it's been a long time. [10 y.o after]

Codage fait par ©PAINDORE sur APPLE SPRING

long time

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Il ne s’était pas assagi et n’avait toujours pas perdu cette manie de ne jamais tenir en place. Rester plus d’un an dans le même appart’, dans la même rue, le même quartier, la même ville, c’était quelque chose qu’il ne supportait pas encore. Ça viendra peut-être. Sûrement. Il faudra bien se poser un jour. Arrêter de faire et défaire des cartons, de vivre comme si l’herbe était toujours plus verte ailleurs.

Ça faisait bientôt trois mois que San Francisco ne lui paraissait pas si mal et qu’il s’y plaisait. Qu’ils s’y plaisaient. Parce qu’il y a encore Jim pour supporter ses petites crises, ses envies d’aventure, de nouveauté. Il aimait découvrir de nouveaux endroits, il aimait s’arrêter devant un café qu’il n’avait jamais vu, s’asseoir en terrasse, se dire qu’on y est plutôt bien, et revenir. Il aimait se trouver des petites habitudes, s’y complaire un moment, et puis mettre un terme à ces équilibres, ébranler cette stabilité qu’il avait mit quelques temps à construire. Pour recommencer. Il était quelqu’un qu’on n’avait jamais habitué aux projets durables, à qui on n’avait jamais appris à se projeter sur le long terme. La seul chose sûre et certaine dans sa vie, c’est qu’en rentrant il y avait toujours quelqu’un qui l’attendait, il y avait toujours quelqu’un qu’il attendait, et que tout n’allait jamais aussi bien que quand ils étaient tous les deux. Le reste pouvait changer jour après jour, ça lui importait peu. Dans la richesse comme dans la pauvreté, dans la santé comme dans la maladie, dans la joie comme dans la peine. C’est ce qu’ils s’étaient dit, non ? Quelque chose du genre. Réarrangé par leurs soins.

Ses yeux se plissent à cause d’un rayon de soleil qui éclaire son visage malgré le store de la terrasse. Des rides d’expression à peine visibles aux coins de chacun des lagons. A force de sourire. La mâchoire à peine plus carrée, les traits toujours un peu efféminés malgré tout, mais moins qu’avant. Un visage d’homme, et non plus de jeune homme.

Une main en visière au dessus des yeux, ces derniers quittent les feuilles froissées à force de lecture ayant miraculeusement échappé à plusieurs tâches de café. Il est accoudé à une table, il en est à sa troisième tasse, on est presque au printemps et il fait bon. Il aimerait faire quelque chose de sa vie plutôt que d’enchaîner les petits boulots pas vraiment épanouissant, alors il apprend des textes. Il voudrait faire du théâtre, ou jouer des rôles sérieux. Jouer ce mec qui vous touche en plein cœur, parce qu’il a envie d’y mettre toute sa hargne. Il voudrait qu’on lui confie des personnages qui lui ressemblent. Des mecs qui ne sont pas grand chose et qui passent leur temps à rêver, qui font du mal parfois pour arriver à leurs fins, des gars dont on ne sait pas si ils un bon ou un mauvais fond. Un vrai méchant qu’on aime, ça lui plairait bien, ça serait drôle. Si on lui avait dit qu’il aurait ce genre d’envie quand il avait à peine la vingtaine. C’est un désir un peu fou, mais pourquoi pas. Tout peut arriver.

Pour ça qu’il a toujours voulu vivre dans des grandes villes. Car on n’y est rien, et pourtant il suffit de tendre la main pour effleurer ceux qui sont quelqu’un. Si c’est ce qu’on veut, c’est forcément à notre portée.
Tout peut arriver à New York, à Boston, à Los Angeles. Tout peut arriver à San Francisco. Tout est une question de probabilité, de hasard, d’un peu de chance. Cet homme aux airs de poète qui traverse la rue a peut-être composé les plus grandes musiques de film. Cette femme en tailleur Coco qui boit un thé à votre droite est peut-être celle qui influencera tout un monde en affirmant sur la couverture d’un magazine renommé que cette année le rétro chic c’est dépassé. Adieu le vintage.
Ce mec qui tient un gamin dans ses bras c’est peut-être votre ex que vous n’avez pas vu depuis tellement d’années que vous ne comptez plus.

Une chance sur combien de le croiser ici ?

