Long time no see || NATHANIEL

Fear

Fin de l'après-midi.
Il était toujours vêtu de l'uniforme scolaire, bien que les cours de la journée fussent terminés. Il n'y avait plus de stress, ni de leçon. On lui permettait enfin de prendre un peu de repos, de penser à autre chose que des formules mathématiques, des théories scientifiques ou encore à la position géographique des pays. En général, il profitait du temps qui lui restait avant le couvre-feu pour retrouver Frédéric, d'autres amis ou alors se promener sans but.

Et parfois, il se rendait à la salle commune des E.

Ce n'était qu'un lieu de détente, un lieu en assez bon état comparé aux salles de classe. Tantôt, il était seul à savourer le doux silence, assis sur le sofa. Tantôt, il y avait deux trois élèves en plus, mais qui ne le remarquaient pas vraiment et discutaient entre eux. Tantôt, il y rencontrait des gens assez sympathiques. Tantôt, quelques brutes venaient le taquiner ou même le martyriser.
Mais, pas cette fois. Non, s'il s'y rendait ce jour-là c'était pour un tout autre motif...

Tout avait commencé environ une heure avant, lorsqu'il était sorti de la classe et qu'il avait croisé son lézard sur le chemin du dortoir. Il aurait fui le reptile si aucun message ne se trouvait dans son bec ; or, il y en avait un. Alors, Warren le saisit et attendit d'être dans son cabanon pour le lire. Et lorsqu'il l'eut ouvert, une monstrueuse angoisse s'empara de lui, une angoisse assez violente pour provoquer un semblant d'arrêt cardiaque, une angoisse assez affolante pour chasser toute trace de quiétude. Il tenta de se calmer, de lever les yeux au plafond pour réfléchir.

Depuis combien de temps ne l'avait-il plus vu, ni même croisé ? Depuis combien de temps n'avait-il plus entendu parler de Nathaniel ? Ah, oui. Depuis deux mois.

L'ancien rouge souhaitait le voir dans la salle commune des E ; c'était ce que Warren avait compris à travers ce LMS truffé d'erreurs orthographiques. Des fautes de frappe dont le délégué ne voulait même pas connaître l'origine. Pourquoi Nathaniel désirait le voir ? C'était la seule question qui le hantait, qui le tourmentait l'esprit à cet instant. Depuis son passage en S, Nathaniel n'était plus le même ; il avait subi un changement catégorique qui avait blessé son protégé. Nathaniel n'était plus le E sympathique et protecteur que Warren appréciait ; il était à présent le S hautain et insultant que Warren craignait. Et le E hésitait même longuement à s'y rendre pour cela.
Sa lâcheté refusait d'affronter le présent, d'affronter le nouveau Nathaniel qui méprisait son ancien délégué de classe. Sa lâcheté le conseillait de fuir loin, assez loin pour être en sécurité, et ne revenir que lorsqu'il n'y aurait vraiment plus rien à redouter.

C'était pour cette raison qu'il avait mis du temps à arriver.

Une demi-heure, peut-être trois quarts d'heure de retard, trois quarts d'heures de doutes. Devait-il y aller, où se jetait-il naïvement dans la gueule du loup ? Il n'en savait rien. Toutefois, il s'était résigné à s'y rendre. Il avait maintes fois hésité à reculer et retourner aux dortoirs. Ah, combien de fois avait-il eu envie de fuir ? Beaucoup trop. L'image d'un S plus moqueur que la dernière fois le décourageait, surtout s'il s'agissait de lui.
Et là, il y était. Et là, il ressentit la plus grande envie de repartir depuis qu'il eut quitté sa chambre, un dégonflement soudain qui le bloqua quelques instants, la main tremblante proche de la poignée de porte. Je suppose qu'il faut y aller... Il déglutit lentement et expira doucement ; il pénétra dans la salle commune des E, là où Nathaniel se trouvait seul.

— Bon...jour Natha...niel. balbutia-t-il en esquissant un faible sourire.

Sa tête baissée osa se lever un peu pour Nathaniel ; et là, ses yeux timides observaient l'auteur de l'invitation sans réellement le voir ; Ils préféraient regarder autre part, manquant encore de courage pour clairement lui faire face. Il ne lui avait même pas adressé un véritable "salut", car il ne sentait plus vraiment cette trace d'amitié dans leur relation, même s'il aurait souhaité le contraire, même s'il souhaitait que ce ne fût le contraire, comme avant.
Il y avait juste du regret à présent, un sentiment de nostalgie désolante.

Il avait peur.



