Tame or enthrall ? | PV Raïley

Elle commençait à connaître le chemin par cœur. Et pourtant, ses « camarades » de classe E semblaient toujours autant surpris de la voir débarquer dans le coin. Entre les regards de biais et les quelques rires étouffés, Evangelyne préfère nettement le silence soudainement suspendu à leurs lèvres lorsqu’elle descend au deuxième étage. Encore cette pseudo guerre des classes ? Incompréhensible pour la jeune fille.
Qu’importe. Elle passe son chemin comme si de rien n’était et pénètre la salle habituelle, leur lieu de rendez-vous. C’était d’ailleurs plutôt ironique d’y donner un « cours privé » alors que les cours classiques censés y être dispensés n’avaient pas grand succès.

Il n’était pas encore là. Elle déposa ses livres sur la table avec nonchalance, avant d’en faire le tour pour rejoindre une chaise tout en laissant une main trainer sur la table. La journée avait été longue, la fatigue commençait à se faire sentir et il était vraisemblablement en retard. Les secondes puis les minutes défilaient. À l’extérieur de la salle, l’agitation était plus que palpable, toujours beaucoup plus si l’on devait comparer avec les couloirs du quatrième étage. À l’inverse, dans cette salle, le calme régnait. Si il y avait une mouche, on l’entendrait. Mais à cet instant, ceux qui possèdent une ouïe surdéveloppée pourraient percevoir le tapotement des doigts d’Eve sur sa veste. Impatiente malgré sa lente respiration.

C’était quoi déjà aujourd’hui ? Physique-chimie ? Sciences naturelles ? Elle jeta un coup d’œil furtif aux livres empilés un peu plus loin devant elle. Les deux probablement. Elle soupira. Quel ennui. Qu’est-ce qu’il fichait ? Presque à chaque fois elle se demandait pourquoi elle avait accepté d’être tuteur. Mais sa fierté et sa volonté revenaient toujours au galop pour le lui rappeler. Le mérite. Elle n’avait jamais cherché à cacher qu’elle ne jouait pas les profs par pure bonté d’âme. Il avait même dû le sentir dès la première leçon et cela participait certainement à la mauvaise réputation des A auprès des E. Mais comme à son habitude, Evangelyne se fichait bien du regard que l’on pouvait lui porter… Même si celui de Raïley se faisait peut-être un tantinet moins féroce depuis quelques temps. Tout du moins lors de leurs cours, à ce qu’elle en savait. La brunette se souviendrait certainement toujours de la première leçon. Indiscipliné et agressif étaient de bien piètres adjectifs pour définir l’attitude du jeune homme. Mais elle le laissa faire. Elle le laissait souvent cracher ce qu’il avait à évacuer. Comme si elle avait une autre solution ? À la rigueur, elle haussait les yeux, muette, stoïque, d’un calme olympien et certainement terrifiant. « Tu te sens mieux ? Alors reprenons. » Qu’est-ce qu’elle avait pu les répéter ces mots…

Elle soupira à nouveau. Puis elle s’étala à moitié sur la table en bois, posant sa tête sur son bras tendu, le visage tourné vers la fenêtre. Petite lucarne vantant le monde extérieur. S il n’arrivait pas bientôt, elle finirait probablement par s’assoupir. Les yeux mi-clos, c’était peut-être déjà le cas…

Picoler. L'activité la plus primitive et plus ancienne qui soit pour oublier. J'en avais des choses à oublier, si désagréables que je les avais enfermer à double tour dans une boite au fin fond de mon esprit, mais tant dérangeante qu'elles faisaient parfois de nouveau surface ... Me hantant, s'enlisant vicieusement dans mon esprit pour me pourrir la vie. J'aurais bien aimé naître avec une option reboot, recommencer à zéro à chaque fois que quelque chose me déranger ... Alors, plutôt que de me droguer, je préférais me bourrer la gueule quand l'envie m'en prenait, le truc c'est que j'avais beau vider les bouteilles que je n'en oubliais pas mes affreux souvenirs pour autant, me traînant juste un mal de crâne carabiné. Dans le pire des cas, je risquais certes une sirose précoce, mais je préférais toujours ça plutôt que de me transformer en épave et rien que de me souvenir de ma mère me faisait froid dans le dos. Tout ça pour dire que la veille, j'avais eu la bonne idée d'aller en boite. Pas pour m'éclater non - j'aurais bien aimé -, mais bel et bien pour foutre en l'air mon estomac avec toute cette vodka.

Résultat au réveil, j'étais nauséeux, prêt à gerber ce qui me restait dans le ventre, en rajoutant un mal de crâne pas possible. Il y avait mieux comme réveil, et à peine ai-je eut le temps d'ouvrir les yeux que je courus dans les chiottes pour dégueuler mes tripes. C'était dégueulasse certes, mais bon dieu ce que ça faisait du bien ! J'étais vidé au sens figurer comme au sens littérale. Prenant une douche, je finis par voir l'heure ... J'avais l'impression d'avoir oublié quelque chose, mais quoi ? Mon esprit encore embrumé par l'alcool se mit à réagir vite, l'ampoule s'alluma enfin ! J'avais rendez-vous ! Rien de galant, et encore moins de sexuel. Éducatif plus qu'autre chose, je devais m'entretenir avec miss Stark pour un cours particulier. Que dire à part que ça me faisait rudement chier ? Elle était certes belle à regarder mais tout ce qui se sortait de sa bouche me soûlait plus que l'alcool. Soupirant, je finis par m'habiller de cet horrible uniforme pour aller en salle de cour, lieu de chacun de nos rendez-vous passant au passage au réfectoire pour avoir quelque chose dans le ventre.

