♪ My head is a jungle, jungle | PV

think

Exaspération. Exaspération.
John et ses sous-entendus malvenus. Je pratique pourtant. Souvent. Pour ne pas dire presque tous les jours. Mais là, il a trouvé son os et s’en délecte. Pitié, tu pourrais faire semblant de te sentir concerné par ce qui se passe ou au moins, cacher le plaisir que tu prends à te sentir supérieur.

Choses positives ? Heath en a plus conscience que ce que John peut bien croire. Mémoire ou pas mémoire.
Le prix de ses souvenirs ? Il devrait même pas avoir à payer quoique ce soit. Déjà.
Mes seins ? Et pourquoi pas lui faire une pipe aussi pendant qu’on y est !

He pisses me off. Et il frôle le niveau de Ernest à cet instant précis.

Heureusement qu’il se met enfin à prendre ça au sérieux. Parce que ses clins d’oeil ne font qu’accentuer le regard revolver que je ne contrôle plus vraiment. Et je parie que je ne suis pas la seule fille à qui il fait cet effet-là. Respire. Il ne s’agit pas de John, mais de Heath.

- Mais quoi qu’il en soit, le moyen le plus rapide pour que tout ça se reconstruise, c’est de réparer physiquement la zone de mémoire de ton cerveau. Et oui, Charlie, c’est toi qui possède le don pour ça.

Je hausse les sourcils, surprise. Interloquée. Je n’y avais jamais pensé. Comme si j’avais dissocié la mémoire de son aspect le plus physique et biologique. Pour la rattacher à quelque chose de plus abstrait. Mémoire du coeur ; mémoire du corps : les deux sont connectés par le cerveau. C’est évident quand on y pense.

C’est si simple que ça ?
Libérer les voies et se forcer à y repenser ?

Mon visage se tourne vers Heath. Songeuse et silencieuse.

- Au fait Charlie, si tu veux plus de précisions sur les connexions, la façon dont tu peux astiquer ses muscles cérébraux, libérer ses fluides mémoriaux, tout ça, tu sais où me trouver.

Mon sac vole et s’écrase contre la porte refermée.

- Asshole.
- ...I hate this guy.

Regards commun. Sourires blasés par le comportement de Johnny qui étouffent notre sarcasme. Je finis par me lever pour récupérer mon sac. Le silence retombe. Je range une à une mes affaires éparpillées, repensant à ce que le A venait de dire. L’amnésie obstruant les liaisons. Mh. Le scepticisme est là quand je me redresse et reviens me poser sur le banc, sac sur mes genoux. Est-ce qu’il faut le croire sur parole ? Mes doigts viennent dégager une mèche de cheveux, j’inspire profondément.

- Tu… avais été à l’hôpital tout de suite après l’amnésie, non ? Ils ne t’ont rien dit sur le sujet ? Est-ce que... Je relève la tête vers la porte. Tu le crois ? Ça paraît simple comme ça...

Si moi, j’ai déjà du mal à digérer l’information, alors Heath… Battements de cils, mon regard vrille à nouveau sur lui, se fronce une seconde.

- Hm… Tu veux peut-être y réfléchir tranquillement. Je me lève une nouvelle fois. J’vais rentrer. … À moins que tu veuilles un café ? Mes joues se gonflent une fraction de seconde, je souffle. Puis souris en coinçant à nouveau cette mèche rebelle, juste avant d’agripper fermement les anses de mon sac en cuir. Désolée, j’sais pas trop quoi te dire, ni même si j’dois dire quelque chose...

Un pas sur le côté, je me détourne à moitié et me stoppe dans mon hésitation.

- Mais sache que le moment venu, si je peux t’aider parce que c’est ce que tu veux… je le ferais., dis-je en insistant sur le “tu veux”.

Parce que c’est à lui de décider. Sans se laisser influencer par ce que les autres voudraient ou non.

- Tu… avais été à l’hôpital tout de suite après l’amnésie, non ?

...

Je lève les yeux sur elle, haussant un sourcil. Non, non j’ai pas été à l'hôpital non. Pour leur dire quoi ? “Salut j’suis un mec de presque 21 ans  mais j’ai l’impression d’en avoir 16, j’me rappelle plus des cinq dernières années de ma vie. Quoi ? Un accident ? Non non j’me suis réveillé dans mon lit en calbut’, impéc. J’ai bien dormi même.” Charlie a l’air choquée. J’agite les mains pour lui expliquer tout ça, que c’est pas normal, que c’est magique, et que j’ai pas envie de passer je ne sais combien de semaines à me taper des examens médicaux en tout genre. Ca va, j’me souviens plus, c’est comme ça, ça change quoi que j’en parle à l’hopital ? Pas envie d’devenir une bête de foire, ça ira.

En plus j’aime pas les hôpitaux, ça m’angoisse. Sujet clos.