HRP : Jtm Spinda GNGNGN ♥

Pathétique… Je me sentais tout simplement pathétique. Même plus encore, mais je ne trouvais pas les mots pour décrire mon état. Je savais depuis mes dix ans que j’étais voué à devenir aveugle un jour, que ça se dégraderait et me plongerais petit à petit dans le noir complet mais j’avais regagné l’espoir que ça s’améliore ne serait-ce qu’un peu avec la clairsentience. Je m’étais senti vivant, presque normal… Et puis tout s’était effondré. J’avais du rencontré l’élève “mystère” à qui je serais bien allé dire deux mots et casser la gueule - parce que parfois, les mots ne suffisent pas - et j’avais changé de pouvoir. Pouf, d’un seul coup. Et puisque j’ignorais ce qu’était mon pouvoir, en plus de ma cécité, j’étais revenu chez les E. Pour de bon, pour une bonne raison et d’un côté, ça me plaisait beaucoup. Sauf que je ne pouvais plus suivre les cours normalement… Alors je restais enfermé dans ma chambre, comme le con que j’étais depuis bien longtemps, à me morfondre.

Si je sortais, les gens allaient me juger, me montrer du doigt et rire de moi. “Oh regarde, le mec se déplace avec une canne d’aveugle !” “Mais normal, il l’est ! C’est le mec qui s’est fait tabassé par les S après s’être fait jeté, tu savais pas ?” “Haha faut être con.” Je les entendais déjà… Ou alors je me faisais des films ? En tout cas, je savais maintenant ce que ressentait Warren quand tout le monde prenait un malin plaisir à le martyriser. Et moi, connard de bas étage, je l’avais abandonné alors que je lui avais promis que je le protégerais.

Je serrai mon oreiller dans mes bras, résistant une nouvelle fois à l’envie de pleurer. J’ignorais l’heure qu’il était exactement mais ma montre avait sonné dix-sept heures il y avait peu. Je devais retrouver le délégué des E au foyer vers la demie, je me levai donc et enfilai une veste, cherchant ma canne posée contre mon bureau. Heureusement qu’en bungalow, on avait sa propre chambre et donc personne pour vous faire chier autour tant que la porte n’était pas ouverte, sinon j’aurais du partir d’ici… J’étais déjà assez diminué comme ça.

Sur le chemin, je remerciais ma mémoire comme à chaque fois que je faisais un pas en dehors de mon bungalow : je ne distinguais même plus les ombres, ce n’était plus qu’un nuage de noirceur avec quelques fois les obstacles qui m’apparaissaient à la dernière minute, comme les murs ou d’autres embûches assez grosses et les trajets jusqu’à tel ou tel endroit, je les connaissais parfaitement pour la plupart. Même celui du foyer, où je me rendais.

Encore une fois sans avoir de problème du genre un arbre dans le nez ou une marche ratée, j’arrivai enfin à destination. À en juger par le bruit, soit il n’y avait que des gens très calmes, soit personne. Non, aucun bruit du tout, pas même un frottement de tissu contre un canapé, un nez qui coule ou une respiration sifflante, rien du tout. J’étais arrivé en avance ou alors Warren n’avait pas voulu venir. Bah j’avais tout mon temps et je tenais à m’excuser de mon comportement quand j’étais encore chez les S, il y avait peu. Deux semaines à tout casser.

Je me sentais mal et j’avais envie de retourner me terrer dans ma chambre. Il s’agissait seulement de Warren, ce n’est pas comme s’il allait me tuer ou me sauter à la gorge dès son arrivée, mais j’avais honte de ce que j’avais fait, comme pour Anarchy. Ma soeur, mon protégé et puis Nathan mon bro de coeur. Tous les trois trahis pour un prix bien dérisoire.

Nausée. Je me sentais vraiment mal. Combien de temps s’était écoulé depuis que j’étais arrivé ici ? Je n’en avais aucune idée, mais j’attendais vaillamment (ou pas, en fait) et mes efforts payèrent. J’entendis la porte s’ouvrir et je portais instinctivement mon regard vers l’origine du bruit. Warren ? Pas Warren ? J’allais bien le constater…

▬ Bon...jour Natha...niel.

Je me crispai un instant. Cette petite voix apeurée, je l’aurais reconnue entre mille. Il s’agissait bien du délégué des E. Mon délégué. Ma montre sonna alors dix-huit heures. J’avais donc attendu tant que ça ? Je me maudis intérieurement. Est-ce que Warren avait hésité parce que je l’avais invité ? Comment il me voyait maintenant ? Comme un enculé fini ? Un traître à son amitié ? Ma nausée se fit plus forte et je dus une fois de plus réprimer mes larmes. J’étais un homme, je ne pleurais pas. C’était ce que mon père avait tenté de m’inculquer, sauf que je devais pas être un homme. Une moitié peut-être ? J’inspirai légèrement et me décidai enfin à parler.

