And I've always lived like this, keeping a comfortable distance ✖ feat Mike

Mike qui se lève, se penche par dessus la rambarde avant de se hisser dessus. Qu’est-ce qu’il fout, cet idiot ? Mike dans son champs de vision. Aïe. Ça fait mal, ça lui serre la gorge. Morgan détourne son regard de la ville et fixe plutôt le sol, juste devant ses pieds.

« Il y a des choses qui nous font basculer vers le vide et d'autres qui nous font rester en vie, sur pieds. Je pense que toutes ces personnes qui se suicident à cause de problèmes d'amours sont débiles. Avant j'étais au club des suicidaires, mais il a été dissous parce qu'il n'y avais quasiment personne... Mais tu sais, c'pas pour ça qu'un problème aussi futile me ferra basculer de l'autre côté. »

Pourquoi est-ce qu’il lui raconte tout ça ? Il pense que Morgan crève d’envie de le voir se jeter du toit, rien que pour lui ? C’est pas un connard en phase terminale, il est pas salaud à ce point. Et puis comme Mike le dit si bien, c’est un problème futile.
Futile, vraiment ?
Morgan ne trouvait pas ça futile pourtant… Mike si ? C’était pas rien… C’était des mois, des années de confiance, de complicité. Alors tout ça, ça n’aurait pas d’importance. Très bien. Morgan tentera de se rentrer ça dans la tête.

Le sentiment paisible qu’il avait tout à l’heure s’était entièrement dissipé et il se sentait mal. Il avait l’impression d’être passé d’un extrême à l’autre et tout lui était désagréable. La lumière de la ville et Mike le narguaient. Ils avaient tous les deux l’air de lui dire de se contenter de sa vie de merde, dont il ne fera jamais rien. Tous les jours il essayait de se convaincre que ça ira. C’est vrai, il n’a que 17 piges, il a tout son temps. Il trouvera quelqu’un d’autre, il aura des projets. Mais ça le fait chier, de prendre son temps. Ça le fait chier de s’engager sur le long terme. Morgan porte malheurs, pour lui le long terme c’est pas une valeur sûre. Alors Morgan veut tout, tout de suite. Et à cause de ça il n’arrive à rien. Dans ce cas, il est sensé faire quoi ? On l’encourage à profiter de la vie et quand il le fait, tout part en live. On lui répète qu’il n’est qu’un minable et il n’arrive pas à leur prouver le contraire. Ça veut peut-être dire qu’ils n’ont pas tord, au fond. Morgan n’est pas brillant, Morgan n’a pas de talent en particulier. Il a la tchatche, il sait parler au gens, il sait se socialiser et plaire. Mais c’est tout. Il devrait faire escort boy tiens, ça lui irait bien.

- Si c’est pour me descendre, tu peux fermer ta gueule, Mike.

Toutes ces pensées le font plonger un peu plus et il enfouit sa tête dans ses bras.

« C'est toi qui devrais te taire Morgan. »

Il le sait. Il a conscience qu’il aurait mieux fait de se la fermer, au lieu de s’inquiéter des journées de Mike. Il y peut rien, ça l’intrigue, il voulait juste savoir comment ça se passait sans lui. Et visiblement ça se passait bien. Cool. Great. Que quelqu’un vienne ouvrir la porte. Un pion, un prof, le directeur en personne même. Ils auraient des ennuis mais Morgan pourrait enfin se tirer d’ici.

« Je te descends si je veux, je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi. Je pense que j'ai tout à gagner dans l'histoire. »

Mike croit vraiment que ce n’est qu’un jeu ? Qu’ils sont en train de se charrier comme des gamins pendant les battles de clash à la récrée ? “Il a tout à gagner dans l’histoire.” Laisse moi rire. Ce mec est fatigant et Morgan est épuisé.
Soupir. Il relève la tête, le regard un peu dans le vague, puis il reporte son attention sur Mike. Il voit du mépris dans ses yeux mais il ne cille pas, il ne cille plus. L’habitude. Sa clope est à moitié en cendre et il tire une dernière fois dessus avant de balancer le mégot plus loin. Le silence. Ça fait du bien, un peu de silence. Et puis il se redresse pour se lever. Il avance vers Mike et se plante devant lui, les mains dans les poches de son sweat, l’air froid. Haussement d’épaules.

- Bah vas-y, descend moi. On est rien que tous les deux et on a des heures devant nous. Un mois que j’attends que ça, que j’attends qu’on me dise ce qui cloche chez moi pour que j’corrige le tir. Dis moi tout ce que t’as à me dire, j’t’écoute.

Ils se toisent du regard et Morgan a décidé de ne pas ciller. Il n’a pas honte de ce qu’il est et de ses choix. Ces derniers ne sont peut-être pas les bons mais il les a fait et il ne peut pas revenir dessus.

