And I've always lived like this, keeping a comfortable distance ✖ feat Mike

Il était bientôt 3 heures du matin, il regardait les lumières de la ville et il avait presque envie de se dire qu’il allait bien. Après des semaines d'errance, des semaines de dérive, il se sentait mieux. C’était peut-être le calme qui régnait sur le toit à cette heure ci. Ou bien la Malboro qu’il venait d’allumer. Ou bien les deux. Volute dans la semi-obscurité. Il relève légèrement la tête et expire un nuage de fumée vers le ciel dégagé avant de s’accouder à la rambarde qui le séparait du vide.

Enfin seul avec lui même. C’était vachement agréable. Il n’en pouvait plus, de côtoyer tous ces gens, 24 heures sur 24. Jamais tranquille. Obligé d’affronter leurs regards, de répondre aux questions, d’être correct, ou pas, mais dans tous les cas d’être présent. Il les voyait sourire, il les entendait rire, il les imitait malgré le fait qu’il en avait marre. Marre de tout ça. Et puis le soir, il retournait dans sa chambre, il s’allongeait dans son lit et il étouffait en silence. Il est comme ça. Il affirme qu’il hait le monde entier, et lorsqu’on le laisse dans son coin, il se laisse dépérir. Alors le lendemain, il se levait et retournait en cours, pour endurer les autres alors qu’il se sentait mal, parce que c’était le seul moyen de ressentir quelque chose.

Mais là, tout de suite, ça allait. C’était donc ça, le sentiment d’être ‘passé à autre chose’ ? Ça lui était rarement arrivé, rancunier comme il était, Morgan était plutôt du genre à rester éternellement en colère. Et maintenant, plus rien. Plus de rancune, plus de rage, plus de regrets. Seulement des souvenirs. Doux, amères... de toutes sortes. Il y avait les bons. La rencontre, virtuelle puis réelle. Les fous rires. Les moments complices. Les longues minutes où il le tenait simplement dans ses bras et où il se sentait bien. Il y avait les mauvais. Les crises, les engueulades, les larmes, les mots que l’on ne pense pas toujours mais que l’on prononce quand même. Et puis rien. Après toute cette rétrospective, il n’y avait plus rien, la pellicule s’arrêtait là.

Il était 3 heures du matin, il regardait les lumières de la ville, ça faisait plus d’un mois que Morgan ne l’avait pas revu, et il voulait se convaincre que ça allait bien.

La porte qui donnait accès sur le toit s’ouvre et Morgan émerge de ses pensées, dérangé dans sa réflexion. Se tournant à peine, il tente de distinguer le visage de la personne qui venait d’arriver. Ça aurait pu être un surveillant, et pourtant il arborait un air désintéressé. Parce qu’au pire on s’en fout, on le renverra dans sa chambre et il attendra une dizaine de minutes avant de retourner ici.
C’était pas un surveillant…
Lorsqu'il reconnaît Mike malgré la pénombre, il lève les yeux au ciel avant de s'affaler un peu sur la balustrade. Lui, ici, maintenant. Logiquement, Morgan ne peut pas “s’auto porter la poisse”. Logiquement. Sérieux, quelle était la probabilité qu’ils se croisent à cette heure et à cet endroit, sans déconner ?

Paradoxe. D’un coté il voulait continuer dans la lancée, faire tout son possible pour éviter ce mec, comme il avait fait pendant un mois. Ça avait été tellement difficile au début. Agaçant. Son prénom écrit en néons, clignotant dans son cerveau, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Qu’il soit dans les parages ou non, Morgan avait l’impression de le voir partout. Il suffisait de croiser quelqu’un qui avait les cheveux clairs, ou bien les yeux bleu glacier comme les siens, et bam, il y pensait toute la journée. Mais désormais ça allait mieux, comme sevré d’une drogue dont on a été longtemps dépendant.
Il n’avait qu’à se barrer en vitesse et faire comme si il ne l’avait pas vu. Mais en même temps, il crevait d’envie de rester ici. Il était bien, il était là le premier, alors il ne bougerait pas.
Il s’adosse à la balustrade avant de se laisser glisser pour finir assis à même le sol, en tailleur. Distraitement, il tire une bouffée de tabac et laisse la fumée envahir ses poumons avant de l’expirer dans un souffle. Frisson. Il faisait frais. Morgan ramène ses jambes contre lui, croisant ses bras sur ses genoux, sa clope coincée entre son pouce et son majeur.
Puis il lève légèrement la tête, laissant son regard se poser sur Mike un peu plus loin. Et lui, il avait fait quoi durant tout ce temps ? En un mois, il a dû s’en passer, des choses… Morgan faisait mine de ne pas s’intéresser à lui, il se posait malgré tout ces questions. Mais merde, il n’en avait plus rien à foutre de ce gars.
Alors il se contente de le dévisager avec une expression blasée, voire dédaigneuse, avant de tourner la tête pour regarder la ville, nettement plus apaisante.