▬ Salut Warren.

C’était froid, beaucoup trop froid comme salutation. Mais j’ignorais quoi dire de plus, de quelle manière et sur quel ton. J’ignorais comment il allait réagir et je ne bougeai ni ne dis mot. S’installa alors un silence assez gêné où je triturais le pommeau de ma canne blanche en cherchant ce que j’allais pouvoir dire. “Désolé d’avoir été une ordure avec toi.” Nope, ça n’excuserait rien. “Je crois que j’ai brisé ma promesse, tu m’en veux ?” … Bien sûr qu’il m’en voulait, bravo Scarlet, la logique c’est pas ton fort. Jugeant que pour une fois les actes valaient mieux que les paroles, j’attrapai maladroitement l’épaule de Warren - en l’ayant cherchée l’espace d’un instant - et l’attirai à moi avec une force renouvelée. Je crus même qu'il couina pendant la manœuvre mais je n'aurais su jurer de rien.

Je me sentais vraiment imbécile à lui faire un câlin, parce que ce geste était loin d’être viril mais je n’aurais pas réussi à m’exprimer autrement, je le savais. Je me doutais bien que le E allait être effrayé par mon geste, aussi raffermis-je un peu ma prise autour de lui et inspirait longuement entre mes dents pour me faire violence et ne pas me mettre à chialer comme une madeleine. Ce fut sûrement la minute la plus éprouvante pour mes nerfs et mes glandes lacrymales mais je tins bon. Je relâchai finalement ma prise sur le pauvre délégué qui n’avait rien demandé et m’excusai enfin.

▬ Désolé, je… Je sais pas trop ce qui m’a pris. Enfin si, je suis juste trop con pour m’excuser dignement. Alors je te prends dans mes bras… Bref. J’ai quitté les S, Warren. Et ils m’ont fait comprendre que c’était fini entre eux et moi. Et me revoilà, pauvre crétin, devant toi, à pas savoir comment te demander pardon… J’me sens tellement abruti, si tu savais.

Inspiration. Expiration. Les réflexes ralentis pour garder son calme. J’y arrivais pas trop mal mais je sentais que mes défenses allaient céder. J’étais persuadé que si j’avais pu croiser le regard de mon ami, j’aurais vu la peur, le doute et le manque de confiance. Surtout la peur. Je l’avais martyrisé comme tous ces enfoirés dont je tentais de le protéger, avant de devenir un des chienchiens du Ranker. Avant que toutes mes forces ne m’abandonnent à nouveau, je retournai sur le canapé en tapotant de ma canne le chemin qui y menait et invitait Warren à s’y asseoir aussi. Ou bien à fuir si le coeur lui en disait...

Hrp : blabla en darkslategrey + JTM WATTOUAT GNGNGNGNGN <3 Tous ces feels pour toi.

Long time no see

— Salut Warren. répondit-il, simplement.

Cette salutation si froide lui permit de réaliser qu'ils n'étaient plus que des étrangers désormais, de simples étrangers qui ne se connaissaient plus. Des inconnus. Il détestait cette impression, Warren, cette impression qu'à travers cette indifférence mutuelle se dissimulait une amitié passée, une très bonne entente ; il détestait cette impression d'être la cause de cette séparation, de ce lien brisé, de cette conséquence navrante ; car rapidement, il en tira une conclusion affligeante :

Ils n'avaient rien à se dire.

Un lourd silence s'était installé aisément dans la grande pièce ; seul le doigt de Nathaniel tapotant continuellement une canne se faisait entendre ; néanmoins, hormis ce son presque inaudible, les deux garçons refusaient de parler, si bien que Warren se demanda pour quelle raison il s'obstinait à rester dans la salle commune. Qu'attendait-il de cette entrevue ? Qu'espérait-il, finalement ? Il se rendit juste compte qu'il l'ignorait, qu'il ignorait pourquoi il avait accepté ; les chances que le S se montrât sympathique avec lui frôlaient le zéro.

