Hurt.

on, ce n’était pas rassurant. Pas du tout rassurant. Et pourtant, il le suivait. Marchant à ses côtés, mains dans les poches, il fixait le sol, écoutant sa voix grave. Un rapide coup d’oeil de côté. Ce type était flippant. Non, vraiment, suivre Drew Bolton jusqu’aux ruines, y’en a probablement pas beaucoup qui auraient eu les couilles de le faire. Et pourtant. Heath avait décidé de lui faire confiance. Peut-être à tord. Peut-être que c’était un piège, qu’il allait lui éclater la gueule. ... Mais pour quelle raison, hein ? Non, sérieusement, tout le monde le disait dangereux, mais depuis qu’Heath le connaissait, il n’avait fait que le protéger. Et aujourd’hui, les seules rumeurs circulant à propos d’un éventuel leader d’Entropy conçernaient Drew. Ce type n’avait peur de rien. Il prenait tout les risques. Participait à chaque raid. Etait en première ligne. Il n’avait peur de rien, ni de l’administration, ni des A furieux. Même Wolf, le mouvement anti Entropy, ne semblait pas l’inquiéter le moins du monde. Ce type, si impressionnant soit-il, soutenait Heath et sa cause. Prenait des risques pour lui. Et c’est pour ça, aujourd’hui, qu’Heath le suivait à son tour, dans une confiance tout de même légèrement tendue; il s’agissait quand même de Bolton.

Et ce dernier lui parlait, lui expliquait ses idées. Ils se faisaient des plans, imaginaient des scénarios. Quand à la destination de leur marche, elle n’en était pas vraiment une; ils cherchaient la tranquilité, et Drew voulait marcher - il était improbable qu’Heath vienne jusqu’ici tout seul. Pas aventurier pour un sous, il connaissait le nombre de pas exact entre sa cabane et la salle informatique, mais quand à connaître un lieu sauvage et naturel comme les ruines... Non, c’était vraiment loin de ce qu’il aimait.

Mais il n’était pas vraiment concentré sur le lieu. Son esprit réfléchissait, rapidement, tandis qu’il débattait avec Drew. Et ils passèrent près d’une heure, dans les ruines, seuls, à discuter de ça, puis d’autres choses. Heath apprenait petit à petit à connaître l’animal. Il n’avait franchement pas l’air d’être le monstre dont on parlait.

Et puis, le temps passa, et Drew lui faussa compagnie. Heath n’avait pas l’intention de rester beaucoup plus longtemps seul, mais il avait tenu à rester tout de même quelques minutes, profitant du calme du lieu pour réfléchir à tout ça. Et finalement, son téléphone sonna, et il entama une discution avec Pytha.

Alors, il lui raconta tout. Tout ce que Drew et lui venaient de dire. Le prochain plan. La menace des A. Mais, surtout, les plans de Drew pour protéger sa place de Leader.

« J’ai crée Entropy. Tant que je reste dans l’ombre, on a une chance. »

Et puis, un craquement. Un regard. Le téléphone qui se raccroche brutalement. Il déglutit, figé, regardant Ulysse s’approcher de lui. Et, son regard dans le sien, il su instantanément qu’elle avait tout entendu.

ais quel con. Maiiiis quel gros con. Lunettes ôtées, il se frotte inutilement les yeux du pouce et de l’index, le cul contre le muret, soupirant et marmonnant des insultes contre lui-même. C’est juste pas possible d’être aussi con, aussi insouciant. Il avait eu beau parler doucement, et dans ce coin paumé, ça restait un lieu “public” où n’importe qui pouvait le surprendre. Et Ulysse l’avait surpris.

... Il aurait préféré n’importe qui d’autre, ou presque.

« Alors c'est toi... »

Hein ? De quoi ? Haha, mais non, t’a mal compris... Non mais en fait je fais partie des têtes pensantes mais je suis pas LE chef tu vois... Non mais je vais t’expliquer... Allez, ta gueule. Tu t’es fais griller, point barre. Alors porte tes couilles, assume ta connerie, et trouve une solution. Et vite.

