Faute d'inattention. [PV Jayson Berkelay]

Just another day.

09:27, j'ouvre les yeux. Samedi matin, soleil éclatant, mais je me doute du froid polaire qui attend dehors. Qu'on est bien au fond de son lit. Les draps me chatouillent les orteils, c'est agréable. Si seulement je pouvais rester toute l'éternité sans bouger de là...

10:38, et mince, je me suis rendormie. Moi qui voulais aller me promener ce matin... C'est encore possible, remarque, pour peu que je ne fasse pas ma larve et que je sorte de ce fichu lit. Mais il m'appelle.. Résiste. Allez, je sors de là, on se retrouvera tout à l'heure ! Un pied devant l'autre, j'affronte le froid en me jetant sur mes vêtements. J'enfile péniblement mon jean, me tortillant dans tous les sens, puis je mets un pull large avant de me battre avec mes chaussettes. Enfin prête, je me regarde dans le miroir : mes cheveux ébouriffés partent dans tous les sens, j'éclate de rire en voyant ma tête. On remet un peu d'ordre dans tout ça ! Puis vient le petit déjeuner, instant sacré de ma journée. Je savoure l'odeur du pain qui grille et du chocolat chaud, mon verre de jus d'orange posé à côté. Je suis enfin prête, c'est parti !

11:15, me voilà rendue dehors. Pourquoi ai-je voulu sortir déjà ? L'air frais me vrille les neurones et je vois d'ici ma peau se mettre à frissonner, mais il faut avouer que c'est agréable de respirer à plein poumon, dans un silence apaisant. Je me retrouve à l'orée d'un parc, la verdure et les oiseaux sont là. Avançant sereinement, je me décide à m'asseoir sur un banc pour apprécier de me retrouver un peu seule, après une dure semaine de cours. Même si j'aime bien ça, c'est pas si simple que ça de trouver la motivation chaque jour. Une pause, ça remonte le moral et ça ne fait pas de mal ! Je me relève parce que le banc me gèle les fesses, et me mets à marche sans but, pour le plaisir de me balader au détour des allées. A partir de là, mes pensées défilent comme un flot continu, et sans prêter d'attention où je pose les pieds, j'avance. Soudain, mon attention se focalise à nouveau sur la réalité, et mon corps réagit comme s'il venait de recevoir un choc.

En face de moi, un garçon. Oups, je crois bien que je viens de le percuter !

- Oh, excuse-moi.. Je ne faisais pas attention où je mettais les pieds ! Tu n'as rien ?

Ouch !

Je ressens encore l'impact sur mon corps, avec le froid, j'ai l'impression de prendre feu. Comme si on prenait une centaine d'épingles pour me les enfoncer simultanément. Je garde malgré tout le sourire en me disant que cette souffrance ne va pas durer. Je relève la tête vers mon mystérieux obstacle et me retrouve nez à nez avec un garçon, assez grand, à l'épaisse tignasse blonde. Ses yeux bleus sont hypnotisant, et je me retrouve sans doute bouche bée, dans une situation assez gênante je dois dire. Il est vrai que j'aime dévisager les gens que je rencontre, ça me permet de les sonder en quelque sorte, mais ça peut déstabiliser celui qui n'en a pas l'habitude. J'essaye de sonder son regard, un brin de méfiance dans mes pupilles ; je suis certes sociable, mais j'aime bien deviner à qui j'ai affaire.

Ce garçon est donc planté là, en face de moi. Lui aussi m'observe je crois. Il pose sa main sur sa tête, avec un sourire se voulant rassurant. Instinctivement, je sens que ce n'est pas un méchant, et je me détends. Ne sois plus sur la défensive. Aie l'air cool, il ne te prendra peut-être pas pour un alien qui le fixe depuis cinq minutes sans rien dire. D'ailleurs, dis quelque chose.