Fuis, Warren.
Ah, s'il obéissait à sa paranoïa, il aurait déjà disparu, il serait déjà parti loin, loin de là. Mais, il attendait. Il attendait malgré son malaise flagrant, Warren ; la lueur dans ses yeux trahissait son faible sourire de compassion. Son appréhension se percevait avec facilité, mauvais comédien, piètre menteur ; ce calme ne lui plaisait guère et cela se remarquait ; il se demanda durant un bref instant s'il ne devait pas briser le silence en premier au lieu de laisser cette situation stagner.
Cependant, à cet instant précis, Nathaniel lui attrapa l'épaule de manière brusque et l'attira contre lui. Couinement. La surprise faillit provoquer un bref arrêt cardiaque, ainsi qu'une chute ; néanmoins il se calma rapidement, crispé, prisonnier de l'étreinte de son ancien protecteur. Il restait immobile et muet, passablement apeuré, passablement déboussolé, durant une minute, juste une minute. Il se questionnait sur le sens de cette action ; puis Nathaniel finit par lâcher prise dans un soupir, alors que le délégué le fixait avec un air interrogatif et craintif.

— Désolé, je… Je sais pas trop ce qui m’a pris. Enfin si, je suis juste trop con pour m’excuser dignement. Alors je te prends dans mes bras… Bref. J’ai quitté les S, Warren. Et ils m’ont fait comprendre que c’était fini entre eux et moi. Et me revoilà, pauvre crétin, devant toi, à pas savoir comment te demander pardon… J’me sens tellement abruti, si tu savais. s'excusa-t-il avec sincérité.

Nouvelle surprise.
Ses yeux devinrent ronds comme des billes, et sa bouche restait légèrement entrouverte par l'étonnement. Il ne s'y attendait pas, il ne pensait vraiment pas que Nathaniel quitterait les S un jour, et viendrait s'excuser auprès de lui par la suite ; il n'avait jamais cru que cet événement surviendrait ; il avait supposé que l'Américain appartenait définitivement à la classe dorée.

Il n'entretenait aucun ressentiment envers les S, Warren, mais il ne pouvait nier que cette nouvelle se présentait comme un véritable soulagement.

L'ancien S se dirigea alors vers le sofa avec une démarche assez curieuse, invitant son délégué à se joindre à lui ; Warren le suivit à pas lents.

— Tu n'as pas à t'excuser Nathaniel. commença-t-il doucement, d'un air un peu perdu, déboussolé. Warren n'avait jamais considéré que la faute revenait à son ami. Mais... si tu as quitté les S... pourquoi n'es-tu pas venu en cours ? continua-t-il d'une voix précipitée, lui qui ne comprenait plus rien.

Il aperçut alors la canne que tenait le jeune Scarlet dans sa main, cette canne qui le soutenait lors de ses déplacements. Son regard refusait de quitter l'objet pendant qu'il s'asseyait. Les hypothèses se formaient dans son esprit lentement, diverses hypothèses jusqu'à le conduire à un éventuel scénario. Il resta silencieux quelques secondes, les yeux toujours braqués vers le support en bois, avant de le fixer à nouveau dans les yeux ; un soupçon d'inquiétude naquit dans ses iris verts ; il poursuivit sans laisser Nathaniel répondre à sa question précédente.

— Tu t'es... Une légère pause survint brusquement, pour laisser place à une rectification. On t'a blessé ? demanda-t-il, sur un ton plus affirmatif qu'interrogatif.

Ce sont les S qui t'ont mis dans cet état ?
Il savait que le Ranker ne laissait pas une trahison impunie. Il le savait.


HRP : GNGNGNGN ♥

Alors que je me dirigeai vers le canapé, Warren osa tout de même parler. Ca me rassurait de l’entendre, même si c’était d’une petite voix.

▬ Tu n'as pas à t'excuser Nathaniel. Bien sûr que si j’avais à m’excuser Warren, arrête d’être trop gentil… Mais... si tu as quitté les S... pourquoi n'es-tu pas venu en cours ?

Pauvre sourire qui s’affiche sur mes lèvres, alors que je lui tourne le dos. Pourquoi je n’étais pas venu en cours hein ? Je haussai les épaules en bon fataliste que j’étais devenu. C’était comme ça, on n’y pouvait rien… Non, c’était loin d’être “comme ça” en fait, mais j’avais pas envie d’inquiéter Warren. Il devait bien être au courant que je m’étais fait tabassé par les S après tout, il lisait les réactions des lecteurs comme tout le monde. J’avais bien précisé à Chan et Sonera de ne rien dire quant à l’auteur de l’agression, parce que je voulais protéger Orest des autres mais j’avais tenu à ce que ça soit dit. Bien maigre vengeance… J’allais ouvrir la bouche et lui mentir quand il me coupa dans mon élan, alors que je le sentais s’asseoir à côté de moi.

▬ Tu t'es… On t'a blessé ?

Oui, on a blessé mon orgueil et on m’a frappé, mais Warren devait me demander ça à cause de ma canne blanche. Ca m’amusa un peu, sa naïveté et son manque d’observation. C’était pourtant évident, il manquait seulement un labrador à côté de moi pour que le tableau soit entier. J’ébouriffai les cheveux du délégué en riant légèrement.