« C'est toi le chef de ce gang d’énergumènes qui mettent en péril ma scolarité ?  »
« ... Qu’est-ce tu raconte... »

Dédain, il fronce les sourcils, adoptant une attitude défensive et renfrognée. Mais son cerveau réfléchit à 10 000 à l’heure. Putain de merde. Le truc, c’est qu’il a aucune confiance en elle. Et il fallait que ce soit elle qui découvre ça. Nerveux, il détourne le regard, ne trouve pas les mots. C’est rare, qu’Heath se retrouve Acculé comme ça. Vraiment rare.  Il a l’habitude de mener les opérations, d’être dans l’ombre. Invisible. Il n’a jamais à faire face au conflit, puisqu’il tire les ficelles à l’abri. Mais là, c’est clairement le conflit qui vient à lui. Et lorsqu’il lève les yeux sur elle, remettant ses lunettes sur son nez, toujours silencieux, c’est une Ulysse presque tremblante de rage qui lui fait face.

Elle marmonne, elle n’en croit pas ses oreilles. Et quoi ? Ils ne sont pas les meilleurs amis du monde, Heath trahi des gens beaucoup plus proches, avec son activité secrète. Qu’est-ce qu’elle lui reproche ? D’accord, ils fouttent le bordel en A. Et quoi  ? Pourquoi ça mettrai en péril sa scolarité ? Et pourquoi elle semble si offusquée que ce soit lui ? C’est pas la première fois que leurs avis divergent, ils se parlent peu et se disputent souvent. Leur relation est tendue, elle l’a toujours été. Au départ, ce n’était que de la tension sexuelle. Et puis, c’est devenue cette espèce de tension constante. Parce-qu’ils sont deux caractères forts, parce-qu’elle l’agresse et qu’il ne réagit pas assez, ou pas comme elle le voudrait. Souvent, il voudrait qu’elle l’oublie. Et, souvent, il voudrait ne pas être le premier à aller chercher la merde. Mais c’est plus fort que lui. Il arrive à zapper la plupart des gens, mais Ulysse, il y arrive pas. Même si c’est négatif. Même si c’est pour se prendre la tête. Ca finit toujours par sortir, il peut pas s’empêcher de lui dire c’qu’il a à dire. Leur relation a démarré sur des chapeaux de roue, avec un plan à trois bien trop bon, et depuis, c’est... de la frustration. Comme si les tensions du quotidien, ils devaient se les balancer en pleine gueule, juste pour se soulager.

Et il se retrouve bousculé, insulté, et bousculé encore. Son dos finit par heurter la surface rocheuse d’un mur délabré, et il fronce les traits, lui lançant un regard accusateur à défaut de faire le moindre geste contre elle. Parce-qu’Heath ne lèvera jamais la main sur une fille. Il pose néanmoins la main sur son épaule, détournant les yeux en même temps qu’il bouge de là, n’acceptant aucunement cette position soumise qu’elle lui impose.

« ... Commence pas.  »

Il râle, parce-qu’il voudrait l’envoyer chier sévèrement, mais est désormais pris au piège. Avec cette information, qu’elle en ait conscience ou non, elle le tient par les couilles. Parce-qu’elle possède ce qui est le plus important à ses yeux : son secret. Et désormais, il doit compter sur elle. Il doit avoir confiance en elle. Et ça lui paraît impossible. Parce-qu’ils sont comme chien et chat, parce-que leur relation est violente, et pleine de tensions. Complexe. Parce-qu’il n’a pas oublié leur soirée. Il ne l’a pas oubliée elle, alors que Crystal ne lui fait plus le moindre effet. Plus autant, du moins. Ulysse est la seule connaissant son secret alors qu’il ne l’a pas voulu, et forcément, la crainte s’installe. La crainte qu’elle le balance. La crainte qu’elle le trahisse. Parce-que, au fond, il ne la connaît toujours pas. Il en est certain.

Quel con.

Dos à elle, appuyé sur le rebord d’un petit mur, bras tendus, il fixe le sol, se mord la joue, râle dans sa barbe. Heath est connu pour être d’un calme olympien. Toujours sûr de lui. Mais à cet instant, sa forteresse vient de se fissurer, et il serre les poings, réfléchissant activement pour colmater cette très fâcheuse brêche.

Bah alors elle est passée où ta langue de pute ? Tes petites piques elles sont où ? Hein ? » Il ne prend pas la peine de répondre à ces futilités, concentré sur la manière d’aborder la chose. Prendre des pincettes. Ulysse est un électron libre, incontrôlable, un électron qui peut provoquer une explosion à la moindre dérive. Réfléchis, Heath, réfléchis. Désarmé, il a besoin de calme, de temps, de réflexion, mais elle ne lui laisse pas ce luxe, revient à la charge, et crache son poison, le déconcentrant, l’agaçant au plus haut point.

