[FINI] the sound of silence ft. killiam

— C'est un peu la même chose..
— Pas vraiment nan. T'es chiant, mais pas un mage noir non plus.

Tu portes pas la poisse, as-tu envie de lui dire, mais tu as peur que ça ravive quelques douloureux souvenirs qu'il ne veut pas se remémorer, quelques douloureux souvenirs auxquels il n'a pas envie de penser. Vous n'aviez jamais vraiment reparlé de ce qu'il s'était passé ce soir là, de ses pleurs, de ses mots, des tiens, de ces étreintes partagées qui n'auraient sûrement plus jamais lieu. Et au fond de toi, ça te pince un peu le cœur de te dire que tu ne le câlineras pas, mais tu repousses cette impression, tu refoules ce sentiment, il n'existe pas. Ça n'existe pas.

Il s'empresse de te répondre, bégaye un peu, semble chercher ses mots et tu hoches doucement la tête pour lui faire comprendre que tu l'écoutes, que tu comprends. Et c'est à lui, de te demander quand tu as commencé et tu réfléchis un instant, essayant de te souvenir quand exactement tu as commencé :

— Je sais pas vraiment. Cinq, six ans ? On était gosse avec Théa, et nos parents ont décidé de nous séparer un peu parce qu'on était trop souvent ensemble. Donc Théa a hérité du piano et moi de la guitare. J'ai commencé la batterie quand je suis arrivé ici.

Ça faisait des années et des années que tu jouais de la guitare, et finalement, c'était quelque chose pour laquelle tu devrais remercier tes parents.

— Puis bon, ils ont eu de la chance qu'on ait aimé ça ! On pouvait être de vrais emmerdeurs quand on voulait, lâches-tu dans un rire.

Ton sourire se fane légèrement quand tu te rends compte de ce que tu viens de dire. Tu as parlé de Théa, encore, sans même t'en rendre compte, parce qu'elle fait parti de toi. Tu aurais aimé ne pas parler d'elle aujourd'hui, parce qu'il y avait encore cette légère tension au fond de toi à cause de ses paroles. Il y avait encore toutes ses réflexions sur cette dépendance et cette idée de malsain qui ne voulait pas quitter ton esprit. Alors, tu aurais aimé ne pas en parler aujourd'hui, même sans t'en rendre compte, parce que ça remet sur le tapis un sujet qui aurait pu vous amener à vous disputer, vraiment, violemment. Parce que tu sais à quel point tu peux être violent lorsqu'il s'agit de Théa.

— Enfin bref, ça fait un p'tit moment quoi. J'me débrouille plutôt bien niveau guitare.

Et tu lui souris, légèrement. Tu chasses Théa de la conversation de peur qu'il en parle, de peur que ça revienne sur le tapis, de peur que tout ce qu'il ait dit est vrai. Et tu ne veux pas que ça le soit, alors tu enterres de nouveau tout ça, pour ne pas en parler, pour ne pas discuter.

Son rire te détend un peu. Il te détend même plus que tu ne veux bien le croire. Il te détend assez pour que tu puisse sourire, pour que tu passes une main dans tes cheveux, un peu gêné tout de même d'avoir dévoilé une partie de ta vie, mordillant ta lèvre inférieure sans même y penser. Son rire te réchauffe le cœur, autant que ses larmes te l'ont détruit. Il y a cette légère chaleur dans ton estomac, cette légère tendresse, cette légère... tu ne sais pas, mais dans tous les cas, ça te fait du bien de l'entendre rire, de voir son visage étiré par la joie.

D'en être un peu responsable.

Il reprend et tu secoues négativement la tête. Non, il ne t'entendrait clairement pas jouer de la batterie, parce que tu jouais plus en tant qu'accompagnement, non pas comme la guitare que tu transportais partout et n'importe quand.

— Tu m'as entendu jouer cinq minutes, c'est laaaaarge suffisant pour les sept années à venir.

Tu le taquines, l'embêtes un peu, parce que c'est plus simple, c'est plus dans ton monde, dans ton univers, c'est plus toi : le repousser, faire comme si tu ne tenais pas à lui, comme si rien n'avait changer, comme si tout était un peu faux et que tu pouvais déguerpir quand tu le souhaitas.