▬ J’aurais préféré qu’on me blesse et que je puisse en guérir. Je t’ai jamais dit que j’étais aveugle ? Constatant le peu de réaction du jeune homme, je continuai. Eh bien je suis aveugle depuis que j’ai seize ans. Enfin j’étais malvoyant jusqu’à récemment. Toutes ces conneries avec les S, ça a pas du aider ma maladie. Bref.

Je m’arrêtai un instant, écoutant simplement le silence en me tordant les doigts. Parce que le silence faisait du bruit. Celui du tic-tac d’une horloge. Celui de mes cris qui refusaient de sortir, parce que j’avais peur, j’étais frustré et je me sentais inutile. Et j’entendais mon coeur battre, Warren qui s’agitait à côté. Le silence parlait pour nous et traduisait notre gêne. Je cherchai un truc à dire, n’importe quoi pourvu que cela brisât l’instant présent. Parler de la pluie et du beau temps, c’était nul. Anarchy ? Qu’avais-je à dire après ce que je lui avais fait ? Parler des cours, n’en parlons pas - haha bonne blague - je n’y allais même plus depuis que j’étais entré dans ma dépression.

Je me rendais doucement compte qu’entrer chez les S avait creusé un énorme fossé entre beaucoup de gens et moi. Et comme d’habitude avec mon esprit du moment, celui du pauv’ type torturé mentalement - bientôt je me mettrais à écrire comme Lamartine ou des poètes tourmentés du genre, sérieux - je me voyais sur une motte de terre, seul, avec une énorme tranchée tout autour et les gens de l’autre côté qui me regardaient. En fait, c’était un cauchemar récurrent à ce moment-là.

Je soupirai doucement en me frottant les yeux. Je devais arrêter de me morfondre comme ça sur mon sort et aller de l’avant. M’occuper des autres avant de m’occuper de mon petit nombril. Et surtout rattraper ce que j’avais manqué avec Anarchy, Warren et les autres. Je pris mon courage à deux mains et osai enfin élever de nouveau la voix.

▬ Parle-moi de toi. J’ai raté quoi au juste ? Tu te portes bien au moins ?

Je fus plutôt fier de moi à ce moment-là, parce que c’était pas une entrée en matière trop dégueulasse. À nouveau je cherchai son épaule pour l’attirer contre moi. C’était mon protégé, comme un petit frère pour moi, et je voulais qu’il sache que j’étais revenu et que je serais là pour lui, dans la mesure du possible. Et vu que j’étais un gros boulet avec les mots, je traduisais en gestes.

Hrp : blabla en slategrey + C'est pas terrible sorry QwQ

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Nathaniel ne semblait même pas souffrir, ni même ressentir la moindre rancune a priori ; il paraissait même amusé par la question. Il se mit à ébouriffer la chevelure bleutée du délégué en ricanant.

— J’aurais préféré qu’on me blesse et que je puisse en guérir. Je t’ai jamais dit que j’étais aveugle ? déclara-t-il avec amusement.

Arrêt. Ce fut comme un violent choc qui le frappa tout entier, imprévisible ; ses yeux exprimaient mieux son étonnement que son silence actuel. Pétrifié par la surprise, troublé. Il se demanda même s'il avait bien entendu le mot que le E avait prononcé, s'il avait bien avoué être aveugle. Lors d'un court instant, Warren en douta.

— Eh bien je suis aveugle depuis que j’ai seize ans. Enfin j’étais malvoyant jusqu’à récemment. Toutes ces conneries avec les S, ça a pas dû aider ma maladie. Bref. poursuivit-il sur le même ton.

Confirmation troublante. Alors, depuis tout ce temps, il ne l'avait jamais vu, ne pouvait savoir à quoi ressemblait la personne assise à côté de lui, si proche pourtant. C'était triste. Triste.
Et pourtant, il avait du mal à comprendre, Warren, il avait du mal à comprendre l'attitude de Nathaniel par rapport à sa faiblesse ; il ne reconnaissait en rien le drame qu'on lui avait expliqué dans son enfance. Personne dans son entourage n'avait été privé de la vue, personne n'avait souffert d'une telle misère à sa connaissance. Jusqu'ici, il s'était contenté des quelques explications que l'on lui avait offertes dans sa jeunesse.

“Tu sais que tu as de la chance, Warren ? Tu te rends compte que certaines personnes ne peuvent pas marcher, ou même voir !”