Je n'étais pas du tout présentable mais ... RIEN.A.FOUTRE. Baillant en passant dans les couloirs, je pouvais sentir ces inlassables regards sur moi. Tantôt langoureux, tantôt apeuré, la majorité des regards étaient cependant dédaigneux. Beaucoup me connaissait, mais dans le sens négatif. J'avais pas bonne réputation en somme, mais m'en foutant comme de ma première chemise, je finis par passer le seuil de la porte ayant dans mon champ de vision celle qui devait me faire cour. J'alignais les zéros, autant dire que je n'étais pas très scolaire, elle, elle était censé remédier à ça. Étaler sur sa table, mes pas se firent lent et silencieux. Elle était assoupie. M'installant sur une chaise en face d'elle, je ne pus m'empêcher d'empoigner quelques-unes de ses mèches de cheveux les faisant glisser sous mes doigts. Très doux et soyeux, bizarrement je faisais une fixette sur sa longue crinière, à croire que j'étais devenu fétichiste à cause d'elle. Voulant la taquiner un peu, mon visage s'approcha d'elle pour lui murmurer à l'oreille « Il est l'heure de se réveiller. »

Le son de sa voix, son souffle, son toucher… Il éveilla ses sens. Elle ouvrit les yeux. A ces contacts, ses neurones s’activant au même rythme, puis elle réalisa qu’il était arrivé. Combien de temps s’était-elle assoupie ? Elle se redressa rapidement…

__ Ah désolée. Tu es là depuis longtemps ?

… Et remarqua qu’il tenait toujours quelques mèches de ses cheveux. Evangelyne observa quelques instants sa main. Devrait-elle s’offusquer ? Crier ? S’empourprer comme une vierge effarouchée ? Certainement. La jeune fille se contente de l’incompréhension. *Encore ? Quelle étrange manie.* Pourquoi faisait-il ça ? Ce n’était pas la première fois. Il ne s’en cachait pas et ne s’en privait jamais. À se demander si il se comportait ainsi avec… Toutes les personnes qui ont les cheveux longs ? Elle reprit ce qui lui appartenait en faisant mine de glisser une mèche derrière l’oreille. Puis elle planta ses yeux dans ses jumeaux puisqu’il était encore tout près.

__ Les gens vont finir par te prendre pour un pervers en agissant ainsi…

Elle s’écarta. Peut-être qu’elle-même devrait le considérer comme tel. Instinct de préservation : 0 pour Evangelyne. En tout cas, pas pour ça. Et pas pour si peu.

__ Mais c’est peut-être déjà le cas…

Elle pencha légèrement la tête sur le côté, laissant sa phrase courir. La jeune fille quitta sa chaise pour le rejoindre de l’autre côté de la table. Elle attrapa quelques livres au passage, les poussa pour qu’ils glissent sur le bois. Et comme si de rien n’était, elle passa à autre chose. Revenant au vif du sujet.

__ Bon alors, physique-chimie ou biologie ? Tu veux commencer par quoi ? Vous en êtes à quel chapitre ?

Elle étalait consciencieusement les ouvrages concernés, puis se stoppa lorsque ses lèvres laissèrent échapper cette dernière question. Il valait peut-être mieux dire ça autrement, n’étant pas le moins du monde certaine qu’il soit assidu en cours. Son visage se tourna vers lui, cherchant toujours directement son regard.

__ Mmh… Est-ce qu’il y a des choses que tu n’as pas comprises ou que tu aimerais revoir et approfondir ?

À partir d’aujourd’hui, elle voulait tester une méthode un peu plus « interactive ». Car si c’était pour qu’il reste sans rien dire à l’écouter monologuer, autant qu’ils arrêtent tout de suite de perdre tous les deux leur temps. Surtout lorsque les cours classiques remplissent déjà ce rôle… Vilaine manie que de vouloir faire toujours mieux, toujours plus.
Alors, Raïley devrait s’exprimer, poser des questions, montrer un brin de curiosité. Evangelyne n’était certainement la meilleure dans le domaine de la communication et de l’échange. Mais fierté oblige, il fallait au moins essayer. Quitte à lui tirer les vers du nez, imaginer des cas pratiques et le pousser un peu plus que d’ordinaire.

Attendant une réaction de la part de son « élève », elle s’appuya contre la table, à moitié assise, une main dans le vide, une autre sur l’un des livres. Eva’ inclina une nouvelle fois la tête sur le côté. Sans le vouloir, son regard s’assombrit, tandis que sa conscience priait. *Allez, réagis. Dis quelque chose. Il doit bien y avoir un sujet qui t’intéresse là-dedans…* Légèrement contradictoire la brunette ? Obviously. Elle pouvait y mettre du cœur si elle voulait. Mais là, il s’agissait tout bonnement de mérite. Remettre un « E » dans le droit chemin lui vaudrait certainement les éloges de l’enseignant demandeur. Toutefois, la jeune fille restait toutefois perplexe. D’un, la tâche n’était pas facile, surtout lorsqu’en face, il n’y a aucune volonté de réussir. De deux, cela pourrait être la porte ouverte à d’autres demandes de ce type. Et il fallait être honnête, elle savait pertinemment qu’elle n’embrasserait pas une carrière dans l’enseignement...