Sortie "en toute amitié" | Johanna

Je chantonne joyeusement devant le miroir en passant le peigne dans mes cheveux. Quelques messages échangés avec Johanna et un rendez-vous. Voilà ce que j'avais obtenu. Un rendez-vous avec Johanna. Pas un rencart, bien sûr. Elle sort déjà avec Joach. Et puis, le cadre n'est pas ce qu'il y a de romantique : un restaurant MacDonald. Ça ressemble plus à une sortie entre amis. Alors pourquoi ai-ja simplement invité Johanna ? Je regarde mon reflet dans le miroir puis hausse les épaules. C'est une simple sortie entre amis. Rien de plus. Devant mon armoire, grosse hésitation. Que mettre ? Le choix est vaste, trop vaste. Je sais pas trop quoi mettre. Finalement, je mets un haut manches longues bleu et un jean avec des nike noires. Le haut, collé sur le corps, met en valeur mes muscles. J'aime bien.

Je vérifie l'heure sur ma Rolex et sort de ma cabane en sifflotant une chanson d'Edith Piaf. Les chansons françaises, c'est pas trop mon kiff mais Johanna aime bien, je crois. Je rajuste la bandoulière de ma sacoche d'un geste un peu plus nerveux que je le voulais et me met en route vers les bungalows sur mon BMX. Pourquoi j'ai invité Johanna à manger au MacDonald ? Je l'aime bien, c'est tout. Bon, d'accord, elle me fait de l'effet. Je la trouve belle. Très belle même. Dommage qu'elle soit pas célibataire. Mais j'ai envie de tenter ma chance quand même. Sur le chemin, je ramasse une fleur -une jolie rose d'une rougeur éclatante- et la sens. Son parfum est agréable. Je vais lui offrir. Je suis sûr que ça va lui faire plaisir.

J'arrive au niveau des bungalows. Je ne tarde pas à repérer celui de Johanna. Je pose mon vélo sur le côté puis, devant la porte, j'hésite. En fait, j'ai pas envie que ce soit quelqu'un d'autre qui ouvre. Je tourne la tête sur le côté et une idée germe dans ma tête. Et si j'allais toquer à sa fenêtre ? Euh non. Si elle est en train de s'habiller, elle va me prendre pour un pervers. À cette pensée, je souris. Oh et puis zut. Je fais le tour jusqu'à trouver sa fenêtre. Ça va, y a un rideau. Je mets la rose entre mes dents comme dans les films et frappe à la fenêtre. J'attends qu'elle ouvre, appuyé contre le rebord. Comme ça, on dirait un Don Juan. La fenêtre s'ouvre et je la fixe un moment avant de rigoler. Je dois avoir l'air ridicule.

- Salut Jo' ! Prête pour le MacDo ?

Je lui souris et lui offre la rose.

- Tiens, j'ai trouvé ça sur le chemin, j'ai pensé que ça te ferait plaisir. J'ai pris mon vélo comme ça on ira plus vite. Je t'attends devant la porte.

Sur ces mots, je retourne à la porte et remet mon vélo debout en attendant. Je commence à avoir faim, dis donc.

Je fonce à toute allure. Le vent fouettant mon visage, ma proximité avec Johanna : des sensations qui me donnent une impression grisante de bonheur. Le voyage passe à une vitesse incroyablement rapide. Je suis limite déçu lorsque j'arrive au Macdonald. En plus, il y a une queue longue et j'aime pas attendre. C'est vrai que les fast-foods sont en général très bondés. L'odeur des frites, le brouhaha qui règne dans le restaurant, tout cela me rappelle l'Amérique. À cette pensée, la nostalgie me prend. Ah, le bon vieux temps.

On commande. Johanna prend des nuggets, moi je prend un cheeseburger. Le truc bien gras. Heureusement que je suis pas gros. Je paye -évidemment, c'est moi qui invite- et on s'installe à une table. Je m'assois et lance un joyeux « Bon appétit » avant de commencer mon repas. Elle noue ses cheveux en une tresse. Je l'observe du coin de l’œil. Définitivement, je ne pouvais pas m'empêcher de la trouver belle. Elle mange une première frite et déclenche la conversation.

- Alors ? Quoi de neuf ?

La bouche pleine, je réfléchis aux événements notables de la semaine. La visite d'Hercule, mon énième engueulade avec Tim, la dernière discussion avec Jimbo. Non, rien de vraiment notable. Ayant fini ma bouchée, je m’apprête à lui répondre lorsqu'elle me lance une question qui me prend de cours.