Morgan contemple un long moment les lumières de la ville, pensif. Ce genre de vue, ça lui donnait envie de s’en aller. Pas s’en aller dans le sens “relier ses tempes à l'aide d'une bastos” ou “se passer la corde au cou et faire tomber le tabouret sous ses pieds”. Nan, juste partir. Le bahut, les études, tout ça l’ennuyait. Il était pas fait pour ça. La preuve, il avait failli finir en E. Au questionnaire de l’examen d’entrée, il avait répondu au pif. T’as une question, trois réponses possibles, suffit de cocher une case au hasard à chaque fois, tu gagneras forcément un point quelque part.

Il irait où ? Dunno. Ailleurs. Les road movies ça l’a toujours fait rêver. Le strict nécessaire dans un sac à dos, tu bouges, tu t’arrêtes pas. En bus, en train, ou même en faisant du stop. Tu rencontres des gens chelous, t’es jamais sûr de trouver un motel où passer la nuit, mais justement c’est qui est excitant. Aujourd’hui, en quoi c’était excitant de se lever le matin pour passer 7 heures par jour le cul sur une chaise, pour apprendre qu’on a inauguré la fresque de la Chapelle Sixtine en 1512 ? Tout le monde s’en fout de ça…

Et Mike qui parle tout seul. Morgan le toise en silence. En arrivant à Prismver, il se disait qu’il venait uniquement pour ce mec. Entretemps, il s’était fait des amis, et depuis qu’il ne fréquentait plus Mike, c’était pour ces gens là qu’il restait désormais. Mais franchement, ça ne vaudrait pas mieux qu’il se casse d’ici un de ces jours ? Ça libérerait une place pour un élève un peu plus prometteur que lui.

« J'suis un fantôme tu peux pu me voir ! »

Air étonné. Il reste hébété quelques secondes, regardant Mike se cacher sous son drap. Pardon ? Ses gamineries l’exaspèrent aussitôt et Morgan lève les yeux au ciel. Il lâche un “tss” irrité et se tourne un peu vers la ville, appuyant son épaule contre la rambarde.

- … Complètement taré…

Il finit sa clope et passe sa main entre les barreaux de la rambarde pour laisser tomber le mégot dans le vide, blasé.
On n’a qu’à faire comme si il n’était pas là.

Morgan serre les dents en voyant Mike se lever. Il partait enfin ? Geez, si seulement il pouvait se barrer… Nan, nan, viens pas. Reste à l’autre extrémité du toit, c’était très bien. Fuck…
Dos aux lumières de la ville, le visage de Morgan reste dans la pénombre. Contre-jour. Heureusement. Sinon Mike aurait déjà remarqué le regard noir qu’il lui lançait.
« Mmmm... C'pas du jeu, toi tu vois mon visage mais pas moi... Fuuh... »
Il ne le reconnaissait pas ? Sa face lui revenait plus ? Alors comme ça il suffisait qu’ils ne se croisent pas pendant un mois, et Mike l’oubliait. Comme quoi Morgan ne marquait pas les esprits. Ce dernier toise Mike, qui était visiblement fasciné par le ciel.

« En tout cas j'suis sûr que t'y connais rien en étoile !...'Fin moi non plus en tout cas ! »
Qu’est-ce qu’il raconte, putain...
Du calme Morgan. Il l’entend rire. Ça faisait tellement longtemps qu’il ne l’avait pas entendu rire. Ça lui faisait étrange. C’est comme écouter un ancien morceau qu’on s’est longtemps passé en boucle. Ça évoque trop de choses. C’est agaçant.
Agacé, Morgan l’est. Il sature, il a envie d’avoir la paix, il ne voyait pas où Mike voulait en venir, il n’avait pas envie de l’écouter si c’était pour raconter des idioties.

- À quoi tu joues, bordel ??

Regard sévère. Il le fixe quelques secondes avant de tourner la tête et baisser les yeux, admirant vaguement le vide derrière lui. Croiser Mike maintenant, c'était vraiment pas ce qu'il lui fallait. Il n'avait jamais cherché à l'oublier, lui. Seulement à refouler tous les sentiments négatifs, la rancune, la colère, les regrets. Il pensait que ça allait mieux mais le fait de le revoir, ça allait finir par tout remettre sur le tapis.