- Tu le crois ? Ça paraît simple comme ça...
- J’en sais rien.

Je croise les bras, ma jambe en équerre sur l’autre, me renfrogne. Parce-que le pire c’est que ouais, ça m’emmerde, mais j’pense que j’peux le croire, ce con. J’marche à l’instinct, et tout me dit de lui faire confiance.

- Hm… Tu veux peut-être y réfléchir tranquillement. J’vais rentrer.
- ...

Well. Vas-y lâches-moi, pas de problème. C’pas comme si tout ça était en train de m’embrouiller l’cerveau et qu’un peu de compagnie m’aide à pas perdre pied.

-  … À moins que tu veuilles un café ?

Si ça peut te faire rester...

- Désolée, j’sais pas trop quoi te dire, ni même si j’dois dire quelque chose...
- T’emmerde pas avec les formalités ‘Lie...

J’me lève en soupirant, prenant la poignée de la porte, ma main sur la sienne.

- Mais sache que le moment venu, si je peux t’aider parce que c’est ce que tu veux… je le ferais.

Mon regard saute entre ses pupilles dans un espèce de flottement. Et comme à chaque fois qu’on se regarde yeux dans les yeux, y’a cette espèce de bulle qui se forme, ou le reste du monde disparaît.

- ...Je sais. Merci...

Je déglutis en détournant le regard, brisant la bulle. J’ouvre la porte en libérant ses doigts des miens et m'engouffre dehors. Retour au comptoir où Johnny nous intercepte pour nous dire qu’il est en train de nous préparer deux cafés. Il nous demande si c’est à emporter, et j’acquiesce, sans vraiment prendre le temps de demander à Charlie. J’ai envie de rentrer, et je pense qu’elle aussi - elle en a déja beaucoup fait, je vais pas non plus lui gâcher sa journée entière.

- J’ai oublié de vous dire deux choses. La première... , il s’intéresse à Charlie. C’est que ça sera douloureux pour lui. Physiquement et moralement. Son esprit va revivre des choses, comme Ulysse, et
- ... Qui ?

Ils se regardent. Je souffle, baisse la tête, roule ma langue dans ma joue.

- Whatever...
- Bref. Il pourrait se mettre à crier ou à pleurer, qui sait ce qu’il a dans le coeur... Donc si tu veux réellement l’aider, il faudra pas te bloquer sur ça. Tu lui feras du mal, mais ça sera pour son bien. Concrètement si l’idée de le faire souffrir te bloque, laisse tomber. Mais il faudra qu’il trouve un autre guérisseur et honnêtement, vu le lien que vous avez tous les deux, ça sera moins efficace. La machine est complexe, la moindre petite chose peut aider.

Il pose un premier café qu’il fait glisser vers Charlie et entame la préparation du second en tournant les yeux vers moi.

- Deuxième chose... Comme dit, faut t’armer de tout ce qui peut aider. La mémoire, c’est le passé. Le passé, c’est les racines.
- Faut que je sois chez moi à Londres..., conclusion bête et méchante.
- T’a pas mieux ?

Je lève les yeux sur lui. Ca pue la rhétorique.

- Les racines. Qu’est-ce qui fait que tu es toi, que tu es tel que tu es. On s’en fout de ta chambre à Londres, elle a aucune valeur à tes yeux. T’es pas attaché à un lieu. T’es pas non plus attaché à ta m...
- Mon père. Mon père et mon frère.

Il me tend mon café en souriant et tourne les yeux sur la rousse.

- ‘Semblerait que tu vas rencontrer beau-papa.
- ... Pourquoi tu m’aide John ?

Je prend mon café en le regardant, essayant de comprendre. Ce mec est...

- « Un homme sans souvenirs est un homme perdu. » D’une pichenette sur le comptoir, il fait glisser jusqu’à moi un petit chocolat en sachet. Armand Salacrou, auteur dramatique français.

Je le regarde lui et son foutu chocolat. Sa culture me tape sur les nerfs, et oui c’est de la jalousie, en plus de l’envie que j’ai de vomir son style d’intello badboy. La paume de ma main se pose sur le comptoir et du même geste, je lui renvoi la gourmandise.

- « J’suis pas fan de chocolat. » Je lui jette tous mes mauvais sentiments à la gueule d’un regard de mauvaise foi. Heath Ackland.

Je me détourne de lui, café en main, et me dirige vers la sortie dans une oeillade pour Charlie, qu’elle se joigne à moi.

Une fois dehors, on commence à marcher pour remonter la rue. Je sais pas ce qu’elle en pense maintenant que la donne implique qu’elle vienne chez mon père à Boston.