Mike a l’air heureux.
Il détourne le regard, baisse les yeux sur sa tasse de café. Elle est vide et un des serveurs l’a sûrement remarqué, vu qu’on l’aborde tout à coup. « Vous voulez autre chose ? »

— Deux cafés. Et ça vous dérangerait de me rendre un petit service ?

Il n’a pas changé, Morgan, il est toujours aussi impulsif.


Le serveur traverse, se rend sur le trottoir d’en face où se déroulait le shooting. On le prie de reculer, il s’excuse, tente juste d’expliquer qu’on l’envoie, qu’il a juste une question. Il s’approche de Mike, l’interpelle pour qu’il se tourne vers lui alors que le photographe parlait encore. Pressé de retourner au boulot, y a des clients qui attendent. Mais le blond installé à une table lui a filé un pourboire pour qu’il aille jusque là. Alors il dévisage Mike avec un air désemparé.

— Excusez moi, je.. L’homme assis à la terrasse juste en face m’a demandé de venir vous voir pour vous inviter à prendre un café avec lui. Il en a commandé deux.

Le serveur hausse les épaules, désignant Morgan d’un mouvement de tête. Et ce dernier fit mine de regarder ailleurs, souriant légèrement. Espiègle.

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clients ?

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Il voit le serveur revenir le premier, s’arrêter devant sa table et reprendre l’un des deux cafés, il voit ensuite un Mike l’accoster sans détours avec un air un peu impatient. Pas même un bonjour, ni un à qui ai-je l’affaire. La subtilité n’a jamais été son fort après tout, qu’il se soit écoulé dix ans n’a rien changé, c’était prévisible. Morgan le dévisage à peine comme s’il ne comprenait pas, comme si ça ne l’intéressait déjà plus, comme si ce n’était pas lui qui avait un serveur 10 dollars pour aller aborder Mike à sa place. Ça l’amuse.

" Vous avez un truc à me dire ? Vous êtes pas un client régulier à ce que je sache... Pourquoi avoir besoin de moi alors ? Vous vous sentez seul ?"

Ne pas rire, surtout ne pas rire. Ça le fait sourire en coin et il regarde ailleurs, fait mine de reporter son attention sur les patients, haussant légèrement les épaules, prenant l’air de ne pas avoir lui-même les réponses à toutes ces questions que Mike lui pose. Il ne le reconnaît pas. Il n’a pas tellement changé pourtant, malgré toutes ces années. Mike non plus quand il y pense. Il n’aurait pas prit quelques centimètres ? Peut-être.. Il avait surtout un bout de chou dans les bras. Il a vraiment un fils alors. Ça lui fait un peu bizarre, ça l’oblige à voir tout ce temps qui s’est écoulé, toute l’eau qui est passée sous les ponts. Ça le fait réaliser à quel point leur vie à chacun d’eux a emprunté des chemins complètement différents depuis le moment où ils ont décidé de partir chacun de leur coté. C’est ce qui devait se passer après tout.
Il a perdu le fil avec toute sa comédie et ses pensées distraites, et c’est lorsque Mike reprend la parole qu’il le regarde à nouveau.

"Ah mais !... Ah non c'est pas possible, désolé je vous confonds avec quelqu'un d'autre."

Il cligne une fois, deux fois des yeux, se ressaisit, fouille dans la poche de sa veste pour sortir son paquet de clopes qu’il pose sur la table. Un de ses sourcils se lève à peine, il arbore encore une fois une risette amusée alors qu’il saisit sa tasse entre ses doigts pour boire une gorgée de café.

—  Quoi ? C’est interdit à San Francisco d’inviter un homme charmant à prendre un verre ?

Il a un air joueur lorsqu’il coince une cigarette entre ses lèvres et saisit son briquet pour l’allumer, sans quitter Mike du regard, curieux de sa réaction. Ils se taisent une poignée de secondes, et Morgan se redresse pour s’adosser comme il faut contre le dossier de sa chaise, expirant une volute de fumée. Il sourit à nouveau.

— Je pensais pas avoir changé au point d’être méconnaissable.

En général quand il s’inquiète Jim lui assure qu’il a pas prit une ride, ça voudrait dire qu’on lui aurait menti tout ce temps. Léger rire dilué dans un soupir. Il baisse les yeux vers le gamin blotti contre Mike.

— .. T’as pas perdu ton temps.

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