Allô Mike, ici la terre. Il a l’air d’y revenir un peu brutalement vu la vitesse à laquelle son sourire s’était effacé. Échangé. Ce sourire vient plutôt se dessiner sur les lèvres de Morgan. Douce désillusion. Ça lui faisait toujours plaisir de voir l’expression du visage de Mike passer d’un extrême à l’autre. Comme avant. Souvenir. Ils s’engueulaient. Mike arbore un air boudeur. Morgan plaisante. Mike lève les yeux au ciel. Morgan l’embrasse. Mike finit par rire. L’humeur changeait vite.
Et aujourd’hui ? Elle stagnait entre l'exaspération la colère.

« Hors de question que je reste ici avec toi ! »

Il partait. Il partait, enfin. Morgan pousse un petit soupir, satisfait. Il ne le regarde même pas s’éloigner, pas la peine. Ça va, ça n’avait pas été si terrible. Mike allait s’en aller et il serait tout seul sur le toit. Il aurait le panorama et les lumières de la ville rien que pour lui. Et ça allait être génial.
Il entend un bruit sourd. Il voit Mike donner un coup de pied pour tenter d’ouvrir la porte. Ouvrir la porte ? Mais elle était ouverte quand il est arrivé sur le toit tout à l’heure ! D’ailleurs il avait bien fait attention de la caler pour qu’elle ne se ne referme pas. Parce qu’on ne peut pas la déverrouiller de l’extérieur. Et Mike l’avait fermé en arrivant sur le toit.
Facepalm.
Il reste planté là un instant avant de se lever pour aller vérifier lui-même, en stress. Nan, ça pouvait pas être ça. C’est juste Mike qui n’a pas assez de force pour ouvrir ce foutu accès au toit. Et lorsque Morgan passe quelques secondes à pousser la porte en y appuyant son épaule de toutes ses forces, il comprend.
Il est enfermé dehors, avec Mike, sans aucune échappée.
Ragemode.

- Putaaain, putaaaaaain mais c’est pas possiiiiible.

Il saisit des mèches de ses cheveux entre ses doigts et les tire un peu, serrant les dents pour garder au fond de sa gorge cette soudaine nécessité de hurler.
Ça marche pas.
Il se tourne en direction de là où Mike était parti se planquer.

- Mais t’es vraiment trop con, tu l’as fait exprès ou quoi ?!!

Morgan entend Mike grogner et ne peut pas s’empêcher de réprimer un sourire. Merde, c’est pas le moment de se marrer... Et pourtant il n’y peut rien. Mike n’a jamais été très crédible avec ce genre d’humeur. Morgan avait toujours dû faire des efforts pour garder son sérieux lorsqu’ils s’engueulaient. Parce qu’il ne s’y faisait pas. Il détestait voir Mike avec ces expressions, cette colère dans le regard. Ça ne lui allait pas. Aujourd’hui encore, ça ne lui va pas. Alors Morgan étouffe un rire moqueur.

« Rhaaa mais ferme ta gueule putain ! T'en sors des conneries ! Si j'avais su que c'était toi je t'aurais enfermé TOI, pas moi avec ! »
- T’aurais su que c’était moi si t’étais pas complètement bigleux, j’étais à 2 mètres tu m’as même pas r’connu, boulet…

Et Morgan reste là quelques secondes, à toiser la porte qui lui barrait toute fuite. En fait, c’était pas si mal. Qu’est-ce que ça changeait à ses plans ? Ok il y avait l’autre, mais franchement, il gênait tant que ça ? Il prenait un peu de place, il faisait un peu de bruit, point barre. Suffisait d’en faire abstraction.

« Comment j'ai pu en arriver là moi... »
- … Mais qu’est-ce que tu fous là aussi ?

Morgan s’adosse à la porte et sort ses clopes de sa poche. Il saisit le filtre de l’une d’elles entre ses lèvres et la tire du paquet avant de l’allumer avec son briquet de l’autre main, distraitement. C'est pas grave, vraiment pas dramatique. Il inspire, expire, puis la garde entre ses doigts.

- Tu me stalkes c’est ça ? Ouais c'est forcément ça.

Air narquois. On s'occupe comme on peut, alors autant s'amuser avec lui.