« C'est toi le chef d'Entropy Heath. C'est toi le connard qui va me faire renvoyer en Grèce. Et tu sais pourquoi ? Parce que si mes parents apprennent que les classes sont abolis et qu'il n'y a plus d'élite ils vont me renvoyer chez moi et m'enfermer à nouveaux dans leur prison doré pour le reste de ma petite vie... »

Il cille, ses pensées lui échappant; il perd pied dans sa réflexion, bousculé par ce qu’il entend. ... Il ne savait rien de tout ça, preuve qu’il ne sait encore rien d’elle, ils ne se connaissent pas, alors pourquoi est-ce qu’ils se prennent la tête l’un pour l’autre comme ça ?! Retourner dans sa prison dorée ? Oh, ça a l’air vraiment terrible la vie de richos, putain, mais qu’elle aille se faire voir ! Et elle l’incendie, ne faisant que l’irriter davantage tandis qu’il n’ose lui rétorquer ses pensées; parce-que si elle fuit son domicile, c’est qu’elle doit avoir de bonnes raisons, et il est assez mature pour comprendre cela. Alors il ferme sa gueule, encaisse, encaisse tout ce qu’elle lui jette à la gueule, sans un mot.

« ... Mais si tu veux les mêmes droits que nous tu n'as qu'à bosser au lieu de faire la guerre Heath.»
« ... »

Il serre le poing, lève les yeux sur elle, et serre violemment la mâchoire. Bosser ? A lui ? Ils ne se connaissent définitivement pas. Parce-que Heath passait ses nuits à bosser, à faire des exercices en plus. A apprendre. Au début, pendant des mois, il s’épuisait. Il s’épuisait parce-que, le landemain, lorsqu’il venait montrer son travail au prof, celui-ci s’en souciait à peine, dépité de n’avoir qu’un seul élève motivé. Et, à force, les profs n’ont même plus fait attention à ses efforts. Noyé dans l’océan rouge tumultueux, ils ne voyaient même pas qu’une tête essayait de respirer, se débattait pour survivre. Et aucun prof, aucun membre du personnel, personne. Les adultes responsables de prismver n’ont pas levé le petit doigt pour l’aider. Alors, comme tout les élèves sérieux répartis en E, il a sombré. Il s’est noyé dans la Vague, et a adopté la vie d’un E. Cohésion de groupe. Amitié. Solidarité. Il est devenu un Rouge. Un Rouge fier, un Rouge qui crache sur ceux qui les laissent se noyer dans cette merde. Un Rouge qui ne travaille plus, parce-que c’est inutile - un Rouge qui, à la sortie de l’école, n’aura aucun avenir. Et pas d’argent, car lui n’a pas de prison dorée, même horrible, pour l’entretenir. Et c’est plein de cette frustration qu’il se laisse insulter. Parce-qu’il n’a pas la force de se battre avec elle. Heath n’aime pas le conflit, ça l’épuise, et de toute façon, en temps que fille aisée des hautes classes, elle ne comprendrait pas.

« Tu sais quoi ? Et si j'allais dire au principal que c'est toi le chef d'Entropy ? »
« Et bien vas-y. Je serai viré, et tu n’aura plus aucun obstacle pour mener une petite vie parfaite. »

Mépris, alors qu’il ne la regarde même pas, s’en allant déja chercher son sac pour se tirer.

« De toute façon j’aurai plus d’avenir dans une école normale qu’à Prismver. Alors fais toi plaisir, écrase ceux qui sont bien plus dans la merde que toi. »

Parce-que dire que les E ne travaillent pas est une erreur. Ils abandonnent tous, c’est tout. Parce-que les E ont toujours été synonyme d’échec, et que quand on y arrive, on y plonge. Parce-que personne ne leur apporte leur aide. C’est comme jeter des chiots dans la rue et leur demander de trouver de la bouffe au milieu des loups affamés. C’est ça, l’arrivée des nouveaux en classe E. C’est la survie. Et en A, ont leur sert du Sheba sur un plateau d’or. Alors, en E, on se sert les coudes et on fouille les poubelles, de toute façon aucun maître ne viendra leur offrir un toit. Et en A, ils se déchirent pour quelques morceaux de pâté en plus.

Cette école est pourrie. Et il suffit qu’une jolie chatte blanche innocente se plaigne pour que la meute de loups soit piquée.