- T’a vu l’interview d’Aless ? Elle parle de nous. Elle a l’air de bien plus t’apprécier toi que moi.

Je manque de m'étouffer. Veut-elle vraiment qu'on parle d'Alessandra ? De toute évidence, nous ne serons pas d'accord sur la question. Surtout que Johanna déteste Alessandra, je le sais. Mais qui ne la déteste pas ? En fait, j'ai pas trop envie de parler de ça. J'avais bien évidemment vu l'interview. D'ailleurs, elle m'avait cité en « fantasme au sens érotique du terme ». Je m'efforce de prendre un air décontracté et ma main tapotant sur la table traduit ma nervosité.

- Yep, j'ai vu l'interview. Oh, ne penses pas qu'elle m'apprécie plus que toi. En cours, on passe surtout notre temps à s'envoyer des insultes.

Par contre, au lit, elle assure. Non, je vais éviter de rajouter ça ; pas sûr que ça lui fasse plaisir de savoir que je couche régulièrement avec une fille que beaucoup de monde qualifie comme « prostituée ». Quoique, suite à l'interview, Johanna doit bien se douter qu'entre moi et Aless, il y a plus que quelques insultes. Je décide de détourner la conversation.

- Tu savais que le premier Macdonald a ouvert le 15 avril 1955 ?

Il y a plus de chances qu'elle ne le sache pas. D'ailleurs, moi non plus, je ne le savais pas jusqu'à il y a quelques minutes. Vive le don de la connaissance universelle, moi je dis. Je passe la main dans mes cheveux et reprend mon repas.

- Et toi, comment ça se passe avec Joach ?

- T’a une queue. A partir de là elle t’apprécie forcément plus que moi.

Je hausse un sourcil, surpris par les propos de Johanna. Quelle vulgarité. Je souris, triturant une frite dans la mayonnaise. C'est vrai qu'Alessandra a toujours eu du mal avec la gent féminine. Je hausse les épaules. Ma tentative de détournement de conversation est tellement merdique que Johanna me fait remarquer ironiquement que c'était presque passé inaperçu. Ahah, je suis trop nul pour ce genre de choses. Je continue mon repas, le regard rivé sur la nourriture. Quand je lui demande comment ça se passe avec Joach, elle répond :

- Bien. Très bien.

Quand elle me parle de lui, c'est limite si elle a des étoiles à la place des yeux. Un sourire est apparu sur son visage, son si joli visage. Quelque chose naît en moi. De la déception ? Sûrement. Pas de la tristesse, ça j'en suis certain.

- Je suis content pour toi.

La sincérité qui transparait dans ma voix est telle que je me surprends moi-même. Je l'écoute attentivement.

- Je... Suis pas encore certaine de pouvoir dire que je suis amoureuse, mais ça viendra. Inévitablement.

Intéressant. Je me penche en arrière, le regard fixé dans le sien, sirotant tranquillement ma boisson.

- Après, on a nos hauts et nos bas c’est sûr. J’aimerai qu’il bosse plus, qu’il arrête de se traîner en E alors qu’il a les capacités d’être plus haut. Et puis, des fois il fait passer Heath avant moi... C’est “l’homme de sa vie” alors je me met pas entre eux, mais bon des fois il est un peu envahissant, le Heath.
- Fais gaffe, il est peut-être gay.

Je dis ça sur un ton plaisantin, en rigolant. Elle continue de parler.

- Et puis y’a Léocade aussi...

Sa voix se brise et ça me pince le coeur. Je ne connais pas Léocade. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est sorti avec un moment et que maintenant c'est un peu tendu.

- Ils peuvent pas se supporter, c’est un peu la merde, mais bon. - Je hoche la tête en signe de compréhension - Et toi ? Personne ?

Je réfléchis un instant, les yeux dans le vague, absorbé par mes pensées. Est-ce que je lui avoue ? Non, trop direct. Le mieux, c'est de lui faire deviner.

- Il y a bien quelqu'un. Mais je dirais pas qui.

Je garde le silence, un sourire énigmatique aux lèvres. Mes sentiments se cantonnent à de l'attirance physique. Enfin, je ne crois pas que ce soit de l'amour avec un grand A. Je finis mon cheeseburger avant d'ajouter quelques mots.

-Bon allez, je te donne un indice. Cette personne est une fille très jolie que j'apprécie énormément.

Puis, complètement hors-sujet, je demande :

- Tu trouves que je ressemble à un prince charmant ?