- J’aimerai que tu vienne. ... Pour répondre à ce que tu disais dans les vestiaires. Ma décision est déja prise, je veux retrouver mes souvenirs. Et si il faut que tu me bidouille le cerveau et qu’on aille jusque chez mon père pour ça, je le ferais., je tourne la tête vers elle. ... Et toi ? ‘fin... si jamais tu veux pas, j’comprendrai, je t’en voudrai pas. J’trouverai quelqu’un d’autre. Peu importe si c’est plus compliqué. J’veux les retrouver.

Et quand on veut, on peut. C’est pas une grande citation, je sais même pas qui est le con qui a dit ça, mais j’y crois dur comme fer.

- J’veux pas être un homme perdu. ... Et c’est ce que je suis en ce moment.

Et putain, c'est dur de l'avouer à voix haute.

. . .

- J’ai oublié de vous dire deux choses. La première... C’est que ça sera douloureux pour lui. Physiquement et moralement. Son esprit va revivre des choses, comme Ulysse, et
- ... Qui ?

Silence de plomb. Et crispation dès que John a prononcé les mots “douloureux pour lui”. Et à mesure qu’il en parle, la tension s’intensifie dans chacun de mes muscles. C'est poignant.

- Bref. Il pourrait se mettre à crier ou à pleurer, qui sait ce qu’il a dans le coeur... Donc si tu veux réellement l’aider, il faudra pas te bloquer sur ça. Tu lui feras du mal, mais ça sera pour son bien. Concrètement si l’idée de le faire souffrir te bloque, laisse tomber. Mais il faudra qu’il trouve un autre guérisseur et honnêtement, vu le lien que vous avez tous les deux, ça sera moins efficace. La machine est complexe, la moindre petite chose peut aider.

Évidemment que ça va me bloquer, crétin. J’ai déjà du mal quand Nathaniel se crispe lors des “séances” pour contrer le glaucome, alors là… C’est impossible. Sans compter que je suis loin d’en avoir les capacités. J’fais pas partie des génies comme vous deux hein.

Sourcils froncés, bras croisés malgré le gobelet que mes doigts enserrent… Mes lèvres sont restées scellées alors que le A continue de parler. Aucune réaction à la remarque sur le beau-papa. Ça passe à quinze mille. Et leur petite joute verbale pour savoir lequel des deux à la meilleure répartie -pour rester polie-, ne provoque pas plus. Ailleurs.

C’est trop... sérieux. Important.

Mais mon corps détecte le mouvement de départ d’Heath et suit. Sans un mot à John. Le cerveau dans le coeur.
Le froid extérieur m’étreint et le silence nous enveloppe pour quelques pas. J’ai envie de me renfermer jusqu’ à ce que je sache quoi penser de tout ça. Ça fait beaucoup. Heath has a lot to process.

- ... Ma décision est déja prise, Ma tête se tourne vers lui à cet instant seulement, comme extraite de moi-même. Je veux retrouver mes souvenirs. Et si il faut que tu me bidouilles le cerveau et qu’on aille jusque chez mon père pour ça, je le ferais... Je déglutis. Sérieux ? T’as pris ta décision juste comme ça ? Et toi ? ‘fin... si jamais tu veux pas, j’comprendrai, je t’en voudrai pas. J’trouverai quelqu’un d’autre. Peu importe si c’est plus compliqué. J’veux les retrouver.

Je détourne le visage, perdant mon regard sur le trottoir devant moi. Toujours silencieuse. Toujours pensive.

- J’veux pas être un homme perdu. ... Et c’est ce que je suis en ce moment.

Ses mots me percutent de plein fouet. Carambolage.
Depuis quand tu es si honnête ? Comme une décharge électrique, sa capacité à avancer en se fixant des objectifs me fait accélère l’allure pour le devancer et me retourner face à lui pour qu’il ralentisse. Ma main se pose un instant sur son torse. Regard direct.

- Okay. J’le ferai., dis-je bien plus calmement que ce que j’aurais cru. Mais le voyage chez ton père n’est pas le souci, Heath. J’suis pas en mesure de te guérir dès maintenant. Je maîtrise pas assez mon don pour ça. Je souffle un instant. Une main chasse furtivement la mèche de cheveux qui me gêne, alors que de mon autre main, mes doigts viennent écorner les rebords du bas du gobelet dans une anxiété subtile. Donc c’est d’accord, si tu as la patience d’attendre que je m’améliore. J’avais déjà des idées pour m’entraîner plus bien avant tout ça. Je peux avancer le rythme. Je me recule d’un pas. Mais c’est toi qui voit. C’est moi qui comprendrais si tu peux pas et si tu préfères te retourner vers quelqu’un d’autre.

Ma tête s’incline légèrement. Je lui souris doucement.

- T’en fais pas.

Et le rassurer me rassure aussi.
Parce que soyons clair, malgré toutes les bonnes intentions, on ne sait pas du tout dans quoi on s’embarque.