NYC en toute amitié.

Et il te parle de Joach, pendant que tu mastiques silencieusement ce qui sera ta dernière part de pizza. Tu l'écoutes et enregistres ce que tu peux, un peu surprise – si si, l'histoire de sa vie te passionne. Puis vient le sujet de RED, le sujet de Prismver. T'aimes pas vraiment en parler, mais puisqu'il est là, autant en profiter. Tu veux connaître les raisons, tu veux savoir pour ne pas juger inconsciemment. Je sais pas trop. J'm'y intérêsse, j'ai pas trop le choix. Mais ça m'fatigue, c'est l'bordel. Savoir les gars dans RED m'inquiète. Mais bon. Je sais pas. J'voudrais juste ignorer le truc mais une partie de moi a encore envie de s'en mêler. J'suppose qu'on a beau effacer mes souvenirs, ça change pas qui je suis, au fond d'moi y'a toujours un truc qui me remet le nez dedans. Et sa réponse t'arrache un sourire – compatissant, mais surtout compréhensif. Si t'as pas vécu la même chose que lui, tu peux facilement capter ce qu'il ressent. Peut-être un reste de ton ancien don, peut-être pas. Tu ne bouges pas d'un millimètre ; pas de tapes affectueuse sur l'épaule, pas de bras tendus pour lui offrir une étreinte pleine de pitié. Non, juste cette mine neutre, sans rancune mais aussi sans plaisir particulier. Tu ne lui en veux pas, loin de là. Mais tu n'es pas ravie de son départ non plus.

Tu me demande ça parce-que comme tous les autres tu comprend pas – ou accepte pas – que je quitte RED, ou t'a autre chose en tête ? Tu essuies tranquillement tes lippes avant de prendre la parole, le fixant intensément. Mnh. J'sais pas si t'es au courant mais avant, j'me transformais pas en chaton. Avant je ressentais la même chose que les autres et c'est un peu resté je crois. Tout ça pour dire que j'comprends ce que tu ressens, t'es entraîné malgré toi dans un conflit qui te concerne plus, hein ? Rire. Je t'en veux pas. J'accepte ton départ, on va pas te forcer à te battre pour une cause que tu captes pas, ça serait stupide. Donc j'ai autre chose en tête. Tu vois, j'commence à en avoir ras-le-bol – et je reste polie, t'as vu – de cette « guerre ». Et je pense pas être la seule.

Tu te lèves, attrapes deux verres et les remplis d'eau, lui en tendant un. Appuyée contre le lavabo, tu pousses un soupir – las, plein d'amertume et de dégoût. Allez, lance-toi. J'ai envie qu'on ait plus d'importance dans ce conflit. Que notre scolarité ne dépende pas d'une bande de gamins – excuse-moi du terme – qui se battent en nous utilisant comme des pions. Je lâcherais pas RED, mais j'vais pas rester les bras croisés pendant qu'on se fait tous défoncer. Je suis pas à Prismver pour me faire cracher dessus ou pour frapper des gosses sous prétexte qu'ils sont dans RTP ou autre. Tu fermes les yeux quelques instants puis les replonges dans les siens, tu croises les bras. Sérieusement, Gautier et Oswald sont même pas majeurs, on l'est pas. Et on se croit supérieurs à d'autres, on pense qu'on devrait avoir plus qu'eux. C'est devenu n'importe quoi, non ? Une bagarre de maternel, pour celui qui sera le préféré du gentil maître. Nouveau rire, plus amer que le premier. On est surtout en train de niquer les chances des jeunes E de monter en grade. Combien d'entre eux passeraient au moins en D en repassant le test ? Mais ils le font pas, parce qu'ils sont occupés à détruire des chambres, à tabasser ceux des classes supérieures. Je sais, j'suis mal placée pour dire ça. Mais moi je m'en branle, j'ai déjà foutu en l'air une partie de mes études.

Tes doigts effleurent ton tatouage, ta main brûlante se plaque dessus. Tu finis ton verre et le poses sur la table, tu retournes t'asseoir et cales ta tête au creux de ta paume. C'est pas pour ma pomme que j'fais ça. C'est pour celles des autres, parce qu'ils ont pas besoin d'être détruits par les conflits. Alors j'veux les entendre. J'veux leur parler, et qu'ils me répondent. Qu'ils aient plus peur de leur leader, de s'exprimer. J'veux faire changer les choses, leur donner une nouvelle importance.

Tu rejettes une mèche en arrière, un sourire contrit étire tes lèvres. Pour ça, j'ai besoin de moyens. Et j'ai pensé à une station radio. Mais j'connais pas grand-chose sur les radios, c'est là que j'voudrais que t'interviennes. Tu fais tout ce qui est technique – l'installation, les réglages... et moi, je m'occupe du reste. Et personne saura rien. Pas besoin de leur dire qui on est – tu comprends, j'suis pas adorée dans le pensionnat et mon but c'est pas de me faire insulter – on a juste à coopérer, et à leur expliquer les choses. Clin d'oeil, et tu t'adosses plus confortablement sur ton siège. Alors, qu'est-ce que t'en dis ? Et si tu veux un truc en échange, hésite pas.

Aucun sous-entendu. Bien sûr.