Sa mère biologique était une personne douce et charmante ; dans sa bienveillance, elle avait simplement souhaité sensibiliser son enfant au monde, pour qu'il réalisât à quel point il pouvait être heureux — comme tout parent, au final. Et il savait, Warren, qu'être privé d'un sens, dont l'on se servait continuellement sans s'en rendre compte, était une bien triste chose, un phénomène affligeant et encombrant. Il le savait, et il l'avait toujours considéré ainsi, comme un drame ; et ce jour-là, plus que jamais. Alors, pourquoi Nathaniel en riait-il ? Pourquoi prenait-il ce malheur à la rigolade ? Pourquoi ? Était-ce si drôle ? Était-ce si futile, au final, aussi négligeable que le ton rieur de cette voix laissait paraître ?

Il ne comprenait plus, il ignorait comment réagir face à cette nouvelle désolante ; donc, il ne répondit rien, n'articula aucun terme, et imita Nathaniel dans son silence de plomb.

En réalité, il avait quelques difficultés à imaginer le jeune adulte aveugle, à simplement saisir le fait que son ami n'avait jamais vu Prismver, ni même les visages qu'il a côtoyés ces dernières années, son visage. Étrange impression, difficile à visualiser ; il parvenait seulement à concevoir l'handicap sévère qu'il constituerait s'il était lui-même touché. Et lui, en dissimulait-il une souffrance, ou avait-il accepté son sort docilement ? Warren n'osait pas même le demander. Il ne savait pas s'il pouvait se permettre de changer de sujet ou s'il devait poursuivre la discussion.

— Parle-moi de toi. J’ai raté quoi au juste ? Tu te portes bien au moins ? demanda-t-il, imposant le changement de sujet.

Durant un instant, il avait oublié que l'aîné des Scarlet ne s'était pas rendu en cours depuis un bon moment. Cela paraissait logique au final, qu'il voulût s'informer sur les différents événements du pensionnat. Il sentit à nouveau cette main qui lui attrapa l'épaule, et l'attira contre Nathaniel. Cette fois-ci, il ne couina pas, il ne sursauta pas ; il ne ressentait plus la peur affolante qui l'empoisonnait l'esprit quelques minutes avant. Il avait juste l'impression d'avoir retrouvé son protecteur d'antan ; et il ne put empêcher ce sourire de soulagement étirer ses lèvres inexpressives.

— Je vais bien. Il se retint de lâcher un “et toi ?” spontané, connaissant déjà la réponse. Hum... de mon côté, pas grand-chose de spécial à vrai dire... à part que la direction a encore fait quelques changements dans les dortoirs et que j'ai de nouveaux colocataires... encore... Bref, la routine. répondit-il, sous-entendant son léger agacement par rapport aux changements fréquents de dortoirs.

Warren, c'était le genre de personne qui ne menait pas une vie particulièrement mouvementée, dont chaque élément du quotidien relevait de la banalité à ses yeux ; c'était celui qui répondait toujours à ce type de questions par un “rien de spécial”, qui n'entrait pas dans les détails trop insignifiants à son goût, qui n'avouait pas qu'au fond de son être, il aurait été un peu soulagé de voir Kieran quitter le cabanon.

— Au niveau du pensionnat, ça commence enfin à se calmer, même si j'ai entendu dire qu'un élève a été gravement blessé il y a quelques jours... Enfin...! Il n'y a plus vraiment RED, ni RTP. Donc c'est plutôt plaisant de ne plus vivre au milieu de ces tensions. Enfin, je ne sais pas trop ce que t'en penses, mais je trouve que tous ces conflits devenaient... insupportables. expliqua-t-il, d'un ton qui balançait entre soulagement et exaspération.

Soupir. Il faisait implicitement référence à Anarchy, affilante de RED, opposée de ce fait à WIP ; il avait remarqué ce fossé qui se s'était creusé entre eux, qu'elle lui cachait certaines choses malgré qu'elle fût sa suppléante ; et il détestait ce point, Warren, il haïssait se séparer de ses proches, il haïssait les relations qui se brisaient pour des raisons puériles.
Ah, comme il détestait cette ambiance sinistre. Fort heureusement, elle commençait à s'estomper peu à peu.

Il soupira une nouvelle fois un bref coup et se redressa légèrement. Et lentement, il se laissa transporter dans ses songes ; la maladie de Nathaniel l'eut choqué plus qu'on aurait pu le croire. Peu importe ce qu'on lui dirait, on ne pouvait lui annoncer cette tragédie avec autant de légèreté ; ce n'était pas si insignifiant ; s'il ne se rendait plus en cours, c'était que le problème exposé se révélait ardu. Il se sentait obligé de faire quelque chose, n'importe quoi.
C'était Nathaniel, après tout...