« Fais donc, Ulysse. Fais donc. »

La rage au ventre, mais conservant son calme olympien, il ramasse son sac qu’il jette sur son épaule et passe devant elle, s’embarquant sur le chemin menant à l’école.

« Marrant de voir que le chef de toute cette petit troupe soit le seul qui se montre pas et qui s'expose pas aux problèmes. Tu te prends pour qui ? Un prophète ? Un héro ? Tss. »

Bien-sûr que si il prend des risques. Il se montre, participe, mais inévitablement se préserve. Parce-qu’on a déja des soupçons sur lui. Sa vie à Prismver est désormais faite de mensonges, il se cache, il ment à ses meilleurs amis. Et il vit dangereusement, en étant à la tête du plus grand mouvement de rebéllion que Prismver ait connu. Donc, oui, il se préserve. Parce-que si il tombe, Entropy tombe. Il ne se prend ni pour un prophète, ni pour un Héro. Mais le résultat est là. Le mouvement qu’il a monté fait parler de lui, et commence à préoccuper l’administration.

Et, le suivant, elle continue de parler. D’évoquer sa propre liberté. La menace que représente Entropy pour elle. Heath ne l’écoute qu’à moitié. Parce-qu’il trouve ça égoïste. Parce-qu’il est énervé. Parce-qu’il s’en veut, il s’en veut de menacer Ulysse alors que ce n’est pas son intention. Et elle est là, à lui jeter à la gueule, mais ce n’est qu’un dommage collatéral, il n’a pas voulu ça, et si il pouvait la mettre en sécurité tout en continuant Entropy, il le ferait sans hésitation.

Mais voila. C’est elle, ou Entropy. Et Heath voit grand. Il pense au nombre. Il se dit que perturber la vie d’Ulysse vaut la peine, si c’est pour réformer un système injuste, et offrir un avenir à tout ces élèves de D et E, qui n’en ont aucun. Tout ça lui paraît logique. Mais bien-sûr, qu’il culpabilise pour elle. Il culpabilise au point que ça lui embrouille l’esprit, dans sa marche silencieuse, parce-que Heath intériorise toujours tout. Alors il ne dit rien, encaisse encore, encaisse ses reproches et encaisse sa culpabilité. Et c’est son corps qui trahit le noeud qui étouffe son esprit. Son corps qui se brouille. Qui clignote. Qui disparaît par endroit. Invisibilité. Un don qu’il ne maîtrise pas, puisque personne ne veut lui apprendre à la maîtriser. Et comme beaucoup, c’est lorsque les émotions sont fortes que le pouvoir déconne. Alors, même si il tente de ne rien montrer, il est trahi, trahi par ce corps qui tend à disparaître sous les yeux d’Ulysse. Et ça lui fait mal. Il a des fourmillements, l’impression de s’engourdir. Et, comme le peu de fois que ça déconne, un mal de crâne soudain, et violent.

Il s’arrête, sa main puissante venant se plaquer sur l’arbre qui borde le petit chemin. Il baisse la tête, ferme les yeux, inspire avec force. Nausée. Il ouvre à peine les yeux, observe son corps brouillé comme une vieille télévision mal réglée. Un souffle, il plaque son dos à l’arbre, crâne contre le tronc, ferme les yeux. Que la nausée passe. Que le mal de crâne passe. Les A n’ont cet effet qu’après une utilisation très intense de leur pouvoir. Mais comme peut le constater Ulysse, pour un E, il suffit d’un peu d’émotions, et le don part en couilles, et le corps et l’esprit avec. Fatigue. Il ouvre les yeux, son regard tombant sur elle. Il aime pas passer pour un faible. Ca le dérange. Un homme, un vrai, c’est pas faible. Alors il inspire, se redresse, fourre ses mains dans ses poches, restant appuyé contre l’arbre. Il fixe le sol, réfléchit quelques secondes avant d’hausser les épaules.

« ...Fais ce que tu veux Fanì. » Il n’y pourra rien. Il n’a pas d’autre argument pour la convaincre que ceux d’Entropy. Mais, hors Entropy, il y a cette question qui lui brûle les lèvres. Cette question qu’il se pose depuis la nuit qu’ils ont passé ensemble. A chaque fois qu’il croise son regard, cette question est là, dans un coin de sa tête. Il finit par lever les yeux sur elle. « Tu hésite. C’est pour protéger Entropy, ou pour me protéger moi ? » Ce n’est pas la question exacte, mais elle est évidemment sous entendue. Il y a ce non-dit entre eux. Et tant que ce non-dit n’a pas été révélé, ils ne pourront jamais s’entendre. Il la fixe désormais, dos à l’arbre, les mains dans les poches, tendu.