— Vous êtes toujours des emmerdeurs, c'est pour ça qu'on vous aimes.
— Hé ! Je suis pas un emmerdeur ! Tu es un emmerdeur de première catégorie, pas moi !

Tu répliques, parce que c'est vrai. Parce que c'est lui qui t'a collé aux basques pendant des semaines et des semaines, qui t'envoyais des LMS jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à ce que tu craques et que tu répondes pour qu'il te foute la paix. C'est lui l'emmerdeur, pas toi. Toi, tu es sage, gentil, inexistant. On ne fait pas attention à toi et c'est clairement parce que tu n'es pas un emmerdeur.

— Je stalke pas les gens moi. Et je les emmerde pas dans leurs révisions.

Tu gonfles un peu les joues, comme un enfant, tu fais la moue. Tu détournes le regard et tes coudes viennent s'appuyer sur tes genoux avant que tu ne reprennes la parole :

— Je suis un amour, et tu es un emmerdeur.

Mais finalement, t'aimais bien qu'il t'emmerde, hein ? T'aimais bien qu'il soit avec toi, qu'il t'envoie des messages un peu n'importe quand, sans faire attention à quand il envoyer Seven te chercher. Finalement, c'était un emmerdeur, mais t'aimais bien être emmerdé, hein ?

Son rire te fait gonfler les joues, un peu plus, un peu comme un gosse, un peu comme si tu avais de nouveau six ans, quand tu te cachais sous le lit et que Théa te trouvait bien trop vite. Tu n'oublies pas que tu ressembles à un gosse en ce moment, et c'est pour ça que tu te reprends un peu, te redresses et tentes d'abandonner cette moue boudeuse.

— Toi. Toi ?! Un amour ? tu te fous du monde ! Et je ne suis pas un emmerdeur, c'est toi, l'emmerdeur dans l'histoire ! Oui, voilà, Killiam Kenneth, tu es un petit con, sache-le bien !

Tes yeux s'écarquillent sous la surprise et tu es faussement offusqué. Non mais... non mais... Quoi ?! Tu ouvres la bouche, voulant répliquer, mais tu te tais finalement. Il ne connaît pas ton deuxième prénom et c'est en soit une victoire pour toi. Et tu pourras l'emmerder avec ça, tient. Parce que tu es persuadé que si tu lui dis que ce n'est pas ton nom complet il va sûrement faire en sorte de connaître ton deuxième prénom, quitte à te harceler encore plus. C'était, en soit, pas une si bonne idée que ça, mais le taquiner, l'emmerder, faire en sorte qu'il s'attache un peu plus à toi, ça te plaisait bien en fin de compte, tu en avais envie, presque besoin.

Tu ne peux t'empêcher de rire à sa tirade. Rire vraiment, rire tellement que ça t'en fait mal aux abdominaux et aux zygomatiques. Tu ris tellement que tu te courbes légèrement, que tu en perdrais presque ta respiration. Tu te calmes un peu, au bout de quelques longues secondes et tu tousses, pour calmer ton rire, pour calmer ta respiration, comme si ça allait avoir une incidence sur tout ça. Tu laisses échapper un souffle, encore amusé et un nouveau rire, beaucoup plus calme, beaucoup plus tendre t'échappe lorsqu'il reprend la parole.

Amour.

Tes joues rosissent un peu, beaucoup même. Ce n'est pas habituel, tu n'as pas l'habitude, et même si c'est pour rire, ça te gêne, même si c'est pour rire, ça te met un peu mal à l'aise, même si c'est pour rire, ça te serre un peu l'estomac, agréablement, tendrement.

— Trop aimable de ta part, mon cœur, tu veux vérifier si je ne te trompe pas avec une autre ? De façon à voir si je suis un vrai goujat ou pas.

Continue sur cette lancée, dans ce jeu, dans cette idée que ce n'est pas grand chose, pas important, que c'est insignifiant. Et peut-être qu'il y a une part de vérité dans tes propos, qu'il y a une part d'envie dans ce que tu dis. Peut-être, tout au fond de toi. Tu t'en rendrais compte, Killiam, si tu n'étais pas tenté de refouler tout ça.