— Sinon, si tu as besoin d'aide pour les cours... Je sais que je ne suis pas particulièrement doué, mais je peux toujours essayer de prendre des notes supplémentaires, ou de t'apporter de quoi rattraper... Ou je ne sais pas. Mais je suis ton délégué, alors n'hésite pas à demander si tu as besoin d'aide vu que... proposa-t-il.

...Et Nathaniel était un E ; ainsi Warren restait son délégué de classe. Il était son responsable et il ne lui en voulait pas.


GNGNGNGN ♥

Le sourire timide que j’entendis dans la voix de Warren, son ton plus calme me rassurèrent un peu. J’avais cru pendant un moment qu’il resterait peureux à l’idée d’être avec moi. Déjà je m’étais dit en lui envoyant le LMS qu’il ne viendrait même pas, alors là… C’était le soulagement total.

▬  Je vais bien.
▬ Tant mieux.
▬ Hum... de mon côté, pas grand-chose de spécial à vrai dire... à part que la direction a encore fait quelques changements dans les dortoirs et que j'ai de nouveaux colocataires... encore... Bref, la routine.
▬ Ah oui ça… Moi aussi j’ai changé de bungalow. Je suis plus avec les S…

Du ton qu’il avait employé, je devinais qu’il n’appréciait pas vraiment ses colocataires. Des gens à qui je devrais refaire le portrait ? Ou juste menacer ? Oui parce que refaire le portrait sans mes yeux, ça risquait d’être du Picasso bourré.

▬ Au niveau du pensionnat, ça commence enfin à se calmer, même si j'ai entendu dire qu'un élève a été gravement blessé il y a quelques jours... Enfin...! Il n'y a plus vraiment RED, ni RTP. Donc c'est plutôt plaisant de ne plus vivre au milieu de ces tensions. Enfin, je ne sais pas trop ce que t'en penses, mais je trouve que tous ces conflits devenaient... insupportables.

Je laissai un petit temps avant de répondre. Que pouvais-je lui dire de plus que ce qu’il n’avait dit ? J’étais entièrement d’accord avec lui, moi qui avais été une source de conflits quelques temps auparavant. Et l’entendre dire ça, ça me chiffonnait un peu le coeur. Je serais devenu insupportable pour lui, si j’avais continué mes conneries avec les S. J’aurais peut-être même du m’attaquer à lui plus encore que la fois où il était avec Gabriel.

▬ Plus de RED, ça m’ennuie. Plus de RTP par contre… Bon débarras. Ca fait quelques temps que je vis un peu en ermite dans ma chambre et je sortais à peine pour aller à la cantoche, mais ça me gonfle toujours un peu plus ce que me rapporte Charlie quand elle vient me voir. En fait, j’aime pas ces conneries de guerre des classes.

Je réfléchis un instant, laissant un petit temps de silence. C’était faux, j’aimais bien la guerre des classes. Du moins l’entraide entre les B et les E. Mais je n’aimais pas beaucoup les autres classes. Surtout les S, maintenant que j’en étais parti, et les A. Je me rendais compte après coup qu’ils étaient trop différents de moi ou l’inverse pour que j’y sois bien.

▬ Je veux juste que les E obtiennent gain de cause, c’est tout.
▬ Sinon, si tu as besoin d'aide pour les cours... Je sais que je ne suis pas particulièrement doué, mais je peux toujours essayer de prendre des notes supplémentaires, ou de t'apporter de quoi rattraper... Ou je ne sais pas. Mais je suis ton délégué, alors n'hésite pas à demander si tu as besoin d'aide vu que…

Je souris légèrement à sa demande. “Je suis ton délégué” dans la bouche de Warren, ça sonnait comme “Je suis un lion” dans la bouche d’un chaton. C’était un peu méchant de ma part mais je trouvais ça mignon. Et vraiment gentil de sa part, de me proposer son aide alors que je l’avais en quelque sorte trahi pendant ces deux ou trois derniers mois.

▬ Je veux pas que tu aies des mauvaises notes à cause de moi tu sais, si tu t’infliges encore plus de travail. Ou alors tu m’aides seulement quand tu as fini tes devoirs à toi et que t’as vraiment le temps et l’envie. J’ai déjà été un boulet pour Anarchy, je veux pas l’être pour d’autres en plus.

Je ricanai, conscient d’avoir été un poids pour ma soeur, même si elle ne l’avait jamais avoué.

▬ D’ailleurs en parlant d’Anarchy, vous vous parlez toujours ? Je l’ai pas revue… Enfin… Sa chambre, c’est moi qui l’ai défoncée.