Rien qu’au silence pesant qui régnait, Morgan pouvait deviner que Mike avait enclenché le ragemode. « J'ai autre choses à faire des mes journées ! J'perds pas mon temps à ça ! » Avant Mike se contentait de bouder lorsque Morgan le cherchait un peu. Désormais il part au quart de tour. Morgan devrait se sentir flatté de provoquer ce genre de réaction chez lui. Mais au lieu de répondre, il tire une taffe, pour ensuite expirer la fumée et faire des cercles avec. C’est ludique. « Et puis stalker c'est vraiment un truc de trisomique. »

Silence. Morgan ne dit rien. Ça sert à rien de lui parler, en fait. Ses paroles, complètement dénuées de sens, d’intérêt. Oui voilà, Morgan le trouvait désormais sans intérêt. Il était tout à fait inintéressant. Ça freeze une fraction de seconde dans son esprit. Mike qui l’ennuie, qui le fatigue. Qu’est-ce qu’il trouvait d’intéressant chez lui, déjà ? Avant ça se passait comment ? Il avait du mal à se souvenir. C’était peut-être la même chose. Morgan avait pas le même état d’esprit, voilà tout. Il était amoureux. Quand on est amoureux, on est un peu con. Tout ce que disait Mike, tout ce que faisait Mike, ça lui paraissait grandiose.

Et encore avant… Quand ils ne se connaissaient qu’à travers un écran…
Morgan était pas amoureux, pas encore, et pourtant il trouvait Mike intéressant.
Alors peut-être que ce n’était pas Mike qui avait changé. Peut-être que c’était simplement Morgan qui était devenu encore plus con, au point de ne plus voir ce qu’il trouvait formidable chez ce type auparavant.

Ramenant ses jambes contre lui, il croise les bras sur ses genoux pour y poser sa tête, laissant sa clope se consumer. Et cette question qui lui revient sans cesse.
Mike a autre chose à faire de ses journées, il en a plus rien à foutre de toi, Morgan. Vraiment ?

- … Tu fais quoi de tes journées, maintenant que j’suis plus là ?

Au fond, il espère que Mike se fait chier sans lui. Il espère avoir laissé un énorme vide dans sa vie. Parce que Morgan c’est souvent un égoïste. Mais aussi parce que Morgan il a pas trop confiance en lui, parfois. Alors il cherche à se rassurer comme il peut.

« Les gens me trouvent déprimé alors j'parle avec mes amis »

Ah, lui c’est tout le contraire. Morgan, toujours aussi doué pour jouer la comédie, a l’air plus en forme que jamais devant ses amis. Remettez lui un Oscar, ladies and gentlemen show tiiime. Alors on ne lui demande pas si ça va, on ne lui demande pas comment il se sent. Parce qu’à première vue, il n’est jamais allé aussi bien.

« Parce qu'ils sont curieux de savoir pourquoi et je leur dis que c'est rien. Sinon ça change rien de mes journées, juste à mes temps libres, là j'ai du temps à perdre tout seul. Parce qu'avant j'venais te voir. Maintenant j'ai pu envie, pu du tout. Ou peut-être te voir en heure de colle à te faire chier ou lamentable. »

Au fur et à mesure que Mike lui répond, Morgan baisse la tête et se recroqueville un peu sur lui-même. Misérable, il se sent juste misérable. Il a envie de disparaître, si seulement le sol pouvait s’ouvrir sous lui et l’engloutir. Ça arrangerait tout le monde, Mike le premier. Il a bien entendu. Le fait que Morgan ne soit plus là, ça ne change absolument rien au cour de son existence. Ça lui donne même un peu plus de temps libre. Tant mieux pour lui alors.

Mike voudrait le voir dans un sale état, Morgan a bien fait de garder la face devant les autres. En fin de compte il n’a fait que ça. Garder, retenir. Il lui semble qu’il n’a pas pleuré une seule fois depuis qu’il s’est fait larguer. Flippant. Est-ce qu’il tiendra encore longtemps ? C’est pas trop le genre de Morgan d’extérioriser. Il accumule, il a toujours accumulé.

Il a le regard rivé sur la ville au loin, le visage à moitié enfouit dans ses bras croisés. Un immense sentiment de lassitude l’envahit et il pousse un soupir. Il s’était passé en boucle les bons souvenirs, les instants où ils avaient été heureux, alors que Mike s’étouffait dans sa rage et sa haine. Et ça déprimait le blond d’être le seul à chérir ces bons moments.

- J’suis content pour toi.

Il avait essayé de dire ça sur un ton ironique, mais ça sonne trop vrai.