Il semble réfléchir un instant et tu prends sur toi, tu prends sur toi pour réfléchir, pour trouver un moyen de changer de sujet de conversation car tu n'arrivais pas à t'enlever cette gêne intense, car tu n'arrivais pas à gérer la coloration de tes joues, car tu n'arrivais pas à être tout simple détaché comme tu l'avais toujours été, comme tu l'es toujours pour tout et avec tout le monde.

— Tu ne me tromperais pas, tu ne peux juste pas trouver meilleur que moi et je te rappelle que tu fais trop gay pour que ce soit "une autre"...

Tu hausses les épaules sans répondre. Il a tort, mais tu ne veux pas te lancer sur ce sujet qu'est ta sexualité. Parce qu'il y avait plus de chance que ton regard soit attiré par les courbes d'une autre. Parce que tu étais trop à cheval sur cette normalité pour dévier sur l'homosexualité, car il y avait ua fond de toi cette norme de la société que tu détruisais déjà avec Théa, que tu combattais tous les jours, et que par rapport à ta sexualité, tu ne voulais pas, tu ne devais pas ne pas être normal. Puis les hommes ne t'avaient jamais attiré, les femmes non plus d'ailleurs, tu n'y avais jamais vraiment pensé, ou réfléchis.

Il reprend la parole et ses mots te semblent d'un coup trop vrais, trop réels pour que tu puisses en rire. Il y a ce moment où tu as l'impression qu'il te dit la vérité, qu'il te dit ce qu'il se passerait vraiment, ce qu'il pourrait se passer, s'il y a ce toi et moi, ce nous, ce vous que tu ne comprends pas. Enfin, si, si tu le comprends, tu sais d'où il vient, tu sais pourquoi il arrive, pourquoi il se forme tout doucement dans votre relation, tu le sais, mais tu le refuses, le refoules, et tu le nies, si fort, tellement fort Killiam. Et tu n'arrives pas à rire, tu n'arrives pas à retrouver cet air taquin sur ton visage, tout devient un peu forcé, d'un coup.

— Rêve pas trop non plus, hein. Tant, y'en a déjà une conne qui t'a surpassé sur ça. T'sais, une qui... enfin voilà.

Et tu aimerais bien lui faire croire que c'est vrai, tu aimerais qu'il arrête, de vous imaginer, tu aimerais qu'il arrête de t'y faire croire, parce que tu commences à y croire un peu, parce qu'une partie de toi y croit alors que l'autre le refoule, l'empêche d'avancer. Il y a ces deux parties de toi qui entrent en conflit l'une avec l'autre, et tu n'es pas sûr de savoir laquelle tu veux voir gagner.

Tu veux vraiment y croire, finalement. Tu veux croire qu'il va croire à ton mensonge, qu'il va y croire bien plus que toi. Tu veux croire qu'il va gober cette fausse vérité, et tu veux croire qu'il va laisser tomber. Tu veux croire qu'il va arrêter ce jeu auquel tu joues aussi. Ce jeu que tu arrêtes de façon si violente, si soudaine.

Car peut-être que ce n'était pas un jeu.
Mais tu n'es pas encore prêt.
Tu n'es pas prêt pour ça.  

Il réplique immédiatement et tu fronces légèrement les sourcils. L'expression même de tremper son biscuit te déplaît. Tu n'avais pas de copine imaginaire – et elle était même plus qu'imaginaire vu que même dans ton imagination elle n'existait pas ! – juste pour le cul... enfin, si tu en avais une, ce serait loin d'être que pour ça, et c'est mal te connaître de... bref. Elle n'existe pas, ne te vexe pas pour si peu. Tu as juste besoin de l'arrêter, juste besoin de t'arrêter, parce que c'est plus simple comme ça, parce que tes pensées s'emmêlent et que tes envies sont bizarres, parce que tu ne comprends pas ce rapprochement, parce que tu refuses cette inquiétude que tu as envers lui, tu refuses ça en bloc et tu te contentes de hausser les épaules, comme si tu n'avais tout simplement pas envie de lui en parler, comme si tu avais envie de garder ça rien que pour toi, comme un secret.