Au moment où je m'apprête à parler, c'est lui qui me fait entendre le son de sa voix. "Ne t'inquiète pas pour moi, c'est plutôt moi qui devrais te demander ça, tu as l'air fragile comme fille. En plus, moi aussi je regardais pas où j'allais." Il a l'air gentil, il se soucie de moi. Mais par contre, je ne suis pas fragile. Enfin presque pas. Je recommence à sentir mon corps, moins engourdi, et le feu disparaît peu à peu. C'est un autre rouge qui commence à me monter aux joues, mais que je réprime pour le moment. Certes, ce garçon est mignon, mais pour le moment il n'y a aucune raison de paniquer. Alors reste calme. Et maintenant, dis quelque chose.

- C'est gentil de te soucier de moi, mais ça va mieux.

J'essaye de ponctuer ma phrase d'un sourire, sûre de moi. Puis, je tente d'entretenir un minimum de conversation ; je ne m'attendais pas vraiment à trouver quelqu'un ici par un froid pareil, autant profiter de l'instant ! Un peu de compagnie, même passagère, ne fait jamais de mal.

- Et qu'est-ce qui t'amènes ici, par une matinée aussi froide ?

On a vu mieux, comme tentative de discussion. Plus original, plus accrocheur. Mais bon, ça fera l'affaire ! Je regarde le garçon en face de moi, cet inconnu. Soudain je me rends compte que je ne connais rien de lui. Ni son prénom, ni son âge, pas même sa classe. Peut-être serait-il temps de se présenter ?

- Oh, je ne me suis même pas présentée ; moi c'est Rose. Et toi ?

Ne rougis pas...

Alors que l'inconnu en face de moi enlève sa main de ma tête, je sens que l'air commence à nouveau à circuler normalement dans ma poitrine, la sensation de suffoquer s'échappe de moi.. Jusqu'à ce que je remarque qu'il la regarde. Ses yeux sont fixés dessus, c'en est terriblement gênant. D'autant plus qu'au fur et à mesure que je le regarde, il a l'air beaucoup plus vieux que moi. Sans que je ne puisse le contrôler, je sens mes joues prendre feu à une vitesse hallucinante. Je vais passer pour une cruche... Mais son regard ne bouge pas, et même s'il me parle, je n'arrive plus à capter son regard. Devrais-je me sentir offusquée ou flattée ? Je sais désormais que je n'arriverais sans doute plus à sortir une phrase sans bafouiller.. Maudite timidité.

Il relève la tête pour me parler, et je soupire de soulagement malgré moi. Je me sens comme libérée de voir ces yeux en face des miens, et bon sang ce que je me sens bête. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai passé ma main dans mes cheveux, remettant sans cesse ma mèche, machinalement. Mes joues me brûlent chaque seconde davantage et quand bien même il fasse si froid dehors, je sens la chaleur habiter mon corps. Je me sens si mal à l'aise...

Il m'avoue être sorti pour trouver quelque chose à faire en dehors de sa chambre.. Chercher une proie, peut-être ? Il souffle sur ses doigts, meurtris par le vent glacial qui souffle sur nous. J'observe alors ses longs doigts fins, il a une apparence soignée, quand même. Ce doit être le genre de garçon à faire attention à chaque détails, aussi bien sur lui que sur les autres. Suis-je bien coiffée ? J'espère que je n'ai pas loupé mon trait d'eye-liner, et que mon mascara ne fait pas de gros pâtés. Oh et puis, pourquoi je pense à tout ça ? Je m'en fiche. De toutes façons je ne dois pas l'intéresser, il m'oubliera vite.

- Il n'y a pas grand monde ni grand chose d'intéressant à faire dehors, malheureusement..

Je parle très rapidement, il n'a pas dû tout comprendre.. La gêne me fait souvent bafouiller, ou alors le peu que j'arrive à dire d'un coup part à une vitesse folle. Je tourne alors la tête, regarde plus loin, sur ma droite. Je prie intérieurement pour qu'il ne remarque pas que c'est juste une tentative d'esquiver son regard qui me sonde et glisse sur moi. Lorsque je me décide enfin à l'observer à nouveau, je le surprend encore une fois les yeux rivés sur mon corps. J'hésite à m'indigner, mais j'abdique bien vite ; je sais parfaitement que je n'en serais pas capable..

