était comme si ça ne le dérangeait pas de voir quelqu'un qui ne l'aimait pas, qui n'avait pas vraiment envie de le voir. Peut-être que j'allais le forcer à partir avec cette attitude, parce que personnellement, il était hors de question de le faire à sa place. La musique m'apaisait à un point inimaginable, m'enlevait tous les sentiments négatifs et pessimistes de mon cœur pendant quelques instants. Je n'étais pas quelqu'un que je pouvais qualifier de très heureuse, alors au moins, je voulais profiter des seuls moments qui me faisaient sourire et qui m'emmenaient dans un autre monde. Cependant, il sembla que le faire partir allait durer plus de temps que prévu, puisqu'il demeurait immobile et son regard se posa sur ma mallette. D'un air interrogateur et toujours peu aimable, je gardais mes yeux braqués sur lui en me demandant pourquoi il était intrigué par mon étui. N'en avait-il jamais vu ? Cela m'étonnerait fortement.

▬ Wouah, tu joues du violon ? C'est drôle, moi aussi. Tu en fais depuis quand ?

Alors, lui aussi était violoniste ? Je l'ignorais totalement; les seules fois où je l'apercevais en salle de musique, il jouait de sa guitare électrique. Je continuais de le regarder, silencieuse, comme si je ne savais pas vraiment quoi répondre à cette découverte si subite. A la fin, je posai mon pied à terre, et je me réinstalla un peu mieux sur mon tabouret, en baissant la tête.

▬ Depuis que j'ai 8 ans, ce qui veut dire que ça fait 9 ans que j'en fais.

Si j'en croyais ses dires, il ne m'avait jamais vue en jouer. Je ne pensais pas que c'était le cas, je n'y avais pas fait attention d'un autre côté, cela m'était un peu égal qu'il me vît ou non. Je venais de me réinstaller, position normale cette fois-ci. Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais de la peine à trouver une position confortable qui me plaisait pendant plusieurs minutes, alors je bougeais assez souvent. Mon regard se posa à nouveau sur Marius, toujours avec le même air nonchalant et méfiant à la fois. Mais cette fois-ci, il était en train de sortir un violon de son étui pour prouver ce qu'il venait de dire, dans un autre coin de la pièce, ayant abandonné sa guitare. D'abord, je dus le chercher un peu dans la pièce pour le retrouver, comme il s'était déplacé, mais je l'avais vite trouvé à nouveau. Il me regarda à nouveau.

▬ C'est quoi ton morceau préféré ?

Bonne question. A vrai dire, je n'en avais pas, vraiment je ne retenais même pas vraiment les titres des morceaux que j'eus joués dans ma vie. J'étais de ces personnes qui lisaient une partition en ne se concentrant que sur les mesures, les notes, les portées, le chiffrage et non sur le titre. On disait que les bons musiciens savaient jouer un morceau sans s'entraîner, mais simplement en lisant ce qui était inscrit sur les partitions, et j'étais comme cela, même si j'avais beaucoup entraîné mon talent pour en arriver là. Je fonctionnais comme ça, cela me permettait de jouer des styles variés; mais pour ce genre de questions, par contre, j'étais bien embêtée. Mon corps ne bougeait pas d'un millimètre, comme si je me fichais totalement de ce que disait le D.

▬ Je n'en ai pas, tant que c'est du violon, ça me plait. Je te laisse donc le libre choix de ce que tu veux jouer. Content ?

Alors je continuais de l'observer, pour voir comment il allait réagir. En fait, je venais de l'inviter à jouer de son instrument sans m'en rendre compte. Mais ce n'était pas bien important. Je ne désirais pas vraiment faire ami-ami avec lui, mais s'il souhaitait me faire part de ses talents en matière de musique, autant qu'il le fît.

Il ne semblait pas vraiment avoir apprécié ce que je venais de dire. Immédiatement, il se tut, et me regarda, comme si j'eusse dit quelque chose d'extrêmement étonnant.

▬ Nan, sérieusement ? Tu croyais que j'allais jouer ton morceau préféré ? Cela aurait été si...Niais. Non, moi je vais jouer un morceau que j'aime. dit-il en souriant, dévoilant ses fossettes.

▬ Oh la la ~ pas content alors ? Mais c'est pas faux ~ C'est vrai que ça aurait été très niais. De toute façon, j'ai dit que je te laissais le choix, et tu l'as fait. répondis-je à mon tour en souriant.

Dans le passé, quand ma meilleure amie me posait cette question, c'était pour tenter de le jouer elle aussi. Mais bon.
Simple provocation de ma part. Puis il commença à jouer de son instrument de musique. Alors je me tus subitement, parce que l'une des règles les plus importantes en musique, c'était de respecter un musicien qui jouait, même si je ne l'aimais pas. Même si je voulais qu'il partît, même si je ne voulais pas le voir, même si je n'avais aucune compassion pour lui, je n'étais pas indifférente de ce qu'il tenait dans sa main. Silence de mon côté. Son archet commença à s'agiter, dynamiquement, rapidement, assurément. La mélodie qui s'échappait du violon m'était assez familière. Cela dit, je ne connaissais pas le titre, et il ne me semblait pas l'avoir joué une fois dans ma vie. C'était dynamique, cela n'avait pas l'air facile, c'était beau. Entendu, certainement, mais joué, jamais. C'était dommage, parce que plus j'entendais les notes qui composaient ce morceau, les nuances, la vitesse et le reste, plus j'appréciais la pièce. Il fallait dire que seul le son de cet instrument à cordes m'apaisait, alors une mélodie, simple ou compliquée, m'aidait à m'évader et à oublier que je n'aimais pas beaucoup ma vie. Je ne bougeais même plus, je me contentais d'écouter et de deviner les notes qui seraient inscrites sur la partition originale. Il jouait bien, sans partition en plus, je devais l'avouer. Mes yeux se fermèrent doucement, et un petit sourire apparut sur mes lèvres, laissant sur mon visage une expression presque niaise. Personne ne pourrait croire que j'étais malheureuse s'il me voyait avec cette tête, car j'avais l'air littéralement d'une imbécile heureuse.

J'hésitai tout de même à plusieurs reprises à simplement l'ignorer, brandir mon archet, mon instrument et jouer dans un coin de la salle - en commençant par l'accorder -, mais je n'en avais pas vraiment envie. La seule envie qui me traversait l'esprit c'était de ne rien faire, de simplement écouter, attentivement.
J'aurais bien voulu voir Sélène, pour refaire notre duo Basse et Violon. Cela donnait un mélange spécial, mais pas si moche, en plus, elle chantait merveilleusement bien.

Seules des pensées positives occupaient mon esprit lorsque j'écoutais du violon. J'attendais qu'il terminât.