Il reprend la parole, encore, toujours, et tu as cette impression de revenir en arrière, quand il faisait la conversation et que tu fuyais le plus possible. Tu as l'impression que ton prénom effleure ses lèvres, qu'il le prononce comme s'il te connaissait parfaitement et ça te dérange, oh oui que ça te dérange. Son regard est identique. Il ne sait rien. Il n'en sait rien de si cette fille hypothétique ne l'a pas surpassé, il ne sait rien du tout, il ne sait même pas qu'elle n'existe pas alors il ne peut pas savoir.

— ...tu ne peux pas savoir, puisque tu n'as pas essayé.
— Sauf que j'ai pas envie d'essayer.

Tu as répliqué, du tac-o-tac, sans y penser, presque sur la défensive, peut-être trop sur la défensive. Peut-être que tu as répondu trop vite aussi, si vite que sa dernière syllabe s'est effacé sur ta première et tu plonges ton regard dans le sien. Son regard si unique, si différent des autres. Au bout de quelques secondes, tu te lèves, quittes la table et poses tes pieds sur le sol, attrapant la protection de ta guitare pour la ranger, ce que tu fais en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.

Oh tu vas fuir, Killiam, tu vas fuir comme tu fuis si souvent, tu vas fuir parce que c'est ce que tu fais le plus souvent quand c'est toi qui est touché, tu vas fuir parce que c'est plus simple que d'assumer, que d'y aller de front. Tu vas fuir, parce que tu ne sais faire que ça. Fuir les emmerdes, fuir les relations humaines.

Le fuir lui.
Et tout ce qu'il pourrait représenter un jour.  

Il ne te dérange pas. Il ne t'a pas dérangé. Il ne t'a pas dérangé, et il faudrait que tu lui dises, que tu lui fasses comprendre. Parce qu'Ezéchiel, sous ses grands airs, il est un peu brisé partout, il faut faire attention à lui, il faut le câliner, le réparer doucement, tendrement. Ezéchiel, sous ses airs de grands garçons, il avait besoin d'être réconforté. Un peu comme toi, finalement. Vous vous ressembliez un peu sur ça, un peu beaucoup, même. Il continue de parler et tu ne lui réponds pas, tu ne le regardes même pas, tu n'oses même pas le faire.

Tu fuis comme un lâche.
Et ça t'horripile.

Tu déglutis et, quand la porte se referme, tu t'appuies sur la table en soupirant, une tension disparaissant de tes épaules. Tu n'avais même pas remarqué que tu étais tendu jusqu'à ce qu'il parte. Il est parti le premier dès qu'il a vu que tu te sentais mal à l'aise, dès qu'il a compris que tu voulais fuir. Il a fui avant toi. Vous êtes deux fuyards, Killiam, deux gros fuyards et c'est pas plus mal parce que tu ne veux pas faire ça à tout ça.

Tu ne veux pas faire face à ce nouveau sentiment un peu bizarre que tu ne comprends pas, que tu croyais être un jeu au début, avec cette idée de le repousser toujours plus loin, toujours plus vivement au début. Tu sais, ce jeu auquel tu as pris goût, finalement, ce jeu que tu as apprécié pendant de longues semaines, ce jeu dont tu ne pouvais pas te passer. Ce jeu qui a changé, qui s'est modifié la semaine dernière, juste parce qu'il avait trop bu, parce que tu avais trop bu, parce que tu as été un peu plus... toi ? Sans vraiment changer qui tu es réellement. Et finalement tu as compris que ce n'était pas un jeu, et ça t'a fait peur, ça t'a fait flipper. Et t'as fuis, parce que c'est si simple de fuir.

— Putain...

Putain. Et c'est le seul mot qui arrive à définir un peu ton état actuel. Cet état entre le besoin et le déni, l'envie et le refus. Ce mot qui te fait te rendre compte de ce qu'il représentait vraiment pour toi, avant et ce qu'il pourrait représenter pour toi maintenant, si tu n'étais pas aussi con, et si tu voulais comprendre.

Mais tu ne veux pas comprendre, tu refuses de comprendre.
Parce qu'il y a le besoin et le refus.
L'envie et le déni.