« La seule personne que je protège c'est moi, Heath. »

... Alors elle va le dénoncer. Déçu, il baisse les yeux au sol, serre les dents. La boule au ventre, il pense inévitablement à Nemesis. C’est lui qui va venir le chopper, parce-qu’il a déja des soupçons, et qu’à chaque fois qu’il lui fait un interrogatoire, Heath lui glisse entre les doigts. Nemesis va le chopper, et le directeur va le fouttre dehors. Il sortira du campus sous les regards narquois d’Anshu, des opposants. Et il sortira sous les regards déçus de Gautier, Pytha, Elise, et les autres Gris. Avec un peu de chance, peut-être que Drew reprendra la barre. Mais ce sera trop violent. Peut-être que Pytha essaiera. Mais ce sera différent. Non, actuellement, ça marche très bien. Parce-que Heath est le chef qu’il faut à Entropy. Son caractère, ses idées. La façon dont il écoute les autres gris, réadapte leurs idées. Tout marche à la perfection, mécanique très bien huilée. Il n’y a pas de faille. Il n’y en avait pas. Jusqu’a ce qu’elle le surprenne. Et il avait espéré, un instant, que leur passé la rattrape. Qu’elle le protège. Que tout ça ait eu un sens pour elle, parce-que, même si il ne montre rien, pour lui, ça en avait. Et c’est parce-que ça avait du sens qu’il éprouve de la colère, ou toutes sortes d’émotions quand elle est là. Parce-que, habituellement, Heath est toujours de cette humeur égale. Sympathique, agréable, calme. Il se fiche de beaucoup de choses, vit dans son monde. Mais Ulysse a toujours eu ce don de faire tomber quelques barrières.

« Et c'est bien pour ça que je ne te dénoncerais pas. » Il fronce les sourcils, lève les yeux sur elle. « Parce que retourner en enfer c'est une chose mais faire de mon havre de paix un enfer bien pire que le précédent c'en est une autre. »

Silence. Il ne comprend pas. Ou ne veut pas comprendre. Il s’empêche toute conclusion hâtive, repousse toute pensée. Il garde la tête froide, serein, et l’effet de son Don sur son corps semble s’amenuir. Elle s’éloigne.

« Je te déteste de me forcer à faire ce choix Heath. » Il détourne le regard. Parce-qu’il s’en veut aussi. Parce-qu’il n’a pas le choix, et qu’il préférerait nettement pouvoir concilier les désirs et besoins de chacun. « J'aurais préféré ne rien savoir et subir plutôt que de donner moi-même le couteau pour me tuer... » Gêné, il soupire, croise les bras, fixe le sol, y tapant du pied sans conviction. Ca l’ennui, réellement, de poser des problèmes à Ulysse. Malheureusement, ce qu’elle redoute, c’est l’égalité des classes... et c’est exactement le but d’Entropy. Deux intérêts antagonistes, pour deux personnes qui s’apprécient, malgré toutes les apparences.

Le silence règne, et il observe sa silhouette, de dos. Elle ne va pas le dénoncer, elle va le laisser progresser dans sa transformation de l’école, jusqu’au jour où elle ne conviendra plus à ses parents, et qu’elle en sera retirée. Il inspire avec force, détournant finalement les yeux. E finalement, il se redresse, s’approche d’elle lentement. Elle grelotte, semble blasée, blasée par cette décision qu’il a toujours du mal à comprendre. Face à elle, il déroule sa propre écharpe de son cou, et vient la nouer en silence autour du sien, sans la regarder dans les yeux. Une écharpe rouge, un rouge vif, couleur des E, couleur des mauvais élèves, des rebelles. Couleur du carnage. Berceau d’Entropy.

« Merci. » Souffle t-il alors, attardant ses yeux verts sur ses lèvres, levant ensuite son regard dans le sien, juste une seconde, avant de se détourner d’elle, retournant sur le chemin, renfonçant ses mains dans ses poches.

Souffle.