« T'as changé, voilà tout ! Et je déteste ce que tu es devenu. Avant… Tu n'allais pas te péter la gueule en soirée... Ça c'est pas grave, moi aussi je le fais mais le lendemain t’es chiant, carrément con même ! Et j'aimerais que tu me mentes ! Mens moi au lieu de me dire que t'as pris ton pieds à te faire baiser ! Mens moi, dis moi que t'es désolé, qu'on t'a forcé ! Tu m'as tout  balancé à la gueule, comme si tu n'étais pas satisfait de ce que je te donne ! T'es impatient, tu veux tout avoir ! Tu veux qu'on se montre à tout le monde ! Je t'ai dis d'attendre un peu ! Attendre, ça ne te conviens pas comme mot ! Alors dis le moi, dis le moi que ça t'emmerde ! Au lieu d'aller calmer tes ardeurs sur quelqu'un d'autres ! »

Mike le préfère hypocrite, et ça le dépite, parce qu’il a fait des efforts pour être sincère et c’est ce qu’il lui reproche. Morgan préfère montrer qui il est vraiment, avec ses qualités mais aussi ses défauts, et ça n’a pas l’air de plaire au garçon qu’il a en face de lui et qui lui adresse un regard méprisant avant de lui tourner le dos. Ce n’est pas tout ou rien, personne n’est parfait, on fait tous des erreurs. Morgan s’est planté une fois, il a fait une énorme connerie, et le discours de Mike lui fait abandonner l’idée de se voir accorder une deuxième chance. C’est même pas un retour à l’écran titre, c’est un blackout. Tu meures, t’as plus le droit de jouer. Terminé, game over.

« J'suis qu'un minable moi aussi, un soumis, un avorton... Et j'ai pas envie que tout le monde vois ce que je suis vraiment. J'ai déjà eu des problèmes à cause du fait que je suis...Enfin tu le sais bien. Ce mot à trois lettres finissant par un Y. On me connaît pour draguer, faire chier... Toi aussi d'ailleurs. J’ai juste peur de tout ce qui pourrait changer autour de moi si tout le monde le savait. C'pas toi qui dois avoir une réputation aussi dans les journaux, tu te la coules douce toi... »

Qu’est-ce qu’il en sait ? Contrairement à Mike, Morgan est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Il est pas mannequin, il est pas acteur, il fait pas la couverture des magasines et ses parents financeront pas son avenir. Il doit se démerder. Contrairement à Mike, Morgan n’est pas un assisté. Il affirme qu’on le connaît pour draguer et emmerder le monde ? Si ça lui convient de jouer la comédie, c’est son problème. Morgan a jamais eu l’intention de l’imiter, qu’il le mette pas dans le même sac. Il préfère qu’on le déteste pour ce qu’il est plutôt qu’on l’aime pour ce qu’il ne sera jamais.

« J'avais vraiment envie de te voir en vrai Morgan... Là c'est fait et j'ai l'impression que ça t'as complètement changé de rencontrer tout ces gens. Morgan plisse les yeux, le regard froid. Je te déteste et je t'aime en même temps… »

Il cille à peine en entendant Mike. Après tout ce qu’il lui a dit, ça le touche à peine. Si changer signifie avancer, alors oui Morgan a changé. Et ça lui fait plaisir d’être sorti de la misère qui l’étouffait. Il est venu pour Mike et espérait pouvoir faire sa vie comme il l’entendait. C’est chose faite. Si quelque chose dérangeait Mike il n’avait qu’à lui dire avant, c’est plus l’heure d’aller se plaindre au bureau des réclamations, trop tard. Et Morgan lui en veut, il lui en veut d’avoir fermé sa gueule, de ne savoir faire que ça. Ça le blesse. Parce qu’il pensait être digne de confiance à ses yeux, au point qu’il puisse tout lui avouer.
Il toise Mike du regard, déçu.

« J’suis juste pas comme toi. J’reste pas à faire du surplace et à me cacher, j’ai pas peur de faire confiance aux autres. Mes potes ils ont pas besoin d’un pass V.I.P pour voir qui je suis vraiment, j’suis pas un mensonge. J’ai voulu être franc, j’étais fier d’être celui que t’aimais, parce que t’es un mec bien malgré ton manque de confiance en toi. J’étais heureux, et j’voulais que tout le monde le sache. Mais t’assumais pas, t’as jamais assumé quoi que ce soit de toute façon. À cause de ta réputation qui t'obsède j'ai douté, j'me suis remis en question, j'pensais que j'étais la cause du problème, que t'avais honte qu'on te voit avec moi. J’étais amoureux de toi, je t’ai aimé comme j’ai jamais aimé qui que ce soit, et tu m’as forcé à fermer ma gueule parce que ça allait décevoir deux trois groupies et attiser les moqueries de quelques connards. T’es un lâche et t’as voulu me noyer dans ton hypocrisie à la con parce que t’aimes pas ce que t’es. »

Silence. Morgan se tait. Il a dit tout ce qu’il avait sur le cœur et il se sent plus léger. Il se sent presque bien.