"Moi c'est Jayson, je suis en C sixième année et toi ?" Je peine à retenir un sursaut d'étonnement. Sixième année ? Mais.. Si je compte bien, ça veut dire qu'il a dix-sept ans, non ? Je serre les poings, gênée et honteuse de ne pas réussir à réagir. Comment un garçon deux ans plus vieux que moi parvient-il à me trouver jolie et à fixer mon corps de cette manière ? Rien que la pensée d'être regardée me fait rougir violemment, je baisse alors les yeux et fixe mes pieds. Devrais-je lui dire que je n'ai que quinze ans ? Peut-être qu'il ne voudrait plus me parler..

Et là, en cet instant précis, je me trouve ridicule. Bafouillant et parlant rapidement à la fois, il n'a même pas du comprendre ce que je disais.

- J'ai.. J'ai que quinze ans.. Et je.. JesuisenclasseB, quatrièmeannée.

Tiens, comme mes pieds sont jolis.. Pourvu qu'il ne fasse aucun commentaire, pourvu qu'il ne fasse aucun commentaire.

Dans quoi me suis-je fourrée.. ?

Je fixe mes pieds, gênée comme à chaque fois qu'un garçon m'aborde de manière plus qu'amicale. Je suis incapable d'en regarder un droit dans les yeux sans bafouiller dans ces cas là.. C'est agaçant, frustrant même. J'aimerais avoir l'air à l'aise, paraître cool. Au lieu de ça, je m'enfonce chaque fois dans le même scénario, je passe pour une idiote et je n'intéresse plus personne. Ou alors, les gens en jouent et s'amusent à m'humilier. J'ai tellement horreur de ça.. C'est injuste.

J'ose relever la tête avec une force inouïe sortie d'on-ne-sait-où et je tombe alors face à son regard braqué sur moi, un sourire au coin des lèvres. Que se passe-t-il ? Pourquoi il ne dit rien ? Je me permets alors de croire qu'il ne cherche juste peut-être pas à me mettre mal à l'aise, que c'est moi qui me fais des films. Je reprends un peu confiance en moi.. C'est dingue comme je peux paniquer vite. Ce pauvre garçon n'a pas dû comprendre ce qui lui arrivait.. Idiote.

Il me dit que je suis plus jeune que lui, grande nouvelle. Je note sa perspicacité avec un petit sourire narquois, je sens que je reprends du poil de la bête. Lorsqu'il me demande de répéter, je n'ai plus vraiment peur. Je me répète que je suis une fille normale, sans rien de spécial, juste pour calmer.

- Je disais que j'étais en classe B, en quatrième année..

Je le vois me regarder, pensif. Il a dû comprendre mon embarras et se dire que je suis ridicule.. Sans m'en rendre compte, je me mordille la lèvre, signe de mon anxiété. Quand je prends conscience de ce que je fais, je me dis que ce pourrait être interprété autrement, et je sens déjà le rouge remonter à mes joues.. J'avais réussi à l'arrêter ! Je peste mentalement, me maudis, et tente de m'apaiser ; mais Jayson me propose alors d'aller ailleurs. Pour ne pas qu'il voit ma gêne, je baisse les yeux à nouveau, et le grand blond en profite pour se glisser juste à côté de moi et me susurrer quelques mots à l'oreille.

Je sens des frissons me traverser tout le corps. A quoi joue-t-il ? Je me disais bien que c'était trop beau pour durer, son sourire gentil et compréhensif. Il repasse à l'attaque... Comment je dois réagir ? Calme-toi bon sang. Ce n'est qu'un garçon. Juste un humain, comme toi. Alors arrête d'agir comme une gamine et prends toi en main ! Réponds-lui. Et relève les yeux !

- Je veux bien, mais tu as une idée d'où on pourrait aller ?

Je fais tout ce que je peux pour me donner une consistance, il faut qu'il me trouve cool ! Et puis après tout.. Pourquoi je me prends la tête comme ça ? Je m'entraîne à faire des efforts, rien de plus. Qu'est-ce que ce serait d'autre.. ?

Je jette un coup d’œil "discret" à Jayson. C'est vrai qu'il est plutôt mignon.. Cette unique pensée me rends rouge pivoine. Quelle cruche, j'espère qu'il ne remarquera rien.