« ...Espérons que je sois un mauvais chef et que j’échoue. »

« D'un autre côté si tu réussis je pourrais me dire que c'est uniquement grâce à moi. Comme c'est plaisant. »
« Faut toujours que tu t’approprie tout les mérites, hein ? Satanée A. »  

Oeillade en arrière, sourire taquin. Heath aime se moquer des quelques A qu’il connait. Sarcastique. Mais surtout avec Ulysse, puisqu’elle doit toujours être la meilleure, dans tout les domaines. Il est donc facile de la titiller sur le sujet. Sarcastique. Oui, il avait vu son geste amorcé. Oui, il avait feint de ne pas le voir, ne pas le sentir, gardant la tête haute, le regard au loin. C’était tellement plus simple.

« Dis moi Heath. »
« Mmmh ? »

Ne la regarde pas. Ne la regarde pas.

« Tout à l'heure quand tu m'as demandé si je le faisais pour te protéger qu'est-ce que tu avais derrière la tête ? »

Merde. Tu l’a regardé. Connard. Son regard dans le sien, lèvres entrouvertes, il hausse doucement les épaules, détournant les yeux, sa réponse mettant beaucoup, beaucoup de temps à monter. « Oooooh... je... je sais pas, j’ai dis ça au pif. »

Abruti.

« ... ‘fin, on est quand même potes quoi... malgré tout... puis... » Il se gratte la nuque, regarde ailleurs, avant de vaguement poser les yeux sur elle, ses mains les désignant tout les deux dans un geste d’échange avec un petit rire forcé. « ... c’pas comme si y’avait jamais rien eu de spécial entre nous. ‘Fin, spécial... Ouais, si, c’était un peu spécial quand même, m’enfin. »

Il se gratte de nouveau la nuque, la quitte des yeux en les fermant quelques secondes, replace ses lunettes, reporte son attention droit devant lui en chassant l’air d’une main. « Enfin, on s’en branle. C’était pas grand chose. » Il tourne la tête, regarde loin dans la direction opposée, renfonçant ses mains dans ses poches. Voila voila. C’est pour ça que tu te contente de la baise, Heath, dès que ça devient sérieux, tu fais que de la merde.

Elle marche la tête haute, il la voit du coin de l’oeil. Son air suffisant, et terriblement hypocrite à la fois. Sa façon de dodeliner de la tête, sa façon de se pincer les lèvres. Et son regard qui glisse, comme le sien, furtivement de côté. Regards. Elle l’énerve. Sa simple façon d’être l'énerve. A moins qu’il soit nerveux pour d’autres raisons. Elle lui a posé une question, et il s’est senti mal à l’aise. Parce-qu’il aime pas parler, déja de base. Encore moins si c’est pour répondre à ce genre de questions. Et encore moins si c’est pour lui répondre à elle. Parce-qu’ils se disputent toujours. Ca part toujours en couilles. Toujours.

« Qu'est-ce qu'il te prend d'agir comme ça Heath ? Je te croyais plus sûre de toi. »

Il s’arrête alors, mains dans les poches, lève les yeux au ciel dans un profond soupir qui en dit long, roulant sa langue dans sa joue, le regard dur au ciel. Il serre ensuite les dents, prend son inspiration.

« Ok, Miss pête-burnes, puisque tu veux tout savoir, j’vais tout te dire. Et oui, t’es pête-burnes, pas la peine de me regarder comme ça. T’es la nana la plus casse-couilles que je connaisse, et pourtant, j’en connais beaucoup. »

Et c’est dit avec un sourire mauvais. Après ces jolis mots, il se tourne vers elle, pose son regard droit dans le sien. Il ne crie pas mais parle durement, dans un flot rapide,  tout en conservant ce calme qui lui colle à la peau.

« Bieeeeeen. Puisque Madame doit toujours tout savoir, sache que j’agis comme ça parce-que j’ai aimé notre nuit. Je l’ai vraiment aimé. Et pas parce-qu’on était trois. J’ai aimé ce que je t’ai fais à toi, j’ai aimé nos moments à tout les deux. Et depuis j’te veux. J’te veux alors que je veux pas de couple, j’te veux alors que je couche jamais deux fois avec la même fille, et j’te veux alors qu’on se supporte pas. »

Regards. Stoïque, il a dit tout ça calmement, sérieusement, comme si il avait cité une formule de math ou un règlement.

« Et même si on le refaisait, j’en aurai toujours envie. Et je sais de source sûre - pour ne pas citer Drew - que c’est grosso-modo la même merde de ton côté. Alors pas la peine de te fatiguer à me cacher quoi que ce soit. Voila pourquoi j’agis comme ça, Fanì. »

Un instant, il la fixe. Haussement de soucils.