« Quoi que je dise t'as toujours un truc à rajouter pour m'enfoncer, même si ce que tu dis est faux. J'ai pas honte d'aimer les hommes. J'avais pas honte de t'aimer. J'avais peur, j'espère que tu connais ce mot. Je pense que oui, alors tu devrais comprendre que certaines personnes n'arrivent jamais à la faire partir. »

Et lorsque Mike daigne lever les yeux vers lui, Morgan se perd dans son regard cyan, poignardé en plein cœur. Il est incapable de nier le fait qu’un seul regard suffit à le désarmer complètement. Ça lui évoque trop de souvenirs, trop de sentiments, c’en est presque douloureux. Il tente de ne rien laisser transparaître et arbore un air blasé, alors que dans sa tête c’est littéralement l'Apocalypse. Jugement Dernier. Parce que la complicité et l’affection qu’ils ont partagées viennent officiellement d’être portée disparues, on vient d’achever les dernières émotions, comme un retour sur terre beaucoup trop violent, crash. Morgan ne tient pas le coup, il baisse les yeux, il a trop d’honneur pour laisser Mike entrevoir la cécité de la tristesse qui lui voile le regard. Morgan a envie de chialer et il assume pas. Il se sentira jamais bien, parce que Mike comprend jamais rien et ne fait que le contredire. “Ce que tu dis et faux.” Alors c’est quoi la vérité ? La vérité c’est que Mike a jamais été foutu de voir tous les efforts et ne pointe du doigt que les erreurs. Mike est tellement aveugle et stupide qu’il n’a jamais songé au fait que Morgan aurait été là pour le protéger si on lui faisait du mal. Il n'avait pas à avoir peur.

« Même ton regard a changé. »

Parce que tu l’as changé, t’as réduit en cendres sa confiance en lui, tu lui as retiré la seule chose qui le rendait fort : toi. Et Morgan est devenu un mec faible, un mec qui sait plus que se défendre par l’offensive. Il est venu jusqu’ici pour Mike, et maintenant qu’il l’a perdu, pourquoi est-ce qu’il resterait, pour qui est-ce qu’il ferait de son mieux ? Alors Morgan adopte son comportement exécrable de pauvre connard, joue le sociopathe qui a plus aucune compassion pour qui que ce soit, parce que sinon il finirait à terre à la moindre remarque. Et aujourd’hui c’est pratiquement le cas. Et il aurait voulu entraîner Mike avec lui dans l’Abysse, mais il l’aime encore trop pour ça.

- C’est ça, t’as raison.

Il préfère ne plus rien dire, plutôt.
Les mains dans les poches, il réagit à peine lorsque Mike passe à coté de lui et il s’avance plutôt vers la rambarde pour s’y accouder et regarder les lumières de la ville, comme floues désormais.

C'est bon, c'est fini, ils se sont dit ce qu'ils avaient à se dire, point barre. Morgan sait pas si ça a arrangé ou empiré les choses. Ça a peut-être rien changé en fin de compte. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, ça n'évoluera pas. Alors mieux vaut arrêter de se tracasser et tourner la page Soupir. Il se redresse et souffle doucement. Lorsque Mike s'acharne sur la porte, Morgan s'adosse à la rambarde et le regarde faire. Ça lui fait mal d'admettre que ce mec est un cas désespéré. Qu'il n'arrivera à rien avec lui. Et dire qu'il se faisait déjà des films quand ils étaient encore ensembles. Ridicule. Il lève les yeux au ciel, exaspéré par sa propre naïveté. Tant que Mike aura peur, tant qu'il préférera cacher ce qu'il est vraiment, il ne pourra jamais rien se passer. Morgan aura essayé, mais aujourd'hui il préfère le laisser se débrouiller, stagner, c'est plus son problème, c'est plus son fardeau. Des quelques semaines, quelques mois, quand il aura moins de rancune envers lui, peut-être qu'il pourra essayer de le fréquenter de nouveau, en tant que pote, ou ami. Parce qu'il peut pas faire comme si rien ne s'était passé. Mais en attendant, il doit faire une pause, prendre des vacances, ne plus entendre parler de Mike.
Et pour commencer, il doit se barrer d'ici.

Mike a laissé tombé l'idée de forcer la porte. Et pourtant il y était presque. Morgan s'avance, fait les quelques pas qui le sépare de la sortie. Coup d'œil vers Mike qui s'était assis près de la balustrade. Idiot, prend le temps de regarder ce que tu fais avant de laisser tomber. Un de ses défauts d'ailleurs. Mike se décourage beaucoup trop vite.
La serrure est rongée par le froid et la glace l'a pratiquement fait céder. Morgan se contente de saisir la brique qu'il avait auparavant utilisée pour caler la porte et donne plusieurs coups dans la poignée pour la faire finalement tomber. La porte s'entrouvre, Morgan remet ses mains dans ses poches, la pousse d'un coup d'épaule et dévale les escaliers, s'éclipse, fuit.