does that make me crazy ? •• monaiden 2

Balayant les alentours d’un regard oscillant entre une curiosité dévorante et une impatience sans nom, le fantôme demeurait silencieux.
Cela faisait plusieurs jours qu’il n’avait pas revu Mona, l’ayant laissé filer après leur dernière rencontre. Il n’avait pas eu la force de la retenir, bien trop tiraillé par sa gentillesse - bien trop troublé par le cadeau qu’elle lui avait offert avant de tirer sa révérence. Les yeux clos sur le monde alentour, comme bloqués, rivés sur le rouge écarlate du rideau fermé. Son attention focalisée sur la belle poupée au coeur des regards. L’ombre ne vivant qu’à moitié, attirée par la lumière aveuglante de la belle poupée dorée. Il s’était accroché à cette lueur, avait entrevu l’espoir de vie, l’espace d’une seconde - cruel espoir au goût faussé.
Il avait mis du temps à le comprendre, oeillade trop plissée par les projecteurs, l’observation réduite par toute la douceur brutale de la musique qu’elle lui proposait. C’était pourtant d’une immanquable évidence, comme cet égoïsme qui lui était propre - au point de ne plus pouvoir le distinguer. Car la belle Mona ne voyait en lui que son propre reflet.

L’ombre à côté de la lumière pour la rendre encore plus éclatante, le public aux mains claquantes - pour couvrir d’arrogance les notes jouées. Sa seule attention provoquait l’éveil de son orgueil, les compliments, bien trop sincères, couvrant cette réaction d’une surprise attachante. C’était un jeu dangereux, et, cruellement, il n’avait pas pu résister à cette lueur nocive à l’allure d’une dépendance.
Ca s’était déclaré en lui par quelques soupirs, agrémentés de cette lourdeur sur son coeur déjà bien trop difficile à porter. Il n’avait pas réussi à fermer l’oeil, remplir son esprit à l’aube d’autre chose que de chagrin pour combler le vide qui le rongeait - et peu à peu, ça l’avait submergé.
Il voulait la revoir.
Comme une évidence, sentiment de manque qui s’étendait dans tout son être, la passion éteinte à présent ranimée par tout le danger qu’elle lui évoquait. Elle n’était pourtant que la musicienne de ses matinées - quelques partitions de plaisirs à s’offrir. Mais Aiden voulait la retrouver, Aiden, entraîné par cette envie déchirante qui n’en finirait jamais de le briser.

Mona, Mona, Mona. L’écho de son coeur traduit par la tristesse d’une mélodie oubliée.

Il avait essayé pourtant, de tout son être, mais n’avait pu compenser toute la place qu’il avait fait l’erreur de lui donner. La poupée démoniaque qui croquait les moindres parcelles de son coeur, accrochée au peu d’amour dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Vampire ; extirpant de son être glacial toute l’affection qu’il pouvait bien posséder. C’est pourtant lui qui courait à sa recherche, sous la vision d’un ciel à peine levé - lui qui affrontait l’aube pour le seul plaisir de quelques notes emplies d’un plaisir écorché.
Il aimait ça, au fond, cette sensation des crocs perforant sa peau gelée.
Submergé de poison, chaque engorgée secouant son corps d’un frisson de plaisir. Il avançait, aveugle, dans le jardin de ses vices pour combler toute la satisfaction qu’il se refusait auparavant à apprécier. Sous ses yeux, violon en main, plus belle que jamais à l’entrée de son ultime numéro.
Il n’avait pas besoin de mot pour se signaler, mais il ne pouvait plus supporter l’ombre de sa scène, qu'elle lui imposait.

« Viens avec moi. »

Au diable les bonnes manières, cette ancienne entité que, détruit, il ne pouvait plus que refléter. Il voulait se sentir exister d’une autre manière, sentir un nouveau sang couler dans ses veines épuisées. Le coeur vieux, battre d’un renouveau tant mérité - s’accorder la nouvelle chance qu’il se refusait à saisir, collé à son chagrin pour pouvoir se retrouver. C’était pourtant cette unique conviction qui le guidait dans l’ascension des marches, l’espoir concentré dans cette indestructible poupée.
La salle de musique s’ouvrit dans un grincement matinal, les instruments dormant dans leur triste éternité. Il traversa la pièce, amenant avec lui sa froideur brûlante si dure à apprécier - il s’assied derrière le piano, le regard posé sur Mona.
Les notes filèrent, brisant cette lourde ambiance caractéristique d’une aube silencieuse, ses doigts si froids maniant l’instrument avec une curieuse dextérité. Il jouait, magique musique se frottant avec délice au silence de cet air qu’il avait cessé de respirer, le temps d’une seconde. Le temps de se retrouver - le fantôme jouait, par affection, étendait ses 400 ans d’existence apprises au bout de ses doigts, avec un plaisir retrouvé.