Hrp : GNGNGNGNGNGNGNGN

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— Je veux pas que tu aies des mauvaises notes à cause de moi tu sais, si tu t’infliges encore plus de travail. Ou alors tu m’aides seulement quand tu as fini tes devoirs à toi et que t’as vraiment le temps et l’envie. J’ai déjà été un boulet pour Anarchy, je veux pas l’être pour d’autres en plus. répondit-il en souriant.

Et un léger pincement au cœur se fit sentir à l'intérieur de sa poitrine. Léger, tout léger. Beaucoup trop léger pour être perceptible. Il devait l'avouer, au fond de lui cette réponse ne lui plaisait pas énormément, pas quand il avait pris la résolution d'effectuer son travail de délégué correctement, pas quand l'occasion d'aider un camarade en difficulté se présentait. Surtout Nathaniel. Surtout celui qui l'avait protégé à de nombreuses reprises, et qu'il devait remercier.

— Ce n'est pas l'envie qui me manque, et de toute manière c'est mon rôle. J'ai l'habitude de prendre des notes, donc ne t'en fais pas pour ça. répliqua-t-il, une conviction certaine se sentant dans sa voix.

Ah, oui il avait l'habitude de noter de manière systématique les paroles des professeurs — lorsqu'ils venaient enseigner. C'était automatique, naturel. Et peut-être était-ce cela son problème ? Le noyau de ses difficultés scolaires ; le fait de bêtement recopier les formulations de l'instituteur, sans comprendre, sans en saisir le sens.
Et tu sais Nathaniel, il détenait déjà des résultats médiocres qui l'emplissaient d'une honte indescriptible à chaque fois qu'il tenait sa copie entre ses mains en ne voyant qu'un mauvais résultat écrit au feutre rouge, à chaque fois que Solveig le questionnait à propos du dernier examen. Il avait déjà arrêté d'espérer pour son futur. Il avait réalisé depuis un bon moment qu'arborer la cravate rouge garantissait un échec cuisant. Il n'avait plus rien à perdre, Warren, plus rien qui nourrissait une quelconque lueur d'espoir.
Ton inquiétude serait presque absurde, Nathaniel.

— D’ailleurs en parlant d’Anarchy, vous vous parlez toujours ? Je l’ai pas revue… Enfin… Sa chambre, c’est moi qui l’ai défoncée. demanda-t-il.

Un sourire crispé orna ses lèvres, laissant deviner sa gêne.

— Je sais... J'avais lu ça dans les Breaking News. souffla-t-il presque timidement.

Un bref soupir s'ensuivit, un soupir un peu vide d'expression ; ni agacé, ni désespéré, ni chagriné, ni soulagé, rien. Cela voulait tout exprimer, malgré les mois qui s'étaient écoulés après ce carnage.

— Anarchy... Je lui parle toujours, oui. Mais comment dire... Depuis RED, j'ai l'impression qu'il y a quelque chose de changé. Je ne saurais pas vraiment expliquer... c'est comme s'il y avait une légère distance entre nous à cause de cette histoire de clans. Je sais juste que c'est... rageant triste. raconta-t-il comme s'il s'agissait d'une situation dure à encaisser.

Une once de déception se sentait dans ces explications. Après tout, il la considérait comme l'une des personnes les plus chères, et sentir ce fossé qui se creusait le tourmentait.
Ses coudes vinrent se poser sur ses jambes, et il profita de cet appui pour ensuite déposer sa tête dans le creux de ses mains.

— Je n'aime pas vraiment ces conflits ; les conséquences, ce que ça apporte... en fait, je t'envie peut-être de ne pas assister à tout. Enfin, parfois j'aimerais juste être éloigné de tout, ou alors que ça se termine enfin... avoua-t-il calmement.

...sur une victoire des rouges.
Warren était le premier à souhaiter l'égalité dans cet établissement scolaire, le premier à rager un peu, un petit peu au fond de son être à chaque fois qu'il ne constatait aucune amélioration. Sa nature presque pacifiste et son idéal égalitaire se contredisait, et il le savait parfaitement. Cependant, il refusait de poursuivre le sujet de la guerre au moment où il retrouvait enfin un être cher — ce n'était pas approprié. Alors, doucement ses sentiments de légères frustrations se dissipèrent.
Il laissa le silence planer dans la pièce sans le brusquer, relevant légèrement sa tête enfouie dans la paume de ses mains. Ses iris divaguèrent, sans rien fixer de concret.

— Mais tu sais, je pense que tu devrais la voir un de ces jours. Ça lui ferait certainement plaisir après tout ce qui est arrivé. conseilla-t-il d'une voix murmurée.

Comme cela lui avait fait plaisir de le revoir.


HRP : GNGNGNGNGNGNGN