« D’autres questions ? »

Et sans attendre, il fait lourdement retomber ses sourcils dans un regard légèrement méprisant et blasé, avant de se remettre en route sans l’attendre dans un soupir agacé.

Arrête toi Ackland.

Il fronce les sourcils, s’arrête, grogne, l’index sur l’oreille. C’est que cette peste, en plus, comme si ça ne suffisait pas, peut s’incruster jusque dans son esprit. Super Heath. Jackpot. Inspirant avec dédain, il se tourne, laissant glisser sa langue sur ses dents. Regard froid. Elle est déja là, tout proche, et lui se tend légèrement. Parce-qu’elle est imprévisible. Instinctivement, il amène tout doucement ses mains devant son entre-jambes, sentant un coup trop bien placé s’annoncer. Elle n’oserait pas... hein ?

Et il est soudainement forcé de se pencher en avant, attiré brutalement par sa poigne sur son col. Il entrouvre les lèvres, surpris, son regard forcé de se poser dans le sien. Une gifle ? Oui, gifle moi, ce serait clair, net et précis. Sa main se lève. Vas-y. Mais non. Elle se pose avec délicatesse, lui caressant la joue. Inspiration, alors qu’il cherche dans son regard des réponses, son coeur s’étant légèrement accéléré.

Et il trouve, dans son regard, ses réponses.

« Mauvaise idée. » Se permet-il rapidement, oh, juste comme ça, pour donner son avis quoi. Et ses pensées sont interrompues par les lèvres de Fanì, venant se déposer sur les siennes. Il les y accueille en fermant les yeux, en lui rendant le baiser avec la même intensité. Leurs langues bien sagement rangées dans leurs bouches perspectives, il ne s’agit que d’un contact de lèvres, mais un contact suffisant pour rompre le fil de la pensée si logique du E. Il a beau être surdoué sans le savoir, il a beau être un intello, ce baiser parvient purement et simplement à lui vider l’esprit l’espace de quelques secondes, alors qu’il ne fait que profiter de ce contact, que frémir face à ces lèvres qu’il voulait retrouver depuis un bon moment, sans oser y songer concrètement. Parce-que ça n’avait aucun sens.

Et le baiser se rompt. Et il reste immobile, yeux clos, quelques secondes.

... Wow.

« Pauvre con. » Bouche en cul de poule, il se redresse dans toute sa hauteur, soupire en détournant le regard.

« Super idée. Non vraiment. »
« Tu te prends pour qui pour me désirer comme ça ? »

Il la regarde, secoue lentement la tête de gauche à droite, lèvres entrouvertes. Il écarte les bras, cherche les mots. Il a perdu toute concentration, tout ce qu’il voulait dire, et toute la rage qu’il avait avant le baiser. « T’es folle. » Conclu t-il simplement en se détournant d’elle en tirant la gueule. ... Pourquoi elle a fait ça ? Sérieux ? Il s’apprêtait à marcher, mais il reste immobile, essayant de retrouver ses moyens, se grattant la nuque, recherchant où s’est barré son cerveau.

« ... Génial. Ouais, génial. Ca règle tout, voila. Quelle génie.  Plus aucun soucis, nickel. Tout est arrangé. »

Regard accusateur pour marquer son ironie. C’était exactement la chose a pas faire. Comme d’habitude de toute façon, elle fait toujours ce qu’il faut pas. Elle fait n’importe quoi. Cette fille n’a aucun sens. Elle est juste folle. « Tu sais quoi ? On va juste rentrer. Moi je marche là » il désigne devant lui, se mettant en route « Et toi tu marche plus loin, là-bas. » Un geste du pouce derrière lui, par dessus son épaule. « On se regarde plus, on se parle plus, et ça ira très bien. » Grand effort de concentration pour rester stoïque, et mettre un peu d’ordre dans sa tête.

« Et t’arrête tes trucs là... » Il se poke la tempe, faisant allusion au don de la jeune femme. Soupire. Il entrouvre les lèvres pour lui balancer encore une remarque cinglante mais se rappelle de sa propre décision de ne plus lui parler. Ferme ta bouche. Voila. Voila, il va arrêter de lui parler, arrêter tout, et ça ira très bien. Ca finira bien par passer, c’te fouttu... truc.